(Archives 2002/2010)

 

 

 

Micro-chroniques ciné

 

 

"The Impossible": Mère et fils séparés, moments de bravoure répétitifs, happy end, lyrisme en mousse, violons et tire-larmes habituels, le renouveau du film-catastrophe c'est pas pour tout de suite. 28 novembre 2012

"Thérèse Desqueyroux": Qui est Thérèse Desqueyroux ? Réponse elliptique et peu convaincante d'un Claude Miller qui fut plus inspiré par les tourments de l'adolescence que par ceux des mères de famille. 28 novembre 2012

"Skyfall": Superproduction habillement dosée mais sans ambition autre que visuelle, avec un Daniel Craig toujours trop blond/musclé/vieux (apparemment) pour le rôle, mais dont le scénario joue habillement avec l'âge. 22 novembre 2012

"Paperboy": Film multigenre aux atmosphères moites et à l'esthétisme crade, pêche par une direction d'acteur trop inégale. 22 novembre 2012

"Holy Motors": Sans intrigue, les tentatives de dramaturgie échouent, le lyrisme tourne à vide. Un ex "jeune réalisateur prometteur" se masturbe pendant 1h55. 2 juillet 2012

"21 Jump Street": De l'efficacité d'un gros travail d'écriture. Un film qui fait aimer le cinéma de divertissement, et qui ne se prend pas une seule seconde au sérieux. 7 juin 2012

"Prometheus": Un Alien new look, gore et esthétique, servi par une atmosphère envoutante très travaillée. Dommage qu'ils ne puissent pas s'empêcher de sauver -encore- le monde à la fin... 7 juin 2012

"Le Grand Soir": Toujours féroce, faussement beauf, et très bien cadré, le nouveau film des Kervern/Delepine est cette fois-çi très lucide. Leur plus grande réussite depuis Aaltra. 7 juin 2012

"Le Prénom": Du théâtre filmé très divertissant, avec le rythme et l'hystérie nécessaires. Aucune mise en scène, évidemment. 7 juin 2012

"Sur la piste du Marsupilami" : Beaucoup moins inspiré et drôle que Mission Cléopatre et pourtant très Chabat (dessins animés, fausses pubs..), le Marsupilami est comme ces recettes de cuisine qu'on répète depuis des années mais qui un jour, sans savoir pourquoi, n'ont plus la même saveur. L'idée de départ (faire intérprêter le Marsupilami par un acteur dont la tête sort d'un trou de son costume) laissait entrevoir un tout autre délire... 14 avril 2012

"Radiostars" : Cocktail très réussi du road movie et du film choral. Bon équlibre entre les vannes et la déscription psychologique des personnages, les bons sentiments et l'âpreté, l'amitié et la compétition. Manu Payet au top. 13 avril 2012

"Projet X" : On y fait du skate sur les toits, on y plonge les voitures dans les piscines, y met un nain au four, y brûle tout en dansant, criant et se droguant.. Il aurait juste fallu plus d'imagination, le sens du tragique et un style, pour faire de ce film un exutoire jamais vu au cinéma. 31 mars 2012

"38 Témoins" : Bon sujet et bonne maîtrise de la progression dans la 2eme partie, dommage pour les mauvaises habitudes du cinéma d'auteur : non-dits, sous-jeu, et autopsie obligatoire des sentiments d'un couple, qui gâche toute la 1ere demi-heure, inutile. Très bon (et très juste) personnage de procureur. 29 mars 2012

"La Dame en Noir" : Succession d'apparitions aussi bien répétitives qu'incohérentes sensées faire sursauter le spectateur; mais de beaux décors et une très bonne lumière. Toujours le même scénario gothiquo-thriller de Sleepy Hollow/Giorgino/King Stakh : un homme des ville dans une région reculée - grande maison dévastée et lugubre - recherche de personnages disparus mystérieusement dans les marais - logement par un aubergiste pas sympa. 28 mars 2012

"Bye Bye Blondie" : Sur les mêms thèmes que "Les Adieux à la Reine" (amours lesbiennes, milieux incociliables, douleur de l'absence), du grand cinéma où l'on vibre, où la détresse, la violence de la passion se lisent à chaque image. Où le jeu des actrices est si romanesque, leur vécu si palpable. Où la mise en scène dit tant sur son époque. Benoît Jacquot ira voir ce film. Et mourra sûrement de honte. 26 mars 2012

"Les Adieux à la Reine" : Triangle amoureux sans relief, intrigue inexistante, encore une petite histoire dans la Grande mais à la sauce mauvais film d'auteur français, c'est à dire sans générosité, que des gros plans, et de l'ennui. Beaucoup, beaucoup, d'ennui. 24 mars 2012

"Cloclo" : Souvent habile, effréné et flamboyant mais sans axe (psychologique, ou politique, ou critique...), un biopic très complet mais sans souffle ni progression. Rénier véritable sosie de Claude François permet de mélanger vraies et fausses images d'archives dans le même plan ! 21 mars 2012

"Les Infidèles" : Vulgaire et forcément inégal, ce film à l'écriture souvent bâclée ne vaut que par le jeu, très juste, de ses 2 personnages principaux. 21 mars 2012

"Chronicle" : Bon délire bien à américaine : l'idée est exploitée à fond sans peur de la surenchère. Le traitement en fausse vidéo amateur n'apporte rien, d'autant plus que les imperfections de l'amateurisme sont ajoutées en post-prod. Gros sous-entendus sexuels dans les dialogues. 28 février 2012

"Dos au mur" : Bon scénario sans mise en scène mais bien monté, trop etiré en longueur. De plus, le fait de ne pas savoir si on a à faire à une victime ou un coupable empêche le spectateur de s'identifier. 28 février 2012

"La Dame de fer" : L'entreprise consistant à transformer ce monument de psycho-rigidité qui bascule dans la sénilité en dame sensible et nostalgique est parfaitement réussie. Les combats perpetuels de Thatcher sont secondaires (et non ce n'est pas le sujet), mais Meryl Streep est incroyable de mimétisme. 22 février 2012

"Cheval de guerre" : Tout dans ce film (intrigue, décors, costumes, lumière, musique) et kitsch, naïf, sans adrénaline ni recul, guimauve. Spielberg, qui tourne trop, a de moins en moins honte de ce genre de naisierie sans intérêt. 22 février 2012

"Detachment" : Bonne idée de faire reposer la brutalité du propos et la violence des situations sur le montage, alors que "Entre les murs" (une des modèles, indéniablement) misait tout sur le réalisme, plus efficace. A cause de l'excès d'effets de style, le film s'empêche de donner à réfléchir, et celà enlève beaucoup de son intérêt. 6 février 2012

"Mission Impossible Protocole fantôme" : Du très bon espionnage mêlant rythme de l'action et austérité des enjeux (la guerre nucléaire, rien de moins!), régulièrement désamorcés par des bourdes ou des répliques volontairement ringardes. Ce qui donne un divertissement moderne et pas prétentieux. 6 février 2012

"La Vérité si je mens 3" : Difficile d'arriver à la cheville du scénario (de Bitton & Munz) quasi-parfait du n°2. Obsédés par le poids de ce coup de génie, ils se contentent d'un remake assez habile, mais sans gags. De la difficulté de l'art de la surenchère. 6 février 2012

"The Artist" : Tant pis pour le manque de fond, tant pis pour l'intrigue qui n'evolue plus à partir de la moitié du film, The Artist parvient dès la première scène à recréer ce qu'on attend de lui : le charme. Et réussi aussi la prouesse de rendre l'irruption du son ...gênante. 27 janvier 2012

"L'Amour dure trois ans" : Ressemble à un livre filmé, trop dense, trop d'aphorismes et de citations. Même lorsque le film veut faire croire qu'il a enfin trouvé l'amour, ça parait de la haine. Cynisme à la pelle, B.O. de reprises branchées, et acteurs jouant à côté, l'objet bo-bo par excellence. 27 janvier 2012

"Le Cheval de Turin" : Quotidien presque en temps réel d'un paysan hémiplegique, sa fille neurasténique, et leur cheval dépressif. Le vent glacial, les plans fixes, la pomme de terre au four à chaque repas, faut aimer. Quand un cinéaste annonce qu'il signe son dernier film, c'est souvent qu'il sent lui-même avoir perdu l'inspiration... 27 janvier 2012

"Take Shelter" : Film d'acteur au scénario répétitif et sans réelle imagination ni nuance. Ceux qui découvrent le nouveau cinéma indépendant américain sans être passés par le cinéma français des années 90 (la protection de la famille en plus) crient au génie. 17 janvier 2012

"Malveillance" : Bonne idée de personnage : un anti-Amélie Poulain qui pénètre chez les gens en leur absence pour leur pourrir la vie. Suspens maîtrisé et bonne progression, angoissant et divertissant à souhait. 17 janvier 2012

"Intouchables" : Tout l'esprit du film est résumé dans le prégénérique : un chauffard banlieusard sans permis se sert du handicap de son patron consentant pour gruger la police, sur fond (très important) de Earth Wind and Fire. Vraie photogénie de Omar Sy, bien que trop vieux pour le rôle. Ce film très bien rythmé parvient à faire aimer deux catégories traditionnellement peu aimées des français. Funky, flamboyant, politiquement incorrect et émouvant, un grand film. 19 décembre 2011

"Tintin" : On sait enfin pourquoi on se casse la tête à faire en animation des histoires qu'on pourrait très bien tourner en prises de vues réelles : excuser la niaiserie de l'adaptation, ne pas assumer l'invraissemblance de l'action, rendre tous les personnages laids, et vendre du jeu vidéo. Très bonnes scènes de bagarres toutefois. 13 décembre 2011

"Hollywoo" : A part De Funes, quels acteurs peuvent sauver un mauvais film à sketchs écrit sans rigueur ni imagination ? Bah personne. 13 décembre 2011

"Polisse" : En faisant tomber la barrière du voyeurisme, la méthode de Maïwenn est peut-être celle qui s'approche le plus du quotidien trash et vain des inspecteurs de la Brigade des Mineurs.
Bons dialogues à la Bacri-Jaoui avec ce mélange d'esprit et de bon sens, et excellente Marina Foïs, qui semble composer si peu... 26 novembre 2011

"Drive" : Un polar classique dans le scénario, mais tellement nouveau dans la forme; où l'absence de psychologie du personnage principal et de réalisme est revendiquée, où les scènes de violence sont filmées comme des scènes d'amour, où la BO électronique et suave envoûte tout. Restera probablement comme un standard qui révolutionne le genre. 9 octobre 2011

"Habemus papam" : Ca aurait pu être un grand film sur la vocation et le destin, avec le grand retour d'un immense acteur (Michel Piccoli) injustement oublié... mais que viennent faire ces psychothérapeutes et leur volley-ball dans cette histoire ?? 16 septembre 2011

"Destination Finale 5" : réussit toujours son effet en tuant tous ses personnages dès la scène d'ouverture. Suspens et gore, on attend encore plus de surenchère. Excellent générique de début, comme d'habitude hyper chiadé. 3 septembre 2011

"Impardonnables" : Téchiné le maître du thriller des sentiments rate celui çi à cause de personnages pas assez fouillés. 25 août 2011

"Horrible Bosses" : Une comédie à la "Bad Trip" qui roule, bon scénario, bon casting. Pas de mise en scène. 25 août 2011

"Super 8" : Spielberg aime le grand humanisme un peu niais, mais quand le scénario est trop con pour lui, il le refile à qqun d'autre. Ce qui nous vaut cette grande leçon de vie d'en enfant à un extra-terrestre ayant perdu son vaisseau spatial : "Il y a des grands malheurs, mais la vie continue." So deep. 12 août 2011

"Melancholia" : L'apocalypse comme métaphore de la dépression, Lars von Trier sait de quoi il parle. Un grand film sur l'anéantissement, mais peu accessible. 12 août 2011

"La Prima Cosa Bella" : Le reagard positif de ce pays sur la vie transforme une nouvelle fois thème tragique en vraie comédie à l'italienne, avec tout le charme qui va avec. 5 juillet 2011

"Une Séparation" : En évitant toute caricature, peut-être le plus grand drame familial jamais réalisé. 5 juillet 2011

"The Ghost Writer" : *Réussite d'un récit labyrinthique mais très fluide, quoi que pas très passionant. Comme toujours chez Polanski, le suspens et l'angoisse vient des décors. De l'efficacité d'un bon travail de repérages. 26 mai 2011

"Les Aventures extra-ordinaires d'Adèle Blanc-Sec" : Besson met de côté le lyrisme, qui est pourtant son point fort. Reste une comédie sans relief qui vaut surtout par l'éblouissante reconstitution du Paris de 1900 (le Louvre sans pyramide, le Trocadéro sans Chaillot, Montmartre et ses moutons) 26 mai 2011

"Le Livre d'Eli" : Pendant formaté de "La Route". Là où ce dernier était nihiliste et réaliste (et frôlait le chef-d'oeuvre), "Le Livre.." est croyant (voir prosélyte), hyper stylisé et super violent. On préferera revoir "La Route". 26 mai 2011

"La Conquête" : Portrait honnête qui doit beaucoup aux dialogues très documentés de Patrick Rotman. Rien de très nouveau qu'on ne sache déjà (Ah si 2 choses : On suggère que Chirac s'est tapé MAM par le passé, et Villepin appelle Sarko "l'agitateur précoce" :°°°). Note: Dominique Besnehard (qui joue Pierre Charon), sans talent, doit arrêter de faire l'acteur. 20 mai 2011

"Pirates des Caraïbes 4" : Toujours du vrai, du grand divertissement avec un degré en moins dans les splendeurs visuelles, un peu routinier et toujours sans grande rigueur dans le scénario. Rien ne vaut le délirant Pirates 2 "Le Secret du Coffre Maudit". 20 mai 2011

"World Invasion : Battle Los Angeles" : Sans mise en scène, sans scénario, on rempli le cadre avec une caméra-épaule vomitive et la bande-son avec des cris perpétuels. Patriotisme béat et tire-larmes habituels, le pire du cinéma américain. On attend avec impatience "Battle Miami" et "Battle Washington"... 27 mars 2011

"La Rafle" : Récit complaisant et sans finesse qui répond à tous les clichés. Faiblement documenté, on préférera Spielberg ou Polanski, et même un manuel d'histoire. 16 mars 2011

"Green Hornet" : grosse machine de super héros avec du second degré mais sans le charme des bricolages de Gondry. 3D réussie, un petit film pour ados quoi... 16 mars 2011

"Océans" : enfin un successeur digne de Microcosmos qui avait révolutionné le documentaire animalier en 1996, en appliquant la même méthode : filmer les bêtes comme des acteurs de film de genre (thriller, épouvante, drame, guerre, romance...). Une qualité d'image inégalée, un travail colossal. 16 mars 2011

"Black Swan" : Vertigineuse réflexion sur les souffrances (physiques et psychiques) que peuvent s'infliger les artistes pour leurs rôles : Derrière l'arrogance de la représentation et la propreté de l'image, un outil : le dégoût de soi-même. 13 mars 2011

"127 heures" : Danny Boyle est aussi agile et dynamique que son heros avant que sa vie bascule, autant en montage qu'en cadrage. Avec delires hallucinatoires et ironie sur la tragédie de son héros, il parvient à créer une vraie émotion. 24 février 2011

"Halal police d'État" : Eric & Ramzy vieillissent mal. Humour laborieux, scénario baclé et production fauchée, leur seul film potable reste toujours 'La Tour Montparnasse Infernale'. 24 février 2011

"Le Discours d'un roi" : structure et mise en scène on ne peut plus classiques, film d'acteurs où l'idendification joue à plein. Colin Firth joue peut-être trop la fragilité. 24 février 2011

"Rien à déclarer" : Même recette que les Chtis, des gags vieux comme Jacques Tati, du vu et revu, et la salle rit aux éclats. Je ne comprends pas. 24 février 2011

"Au Delà" : Encore un Eastwood trop classique, qui n'a pas compris que la voyance au cinéma sans utiliser les visions qu'elle provoque, est complètement chiant. Qu'il revoie Ghosts, Shining, ou Le Sixième Sens. 29 janvier 2011

"Les Émotifs anonymes" : Pas très drôle mais beaucoup de charme, en partie dû à la caricature outrancière de situations de gène amoureuse qu'on a tous vécues. 29 janvier 2011

"A Bout Portant" : Un bon polar à la française, mais il manque encore un vrai pool de scénaristes (méthode américaine) pour renforcer la compréhension et la vraisemblance de l'intrigue. 29 janvier 2011

"Somewhere": S. Coppola est-elle le génie de la solitude au cinéma ? (Bouh voyez ce pauvre mec riche et célèbre, comme il est triste), Sait-elle mieux que personne montrer l'ennui de l'homme moderne (en ennuyant le spectateur, c'est tellement simple), ou est-elle simplement une cinéaste qui n'a rien à dire. 9 janvier 2011

"Le Nom des Gens": C'est rythmé, sociétal et distrayant, dans la même veine que "La Crise", mais trop naïf et invraisemblable. Pour ce que ça dit du racisme : revoyez La Crise. Du couple: revoyez La Crise. De la gauche : revoyez La Crise.
"La Crise" (Colline Serreau - 1992), ce monument. 28 décembre 2010

"Faites le mur" : Excellente idée de départ: "ce réalisateur a voulu faire un film sur mon travail, il était plus intéressant que moi donc c'est moi qui fais un docu sur lui". Vrai documentaire ou pas, on arrive grâce à une implacable démonstration à cette lucide conclusion : l'art contemporain est une blague. 28 décembre 2010

" Skyline " : Mal joué, très mal écrit, même pas un peu d'ironie pour sauver ce scénar bâclé aux dialogues clichés. 17 décembre 2010

"Potiche" : Un Ozon made in "Gouttes d'eau.." et "Angel", avec kitsch et second degré. En décalage avec l'intrigue et la mise en scène, somme toute très classiques.. 17 décembre 2010

"Les Petits Mouchoirs" : Bon 'film d'amis' qui lorgne vers "La Baule-les-Pins" sans le réalisme de Diane Kurys. Manque peut-être à Canet de l'attachement pour ses personnages pour en faire un "Mina Tannenbaum", ou une intrigue pour en faire une oeuvre plus grande encore. 20 octobre 2010

"The Social Network" : Rythmé et prenant mais mais sans surprise, un film pile sans son époque qui n'aura aucun intérêt dans 10 ans lorsque plus personne n'utilisera facebook. Qu'est allé faire Fincher dans cette pub géante ? 20 octobre 2010

"Kaboom" : Presque abstrait, non film et vraie blague. Si David Lynch réalisait une comédie pour ados, ça ressemblerait peut-être à ça.. 11 octobre 2010

"Notre Jour Viendra " : mélange réussi de cavale tragique, violence gratuite et humour absurde. On peut en effet reprocher 1000 choses à Romain Gavras sur le fond, mais il a un style et invente de sacrés personnages. 20 septembre 2010

"The Town ", on savait Ben Affleck bon scénariste, c'est désormais un bon metteur en scène de pur cinéma américain. On pense par certains côtés aux réalisations de Stallone et James Gray. 20 septembre 2010

"Des Hommes et des Dieux " : Pas le chef-d'oeuvre annoncé mais une belle illustration de la générosité et l'abnégation de ceux qui prient pour nous. Merveilleux acteurs, bouleversant Jacques Herlin. 20 septembre 2010

"Piranha 3D" : Aja revendique un cinéma d'épouvante gore et sans complexes. Même si trash et nichons sont bien au rdv, on attendrait plus d'audace, de risques, et moins de scènes formatées pour séries B. Et la 3D n'apporte rien, évidemment. Très bonne fin cependant. 20 septembre 2010

"Enter the Void" : Aucun mot n'existe pour décrire la perfection technique de la lumière, des couleurs, de la profondeur de champ, des travellings (je paierais cher pour savoir sur quoi est montée la caméra) dans ce film de Gaspard Noé. Et même si on a jamais pris d'acide (ce qui est encore mon cas) on prend son pied quand même. 29 août 2010

"Ninotchka" de Lubitsch, à la cinémathèque : l'immense Greta Garbo en agent secret russe psycho-rigide, découvre l'humour et l'amour à la française. Rempli de bout en bout de cette qualité très rare dans les comédies modernes : le charme. 29 août 2010

"Sérénade à trois" (1933) d'E. Lubitsch à la Cinémathèque, ou les éclats de rire d'une salle pleine à craquer devant cette comédie-chef-d'oeuvre sortie il y a 80 ans! Le noir & blanc et les craquements de la pellicule, le charme de Gary Cooper, le tonnerre d'applaudissements au mot "FIN", ah mon Dieu... quel bonheur ! 26 août 2010

"Inception" : Christopher Nolan n'a de leçon à recevoir de personne pour incruster ses personnages sur un décor numérique ou pour chiader un ralenti. Mais pour ce qui est de la fluidité du récit, quelques cours de narration cinématographique ne lui feraient pas de mal. 12 août 2010

"L'Arbre" avec Charlotte Gainsbourg : Attention film superficiel malgré les apparences. Sur le même thème (le deuil), l'Arbre est aussi fade que Antichrist était puissant. Mise en scène impersonnelle, en plus. 12 août 2010

 ‎"Plan B" : Une Brockeback Mountain argentin sans le romantisme ni l'envergure, peu crédible, et très vulgaire esthétiquement. Aucun travail sur la lumière. 12 août 2010

"Copacabana" : On aurait pu s'ennuyer gentiment et on a été aimanté par Babou. Le talent d'Isabelle Hupert colle à la comédie comme il colle au drame. De la force de l'interprétation dans une comédie dramatique. 11 juillet 2010

"Fatal" : En plein dans la tradition des néo films d'ados au découpage clipesque (Asterix et Cléopatre, Brice de Nice...), Fatal réserve de très bons gags (Canapi restera un grand moment de fou rires) et prend le risque d'aimer vraiment son personnage. Attention, film pas si stupide qu'il paraît. 11 juillet 2010

"L'Arnacoeur": On le savait déjà, le secret d'une bonne comédie c'est avant tout un bon scénario. Ici c'est gagné. A 100%. 23 juin 2010

‎"L'illusionniste": Sylvain Chomet, petit génie (Les Triplettes de Belleville sacré chef-d'oeuvre), adapte le grand Tati. Or, si l'immense génie n'a jamais tourné ce "scénario", il y a bien une raison... Triste, et mal inspiré. 23 juin 2010

"Copie Conforme" avec Juliette Binoche. 15 ans ensemble et ils se trouvent encore beaux, se parlent de tout, échangent et partagent, ils ont en vacances en Toscane, il fait soleil. Mais il ne l'aime plus. Elle le regarde, lui sourit, fait le maximum, elle se débat et donne toute son énergie. Sans tristesse ni désespoir, ils passent leurs vacances, mais il n'y a simplement plus rien à faire. Déchirant. 31 mai 2010

"Mammuth" : pas le grand film sur le prolétariat annoncé, mais une errance sur le mépris et les méfaits sentimentaux du temps. Manque un scénario dans la 2eme partie, mais un beau travail sur l'ellipse et le hors-champ. 3 mai 2010

"Camping 2" : on dirait les chutes de pellicule du 1 : sans structure, et en délaissant le portrait pour la caricature on réalise que le 1er épisode était en fait un petit chef-d'oeuvre de charme. 1 bonne comédienne :Mme Chatel, 1 bonne réplique : "quand les esturgeons connaissent le prix du caviar, ils deviennent prétentieux", et 1 certitude : le décor de 'Mon Coeur Artificiel' pendant les vacances, c'est vraiment pas possible. 3 mai 2010

"Le Choc des Titans" : remaquillage de la version de 1980 en moins audacieux et plus formaté, avec plus d'effets kitschs mais de belles idées de créatures piquées au 'Labyrinthe de Pan'. 3 mai 2010

"Mister Nobody" : Délire frénétique, mégalomaniaque, mais néanmoins profond entre "Benjamin Button" et "Eternal Sunshine of the Spotless mind". Plein de petites idées excellentes (et très bien cadrées) au service d'une grande : le déterminisme. Voilà ce qui peut faire d'un petit film un chef-d'oeuvre : l'ambition. 21 janvier 2010

"A Serious Man" : Comme toujours chez les frères Cohen, une foultitude de géniales petites idées, mais jamais de grande, et toujours pas de sujet. Ca se laisse regarder, comme à chaque fois, mais ça ne reste pas. Pour les inconditionnels seulement. 21 janvier 2010

"Gainsbourg vie héroïque" : comme si le sujet était gros, le mythe trop récent, on le rend irréel : le personnage est fantasmé, et constamment suivi de son avatar (tiens ?). En fait le film n'a pas grand chose à dire sur Gainsbourg, et France Gall est ridiculisée. 21 janvier 2010

"Bright Star" : Peut-on raconter la passion sans folie ? Avec une mise en scène aussi guindée que les robes de l'héroïne tachées par les descriptions de traditions anglaises à la con, la passion est aussi plate à l'écran qu'elle est puissante dans la vraie vie. Jane Campion a perdu l'inspiration. 8 janvier 2010

"Esther": scénario d'horreur classique mais tellement bien joué et réalisé qu'il fonctionne parfaitement, grâce à un vrai personnage original de méchant. Scène d'ouverture insoutenable et explication finale très cohérente. Réussite à 100%. 8 janvier 2010

"La Route" : Excellente idée (un road movie après l'apocalypse) avec le mélange de traitement qu'il faut (la lenteur de l'errance, le mode pathos de l'arrachement, le mode thriller des dangers) et surtout des décors grandioses et magiques d'abandon et de délabrement. Dommage que le happy end bâclé soit aussi peu crédible.  8 janvier 2010

"Roumanie: videogrammes d'une Révolution" Palpitant documentaire, l'art de monter les images d'archives, de leur donner de la tension et du sens. Et quelle époque! quelle frénésie! quelle soulèvement! La colère d'un peuple. Puisse ce programme électoral arriver jusqu'à nous. 22 décembre 2009

"Loup" de Nicolas Vannier : Comme "Le Dernier Trappeur", pas de mise en scène et une mauvaise direction d'acteurs, mais encore des cadrages splendides et la bonne surprise de s'apercevoir que la Sibérie orientale est le clone de la Margeride. 11 décembre 2009

"Paranormal Activity" : aucun intérêt. Après "REC" et consors, chaque vidéaste fauché veut faire son "Blair Witch", sans parvenir à son réalisme, son atmosphère, sa logique, sa lividité. 11 décembre 2009

"RTT" avec Kad Merad: Comédie très classique avec quelques problèmes de rythme, mais pas mal de bonnes idées. 11 décembre 2009

‎‎"2012". Roland Emmerich fait encore des films-catastrophe comme au XXeme siècle : rebondissements prévisibles, partiotisme béat, histoire d'amour à la con. Après Washington explosée par les extra-terrestres, New-York noyée sous les eaux, Los angeles engloutie par un séisme, la prochaine fois c'est quoi ? San Diégo coincée dans un piège à loup ? Mais pourquoi je continue à aller voir ce genre de daube ?
une bonne réplique cependant, d'un homme à son ex-femme, à propos de son nouveau mari :
"- Tu l'aimes ?"
"- Suffisamment." (10 décembre 2009)

"Vincere" (biopic de la maîtresse de Mussolini) si vous aimez -comme moi- les archives de la 2ème guerre mondiale montées sur de l'opéra. 7 décembre 2009

"Le Vilain" Le nouveau film d'Albert Dupontel, de moins en moins inspiré et ambitieux, de plus en plus J.P.Jeunet. 7 décembre 2009

"L'imagninarium du Dr Parnasus", tour de manège divertissant mais bancal en tous points. 7 décembre 2009

"Mics-Macs à tirlarigot" très divertissant, rythmé. Toujours quelques failles de scénario chez Jeunet, mais une très grande audace visuelle. 30 octobre 2009

"Cinéman" Certainement le plus gros nanar de la décénie. Dubosc pas drôle, aucune cohérence, les films sont tellement caricaturés qu'on a même plus envie de les revoir. 30 octobre 2009

"This is it" : Captivant et émouvant. Il y a certaines personnes que la mort grandit, lorsqu'on découvre tout ce dont elle nous a privé. Le côté 'making-of d'une oeuvre qui n'existera jamais' y est pour beaucoup. 30 octobre 2009

 

 

MESSAGE D'UN PERE A SON ENFANT

    Mon enfant, vous voici à l'âge d'entendre les phrases qui suivent. Que je sois ou non encore à vos côtés n'a que peu d'importance, nous n'aurons jamais l'occasion de deviser sur ces quelques mots. La pudeur qui oblige la réserve à l'oral, autorise la confidence à l'écrit.

    Sachez avant tout que vous ne serez jamais récompensé par autrui si vous appliquez ce qui suit; la vanité sociale le méprisera. L'impoli respecte l'impoli, le désintéressement est ridiculisé.

    On vous jugera personnellement, et à tort, soit sur votre savoir –inutile que de savoir beaucoup de choses, mais seulement celles qui importent– soit sur votre ambition –elle n'aura de valeur que si à son fruit (le pouvoir), vous adjoindrez la modération dans son exercice– . Sachez que selon votre père, la valeur d'un Homme se mesure à ces trois choses seulement : l'honneur, l'honnêteté, la gentillesse.
      S'en tenir à ces trois mots, vivre de la recherche du plaisir et non de l'argent, tout en sachant garder un regard critique perpétuel, fera de vous un Homme armé, en route pour la sagesse, qui obtiendra de la vie ce qu'il veut en avoir.

    Les épreuves que vous traversez, ma fille, mon fils, annoncent celles, terribles, qui suivent. Grâce à l'amour que vous laisseront vos proches, de leur mort faites de la vie. Face à la maladie, ne vous interrogez pas par 'pourquoi ?', mais 'pour quoi ?'; pour quelle maturité ou paix de l'âme dois-je troquer telle partie de mon corps ?
    L'adversité nourrit, vous obligera au travail sur vous. N'ayez pas peur d'elle, car c'est par l'action que vous apprendrez à vous connaître, jamais par la méditation. Et chaque fois que vous aurez adopté une nouvelle règle de vie, la difficulté sera de découvrir dans quelles circonstances il faut y déroger.
     Ainsi vous pourrez, comme tant d'autres, et comme votre père le cas échéant, expirer le corps en pourriture, mais l'âme libre. Ainsi finira le mystère.

votre père.

Jodel Saint-Marc, le 1er mai 2009

 

 

 

Michael Jackson réussit sa sortie

   Disparu de l'actualité musicale depuis presque dix ans, le roi de la pop (auto proclamé, il faudrait à chaque fois le rappeler) s'apprêtait à lancer son dernier spectacle. Trois semaines plus tôt a éclaté l'ultime polémique du personnage : la mort inattendue d'une ancienne star à quelques jours de sa résurrection.

   Regardez-les comme ils dansent, entendez leurs souffles, leurs cassures de rythme, leurs rythmiques mêmes. Tout ça c'est lui. Quels détails auraient changé dans la musique de 2009 si Michael Jackson n'avait pas existé ? La pop music contemporaine serait-elle ce qu'elle est ? Les artistes du genre omniprésent qu'on nomme aujourd'hui Rn'B auraient-ils émergé ? La plupart des autres, même français, mettraient-ils des millions dans des clips et s'inventeraient-ils un look à chaque single ? Pour prendre un hit du moment, Lady Gaga aurait-elle composé la basse de Poker Face (Dirty Diana) ?

   Qui aurait osé pousser la mégalomanie aussi loin sans aucune peur du ridicule ? Quel danseur aurait-il eu l'idée de faire le signe de croix et se palper l'entrejambe dans le même pas de danse ? Construirait-on cette folie qu'était Neverland -qu'il avait prévu de reconstruire près de Berlin- ? Comment aurait-on pu être aussi timide, supporter autant la rumeur et oser autant à la fois ? Il y a tant d'entrées à la colossale pièce montée qu'est la personnalité de Michael Jackson, tant d'opposés, qu'on ne peut que se désespérer du choix des médias -pourtant tellement attendu- de se focaliser à la fois sur son nez et son procès en pédophilie. Faudra t-il l'écrire encore et toujours ? Il est innocenté. Mais si deux ans d'enquête, la conviction de la cour d'assise d'un procès équitable, et les jurés déclarant jusqu'à la télévision américaine qu'aucun bout de preuve n'a jamais été trouvé ne suffisent pas aux feuillistes, alors oui : Jackson malgré l'absence de ses actes finira pédophile.

   Ceux, comme le président américain Obama qui refusent, à cause de tout ça, de voir en la mort de Michael Jackson un événement majeur de l'histoire de la société du spectacle du XXeme siècle, regretteront de n'avoir pas célébré son symbole mythique que nous sommes prêts à parier qu'il deviendra.

   Bien que sa mort soit semblable à celle d'Elvis Presley, alors que beaucoup tentent d'en comparer la sortie, la dernière image que donnera Michael Jackson sera à mille lieux de celle d'un tonneau blanc suintant le beurre de cacahuètes. Jusqu'au bout il gardera sa silhouette, sa gestuelle, et on l'aura aperçu une dernière fois en mars 2009, à son avantage, encore conquérant, toujours fidèle à son image publique.
De stress en fouilles au corps, Michael Jackson a sacrifié jusqu'à sa santé et son honneur pour réussir à rendre cette image immortelle. Il est parvenu à créer ce qu'était la star irréelle : mi-homme mi-femme, mi humain mi extra-terrestre, sexuel et asexué, richissime et ruiné, ni adulte ni enfant, ni noir ni blanc, ni rock ni funk.
Tout en restant pur, Michael Jackson s'est inventé.
Physiquement autant qu'artistiquement. Offrant un concept humanoïde unique qui mettra sûrement plusieurs décennies à être surpassé.

   En ayant plus de retenue sur les mots, en admiration devant quarante ans d'innovations, nous pourrons écrire une phrase à priori plate, mais dont l'émouvante signification se fait déjà ressentir sur la planète de trentenaires dont on vient d'achever de tuer l'adolescence : La mort de Michael Jackson vient bel et bien de nous signaler la fin d'une époque.

Jodel Saint-Marc,
le 27 juin 2009.

 

Un dernier mot, Madame Royal...

 

Bon voilà, c'est terminé.Ca aura duré bien longtemps cette fois hein ? non ? Et puis voilà quoi, ce qui devait arrivé est arrivé.Et puis ? Heu...Bah rien en fait, ça faisait tellement longtemps qu'on s'était fait à l'idée que ce serait lui, il nous avait tellement prévenu à l'avance qu'il était prêt et que ce serait cette fois-çi, on aurait pas pu le faire mentir.Il ne s'est rien passé en fait.Et il ne va rien se passer, non plus, faut pas charrier. Dire karcher quand on pense intégration ou répondre racaille lorsqu'on songe jeune-à-rééduquer n'est pas forcément le signe de futures graves nuits d'émeutes ; les « enfants de la République » de Jacques Chirac rectifieront d'eux-même voyons... Malgré « Poutine et ses mains pleines de sang »[1], la Russie ne va pas déclarer la guerre à la France pour autant faut pas déconner... Déclarer que les maladies mentales et les tendances au suicide soient génétiques[2] ne veut pas dire qu'à l’avenir on va stériliser à tour de bras, n'exagérons pas... Faire le tri dans les sans papiers de manière arbitraire et injuste (lire absolument le rapport de la CIMADE[3]) ne veut pas dire qu’on va appliquer à l’avenir le programme du Front National… Promettre de « virer la direction de France 3 »  parce qu’on a pas eu de place dans la loge de maquillage[4] avant une interview ne veut pas dire qu’on va abuser de son pouvoir une fois élu…Cet homme là est un démocrate. Ouvert à la parole de l'autre, plaçant la liberté de l'individu au dessus de tout. Liberté d'aller et venir, Liberté d'expression, Liberté de la presse !......la presse.  Ce soir, donc, il faut s'y faire c'est ça ? Puisque le choix n'existe pas ?Ok. D'accord.C'est vrai. On doit faire avec.Alors on va oublier les vingt mois de la campagne, on va oublier qu'on nous a bourré le crâne depuis deux ans avec lui, qu'on nous a appris à ne penser qu'à travers lui, qu'on nous a dit de débattre sur ses provocations à lui, qu'on nous a pas souligné chaque énormité non plus (le smic que gagne « la moitié des Français », très sérieux pour un ex-ministre des finances)[5], oublier qu'on nous a pas rapporté chaque menace[6] ou intimidation[7] Oublier la famille et les amis Bouygues, Lagardère et Dassault qui détiennent 90% des médias du pays.  Oublier le limogeage du directeur de Paris Match suite à la publication d'une couverture déplaisante[8], la censure du livre de Valérie Domain au Editions First.[9]  Oublier les lancements de Jean-Pierre Pernault au 13 heures de TF1 reprenant mot pour mot les discours du candidat.[10]  Oublier l'absence totale de question de journaliste sur le trafic d’influence pour son appartement de l'île de la Jatte[11].Oublier le travail de sape sur la diffusion du débat Royal/Bayrou passée opportunément de Canal + à la TNT.[12]Oublier Julien Arnaud, Pierre-Luc Séguillon et Nicolas Beytout sur LCI et François Bachy sur TF1 le 3 mai énumérant les gaffes de Royal lors du débat de la veille sans parler de celles de son rival[13] ;  sa confusion entre nucléaire civil et militaire en Iran, son EPR de la IVeme génération, et une étonnante phrase à propos de l'impôt sur le revenu, reprise nulle part : « Ce que je propose, c'est pire. » [14]  Oublier les regards doux de Arlette Chabot sur France 2 pendant ses nombreux 100 minutes pour convaincre et ses recommandations à David Pujadas avant une interview pour « ne pas l'interroger sur l'affaire de l'île de la Jatte ».[15]  Oublier le hasard de la programmation du Droit de savoir sur TF1 avec comme sujet « la France qui triche » aux assedics, à la Sécurité Sociale et aux Allocations Familiales à 5 jours du deuxième tour, exhumant encore une fois le fameux Thierry F. chômeur vivant depuis 20 ans sur ses prestations sociales.  Oublier le matraquage des sondages Opinion Way, institut dont les manipulations sont poursuivies par la Commission des Sondages.[16]  Oublier le dernier sondage de campagne publié le vendredi 4 mai à 23h00 par Ipsos, l'institut de la présidente du Medef[17], donnant la droite triomphante à 55%.   En fait, ce soir, juste une petite peur.  ...peur qu'on soit dans un pays vérolé, vieux et raciste, alimenté par des médias partiaux et habité par des trouillards qui courent après leur France morte depuis longtemps. Il faudra encore attendre pour que la femme-peuple arrive enfin. Peut-être quinze, vingt ans, le temps que les vieux crèvent et que leurs idées crèvent avec eux.  Ou peut-être… le retour d’un frisson provoqué par une voix vibrant dans l’écho d’un stade :

« La voulez-vous, cette France souriante ? La voulez-vous, cette France optimiste ? La voulez-vous, cette France qui tend la main ? La voulez-vous, la Liberté ? La voulez-vous, l'Egalité ? La voulez-vous, la Fraternité ? Alors en avant, rassemblons-nous ;Prenons-nous la main ;Aimons-nous les uns les autres ;

Construisons ensemble ».

 

Jodel Saint-Marc, le dimanche 6 mai 2007.

 

[1]    Marianne 23 septembre 2006, n°492, p.35
[2]    Psychologie Magazine, entretien avec Michel Onfray, le 20 Février 2007
[3]    http://www.cimade.org/downloads/Cimade_Rapport_circulaire.pdf
[4]     http://www.liberation.fr/actualite/medias/242785.FR.php
[5]     http://chelles77avecdsk.over-blog.com/article-6197323.html
[6]    Azouz Begag, Un mouton dans la baignoire, Fayard, 375 p.
[7]    cf. n'importe quel numéro du Canard Enchaîné depuis 1 an,
[8]     http://www.liberation.fr/actualite/medias/217664.FR.php
[9]     Canard Enchaîné, 16 novembre 2006. http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=people/20051116.OBS5352.html&host=http://permanent.nouvelobs.com/
[10]    J.T. 13h du 27 avril 2007.
[11]        http://www.marianne2007.info/Nouvelles-revelations-du-Canard-enchaine-sur-l-appartement-de-Sarkozy_a936.html
[12]         http://www.metrofrance.com/fr/article/afp/2007/04/27/070427105508_0ij9dt5a/index.xml
[13]         http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/politique/elysee_2007/20070503.OBS5263/verbatim.html
[14]   http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=47573
[15]  Canard Enchaîné, 4 avrril 2007.
[16]   http://www.betapolitique.fr/spip.php?breve0651
[17]         http://espritlibre.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/03/04/ipsos%E2%80%A6donne-nous-aujourd%E2%80%99hui-notre-sondage-de-ce-jour.html

 

Faut-il respecter François Mitterrand ?

 

     Si l’on considère que les clés d’un personnage sont dans son enfance, (ce que notre personnage ne croyait pas) il faut voir cela : François était plus qu’un provocateur ; un sacré fout-la-merde. Bien avant Mendès France et le Parti Socialiste, le François Mitterrand de 19 ans militait pour un certain Ferdinand Lop, qui postulait à toutes les élections, présidentielle comprise. Les revendications de ce Ferninand Lop, qui présentait Mitterrand comme son futur « ministre des Affaires Etrangères », donnent une image du sérieux de celui qui deviendrait Président de la République quarante-cinq ans plus tard : Prolonger le Boulevard Saint-Germain jusqu’à la mer, construire un pont de trois cent mètres de large sur la Seine pour y abriter les S.D.F, ou encore couper régulièrement l’électricité pour favoriser la natalité… 

Chez les pères maristes, au 104 rue Vaugirard, il s’est entouré d’amis qui deviendront des cagoulards. La Cagoule est un groupe qui veut instaurer en France un régime militaire de type fasciste. La rumeur d’un Mitterrand faisant partie de cette obscure association aura la dent dure, notamment à cause de ses choix Giraudistes pendant la guerre, et surtout des amitiés douteuses auxquelles il ne tournera pourtant jamais le dos : Bien plus tard, alors qu’il est devenu Président de la République, François Mitterrand assistera même publiquement aux funérailles de François Méténier, Cagoulard connu et reconnu. 

Proche de ceux qui complotent contre Léon Blum, on a du coup beaucoup brodé sur le prétendu antisémitisme de François Mitterrand. Or aucun article écrit de sa main, aucun discours, aucune parole ²off² ni aucun propos rapporté ne viennent verser une goutte d’eau à ce moulin accusateur. Et si l’on se renseigne davantage sur ses amitiés des années 30, on trouve les juifs Georges Dayan, mais aussi Georges Beauchamp avec lequel il travailla dès 1943 et qui déclarait à son propos : « Il était allergique à l’antisémitisme ». Don’t act ? Pas exactement, surtout si l’on ressort les photos de la manifestation étudiante du 1er février 1935 où il se montrait aux côtés de banderoles racistes « contre l’invasion métèque »[1]. La folie provocatrice de ses dix neuf ans et des circonstances troubles lui serviront d’excuses… 

Mais François Mitterrand a quand même vingt sept ans en 1943 ans lors qu’il est décoré de la Francisque. Là c'est une autre affaire ; qui a fait tant parler. Seulement, si on la considère dans le contexte de l’époque et dans le rôle qu’avait Mitterrand, l’obtention de cette médaille n’est pas si choquante. Si l’on sait qu’il a travaillé à Vichy pour le rapatriement des prisonniers de guerre (ce que peu de polémistes rappellent), on comprendra une telle décoration, puisque le médaillé fait serment du « don de sa personne au maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France ». Le récipiendaire s’engage alors à « servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre ». Non seulement le Mitterrand alors en admiration devant Pétain devait la recevoir, mais il l’a beaucoup portée publiquement à la fois par provocation et par protection. On l’a notamment vu avec au restaurant, et l’admettra cinquante ans plus tard sans aucun complexe : « J’ai porté la Francisque, c’est vrai. C’était un sujet de plaisanterie. (…) J’ai bien porté l’insigne de la NSDAP lors de ma première évasion… »[2] L’insigne du NSDAP, le parti nazi, est donc le camouflage de son évasion, comme celle de la Francisque pourra lui servir lorsqu’il entrera dans la résistance la même année. Dans ce domaine comme dans celui plus tardif du secret d’Etat et de la dissimulation de sa fille Mazarine, la fin justifiera les moyens. 

Cette médaille lourde à porter lui aurait-elle porté préjudice s’il n’était pas parvenu plus tard au sommet de l’État ? Évidemment non. Jean Védrine, Antoine Pinay, Michel Debré, Raymond Marcellin (tiens ?) comme d’autres titulaires de la Francisque se sont illustrés dans le domaine politique sans presque jamais avoir été inquiétés et sont restés dans la mémoire des français comme des grands Hommes. Avant de subir l’épreuve de la prison, et malgré ses liens avec l’insolite Ferdinand Lop, on peut dire que l’ambition politique de François Mitterrand était quasiment inexistante. Aux vues de ses écrits de l’époque, il se destinait à être un écrivain d’opinion, et quel écrivain ! Celui du style élégant et du mot précis, qui se faisait une haute idée du raisonnement intellectuel et de sa juste mise en forme :

« Pour un écrivain qui subordonne le mot à la pensée, combien ramènent la pensée au mot ! Pour un qui crée le mot à la convenance de son esprit, combien imaginent créer la pensée en prononçant le mot ! »[3] 

Le pivot de l’histoire est là : malgré ce ton irritant d’écrivain catholique donneur de leçon, François Mitterrand n’est qu’un sergent du 23e RIC de vingt et un ans qui ne peut se douter que la guerre, la captivité, et la résistance l’attendent au tournant de l’Histoire, l’arracheront à ses certitudes, et le transformeront :

« Je réagissais plus par instinct que par raisonnement (…) Les deux tiers de ma pensée étaient le reflet de mon milieu, qui était un milieu de droite. »[4]

Mais déjà se font jour dans ses formules ciselées celles, tout autant réfléchies, d’un candidat en campagne, et plus particulièrement au détour d’une phrase qu’il écrit en 1942 dans une revue vichyssoise, alors qu’il est prisonnier en Allemagne : « Tout continuait autour de moi d’affirmer le triomphe de la force tranquille »[5].

Les deux derniers mots, slogan de campagne électorale que revendiquera le publicitaire Jacques Séguela quarante ans plus tard, sont soulignés de sa main dans l’article original. Si Mitterrand parle ici du bout de campagne allemande qui lui rappelle la Charente, c’est peut-être parce qu’avec son statut de prisonnier, il s’identifie d’autant plus à son pays qui lui manque, et dont il n’ose rêver d’en devenir un jour le symbole. 

Même désabusé, Mitterrand aime profondément la France. Quant aux français… c’est là aussi une autre histoire. Il a pu écrire des lignes très dures après sa libération, des mots presque de dégoût pour ceux qu’il a vu en Auvergne et qu’il définissait avec une certaine répugnance :

« Les gens du cru, petits, besogneux, laids (…) [au] patois embué de français. (…) Comment redonner à ce peuple sa flamme ? Quelle différence les sépare des porcs, sinon ce qu’ils ratent ? »[6] François Mitterrand a toujours été capable de ça : le retour au galop du naturel chassé trop vite ; relents nauséabonds et misanthropiques dont l’odeur remontait des souterrains de son milieu.

 

C’est bien la captivité qui a changé François Mitterrand, il le reconnaît lui-même et a beaucoup écrit sur cette métamorphose. Le fait d’avoir été si longtemps sous-exploité l’a sans doute conforté dans sa confiance et sa nécessité de mettre son courage et sa réflexion au service de son pays. Cette frustration captive le conforte dans sa lucidité qu’il avait acquise à l’armée, à propos de l’absurdité du monde sur lequel il n’a pour l’instant aucune emprise :

« Comment Dieu a-t-Il pu créer le monde sans que je sois à l’origine ? »[7]

Heureusement, sa réflexion de l’époque ne le mène pas qu’à cette phrase cynique et réductrice. Auparavant, sergent, il s’était déjà aperçu que ce qu’on appelle l’héroïsme « n’existe pas », mais n’est que « l’instinct de conservation » inhérent à l’Homme :

« Je décide que le froid doit être supporté, que la boue doit être supportée, et le reste à l’avenant. (…) Je crois que je sortirai de là (sinon le corps en pourriture) révolutionnaire et positif. »[8]

Mais au service de quelle idéologie soumettre son ambition volontaire ? Et sous quelle forme ? Mitterrand le découvrira deux ans plus tard, suite à un concours de circonstances qui le fera entrer dans l’Histoire de la seconde Guerre Mondiale. En attendant la guerre est là, il connaît bien l’Allemagne, et doit faire un choix pour son pays. Il doute, aime et déteste, pense tout et son contraire, et s’en désespère dans un courrier écrit en plein milieu du conflit : « Il y a si longtemps que j’ignore ma vérité »[9]. L’hésitation est grande, Mitterrand n’est pas loin de faire le mauvais choix. Rester à Vichy est tentant. Le choix de la résistance sera le bon calcul. Pourtant, il ne sera pas pour autant à l’abri du doute, notamment lorsque des drames personnels (la mort de son fils en juillet 1945 et la maladie de sa femme Danièle qui suivra) remettront ponctuellement en question sa carrière et lui feront même dire : « A quoi sert de travailler ? »[10]

 

Le destin de François Mitterrand bascule ce 10 juillet 1943 à la salle Wagram à Paris devant trois mille cinq cents délégués, lors de la journée mondiale du mouvement Prisonniers, qui vient de remplacer le mouvement de Reclassement des Prisonniers de guerre Rapatriés. Il va accomplir là un acte sans lequel toute sa carrière politique n’aurait pas existé. Maurice Pinot vient d’être remplacé par le commissaire du nouveau mouvement, André Masson, protégé de Vichy, pour contrer l’ascendance de Laval. Placés là pour politiser la communauté des prisonniers, un délégué près de Masson prône l’envoi d’ouvriers en Allemagne pour rapatrier les prisonniers qui y sont restés. François Mitterrand monte alors sur sa chaise et se met à crier : « Monsieur, vous avez menti ! » avant d’attaquer très violemment la politique gouvernementale[11]. Chahut dans la salle, réponse et menace du délégué de Masson, qui finit par partir sous les huées avec son commissaire. Des historiens apprendront bien plus tard que l’acte avait été prémédité mais peu importe : François Mitterrand, ancien prisonnier de guerre de vingt-sept ans, vient d’accomplir publiquement son premier acte de résistance. Première victoire mais engagement au long cours qui le mènera bientôt à la clandestinité, à la fuite, aux mouvements de résistance dure (Combat, Libération, Franc-Tireur), aux pseudonymes (Monnier, Morland…), et aux guet-apens meurtriers auxquels il échappera de justesse. Dès la fin 1943 les enquêteurs de la Gestapo font le rapprochement entre ²Morland² et Mitterrand, et découvrent sa cachette de la rue Nationale à Vichy. Pol Pilven et le propriétaire de l’appartement s’y feront prendre et seront déportés à Buchenwald. Le nouveau résistant, lui, est déjà retourné à Clermont-Ferrand, et ne retournera plus à Vichy.

     François Mitterrand se sent dès lors pousser des ailes. Il étend ses réseaux, et maintient des liens qui ne se démentiront jamais (malgré les circonstances futures), avec René Bousquet, secrétaire général à la police. Si de manière générale le secret de l’individu lui échappe (il le compare à une « colossale pièce montée »), il devient conscient de son propre destin national et de ses capacités face aux français dans leur ensemble. Il peut être n’importe qui, jouer sur tous les tableaux, et croit grâce à son indépendance, et à raison, pouvoir se tirer de toutes les situations :

« Le détail de chaque être me lasse et me découvre un champ trop minutieux d’erreurs ou d’inutilités, mais qu’une foule, qu’un peuple soit à ma portée et je sais que je puis discerner leur vérité, leur histoire et leur ressort. »[12] ; « Des hommes croient en moi et j’ai peur pour eux. Je ne crois en personne et cela me fait peur pour moi, mais la piste est exaltante (…) Mon existence est double ou triple. »[13]

 

    La guerre va être gagnée, et Mitterrand va bientôt récolter les fruits de son engagement résistant. Une démonstration de sa duplicité aura lieu peu après la libération de Paris. Plusieurs témoins l’accusent encore aujourd’hui d’avoir préparé l’assassinant de Savy et Bourgeois[14]. Mitterrand a pris à son tour la tête de la communauté ²prisonniers² (grâce à son compagnon de Stalag, le controversé Roger-Patrice Pelat, auquel il renverra la balle en 1989 lors de l’affaire Péchiney), et accuse ces deux membres de la communauté d’avoir fait parvenir les listes du mouvement aux Allemands. L’insurrection parisienne empêchera non seulement l’exécution fomentée par Edgar Morin et Mitterrand, mais aussi de faire entrer le nom de ce dernier dans l’Histoire comme celui d’un assassin.

Autre « existence » plus légère : Alors que le Général De Gaulle qui se penche du balcon de l’Hôtel de Ville pour crier son « Paris est libre, la guerre continue » est à deux doigts de basculer dans le vide, il se fait rattraper par le colonel de Chevigné et… François Mitterrand ! Ironie de l’Histoire, vingt ans avant de signer le lapidaire Coup d’Etat permanent, pamphlet assassin contre le Général De Gaulle, François Mitterrand lui sauva la vie en ce 25 août 1944.[15] 

Alors devenu à vingt-sept ans seulement, ²ministre² dans le gouvernement insurrectionnel, et à l’aube d’une carrière publique qu’il devine grande, Mitterrand sait que tôt ou tard il devra faire face à l’examen de sa propre histoire vichyssoise. Force est de constater l’intelligence stratégique de l’homme qui protégera ses anciens camarades pour se protéger lui-même. Il est le premier à réclamer les mesures les plus dures contre ceux qui ont « pensé la trahison »[16]. Habileté sémantique : si certains de ses amis, comme lui-même, ont pus trahir avant 1944, ils n’ont pas « pensé la trahison », et ne méritent donc pas châtiment, au nom, dit-il, de la « réconciliation nationale ». Fidèle à son idée, c’est de la même « réconciliation » dont il se réclamera dans les années 90 pour s’opposer à la tenue du nouveau procès du collaborationniste Paul Touvier. Même tactique lors de la traque des cagoulards, où l’accent sera mis sur les hauts généraux responsables, afin de faciliter la libération de ses amis ayant autrefois officié à la base de l’organisation.

     Après un tel démarrage dans la politique française, il sera aisé au jeune François de gravir les marches, en devenant à trente et un an député de la Nièvre grâce à Edmond Barrachin. Inconnu là bas, il pense qu’il n’a aucune chance à cette élection législative. Barrachin lui répondra : « C’est parce que personne ne vous connaît là que vous avez toutes vos chances. Ainsi, vous n’avez pas encore d’ennemis personnels. »[17] C’est comme ça que, suite à une manipulation politicienne mais conformément à ses origines sociales et idéologiques, François Mitterrand commencera sa carrière de député élu sous une étiquette et un programme de droite, soutenue par elle, le centre, et (encore!) l’extrême droite.

     Coupons cours aux procès d’intentions : de nombreux historiens ont déjà fait l’examen des votes de Mitterrand à l’assemblée. Et si sa famille, son éducation, ses père politiques et ses racines sont loin d'être à gauche, il s’est toujours prononcé favorablement pour chaque progrès social. Avant comme pendant son mandat, on ne le prendra jamais en défaut de démocratie, faisant mentir ce que beaucoup de ses connaissances auront attendu de lui.

 

De surcroît, comment les journalistes et opposants à Mitterrand peuvent-ils oublier cet éditorial paru bien avant la Shoah, avant même que la guerre n’éclate, au moment où le jeune homme de vingt-deux ans assistait impuissant à l’Anschluss, Hitler faisant entrer ses troupes en Autriche pour l’annexée au Reich ?

« La Mort d’un homme est sans doute plus grave que la destruction d’un État. (…) Parmi la foule enthousiaste d’Inn et de Vienne, je discerne l’angoisse d’un seul visage penché sur le Danube bleu, et j’essaie en vain de n’y pas déceler le tumulte du fleuve. »[18]

Le nom n’est même pas prononcé, mais il avait déjà reconnu la menace. Le style littéraire, lui, se révèle aussi époustouflant que la découverte a posteriori de cette mise en garde.

 

A la fin de sa vie, François Mitterrand entrevoyait une logique dans son itinéraire, il a semble t-il réussi ce vers quoi nous tendons tous : voir sa vie comme une unité homogène. Il assume alors tout devant le journaliste Pierre Péan qui enquête sur sa vie entre 1934 et 1947, puis décomplexé devant Jean-Pierre Elkabach fin 1994. Et plutôt que de fuir ses contradictions, il admet la complexité d’une destinée et replace ses actes dans leur contexte juste : Oui, « on pouvait en même temps aimer le Maréchal et se battre contre l’occupant »[19]. Tollé. Pourtant, certains hommes de Vichy pouvaient être bien autre chose que des lâches antisémites collaborant avec les nazis. François Mitterrand en a été la preuve. 

Mais en même temps ; dépassés Vichy et la Cagoule, la Francisque et Bousquet, le cynisme et la raison d'État, comment parvient-on à ressentir de la considération pour un homme qui s’accaparait le sommet d’une montagne pour s’y faire construire un mausolée ?[20] Qui refusa de laisser entrer sa femme dans sa chambre à quelques heures de sa mort pour rester avec sa maîtresse ?[21] Et les suicides de Guézou ? Bérégovoy ? De Grossouvre ? Lucet ? Il reste encore tant de lui à découvrir….

 

François Mitterrand s’était affranchi de tout. Sa parole et ses actes étaient libres. Il était indépendant et n’emportera avec lui dans la tombe que les photos de la seule vie dans laquelle il s’est reconnu : celle des années avec Anne Pingeot et Mazarine, enfermées dans une enveloppe, qu’un gendarme, conformément à ses souhaits, jettera sur son cercueil avant l’inhumation.[22] Oubliés Danielle, Jean-Christophe et Gilbert.

Malgré l’éparpillement d’une jeunesse confuse, François Mitterrand est resté jusqu’au bout fidèle à son amour secret et ses amitiés de jeunesse. Fidélité. Attitude tellement risquée, mais ô combien respectable.

Jodel Saint-Marc, le 5 février 2007.

 


    SOURCES
[1] Pierre Péan, Une Jeunesse française, Ed. Fayard, Paris, 1994, cahier photo central.
[2] Propos recueillis par Pierre Péan le 26 mai 1994, Ibid. p. 295.
[3] In « Les Géants fragiles », Revue Montalembert, janvier 1937.
[4] Propos recueillis par Pierre Péan le 21 mars 1994, opus cit. p. 100.
[5] « Le Charpentier de l’Orlathal », France, Revue de l’Etat nouveau, décembre 1942.
[6] Courrier rédigé le 6 juillet 1942, publié par Pierre Péan,opus cit.
[7] Lettre à Marie-Claire Sarrazin, du 14 janvier 1938, publiée par Pierre Péan, Ibid.
[8] Lettre à Edith Gouze, datée du 5 novembre 1939, publiée par Robert Mittérand in Frère de quelqu’un.
[9] Courrier du 22 juillet 1942, publié par Pierre Péan, Opus cit.
[10] Courrier de juillet 1945 à Georges Dayan, publié par Pierre Péan, Ibid.
[11] Les Prisonniers de guerre devant la politique, de François Mittérand, Ed du Rond Point, Paris, 1945.
[12] Courrier du 17 juillet 1943, publié par Pierre Péan, opus cit.
[13] Courrier du 1er novembre 1943, publié par Pierre Péan, Ibid.
[14] Témoignage d’Edgar Morin par Pierre Péan le 15 mars 1994, Ibid, p. 456.
[15] Charles Moulin, Mittérand intime, Ed. Albin Michel, Paris, 1982.
[16] In Libres, 6 septembre 1944.
[17] Propos rapporté par Michel Caillau, in Une Jeunesse française, Opus cit, p. 524.
[18] « Jusqu’ici et pas plus loin », Revue Montalembert, avril 1938. (repris dans Politique 1, Ed. Fayard, 1977)
[19] Propos recueillis par Pierre Péan le 17 novembre 1993, Opus cit, p. 234.
[20] Le Dernier Mittérand, Georges-Marc Bénamou, Plon, 1995.
[21] Une famille au secret, Ariane Chemin et Géraldine Catalano, Stock, 2005.
[22] Ibid, p.261

 

 

De la vie, après

pour descendre du train et sauter dans la voiture de ma mère. Arrivés à l’établissement Pierre Oudot, ma grand-mère, yeux absents, tient sa main perfusée. Elles lui parlent sans cesse depuis la matinée, le touchent, le rassurent, alors que de l’autre côté du lit, je ne puis pour l’heure prononcer mot qui lui soit adressé. Bien que j’eu voulu faire au plus vite, il était tombé dans le coma pendant que je me rongeais les sangs dans le TGV. Déjà deux nuits et un état qui alternativement s’aggrave puis s’améliore. Sa respiration est cependant très difficile, très profonde ; elle gonfle son thorax et le soulève entre les garde-corps en fer. L’absence de son appareil dentaire habituel laisse ses lèvres s’enfoncer dans sa gorge quant il inspire ; j’ai une peu de mal à reconnaître cet homme chez qui j'ai pourtant habité dix huit années. Il est certes mal en point, mais vu l’intensité de notre amour pour lui, il ne peut que s’en sortir. On a déjà entendu dire que les comateux entendent et comprennent. Après plusieurs heures au chevet on a tendance à l’oublier. Nos retrouvailles inattendues en cet endroit nous laissent tous les trois sonnés. Des souvenirs d’enfance me reviennent avec violence comme autant de piqûres plantées dans le corps. On doit communiquer, absolument, tout se dire, sans quoi on ne supportera pas la journée qui s’annonce. Nous sommes un peu perdus cette nuit-ci, ma grand-mère décrit son incompréhension devant le malaise de son mari que rien n’annonçait, tandis que ma mère tempère en rappelant ses lourds antécédents médicaux. On se rassure en citant son âge avancé et sa vie réussie, craignons l’intensité de sa souffrance actuelle, évoquons l'inéluctabilité de sa mort prochaine, on pleure beaucoup, on ne se retient pas trop, je fais la faute de l’embrasser sur le front. Ma mère, après un silence, nous fait remarquer une larme qui vient d’apparaître au coin de son œil droit. Je me dis qu’il a tout entendu, et que je traînerai ça toute ma vie sans jamais me le pardonner. Ce n’est que plus tard que nous apprendrons que les lésions cérébrales à l'origine de son coma l’auront empêché d’être conscient à ce moment là. Appréhendant le moment où on nous demandera une nouvelle fois de sortir pour modifier les intubations, j’émets le souhait de pouvoir alors rester seul avec lui pour rattraper tant bien que mal au creux de son oreille notre bourde impardonnable, et lui faire une révélation essentielle qui atténuerait sans aucun doute ses souffrances. Mais avant de pouvoir décider quoi que ce soit nous sommes emportés dans le tourbillon de l’hystérie médicale ; d’autres murs blancs, le paravent d’une salle de réanimation lilliputienne, les assistances respiratoires qu’il refuserait, les entrées et sorties qu’on nous impose avec politesse, les équipes en trois-huit se succèdent, les endormissements artificiels succèdent aux convulsions, et puis voilà : « - Vous allez pouvoir entrer, on est en train de lui enlever les appareils. » Sans m’en douter, quelque chose de salutaire vient de naître en ce mardi 21 novembre, jour d’anniversaire de ma mère. 

Ce que j’avais voulu lui dire cette nuit là sera écrit noir sur blanc de ma main et posé contre son cœur pour l’éternité.

  

Un crucifix dans un tiroir, un bénitier derrière un fauteuil, on a remisé les bondieuseries. Il était ferme là dessus : il n’ira pas chez les curés. Il n’y aura pas d’office, pas de prières non plus. Pendant trois jours c’est le long défilé surréaliste devant un homme apprêté qui semble endormi. Avant la gentillesse que tout le monde lui reconnaissait volontiers, beaucoup ont vanté sa beauté en cet endroit. Les traits de ses jours de souffrance s’étant relâchés, il a retrouvé étrangement son visage d’il y a 5 ans. Alors que je reçois moi aussi les condoléances d’octogénaires que je n’ai jamais vues, et que je ne peux m’empêcher d’envisager chacun comme un futur trépassé, j’observe d’un œil que ma grand-mère, si sensible à l’accoutumée, se révèle dans ces moments là. Elle fait face, digne et droite, se ressaisit au moindre moment de faiblesse, adresse un petit mot ou rappelle un souvenir à chacun, remercie, embrasse, puise je ne sais où la force de vanner d'anciennes collègues. L’expérience apprend probablement le sens de la perspective, un certain regard sur soi. Je ne sais pas encore. 

Le sommeil est court lorsqu’on veille trois jours durant un être cher encore présent physiquement. On est pas aidés par la climatisation excessive que nécessite la bonne conservation du corps, ni par les insupportables bruitages d’oiseaux du couloir conduisant à une chambre étiquetée de son nom. Après deux nuits et deux jours la fatigue commence à vous jouer des tours, vous piquez du nez devant le lit malgré la présence de visiteurs, vous devenez à fleur de peau, éclatez en sanglots à la moindre surprise inattendue. Et puis enfin le jeudi, où tout va se conclure. Les cieux sont neutres ce matin, il fait humide ; le soleil éclaire faiblement les arbres sans feuilles d’une lumière brute. Moi, j’ai revêtu son pull en laine sombre à grosses mailles. Après notre départ hier soir, on a du retirer le lit de mon grand-père pour s’occuper de lui. Il avait blanchi la veille, et terminé la journée avec une pâleur de circonstance. Ce matin son visage a retrouvé son teint rose et la peau de ses joues son élasticité. Petits miracles scientifiques bienvenus. Lorsque les deux femmes de sa vie entrent ce matin là et redécouvrent son corps déjà mis en bière, c’est l’effroi. Pourtant, secrètement, moi je le trouve beau, endimanché dans son caisson en chêne sur des draps couleur champagne. Je l’ai toujours trouvé beau, ce septuagénaire aux joues creuses et à la chevelure encore parfaite, au front droit et regard de sage. Lui l’ébéniste aurait sûrement esquissé une moue dubitative face à ce luxe de broderies et ces ornements dorés, nous faisant comprendre l'inanité de tant d’apparats. La seconde consigne qu’il avait laissée était d’une exigence laconique : Simplicité. Dans le choix du cercueil comme dans celui des compositions florales. Et dire que j’ai attendu aujourd’hui pour apprendre de lui que noblesse et modestie ne sont pas forcément antinomiques.

    14h30. Deux centaines de personnes arrivent progressivement à La Rivoire et apposent dans des cahiers de velours quelques mots conclus de  leur signature. Et moi, à deux kilomètres de là, je me lève comme prévu de mon siège pour m’accroupir à quelques centimètres du visage de Joseph Randy. Ses traits fins de monstre sacré, son sourire quasiment imperceptible, ses lèvres fines soudées, tout comme la jointure de ses paupières un peu blanchie par la colle, son costume qu’il avait prévu de porter le jour de mon mariage, je ne veux désormais plus en rater une seconde. De l’autre côté, ma grand-mère capture pareillement son visage et m’adresse de temps à autres des regards humides d’angoisse. Plus que 30 minutes. Nous sommes une quinzaine de très proches dans la pièce et plus un mot n’est prononcé. Juste le faible frottement contre son veston de la dernière rose du jardin fraîchement coupée, dont il commentait encore l’éclosion quatre jours auparavant. A compter de cet instant, grâce aux coïncidences qui suivraient et dont je ne pouvais me douter, je ne verserais pas une larme de plus.

15h15, le maître de cérémonie et son assistant entrent dans la pièce, les assis se lèvent. Madame Randy, veuve, se saisit du pot de verre qui remplace le crucifix sur la table de chevet et dispose les roses jaunes et rouges de chaque côté de son buste. Après les déchirants derniers baisers, ces ultimes sensations glaciales de sa peau sur la notre, les deux hommes silencieux se saisissent du lourd couvercle verni posé contre le mur. Alors que je n’en reviens pas de sentir la boule pesant en moi depuis le train disparaître, je ne peux que constater mes deux plus proches craquer l’une après l’autre. Elles sortent, à quelques secondes d’intervalle, soutenues qui par son ex-mari, qui par ses frères et neveux, dont le dernier referme la porte derrière lui. C’est au moment où j’ai réalisé que j’allais faire face seul à la clôture du coffre que le premier réel soulagement a commencé, et allait provoquer les suivants. J’ai été le dernier des derniers, j’ai pensé égoïstement être le protagoniste final sa vie ; et je me suis permis brièvement de croire, conscient de mon mensonge, que j’avais fini par être le plus intime des intimes. La progression de l'ombre sur la quiétude de son visage coïncida avec la disparition quasi-totale de mes peines, et la prise de conscience que je vivais là l’instant le plus intense de ma vie. 

            Comme si je ne sais qui là haut avait voulu me punir de cette délivrance, on ne me laissera pas monter dans le corbillard, dont deux places seulement seront disponibles. Tout me pousse décidément à vivre ces moments seul. Je prendrais donc la voiture pour suivre au plus près le van noir, au risque de deux accrochages évités de justesse, avant de passer devant l’église Notre-Dame sans nous arrêter. Puis nous marcherons tous trois bras dessus bras dessous entre les deux attroupements de Berjalliens silencieux aux yeux fixés sur notre mutisme. Le maître de cérémonie invite tout le monde à se resserrer autour du personnage principal. Les premiers rangs peuvent maintenant déchiffrer les inscriptions des trois rubans enserrant les roses et le bois : "A mon époux, à mon papa, à mon grand-père". Le soleil bas nous fait face, accroissant l’anonymat de la foule à contre-jour et l’aveuglement de cette lumière crue. De spleen et d’épuisement, je suis dans une nébuleuse désaturée. 

L’avant veille, installé en face de la porte de sa dernière chambre, j’avais rédigé un petit texte avec facilité. Même si je le trouve aujourd’hui un peu naïf et pauvre, sa rédaction m’avait à lors apaisé. A partir d’un premier brouillon écrit à la main puis rangé dans une poche de mon manteau, j’avais recopié ma lettre pour la donner à l’avance au maître de cérémonie. Il insista, dans une phrase certainement écrite pour l’occasion pour que je la lise moi-même devant la foule. Au delà de la crainte d’une émotion soudaine inmaîtrisable, je voulais avant tout éviter la mise en spectacle déplacée d’une détresse qui devait rester intime. Il conclu notre aparté en m’invitant à m’approcher de lui lorsqu’il me prêtera sa voix. Il ne m’appellera finalement pas, m’empêchant de ce fait de pouvoir lui prendre le micro des mains. 

« Aujourd’hui c’est une belle histoire qui se termine. Celle d’un attachement à un grand-père que je suis heureux d’avoir côtoyé si longtemps. On a eu du temps tous les deux pour se connaître. Je sais peu de choses du travail du bois, mais ces quelques choses c’est lui qui me les a apprises. Tout comme j’ai appris de lui certains mots. Si personne ne sait ce que sont la Postunade et Tintintade, lui le savait. Et lui seul. Car j’en suis sûr, mon grand-père avait aussi son petit monde secret et imaginaire. Lorsque je trottinais au bras de ma grand-mère dans les allées d’un Disneyland flambant neuf, il était arrêté, les yeux en l’air, trente mètres derrière, et baladait son regard sur des paysages qu’on croyait, à tort, ne pas être de son âge.

Du coup je me souviens aussi des courses qu’il me laissait gagner le long des pieds de vigne plantés le long du mur de son potager ; les sentiers de montagne et la foire du 1er mai que découvrait l’enfant de cinq ans perché sur ses épaules ; le récit sans nostalgie apparente de ses années de jeunesse et du jeune couple que je n’ai pas connu.

Et puis comment ne pas garder avec moi l’odeur de la soupe de légumes, la fraîcheur de ses haricots verts, la profusion de fraises à la belle saison, et puis la légèreté des bugnes dont il roulait la pâte avec dextérité.

Avec le temps nous nous intéressions un peu différemment l’un à l’autre. Encore récemment, nous devisions autour du fromage qu’il m’invitait souvent à partager avec lui. On pouvait débattre longtemps, non sans différents, sur les sujets de société du moment. Mais nous étions toujours d’accord sur le principal.

Car mon grand-père partageait ça aussi avec son épouse : l’écoute. Comme la pudeur et la dignité.

Lorsque le couvercle s’est refermé, un chemin m’est apparu. Le début d’un long voyage qui mènera sans doute dans quelques années à l’acceptation, paisible, que je ne le reverrais plus jamais. »

 

Le maître de cérémonie, qui embraye directement sur son laïus-type et impersonnel, vient de me trahir. Personne ne sait que mon texte est terminé, et chacun me croit l’auteur de ses phrases imbéciles sur le ciel et la lumière dans les cœurs. D’autant plus qu’il vient de massacrer mon petit message auquel j’avais fini par m’attacher. Il a ôté des mots, en a modifié d’autres, n’a pas respecté ma ponctuation. J’étais loin, quelques minutes avant, de m’attendre à un tel moment de faiblesse. Alors que des dizaines d’yeux traquent le moindre battement de mes cils, combien se doutent que mes raidissements successifs ne sont qu’un petit atterrement égocentrique. Cet idiot, paraît-il ancien militaire, n’a pas jugé bon de prononcer le mot « écoute », pourtant réfléchi ; il a prononcé « divisions » au lieu de « devisions », me faisant passer pour un deuxième classe illettré. Pourtant, il avait raison : j’aurais du lire moi-même. 

Le moment de recueillement qu’il décréta par la suite fut bref. Nous escortons la procession dans ce labyrinthe de marbres jusqu’à une étroite rangée de dalles en niveaux de gris. Pour répondre à la question que je viens de poser on m’indique de l’index la tombe la plus basse de l’allée. Modestie toujours. La silhouette d’un promeneur solitaire descend au loin la colline surplombant l’allée que nous foulons. La ligne oblique de laquelle il se détache rend la composition de mon champ de vision parfaite. Il fait froid, le soleil ras est maintenant derrière nous, les cordages ont remplacé les mains autour des poignées de la caisse en chêne, nos pas sont lents, le massif attroupement silencieux nous suit à distance respectable, il est 15h50 et je suis bien. Malgré la détresse apparente des deux femmes à ma gauche, la beauté de ces instants où mon grand-père descend de l’autre côté m’élève dans une plénitude encore jamais atteinte. Et quelque part, très lointaine, la honte de trouver qu’il n’y a pas mise en scène plus symbolique et beauté plus absolue que nos rites d’accompagnement.

Nous sommes entre chien et loup, le lieu s’est vidé aux trois-quarts, et en me rassurant de voir mes deux proches s’éloigner en bonne compagnie, j’aperçois un ouvrier écraser sa cigarette et se diriger vers une pelleteuse. Je ne résiste pas à l’idée de m’élever à ce dernier soulagement ; et seul encore j’assisterai à la disparition complète de ce qui m’a un peu appartenu ces derniers jours. Mais c’est en glissant la main dans la poche intérieure de mon manteau que je sens deux feuilles de papier pliées en quatre : le texte de mardi, tel que je l’avais écrit, me revient opportunément. Je le laisse s’effacer sans hésiter entre deux pelletés de terre, comme pour réparer mon absence de tout à l’heure derrière le micro. 

Le lendemain, relativement reposés, et dans un redoux climatique à propos, nous partons tous trois à pieds et découvrons pour la première fois la tombe fleurie. Les plaques et les pots ont été posées sur la terre encore humide ; quant à la dalle rectangulaire, elle attend le marbrier à une vingtaine de mètres de là, au bout de l’allée qui mène à la colline. Là, le sentiment que depuis quelques secondes une page s’est tournée. Nous allons à présent passer à un autre chose, avec un peu de lui. En s’éloignant ma grand-mère me saisit l’avant bras pour me chuchoter avec son ton d’avant : « - Viens du côté du nouveau cimetière, j’ai quelque chose de bizarre à te montrer ». Et l’on approche d’un caveau gravé de l’épitaphe suivante :

n°61
Docteur Marc Chabanon
"chirurgien"
1943-1995
Il a fuit lâchement
 
Joël-Albert II Powazny
de Galitzie Autrichienne
19   -   
Mort comme il a vécu… seul, dans l’indifférence de tous.

 

A part ça aucune garniture, juste de la pierre recouverte d’une moquette de pelouse synthétique nue percée sur sa gauche de mauvaises herbes. En marchant on s’interroge gaiement, nous nous questionnons sur cette devinette incongrue, ma grand-mère invente un médecin néonazi déserteur, ma mère les membres d’une secte inconnue, on évoque un éventuel décor de film, nous nous détendons et notre esprit s’amuse à vagabonder. En devisant, nous nous dirigeons en direction du portail noir ; je les rejoindrais tout à l’heure à la maison, j’ai envie de rendre visite à mamie Hoc, ma nourrice que je n’ai pas vue depuis vingt-quatre ans. Comme elle habite l’immeuble que ma grand-mère va emménager prochainement, je trouve

 

Jodel Saint-Marc,

le vendredi 24 novembre 2006.

 

 

Ensemble en 2007

    Que croyons-nous qu'il y ait à attendre de la démocratie du mois de mai 2007 ?

    Congrès du Mans. Trou de sécu. Un sourire ravageur. La démocratie participative. Cachan. L'Islam. Conseil des ministres. Les restos du cœur. Désirs d'avenir. Le droit d'inventaire. L'assistanat. Le Canard Enchaîné. Un débat. 36 heures payées 35. Double peine. Un breton en embuscade. Le pape. Le pouvoir. Des ondées du Finistère au Cotentin. L'ouvrier de chez Michelin. Les juifs. La taxe d'habitation. Une circonscription jouable. Nos vies.

    Avant les prochains Grands Travaux présidentiels, on se délecte de la soif de pouvoir. Celui de la mystificatrice de gauche à l'incompétence presque assumée, presque agrafée sur le tailleur, ou le candidat de droite à tête de fouine et à campagne d'extrême-droite. Discrimination positive et aides à l'embauche servent à quoi ? Ne devinent-ils pas qu'il est trop tard ? L'espoir est mort depuis des années pour ces Français, les plus nombreux. De l'invisibilité, les politiques croient à tort qu'ils se sont accommodé. Entendrons-nous un jour d'eux LA vérité : Que nous sommes tous des Hommes politiques, que seul le peuple peut trouver le sens à notre coexistence.

    Alors le cycle double-centenaire va s'enclencher à nouveau, d'autres vont prendre le pouvoir dans le sang. Pas ceux des palais rococos, pas ceux non plus habitant des 2 pièces en centre-ville, pas ceux non plus des pavillons et des appartements convenables, mais la vraie France : la France arabe, noire, blanche, qui jusqu'à maintenant vivotait, dealait, zonait, pointait pour ranger nos nuggets par boite de 6, prenait le RER de 5h45 pour aller nettoyer la merde des blancs dans les bureaux des villes à arrondissements. Là où ils vivent il n'y a pas d'Europe, pas de France non plus. Le projet républicain est une carcasse vide. Ce grand monde invisible va bientôt se réveiller et enfin descendre sur la ville. 

    Ca commencera par un arabe, tué place de la Concorde par un policier alors qu'il tentait de prendre la fuite.  Paris intra-muros. Le surlendemain une manifestation pacifique tournera au vinaigre et les vitrines de la rue Royale exploseront sous les jets de pavés. Après une nuit très chaude dans les VIIIe, Xe, XIVe et le XIIe arrondissements, les autorités décideront de couper les lignes RER qui mènent aux caves. Les Français des banlieues jusqu'à lors invisibles arrivent par centaines de milliers à pied sur Paris dès le lendemain, montent dans nos étages pour brûler nos conforts petits bourgeois de l'intérieur. Le fameux ras-le-bol. Les plus déchaînés en ramènent des chiens et des chats éviscérés place de la Concorde, nouveau symbole de cette nouvelle France qui vit son premier jour. De cocktails Molotov, les ambassades s'illuminent les unes après les autres. Le cadavre de Ségolène Royal, présidente de la République Française, et empalé sur les grilles extérieures du palais de l'Elysée, tout proche. Ceux qui veulent à tout prix représenter ne représenteront jamais qu'eux-mêmes. L'extrême droite s'égosille à en appeler à l'armée, l'extrême gauche tente de récupérer le mouvement, puis les réseaux islamistes, en vain. Olivier Besancenot finit coupé en deux par une antenne parabolique. La police bat en retraite, l'armée est impuissante, Paris est en feu, la grande couronne pille Versailles. Nîmes s'enflamme. Et Bordeaux, Lille, Grenoble, Clermont-Ferrand, mais aussi Sarlat, Bourgoin-Jallieu, Charleville-Mézières, Autun, Guéret. La Nation n'en finit plus d'agoniser ; la France change de visage, le Français officiel de couleur de peau.

    Enfin, quand ils vomissent le mépris tant infligé. Quand les têtes de ceux qui n'ont pas de problèmes tombent. Quand l'argent ne compte ni ne sauve. Quand on ne parlera plus de "novembre 2005" mais de ce mois de 2007 où la République est morte.

Puisse ce programme électoral arriver jusqu'à vous.

 

Jodel Saint-Marc, le vendredi 6 octobre 2006.

 

Un pugilat ordinaire

    Début juin 2006, quelque part sur internet. Un forum sympathique, appuyant lourdement, jusqu'à son nom, sur l'aspect communauté (et communautaire) de ce qui rassemble ces dizaines de membres sur ce bout de toile. On y discute le plus souvent, il faut bien le dire, de choses superficielles, ici la plastique de tel artiste, là telle ou telle pratique sexuelle. Comme partout on raconte un petit peu sa vie, souvent ses goûts, et partout ses fantasmes. Car ce qui les rassemble ici c'est bien ça : ces espèces de frustrations ponctuelles qui font qu'on dévisage son écran en espérant qu'il répondra à ses avances.

    Tout se passe le mieux du monde dans cette petite cité virtuelle de la misère sexuelle quotidienne jusqu'à ce lundi soir où tout bascule. ou pas. Car finalement tout, du début à la fin reste d'une soporifique banalité. Alors que les expériences  questions/réponses/sondages/pics/bannières/actions/vérités webo-sensorielles abondent, un membre ose s'épancher, et glace d'effroi tout ce petit monde jusqu'à lors chaud-bouillant. Chômeur, bloqué professionnellement, fragilisé dans sa santé et son mental, isolé dans ses relations aux autres, le trentenaire déballe dans sa seule fenêtre sur le monde 4000 messages en moins de 3 mois. Il participe à tous les débats, motive ses avis, use de bons mots, il est de tous les sujets, et comme autant d'appels au secours il laisse de longues bouteilles dans ses posts. Erreur. On "supporte" le trublion sérieux un temps, on le secoue, le pousse à réagir, sans jamais lui répondre sur le fond, à lui qui ne saurait se résumer à une allusion salace suivie d'un smiley qui tire la langue. Alors la suite chacun peut l'imaginer.
Le rabat-joie est moqué, sommé par des modérateurs de cesser de déballer sa vie dont tout le monde se fout. Sans outils il tente l'apaisement sans toutefois renoncer à se défendre. Puis on lui tend un piège, en lui faisant croire à une mystérieuse idylle dont il serait l'objet, il y croit, tombe de haut, crie sa souffrance avec moins de véhémence que de détresse. A force de défenses et d'attaques, le garçon promet de se venger (on se demande bien comment) de tout ce mépris, et devient forcément indéfendable : Lorsqu’on crée un incident de frontière, c'est souvent pour se faire déclarer la guerre.

    A quoi sert n'importe quel forum ou newsgroup, sur n'importe quel sujet, n'importe quelle chatroom ? par extension n'importe quelle lettre, récit ou roman si ce n'est pas pour se raconter soi-même ? Déverser toutes ses tripes nauséabondes et son putain de quotidien aussi noir soit-il. "On a tous des vies difficiles" se voyait répondre Guillaume Dustan qui quittait en claquant la porte un débat. Et ici ou ailleurs le débat de toute chose c'est ça : ses propres pleurs, ses haines, ses choix de vie, la dure attraction aux autres, l'ignorance subie, les rapports de pouvoir, et pour en revenir à ce qui concerne les membres de ce forum : ses frustrations sexuelles.

    Làs d'attendre le coup de grâce, le couperet dérisoire tombe donc un lundi soir : le membre trop présent est banni. Simplement banni. Pas grand chose en somme, juste l'interdiction de revenir à cet endroit précis de la toile universelle, finalement tellement vaste. Il y aura bien de la place pour lui ailleurs. Dans un post "motivé", l'administrateur parle "pour l'équipe" , mais aussi pour "les autres membres", et reproche pèle-mêle à notre banni d'avoir amené ses problèmes, de n'avoir eut d'oreille pour les conseils de ceux qui le prenaient de haut, reproche sur la fin son agressivité, et puis, incroyable, son emballement lors de conversations privées externes au forum. Lorsqu'on est du côté de ceux qui écrasent, on finit toujours par écraser.

    Une seconde. Encore une fois, que représente un bannissement pour les autres membres ? pour ceux qui le lisent ? ou pour le "petit chef" qui l'a posé ? Sans doute pas grand chose, juste un bref instant où se pose le voile de l'oubli sur un trouble-fête un peu trop négatif, trop bas dans le creux de la vague. Si aisé d'appuyer un peu sur sa tête pour qu'on ne le voie plus. La solution est simple pour tout le monde, mais il s'en faudrait tellement peu pour que de petit chef on se transforme en criminel.

 

Jodel Saint-Marc, le samedi 10 juin 2006.

 

 

Guillaume Dustan, encore en vie

    Le 3 octobre 2005 l'écrivain Guilllaume Dustan est mort. Même si on ne l'a jamais lu, tout le monde se rappellera l'avoir aperçu, au moins une fois, à la télévision (le plus souvent tard) barbu, couvert d'une perruque verte ou peroxydée, en train de sortir des énormités sur "la baise sans capote" ou le sida. Il était comme ça : juif, homosexuel, séropositif et farouchement anti-capote. Ses premiers écrits (dont on ne retiendra -à tort- que ça), font sensation, son style aussi. Le résumé de la première critique de Dans ma chambre dans Libération sera laconique :  "L'auteur se prend des godes de plus en plus gros"

    Mais derrière tout ça, derrière cette avalanche de sexe débridé, un simple citoyen se fait jour, revendicatif, assenant des avis (le plus souvent anti-pensée unique) sur pas mal de sujets, fouillant les recoins de sa libido dans Dans ma chambre (2 ans racontés en 100 pages), les tréfonds de la nuit dans Je sors ce soir (7 heures racontées en 150 pages), et une espèce de provocation réfléchie et argumentée dans Plus fort que moi.

"Comment avoir la nostalgie du passé quand le passé c'est l'esclavage, les serfs, les petites bonnes violées, les mariages arrangés, l'ignorance de toutes choses, les femmes muettes sauf à la cuisine, la torture, l'absence de droit de vote, le suffrage censitaire, le service militaire obligatoire, et pour en revenir à ce qui nous intéresse, les sodomites brûlés vifs ?"


    Comme il le disait on peut écrire des évidences. Quand ces évidences ne sont pas des évidences pour tout le monde.

    Diplômé de Sciences-politiques, énarque, Guillame Dustan le juge allait devenir haut fonctionnaire s'il n'avait pas contracté le sida au début des années 90. Sous la culpabilité de son homosexualité, il reconnaîtra dans Nicolas Pages avoir cherché à chopper la maladie, peut-être pour se forcer à s'accepter homo. Si jamais dans ses livres il ne formulera de regrets pour ce jour où, sans protection, le virus l'a pénétré, c'est que c'est grâce à lui qu'il est devenu unique. Alors que tout le destinait à une brillante carrière judiciaire, il plaque tout pour devenir écrivain, passe ses journées à dormir et manger, ses nuits à écumer lieux de drague, cruising-bar et discothèques où circule ecstasy, spécial K, et X. Comme sur le préservatif, là dessus Guillame Dustan est un libertaire. La circulation libre des drogues (de toutes les drogues) comme l'absence du port de la capote relevant selon lui de la liberté individuelle. Dans l'entreprise, Dustan est appuyé par le médiatique écrivain Eric Remès, qui s'en sort bien plus mal et transforme la question de fond "à quoi bon mettre une capote quand on est séropo" en vaste blague de provoc' gratuite anti-bourgeoise. N'est pas Guillame Dustan qui veut.

    Liberté. Libertés. Comme celle d'être homo, de le vivre à 100%, de railler le jour "où on a inventé l'hétérosexualité", de vivre dans un quartier fait pour les pédés, où ils sont en sécurité, où ils se retrouvent, s'aiment et vivent en autarcie (Guillaume Dustan participera à la manifestation de 1998 "On est chez nous").

"Comment ça, vivre mieux ? j'entends à ma droite. On est pas bien comme ça, tolérés à condition d'être discrets ? Sans pouvoir s'intégrer à la société, sans droit de se marier, de vivre avec un étranger, d'adopter, de succéder ? Sans pouvoir regarder quelqu'un dans la rue sans avoir peur de se prendre un poing dans la gueule ? (...) Je veux arrêter de penser que je suis sale. Je veux arrêter de penser que je suis moins viril que les hétéros. Je veux qu'on reconnaisse que ma participation à la société est ni plus ni moins de même valeur que la leur".

    D'abord édité chez P.O.L (Dans ma chambre, Je sors ce soir, Plus fort que moi) puis chez Balland, il raconte ses indignations, ses détestations, la haine du père, les journées et les nuits de drague, les plans sur audiotel, les détails. Les phrases sont courtes, le propos est cru, l'autofiction au plus près. Dustan joue toujours franc jeu.

"C'est pas évident de se faire enculer. C'est une ascèse. Il faut savoir écarter la peur. Accepter le pouvoir d'un autre sur soi. En jouir."

"Mon père est du côté du pouvoir, toujours. Du pouvoir des hommes, du pouvoir médical, du pouvoir bourgeois. Les tableaux de femmes à poil partout, les menottes sur le lit d'agonie de sa mère, et que j'coupe la parole systématiquement à ma femme ou que j'reprenne c'quelle vient de dire vu qu'par définition c'était pas malin."

    Nicolas Pages, son livre-phare (lauréat du prestigieux prix de Flore) retrace son amour pour cet homme qui ne veut pas de lui, rencontré à une signature pour son roman Plus fort que moi. Cet amour déçu replongera indirectement Dustan dans une dépression profonde de laquelle il ne sortira jamais vraiment. Il y balance tout : son passé, son enfance, ses projets avortés, les écrits (bouleversants) des dernières années de sa grand-mère, et d'innombrables réflexions sur ses 34 premières années d'existence, ses deux grandes amours (Nelson et Nicolas), et les grands parallèles de la vie, entre sexualité, beauté physique et les limites du don de soi...

"A la seconde où j'ai commencé à l'embrasser pour la dernière fois nos bouches, nos corps ont disparu de ma conscience. Je me suis fondu, anéanti dans la lumière violette, happé, dans l'humide, dans ma rage infinie de le sentir, de me sentir le sentir, de ne plus rien sentir d'autre. Ca a duré. J'ai décollé mon corps, retrouvé mon esprit, pensé que la folle demande et l'exigence inacceptable, le don total, le gaspillage absolu n'étaient possibles que dans l'étreinte"

"Je pense que c'est quand les hommes arrêtent d'être beaux qu'ils deviennent méchants".

"C'est pour ça que les putains n'embrassent pas, ce n'est pas une question de sentiments, c'est que le vrai viol c'est avec la bouche qu'ils le font, c'est mécanique, au bout d'un moment à embrasser soit tu leur ouvres ton cœur soit tu leur tartes la gueule."

    A Nicolas Pagès succédera Génie Divin. Le génie divin c'est lui. Même initiales, vrai ambition d'écrivain puis d'éditeur, mais faux mégalomane. Guillame Dustan restera un grand écrivain contemporain, révolutionnant la littérature à la manière de Bret Easton Ellis, en décrivant l'intériorité de son personnage qu'à travers le récit de ses actions. Jamais un regret, un fantasme, une quelconque tentative d'auto-analyse psychologique de ses propres faits. Rien n'est jamais dit et pourtant le lecteur sait tout. C'est lui qui devine et écrit la vérité du personnage de Guillaume Dustan dans sa tête. La même vérité pour chacun de ses lecteurs, pour chacun de ses livres, comme autant de biographies non écrites.

"C'est important les livres. C'est ce qu'on commence par brûler."

    Après la parution de LXir, Guillaume Dustan se retire en province, où il veut finir sa vie dans la dépression qui ne s'arrêtera plus, il le sait. 

" Et puis merde maintenant j'ai envie d'être vieux et malade, encore plus vieux et encore plus malade."

    Plus jamais après cette (terrible) phrase on ne le reverra sur un plateau de télévision, pas même pour promouvoir ce qu'il croyait être son ultime ouvrage Dernier roman. On ne le verra plus non plus dans le monde de l'édition. Guillame Dustan est redevenu William Baranès, et croit-on, s'enferme dans sa maladie et vit en ermite dans une petite ville du nord de la France. On apprendra plus tard qu'il est devenu magistrat à Douai, lui qui a enculé tant de fois le système.

    Mais il y a un mois, Dustan revient à la capitale, où il emménage dans un petit appartement. Sa vie parisienne débridée va-t-elle reprendre ? Sa carrière d'écrivain ? d'éditeur ? Une autre carrière ?... Il sort Premier essai début 2005, passé inaperçu car pratiquement illisible.
Après 3 jours sans nouvelles, sa famille prévient la police et on retrouvera son corps chez lui, avant qu'une autopsie apprenne qu'il a succombé à une "intoxication médicamenteuse involontaire".


Reste de Guillaume Dustan la quatrième de couverture d'un livre qu'il n'a jamais été prêt à écrire :

"Je suis radieuse. Je suis intelligente. Je suis une bombe sexuelle. Je suis drôle. J'habite le Marais.

Mes amis me demandent : Mais ? Guillaume Dustan ? Quel est votre secret ?

Mon secret ?

Je suis dépensière.

Je me drogue sans arrêt. 

Je danse.

Et, surtout, je suis amoureuse..."


Jodel Saint-Marc, 11 octobre 2005 - 1er février 2006.

La fin de l'Empire

    Dimanche 13 février 2005, 6h32, au 41 avenue de Wagram à Paris. Le théâtre de l'Empire explose, par deux fois. Il ne reste plus rien, le plafond et les 300 places des balcons se sont effondrés sur l'orchestre. Les décombres jonchent la rue, la verrière de 250 m² qui ornait la façade s'est elle aussi effondrée. Sept blessés légers.

    C'est toute une époque du cinéma et de la télévision qui sont partis en fumée ce matin. Construit dans les années 20 et rénové en 1962, le gigantesque théâtre de l'Empire était la deuxième plus grande salle de cinéma de la capitale (1200 places, après le Grand Rex). C'était surtout une des seules mettant en scène un monumental écran (trente mètres de large) incurvé en demi-cercle permettant la projection du procédé Cinérama (image de très haute résolution reconstituée à partir de trois pellicules 35 mm. collées les unes à côté des autres). Le procédé n'aura pas un grand succès puisqu'on ne comptera que huit films tournés en Cinérama. Aujourd'hui, seules trois salles dans le monde peuvent encore les projeter.

    Comme la plupart  des très grandes salles Gaumont et Pathé de la capitale, les années 70 sont fatales à l'Empire. Il cesse d'être un cinéma et reste quelques années à l'abandon avant d'être racheté par la SFP qui s'en servira comme d'un studio de télévision de luxe. Entre l'Académie des Neuf et son décor à trois étage, Mardis cinéma et les premières émissions de Christine Bravo, c'est surtout Jacques Martin qui remplira le théâtre chaque dimanche avec ses émissions "Impossible mais vrai, le Monde est à vous, l'École des fans...". L'animateur, un peu mégalomane, avait même fait accrocher derrière les verrières de la façade quatre immenses portraits de lui, donnant sur la rue.

    De ces divertissements dominicaux il ne reste rien. Des tonnes de gravas, une masse  grise et calcinée encore fumante. La mort à petit feu du théâtre de l'Empire à pris fin brutalement, et avec lui des centaines de souvenirs d'enfants poussant la chansonnette, de centaines de milliers de provinciaux montés sur Paris pour assister à leur émission culte. Tout ça n'existe plus, et c'est sous les parpaings en mille morceaux que tout ça est enterré à jamais. Il ne restera que des heures de programmes archivées à l'I.N.A,  destinées elles aussi à la poussière, et le souvenir d'un lieu pharaonique condamné à l'oubli.

    Le théâtre de l'Empire était depuis l'arrêt de Dimanche Martin en état de vétusté. Après Maurice Chevalier, Yvette Guilbert et Ray Ventura, le dernier grand spectacle qu'il hébergeât sera la reprise du Grenier au trésor de Chantal Goya en 1998. Depuis il n'était pratiquement plus utilisé, excepté pour des défilés ou des soirées dansantes. Racheté par le groupe Altaréa depuis six ans, le théâtre devait être transformé en hôtel de luxe. Il le sera.

    Un matin de février, le théâtre de l'Empire rejoint le cirque Médrano, le Gaumont Palace et les pavillons Baltard dans la série des grands monuments parisiens détruits et re-bétonnés avec mépris.

Jodel Saint-Marc, le 13 février 2005.

Une Vie plus belle que la vôtre

 

    Très mal distribué (25 copies), traîné dans la boue par la presse ("complaisamment voyeuriste" pour le Nouvel Observateur), le premier long-métrage de Michel Muller mérite quand même le détour (nécessaire pour trouver une salle qui le projette). Si vous persévérez vous atterrirez peut-être comme moi à l'UGC Orient Express, aux Halles de Paris. (j'ai compris le nom du cinéma en entendant le vrombissement sourd du RER passer la station Châtelet, située sous la salle).

    Bon autant le dire, dans le dispositif, dans le rythme et dans la crédibilité on est loin des faux documentaires cultes du septième art (si ça ne vous dit rien, jetez vous sur La Bombe de Peter Watkins, les Documents Interdits de Jean-Teddy Filippe, Spinal Tap de Rob Reiner,  et bien sûr C'est arrivé près de chez vous de Rémy Belvaux -bien que Muller en plagie la scène du viol-). Pourtant tout démarre bien, par une première engueulade à la terrasse d'un bar de la Villette, où Muller négocie son droit à l'image « - Vous filmez pas quand j'ai des problèmes ok ?  - Bah on filme jamais alors... ». Tout le film sera bâtit là dessus : le compte rendu de la vie dissolue d'un comique et sa sordide déchéance. Une astucieuse trouvaille du film est de s'ouvrir sur une publication judiciaire, stipulant que le Tribunal de Grande Instance de Créteil autorisait la sortie du dit film, malgré la plainte déposée par son protagoniste pour le faire interdire. L'intérêt de fond : On y découvre l'exagération acide de travers qu'on imagine bien réels du monde du spectacle : producteurs peu scrupuleux « - Ouais je dirige les films à distance, tu comprends on s'emmerde plus avec les réals », acteurs déconnectés et entourés de leur petite cour...

    Malheureusement le vrai-faux documentaire décadent tourne à la fiction assumée. Un peu comme si, conscient de son incapacité à maintenir un concept, Muller voulait faire plusieurs films en un seul.

    En revanche côté humour trash le public de Michel Muller ne pourra pas être déçu. Ca brûle les prothèses de handicapés, joue au ballon prisonnier avec un chat mort « - Si on avait écrasé un gosse c'était pareil, mais on n'aurait pas joué comme avec le miron », vanne nommément sur les has-been, sur la drogue, la maladie « - Michel il est carrément dépressif, il a plein de maladies, des virus, des cancers, il a eu le sida plusieurs fois ». Ca descend tout le showbiz en quelques phrases lapidaires (notamment les gluants souvenirs de tournée de Serge Lama et de ses bottines) mais toujours en faisant preuve d'une autodérision jubilatoire.

Bon. Ca cogne dur, c'est inégal, mais ça ménage ses effets, sans être prétentieux, tout en essayant de rester jusquauboutiste, et ça soulage ! 

Jodel Saint-Marc, le 29 janvier 2005.

 

Un Interminable Dimanche de fiançailles

    Tout le monde l'attendait au tournant. Après un triomphe comme celui du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, difficile de se lancer dans une critique du nouveau long-métrage de Jean-Pierre Jeunet Un Long Dimanche de fiançailles sans paraître suspect, sans passer pour un revanchard ou bien un admirateur frileux. Pourtant s'il en est un qui a été frileux c'est bien le metteur en scène. On est très loin ici du récit simple mais efficace d'Amélie rafistolé pour coller aux trouvailles filmiques de l'auteur-réalisateur. On s'attaque plutôt au roman éponyme de Sébastien Japrisot, sans y croire vraiment.

    Stop ! C'est ici que l'erreur est commise, si tôt. Pourquoi adapter cette histoire qui fonctionne parfaitement à l'écrit, mais se révèle au cinéma complètement plate mais boursouflée, surpeuplée et étrangement déshumanisée. Déjà il ne se passe rien. L'histoire retrace la longue et laborieuse enquête de Mathilde (Audrey Tautou, même jeu d'acteur que pour le rôle de Poulain) pour retrouver son petit ami, parti combattre au front en 1914. Des lettres envoyées aux autorités administratives aux voyages d'un détective privé improbable (désopilant Ticky Holgado), en passant par les épanchements de personnages trop nombreux, les recherches inintéressantes de Mathilde occupent la totalité du film, sans provoquer l'émotion qu'on serait en droit d'en attendre. La méprise de Jeunet se répand de minute en minute sous nos yeux : il n'y a rien de visuel dans ce scénario ; pas une action, pas une engueulade, pas un rebondissement digne de ce nom. Le réalisateur devant un tel précipice comprend vite que c'est à lui d'ajouter au propos une imagerie kitsch qui le rendra cinégénique.

    Puisqu'il faut bien divertir le spectateur devant une telle énumération de noms de mutilés de guerre et de femmes esseulées, le cinéaste ouvre son portefeuille. Perdus entre les Halles de Paris reconstruites, la gare d'Orsay reconstituée, les tranchées de luxe de la grande guerre, on se croirait dans un Disneyland à la française. Inondé d'effets spéciaux aussi voyants que prétentieux (mate-painting et décors infographiques), de filtres surexploités (chez Jeunet il ne fait pas jour, il fait jaune), le film tient moins du mélodrame que de la carte postale figée. Tout ça encore une fois pour masquer une seule chose : l'ennui qui menace le spectateur (et sûrement le réalisateur) à chaque nouveau flash-back.

    Cette surexploitation d'effets stylistiques était certes légitime dans les anciens films du réalisateur : Délicatessen, modeste et honnête expérimentation d'esthétique publicitaire, ou La Cité des Enfants Perdus, courageux plaidoyer pour un vrai cinéma de l'imagination, ambitieux et poétique. Dans Le Fabuleux Destin, les astucieuses excentricités de la réalisation illustraient les faits insignifiants de cette jeune fille qui s'était donnée une mission dérisoire.

    Dans Un Long Dimanche de Fiançailles c'est un peu plus grave. Comme une réponse au Soldat Ryan de Spielberg, le premier quart d'heure du film prétend nous replonger dans les horreurs des tranchées de 1916, mais avec les mêmes méthodes que celles qui embellirent trois ans plus tôt les amourettes d'Amélie Poulain. Sans aucun tact, Jeunet rend délassante la chronique de vie des poilus, en la traitant uniquement sous forme d'anecdotes. Oh qu'il est rigolo le soldat qui urine dans le casque de son camarade endormi, qu'il est original le cheval mort perché dans les branches de l'arbre. Et quelles belles images, que de jolis travellings sur les cadavres, avec ces couleurs douces et cette musique si larmoyante.

    Ce n'est pas nouveau, un bon livre ne fait pas forcément un bon film, même si son premier lecteur est un réalisateur de talent. Jeunet une fois de plus s'est fait plaisir (et pourquoi pas finalement) en transposant sans penser au spectateur la "Jeunet's touch" à la guerre et la douleur. La morale ? elle est à la fin du film : oublions.

Jodel Saint-Marc, le 31 octobre 2004.

 Ireqâger déballe à défaut d'emballer 
(réédition)

    Un livre va sortir, et j'y suis associé : Zlyèar Snezre, une biographie de Ovnapn Ireqâger. Loin de moi l'idée d'en faire la promotion. Il n'y a pas forcément de quoi se vanter d'avoir son nom à la fin d'un ouvrage, fut-il aussi attendu. 

Enquête 

    Le contenu lui-même du livre auquel j'ai collaboré n'a rien d'événementiel ni de scandaleux, et beaucoup d'entre vous risquent d'être très déçus. Malgré un postulat de départ respectable (démonter le "système Snezre"), c'est dans les méthodes employées par l'auteur Ovnapn Ireqâger que réside l'abjection, afin de chercher d'éventuelles révélations qui restent malgré tout terriblement absentes. 

    Pour rédiger sa biographie, Ireqâger est pourtant allé jusqu'au Canada pour créer des contacts avec les proches de la famille "Snezre". Ce qui lui a permis de progresser sournoisement jusqu'à une certaine vieille femme aveugle et sans défense, très proche de la chanteuse, pour cueillir chez elle ce qui lui restait de souvenirs. C'est aussi sans scrupules que Ovnapn Ireqâger a jeté en pâture au grand public les états de santé et les écarts de Oregenaq YrCntr (manager de Zlyèar Snezre jusqu'en 1989, décédé en 1999), jusque là restés dans le secret du cercle familial. 


Procès 

    Ayant appris le manque d'éthique dans le déroulement de l'investigation, Zlyèar Snezre a réagit fin août 2004, non seulement en envoyant plusieurs lettres signées de sa main à l'auteur de la biographie, mais aussi en faisant appel à Me Kiejman (avocat de la famille Trintignant dans le procès Cantat) pour assurer sa défense et celle de ses proches face à ces méthodes. 

    A demi-mots, sans le dire, posant un conditionnel par-ci, un "on m'a dit" par-là, l'auteur sous-entend le pire, jusqu'à la prise de stupéfiants. Mais ne vous attendez surtout pas à trouver une preuve de quoi que ce soit, le travail journalistique s'arrête tout au plus à la rumeur où à la reprise d'articles de VSD, d'ailleurs condamnés. Car outre les annexes du livre (scénarii et documents de tournage fournis par mes soins), pas l'ombre d'une explication ni d'une justification, ce qui explique la réaction ô combien légitime de la chanteuse. 

    Alors tout ça pour quoi ? du remplissage. Rien sur la personne qu'est réellement Zlyèar Snezre, sa nature, ses doutes, ses motivations et ses réels idéaux. Encore une fois on a une interminable succession de faits non-vérifiés et une longue description inutile de la généalogie de la famille, qui n'aident aucunement à comprendre quelle femme est vraiment Zlyèar Snezre

    On peut certes dénigrer une artiste et se mettre des admirateurs à dos avec un mot, une opinion, un avis personnel sur une création (j’ai pratiqué), mais pas sans déontologie, pas avec ces allégations, ces méthodes, le mensonge ni la vénalité. L'honnêteté et le sérieux n'ont finalement pas de place dans une bio à la Ireqâger

Pas plus qu'ailleurs... 

Collaboration rapprochée 

    Puisqu'il faut tout raconter, moi, Jodel Saint-Marc, j'ai accepté, sans à priori pour l’auteur, d'écrire 120 pages pour ce livre. Pas d'attaques personnelles, juste de l'analyse de clips il est vrai parfois critique, et des portraits (que j'espère justes et sans concession) de Ynherag Obhgbaang

    Mais pourquoi, en octobre 2003, m'avoir confié ce travail dont le biographe se chargeait jusqu'à lors lui-même ? La réponse surgit brutalement avenue de Choisy, chez lui, le 24 juin 2004, lorsque l'auteur tombe le masque et avance les mains. 

    Jeunes auteurs masculins : si le généreux Ovnapn Ireqâger vous propose une collaboration, ce n'est pas à votre écriture qu'il en veut. 

    Refuser la soumission, cela comporte des risques. Pour l'un de voir à son tour sa vraie nature révélée au grand public, pour l'autre de voir son propre travail réduit à néant : Dans ce livre de 400 pages, 20 de mes feuillets ont du coup été officiellement gardés. Une grande partie du reste étant dispersé dans les 380 pages restantes, en autant de paraphrases que de copier/coller partiels (les visiteurs du www.obhgbaang.fr.st reconnaîtront facilement la source de ce qui compose plusieurs parties du livre signé "Ireqâger"). 

    Même si aujourd'hui je me désolidarise de ce livre déjà imprimé, je devine et regrette que ce que je dis là le fasse malgré tout vendre davantage. Alors il faut s'excuser de tout ça, se taire, renoncer à toute avance ou d'autres rétributions pour rester incorruptible ; et puis de l'autre côté se vacciner avant d'être infecté, savoir ce qu'on est prêt à acheter, qui on est prêt à lire et à croire, comme savoir à l'avenir avec qui on est prêt à collaborer. méa culpa. 

Jodel Saint-Marc, le 27 octobre 2004.

(les noms propres ont été masqués lors de la réédition au 09/02/07)

La mort de Russ Meyer

    C'est arrivé le soir du 18 septembre 2004, le réalisateur Russ Meyer est mort. Peu  connu du grand public, il a pourtant été le maître de la série B façon Amérique profonde. Traversant les années 60 et 70 avec un culot qu'on imagine mal aujourd'hui, il a autoproduit les plus gros nanars entre porno soft et simple mauvais goût inoffensif (Faster Pussycat! Kill! Kill! - 1965). Car c'est dans un sous-genre très particulier que sévissait Meyer : le film d'action féminin à gros bonnet. Eh oui... ce qu'on retiendra à juste titre de son abondante filmographie c'est ça : un festival de nichons, la saga des nibards, la java des roploplos.

    Oui, Russ Meyer c'était énorme. Une esthétique ronde et protubérante qui empêcherait n'importe quel spectateur de décoller les yeux de l'écran ; une composition mammaire qui envahi l'image à chaque instant ; une succession jubilatoire et rythmée de montagnes Russ. A la vision inoubliable d'un film comme Mégavixens (1976) on est devant l'évidence effarante que deux pauvres minutes de Meyer annulent l'œuvre toute entière de Bergman. (Ingmar, parce qu'Ingrid, ça se discute)

    Derrière cette outrance laitière sans silicone, se cachait l'amour sans limite qu'avait le cinéaste pour la Femme, et notamment la sienne, qui -paraît-il- le maltraitait. On n'imagine même pas le tableau que représenterait toutes ses généreuses actrices (Erica Gavin, Kitten Natividad ou l'immortelle Shari Eubank), aujourd'hui quinquagénaires, défiler en robes noires encore moulantes devant sa tombe. On a simplement du mal à l'imaginer, lui qui n'avait pas d'âge, mourir il y a quelques semaines à 82 ans alors que la démence l'étranglait déjà depuis quelques années. Si elle avait la place, Lolo Ferrari se retournerait dans sa tombe.

    Maintenant qu'il est mort, qu'il n'y a plus personne au balcon, faut il prendre son travail au sérieux ? Dans Libération, Gérard Lefort cité plus haut juge sévèrement que "Russ Meyer n'était qu'un gros sale dont les productions crados à douze Kleenex ne se justifient que comme boîte à fantasmes pour ados branleurs". Pourtant ne faut-il pas voir dans ces divertissements gentiment cochons, qui ne versent que très rarement dans l'érotisme primaire, une recherche perpétuelle du délire au second degré ? le décalage permanent et ludique entre l'action et le contexte ? la provocation du désir plutôt que du plaisir ? le burlesque d'une certaine obésité autrefois défendu par Fatty Arbuckle ou Oliver Hardy ? ou même : la première source d'inspiration du décalé John Waters ? (A Dirty Shame - 2004) Malgré toute cette légèreté assumée, Russ Meyer lui-même prenait son oeuvre très au sérieux, en gardant farouchement chez lui les négatifs de ses films, refusant les éditions DVD dont il n'aurait pas le total contrôle (en France, seules des copies en français tirées de bétacams sont disponibles, car échappant à certains de ses droits de distribution). Et avant tout on avait à faire à un vrai cinéaste de genre, baroque, maîtrisant sa narration, sachant composer un cadre, éliminant impitoyablement le moindre temps mort. Résumer un réalisateur à une paire de tétines en technicolor est aisé ; mais l'Histoire se souviendra que c'est aussi le Russ Meyer inconnu de 1944, à peine majeur, qui filma caméra à l'épaule le débarquement des alliés en Normandie.

    C'est avec nos rires et nos fantasmes, notre souvenir reconnaissant mais amusé, que Russ Meyer entre dans le saint des seins.

Jodel Saint-Marc, le 24 septembre 2004.

 

Mais que cherche Alain Soral ?

    Il en a du courage le sociologue Alain Soral ! Et ce ne sont pas les critiques littéraires qui le disent, pas non plus ceux qui font partie de la nébuleuse qu'il nomme "intelligentsia", c'est lui même : Alain Soral "qui sait faire la distinction entre le vrai et le faux courage". Quel courage ? Celui de faire l'amalgame entre voyous et immigrés, entre féministes et communautarisme, celui de vanter les charmes du barebacking et de ses vertus parait-il subversives, celui de couvrir la voix de ses interlocuteurs et refuser de laisser s'exprimer quelconque contradiction car lui, "n'a pas l'accès aux médias". Pourtant on l'écoute souvent, sur ce ton énervé de celui qui a un message universel à faire passer. Car Alain Soral est malgré tout en quête de reconnaissance (médiatique surtout), lui qui n'a de cesse de se plaindre de l'acharnement de l'intelligentsia (encore elle!) à son égard. C'est là qu'on se rend compte de la vacuité de la pensée de ce philosophe autoproclamé. Pourquoi chercher autant d'ennemis, de déviants, alors que l'évidence, la solution à tout son propos est là, devant lui : Libération, Le Monde (qui sont, contrairement à ce qu'il prétend, loin de représenter le milieu intellectuel français) ne cherchent pas à le faire taire, ne craignent pas sa provocation et sa pensée forte, pas plus que Karl Zéro et Guillaume Durand ne veulent le bâillonner. Non, ils le prennent simplement pour un con. Toute la France le le lit comme une poudre à lessive et lui ne voit rien. Alain Soral c'est la Chantal Goya de l'essai français, il persiste dans le 1er degré alors que tout le monde le prend au 2eme.

"la seule chose qui nuit aujourd'hui à la réception de ma pensée c'est la barrière des médias, soit l'oppression du pouvoir, comme ce fut toujours le cas dans l'histoire pour les intellectuels authentiquement profonds et subversifs."

 

    Seulement Soral a un humour très inégal. certes on rit lorsqu'on l'entend se vanter de ses sept cents conquêtes "dûment pénétrées et homologuées", comme si cet imaginaire abatage de femelles lui conférait une crédibilité pour parler de sentiments (sa dernière parution, Misères du désir, aux Éditions Blanche). Après s'être attaqué à plusieurs reprises aux femmes (Sociologie du dragueur, éditions Blanche, 1996 - Vers la féminisation ?, éditions Blanche, 1999), à ce qu'il croit être les communautarismes (Abécédaire de la bêtise ambiante, Éditions Blanche, 2003), le déclin de la France (Jusqu'où va-t-on descendre ? éditions Blanche, 2002), et comme le sida qui cherche sa cible, Alain Soral à enfin trouvé où ça fait mal : l'amour. Là, c'est beaucoup moins drôle, il peut s'attaquer à ses cibles habituelles (on ne change pas de boucs émissaires comme ça) en s'abritant derrière le prétexte de l'amour de son prochain. Ainsi on apprend en substance que les jeunes violeurs des banlieues sont plus à plaindre que leurs victimes, que leur misère sexuelle doit être assouvie, et en somme ses conséquences pardonnées. On apprend aussi à classer les gens (comme c'est pratique), qu'un homosexuel doit soit écouter Mylène Farmer dans le Marais soit déclamer du Jean Genet en baisant sans capote. Entre les deux ? personne. Si vous êtes gay vous appartenez obligatoirement à l'une des deux catégories. Et pour Soral la deuxième vaut mieux que la première, plus "courageuse" donc; les barebackers sont de grands lecteurs de Genet c'est bien connu. Et pour se donner les moyens de son prétendu "courage", Soral cite bien sûr des noms. alors qu'il défend les propos de Brigitte Bardot et cite Goebbels, il s'en prend aux personnes, et bien sûr toujours aux mêmes, à Bernard-Henri Lévy, à Michael Youn (tiens ?), et surtout aux intellectuels juifs français qu'il prend soin de ne jamais citer au cours d'une même phrase mais dont il parsème les patronymes ici et là. 

"Or, chose étrange, depuis que le beur de banlieue n'aboie plus "sale français" mais "sale feuj" pour cause de solidarité "imaginaire" (comme dirait Alain Finkielkraut) avec les petits palestiniens de l'Intifada, ces mêmes intellectuels français (dont énumérer les patronymes friserait la faute de goût) nous intiment l'ordre, dans autant de médias à la botte, de châtier les vilains beurs."

    L'abjection de telles leçons ? Soral s'en fout. Comme personne n'a le droit de le contredire il est obligatoirement dans le vrai. Il a LA solution : s'abriter derrière la liberté d'expression, notamment lorsque l'association Act-up l'accuse, lui et l'écrivain Eric Rémès d'inciter à oublier l'usage du préservatif. Car le seul problème est finalement là : peut-on laisser indéfiniment un petit nazillon réactionnaire se taper l'incruste de manière quasi-intégriste dans le débat public ? Thierry Ardisson pense que oui, lui qui se dit prêt à mourir pour que "les ennemis de la liberté puissent exprimer leurs idées". Pourquoi pas en effet, le raisonnement est plutôt louable. Mais le devoir de celui qui laisse exprimer tant de haine n'est il pas de poser en face de cette personne un contradicteur ? Dans son émission Tout le monde en parle diffusée le 24 avril 2004, Alain Soral déverse son flot habituel d'intolérance tout à tour sur les arabes et les banlieusards, Isabelle Alonso et les féministes, et évidemment sur les homosexuels. Normal quoi. Et en face ? Qui ? Pascal Bruckner ? Alain Finkielkraut ? Non. Jean-Marie Bigard, qui a enfin trouvé en face de lui un homme de son niveau avec lequel débattre. Bigard qui insiste sur la "difficulté d'être un homme, d'arriver à désirer le corps de la femme qui donne la vie". Bigard qui, pour appuyer la "contre-nature" de la chose, et argumenter finement son propos, prend comme exemple les contes pour enfants et le prince qui finit par faire des enfants à la princesse et non "bourrer le cul d'un autre prince" (sic).

    Bref. Derrière tout ça la haine de l'autre. Mais sans buts, sans objectifs. Les plus grands fascistes aspiraient à coups de théories bancales à leur idéal, à leur monde, fut-il effroyable et vain. Mais Alain Soral n'aspire à rien, juste à attiser la violence, à rendre le monde un peu plus difficile à vivre, à mettre sur le dos de nos voisins nos petites emmerdes quotidiennes. Chercher à gâcher la vie des autres qui lui, ne l'a pas épargné "Enfance douloureuse de bourgeois déclassé, fils d'un couple mal marié, vit dans la terreur du père et la froide passivité de la mère." il l'avoue lui même. Manque d'amour. Bien sûr, il se défend de haïr l'Autre, prétend que l'étudier c'est l'aimer, que le stigmatiser et le ridiculiser c'est essayer de le sauver. Or quand on veut aider l'Autre il faut l'entendre, et Alain Soral n'a d'écoute pour personne.

    Alain Soral est mal. Espérons que quelqu'un ou quelque chose puisse le sauver de sa haine systématique envers ceux qui l'entourent. L'auteur a néanmoins le mérite de soulever un problème majeur depuis ces dernières années : Comment accepter l'Autre lorsqu'on ne s'accepte pas soi-même ? Lorsqu'à cause d'un physique désavantageux on a dû s'inventer une vie sexuelle probablement inexistante ? Lorsqu'à cause de son hypersensibilité on veut à se point s'isoler et en vouloir au bonheur des autres, à refuser de les atteindre dans leur différence ? Lorsqu'enfin, on se sert d'une culture personnelle indéniable comme outil au pire des combats : celui contre la paix.

 

"Le 11 septembre 2001, le téléphone a sonné et un vieux pote avec qui j'étais fâché m'a crié dans le combiné : "allume la télé c'est génial !". J'ai allumé, c'était si beau que nous nous sommes réconcilié. Tout les gars du monde qui partagent la même sensibilité, celle des humiliés, ont ressenti ce même sentiment d'euphorie en voyant ces images bibliques de justice et de châtiment. Un beau moment d'amour en vérité."

Alain Soral.

 

Jodel Saint-Marc, le 17 mai 2004.

Michael Youn et le "vrai cinéma"

    Après La Beuze, le 4 février 2004 sortait sur les écrans un film bien particulier : Les Onze Commandements. A base de caméras cachées et de performances physiques, cinq amis (dont l'extrême Michael Youn) accomplissent les "onze commandements de la blague". Alors que le premier quart d’heure ressemble à un plagiat aseptisé de Jackass ou Dirty Sanchez (MTV), le reste du film parvient à une certaine forme de cinéma d'émotions. Au-delà de l'absence de qualité d’image ou du scénario, Les Onze Commandements parviennent à procurer un sentiment bien plus général, sentiment de jeunesse perdue, de subversion inutile et désespérée, de jeux dangereux auxquels on ne jouera plus jamais.  Peuplés de petits paris bêtes et dangereux (provoquer des policiers, monter dans une centrifugeuse, mâcher un piment sans le recracher, transformer une maison en location en piscine), les "commandements" restent gentils et ne prouvent en rien une volonté réelle de subversion (exceptée la scène de l’hypermarché, une des plus puissantes et incitatrice du film). On flirte souvent avec la petite délinquance, la détérioration de bien privés, la résurrection d’Adolph Hitler et l’étalement de vomi sur le visage. Derrière tout ça : un certain artisanat du happening, car 90% du film s’est tourné clandestinement, sans autorisation. Tout ceci provoque une certaine bouffée d’air frais, dans un pays droitier asphyxié par l’hystérie sécuritaire. 

    On retrouve heureusement des gags pour tous publics, gentils et à mourir de rire, comme celui de l’hôtel de luxe ou de la bibliothèque Beaubourg, peut-être les plus légers d’un film un peu trop hanté par la douleur physique. On peut d’ailleurs reprocher au film le défaut opposé à celui auquel on s’attendait. Il ne manque rien aux Onze Commandements, et au contraire il a une séquence en trop. Cette scène finale où après avoir explosé dans un accident de voiture (non réel), nos héros sortent du véhicule pour se disperser dans une décharge publique. On aurait pu ici s’arrêter sur l’accident, sur ce van noir, Michael Youn au volant, qui fonce sciemment contre un mur de béton. La spirale de la délinquance de la dernière demi-heure aboutirait à la gaffe ultime, la dernière et la plus forte des blagues possibles : la mort. Une occasion ratée de faire d’un film burlesque une ode passionnée et philosophique à la rébellion contre soi.

    Les Onze Commandements sont bel et bien du cinéma, qui, rappelons-le, ne veut pas obligatoirement dire scénario, ni même fiction. Pourtant, le dernier commandement du film « tu chanteras comme un conard » (sic) offre un grand moment de mise en scène, qui donnerait même toute sa crédibilité au film. Alors que les performances sont réalisées par François Desagnat et Thomas Sorriaux (étrangement cachés derrière le pseudonyme des « Réals de Madrid », sûrement pour se protéger de leur montage bâclé), la scène chantée a été imaginée par les très talentueux Sp6men (en fait Steven Ada et Eric Poulet). Réalisateurs de nombreux clips (Dis-moi que l’amour de Marc Lavoine, Fan de Pascal Obispo), ils se lâchent ici dans le grandiose d’une mise en scène et d’un montage hautement maîtrisés. A un carrefour, une semi-remorque blanc barre brutalement la route aux voitures. Klaxons et protestations. Le conducteur s’enfuie après avoir fait un bras d’honneur aux contestataires. Indignations des automobilistes. L’immense remorque se découvre et apparaît à la stupeur des gens de la rue une scène enfumée, du fond de laquelle sortent cinq rockers portant des masques à gaz. Alors que la chanson commence, Michael et ses complices progressent sur les toits des voitures micros en mains. Comme le crescendo d’un concert improvisé, Michael Youn, allongé les bras en croix sur un piano noir, s’offre à la foule vindicative. Pendant ce temps, avec un lyrisme qu’on attendait pas, Vincent Desagnat (excellent acteur dans d’autres scènes) mué en ange tenu par des câbles, voltige au-dessus des voitures tout en leur jouant de la lyre. Le final live a lieu sur une nouvelle scène circulaire au centre d’un rond-point embouteillé, avec la chanson chorégraphiée reprise en chœur comme un slogan de "fout-la-merde" : « Notre vraie nature, c’est d’avoir 14 ans ».

    Certes on peut trouver qu’on s’approche ici de l’esthétique d’un vidéo-clip. Mais sur grand écran, enrichi d’un avant et d’un après, d’un contexte de documentaire fut-il comique, la scène prend tout un sens que n’a pas une simple chanson filmée. On regrettera même que la séquence n’ait pas remplacé le clip laborieux de la chanson, réalisé par Jan Kounen. Sans aucune imagination (ce qui est un peu la marque de fabrique du désastreux réalisateur), le nouveau clip de Comme des conards dessert la chanson plus qu’elle ne l’avantage. Reste des Onze Commandements l’impression d’un nouveau cinéma trash, jeune et désintéressé, et de nouvelles sensations que le cinéma classique a peut-être épuisées.

Jodel Saint-Marc, le 5 février 2004

 

Les dîners de cons d'Ardisson

    Chaque mardi soir, 93, Faubourg Saint-Honoré, la nouvelle émission humoristique de Thierry Ardisson sur la chaîne câblée Paris Première bouleverse les règles télévisuelles en invitant au domicile même du présentateur, ses amis les plus connus. Dans la forme on a mis le paquet : générique hyper chiadé, travellings coulés, chandeliers sur la table, traiteur soumis, filtres euphorisants sur la caméra. On nous dit "c'est du Sautet", on penserait plutôt "c'est du Bouvard". Sur le fond justement, le (déjà) vieux concept de Tout Le Monde En Parle (des personnalités issues d'horizons différents se rencontrant au détour de thématiques communes) est ici recyclé en douce, tout en essayant de faire croire au spectateur l'originalité d'un tel projet, alors qu'il n'est que le plagiat de L'Appartement d'Ariel Wizman (Canal Plus - 2002).

     Il serait pourtant un peu féroce de ne pas reconnaître à l'émission la relative nouveauté d'inviter par "famille" les participants. Dans quel but ? Difficile de le savoir, après avoir fait une précédente émission qu'on pourrait qualifier de "spéciale tapiolles dans mon salon" en invitant Steevy Boulay, Orlando, Henri-Jean Servat, Dominique Besnehard et Galia, Ardisson n'invitera la semaine suivante que des éditorialistes de droite cires-pompe de la presse écrite, qui n'auront pas plus de choses intéressantes à se dire. Alors comme il faut bien divertir, on invite les éternels guignols poussifs Baffie, Bigard et De Fontenay, entourés de l'auteur de caméras cachées truquées Pascal Sellem et Daniel Russo (promo oblige). Au milieu des rires forcés de Thierry, la maîtresse de maison tentant désespérément de redonner de la tenue à son dîner, on n'entend malheureusement que des propos noyés entre l'alcool et le luxe, l'autosatisfaction et la lourdeur. On s'aperçoit finalement que le repas de traiteur se transforme inévitablement en banquet provincial de quinquagénaires, que Baffie est encore moins drôle bourré qu'à jeun, et que Bigard reste Bigard.

    Ah il est loin le Thierry Ardisson désinvolte de la fin des années 80, celui qui osait, celui qui savait ce que c'était la télé, qui savait ce que les gens n'osaient même pas attendre de voir. Il est très loin celui qui blessait physiquement Karen Cherryl avec un tesson de bouteille parce qu'elle refusait de répondre à ses questions, il est tout aussi loin celui qui demandait (avec une assurance désarmante) à Gainsbourg à la veille de la naissance de Lulu "-T'as pas peur qu'il naisse un peu mongolo ton fils avec tout ce que tu te fous dans le nez ?". Il est pourtant pas si loin celui qui animait Rive Droite Rive Gauche, vraie émission culturelle, véritable trésor quotidien.

    Thierry Ardisson c'est devenu un peu notre Jerry Springer national, notre démago macho à nous, notre honte. Celui qui sert la main à son public de Tout Le Monde En Parle après l'avoir ignoré lorsque le rouge de la caméra était encore éteint; celui qui montre ses nouvelles dents face caméra et chambre (très) gentiment ses invités après avoir passé vingt minutes, grimaçant et clopant, à insulter ses collaborateurs et assistantes. Une émission d'Ardisson en 2004 c'est Drucker, ça ne gueule plus, il ne se passe plus grand chose, ça cire les pompes d'Hervé Bourges et raille grassement Kylie Minogue sur son décolleté. L'émission personne n'en parle plus, tout le monde a déjà zappé sur Fogiel.

    Finir une carrière de télévision si particulière là, Faubourg St-Honoré, dans le costume de Laurent Boyer, sous le fond de teint de Jacques Martin, et avec les fiches de Sandrine Dominguez, quel gâchis. Finir dans un concours de grossièretés entre Baffie et Geneviève de Fontenay, finir chez soi le mardi soir avec un dîner sans fin qui alimente des conversations sans fond arrosées de grand cru. Donc c'est perdu, on a pas envie de trinquer avec vous Messieurs. Comme le faisait tristement remarquer Jean-Marie Bigard l'autre soir, la santé vous l'avez déjà, alors trinquez plutôt à l'intelligence.

 

Jodel Saint-Marc, le 14 décembre 2004.

 

La honte du DVD de Playtime

    Jacques Tati, 1967, un chef-d'oeuvre. Quatre ans de tournage. La ruine de Jacques Tati. Un film maudis. Suite à son échec, le négatif de Playtime (un des rares films tourné en 70 mm.) est mal conservé et se détériore. Espérant une ressortie, le réalisateur remonte le long-métrage en le raccourcissant d'un cinquième. Sur cette demi-heure perdue, Jérôme Deschamps (de la compagnie comique Deschamps-Makeïeff) et son équipe de recherche en retrouvent quelques minutes. Il restaurent le négatif avec les dernière méthodes chimiques et numériques et retrouvent l'image d'une qualité exceptionnelle qui faisait la nature du film. La copie ainsi restaurée est montrée à Cannes au festival 2002. Un an et demi plus tard (40 ans après le début du tournage du film), le 24 septembre 2003, sort le DVD tant attendu. Playtime chez soi, film tellement vu, tellement cité, tellement récompensé (5 prix internationaux), tellement étudié, tellement admiré.

    Outre la présence du film restauré (reconstitution documentée, image impeccable, couleurs fidèles, son remasterisé en haute définition), l'intérêt d'un DVD sont les bonus, l'habillage, la faculté qu'a ce nouveau support de pérenniser l'imagerie d'un cinéaste et de la transposer à ce qui entoure le film lui-même. Or là est le gros défaut, la déception, l'insulte même du DVD faite à l'œuvre, et au delà de ça, à son auteur défunt. Jérôme Deschamps, metteur en scène, neveu de Jacques Tati, a écrit plusieurs pièces de théâtre et des sketchs télévisés sur une famille imaginaire et comique, "les Deschiens" (Les frères Zénith, C'est Magnifique, Les Pieds dans l'eau). Comme persuadé de l'hérédité du génie de son oncle, Jérôme Deschamps se permet ici d'imposer son humour et d'adapter ses thématiques et en les mêlant à toute la structure du DVD, de manière à faire un amalgame dangereux entre l'univers de Jacques Tati (fin, stylisé, discursif, voire engagé) et le sien, finalement assez grossier et douteux. 

    Malheureusement ce DVD n'est pas celui de Jacques Tati, c'est celui de Jérôme Deschamps. Dès la pochette du coffret, on comprend qu'on achète non pas un film mais la vision d'un film, son commentaire, par un neveu frustré et avouons-le sans imagination. On s'est ainsi permis d'oublier l'affiche originale du film choisie par Tati (construction plastique et multicolore discourant sur la modernité dénoncée par film aussi bien que sur la conception hasardeuse du long-métrage) pour la remplacer par un recadrage d'une photo de tournage sans intérêt, sur laquelle les graphistes ont apposé une immonde flèche jaune montrant le héros Monsieur Hulot.

    Il y aurait tant à dire sur les bonus de ce DVD (rassemblés sur un second disque), ramassis de courts-métrages à la vacuité avouée, à la médiocrité insultante pour un auteur aussi riche. Qu'a t-on à faire de revoir des passages du film (honteusement recadrés) montrant des enseignes lumineuses et des chaussures ? Quel intérêt à montrer durant de longues minutes des enfants peignant le décor d'un plan qu'on leur a montré ? La solution se trouve dans les (nombreux) génériques auto-satifaisants : à chaque fois le nom de Jérôme Deschamps est mentionné, parfois en double, quand ce n'est pas celui des membres de sa famille (la femme, la fille, et on imagine les cousins, les neveux et les copains de beuverie). Comme si la "maison Deschamps" s'était rassemblée pour fabriquer en secret ce DVD et s'en servir pour déterrer le corps de Jacques Tati, afin de le ridiculiser dans toutes les Fnac et Virgin Megastore de France. Et qu'on ne nous fasse pas croire à un hommage : les sketchs de la nouvelle troupe Deschiens, à grand coups d'habillages graphiques et de saynètes bêtifiantes, ne portent le nom que d'un seul metteur en scène : le leur.

    Les menus quant à eux sont à l'image de ce Deschamps sans scrupule : une jeune femme en regard-caméra, Louise Deschamps (tiens ?!), au sourire forcé présente de manière outrancièrement joyeuse les différentes parties qui composent les bonus avant de les traduire dans un anglais approximatif. Qu'aurait fait Tati s'il avait connu la technologie DVD ? Difficile de le savoir mais aurait-il accepté, lui que ses techniciens surnommaient "Tatillon", lui qui voulait avoir l'oeil à tout, lui qui ne prononçait quasiment jamais un mot dans ses films, lui qui offrait un humour si sobre et si digne, aurait-il toléré qu'on dénature son film en le faisant précéder de gesticulations pathétiques et hors propos ? Tout cela ne serait pas si grave si ça ne nuisait pas au film, si sa sobriété stylisée n'était pas entachée par l'outrance d'une autre écriture.

    Pourtant on aurait pu faire tellement pour Playtime. En imaginant Sophie Tatisheff (fille de Tati, monteuse et ayant droit) vivante, on devine qu'elle aurait forcément imposé (comme elle l'a tant fait) le respect de l'oeuvre originale, le respect du vocabulaire de son père, des composantes de son univers. François Ede, universitaire reconnu travaillant depuis des années sur Jacques Tati et auteur d'un ouvrage de référence sur le film avec Stéphane Goudet, méritait mieux que d'être cité à deux reprises de manière anecdotique. On aurait voulu avoir son commentaire audio (cruellement absent). On attendait aussi les deux documentaires qu'il avait réalisé pour arte l'année dernière, films à base d'images d'archives rarissimes qui mettait en perspective le travail d'auteur colossal qu'à demandé Playtime tout en l'analysant. A la place de ça on a quelques bribes d'explications, deux anecdotes de tournage de la script de l'époque, et des interviews truquées qui se voudraient comiques (on confond Tati le cinéaste à Tati la grande surface), d'acteurs qu'on imagine appartenant à la troupe de Deschamps. Il faut préciser que c'est ce Jérôme Deschamps et sa famille, avec leur société "Les Films de Mon Oncle", qui ont le droit de regard sur toutes les rééditions des films de Jacques Tati, et règnent en parrain sur la pérennité de l'œuvre du cinéaste. Ca promet pour Mon Oncle et Jour de Fête à paraître...

    Non Jérôme Deschamps, vous n'avez pas le génie de Jacques Tati, et surtout vous n'avez ni le même univers, ni le même humour. Nous imposer les votre dans ces conditions, c'est les imposer au cinéaste que nous respectons tant, vous et nous. Ce DVD est indigne, qu'une autocélébration de votre talent dont on commence à douter. Retirez-le du commerce, retirez-vous du cercueil de Jacques Tati duquel vous ne prendrez jamais la place, rééditez un vrai DVD, instructif et sobre, et tout le monde y gagnera : le public, vous-même, et surtout le film.

Jodel Saint-Marc, le 30 septembre 2003.

 

 

une réponse de Majordome, le 3 octobre 2003 à 13:47 :

    Votre déception peut se comprendre, toutefois votre diatribe contre ce DVD est tout simplement consternante. Vous vous érigez en gardien du temple et nous imposez, en échange, votre vision de Tati que vous voudriez voir transcrire dans ce dvd. çà ne vaut donc guère mieux que le travail que vous critiquez dans ce cas... Certes, il y a des choses à dire sur ce DVD, mais la démesure de vos propos discrédite (à mes yeux, en tout cas) l'ensemble de votre article.

    Concernant la jaquette par exemple, je reprends des propos lus sur un forum (dvdclassik.com) car je ne saurais mieux exprimer mon accord: "Toutefois, en grand spécialiste des affiches originales, je ne souscrit pourtant pas à l'avis de DVdtoile. Je trouve le visuel très intéressant et respectant l'œuvre. Les pochettes de DVD ne reprennent pas forcément les affiches originales et ce n'est pas grave. Il y a de nombreux spectateurs qui ne savent pas ce qu'est Playtime et l'affiche ne les aiderait pas. Cette jaquette, qui reprend une image fidèle à l'univers du film peut intriguer, remémorer des choses (séquence, bande-annonce, couverture du livre de François Ede) et inciter à l'achat tout en étant dans la lignée du film (démesure du décor, Hulot en silhouette, perspectives et fuyantes oppressantes, choix de la direction labyrintique, présence du titre avec sa typo originale et la flèche, héritage de celle du Royal Garden, mais aussi de celles dans Mon Oncle au sol, indique une société où tout est désigné expliqué, guidé, et dans ce film sous-tend le concept rigide de la ligne droite (contre la courbe, plus humaine). Donc pour moi la jaquette est très réussie, et placer une nouvelle fois l'affiche, que tout le monde connaît n'aurait rien apporté de plus. Comme quoi, on peut avoir un point de vue argumenté pour soutenir l'esthétique de ce coffret qui est (à mon humble avis) loin d'être la chose la plus ratée de cette édition. Il aurait d'ailleurs été honnête de votre part, de signaler que l'affiche originale est reproduite sur un tiré à part inséré dans le boîtier.

    Il me semble enfin, que ce qui est le plus important dans une édition DVD, c'est le respect du film. Et il me semble difficile de critiquer le travail et le master. Les bonus, ma foi, apportent éventuellement une lecture ou un éclairage de l'œuvre quand ils sont bien conçus...

    Personnellement, j'ai trouvé que la vision de ces enfants sur l'univers de Tati ne m'était pas insensible, bien au contraire... J'ai apprécié ce regard différent sur Tati (j'ai été en revanche beaucoup plus dubitatif, Tout comme vous, de ce gag assez éléphantesque sur la confusion avec Tati-Barbes ou bien de ce montage clipé sur la mode et les objets...)

    Le reste n'est qu'affaire de goût et vos propos frisent parfois le dénigrement (libre à vous de trouver La Cie Deschamps médiocre) ce qui n'est pas à votre honneur (pour un site par ailleurs très intéressant et exigeant). Un peu d'objectivité ne nuirait pas.

    J'ai connu des éditions bien bien pire en matière de DVD et celle-ci ne s'en sort pas aussi mal que vous voulez bien le faire croire.

Majordome

 

 

Réponse de Jodel le 4 octobre 2003 à 02:04


    Il est vrai que l'affiche originale du film figure sur une feuille de papier volant qui ne se rattache à rien, il est vrai que Jérôme Deschamps a un talent certain lorsqu'il ne se réfère qu'à lui-même, il est vrai que le film est reproduit avec qualité et fidélité (c'est la moindre des choses), il est vrai que la flèche de la nouvelle affiche se réfère à Mon Oncle (un autre film si différent) et que les enfants qui dessinent se rapportent à Parade (encore un autre film très différent), mais il est vrai aussi qu'on ne peut pas rester insensible devant un tel gâchis.

    Même si tu argumentes bien, je ne peux que trouver cette édition indéfendable. Rien que pour la nouvelle affiche, quand bien même elle a un sens et une esthétique, ce n'est qu'une revisite des choix de l'auteur (Tati avait dessiné l'affiche lui-même). Je pense qu'on ne doit pas toucher à posteriori une affiche, pas plus qu' un montage ou un mixage. C'est un des choix du réalisateur, l'affiche fait partie de l'œuvre, c'est l'image qu'à voulu donner le réalisateur à son film.

    Je ne pense pas avoir de très grands principes au cinéma mais lorsqu'on prétend faire une chose aussi grave qu'une réédition d'un tel chef-d'œuvre, on doit avoir une éthique. Or, j'ai rarement acheté de DVD portant autant atteinte au film qu'il est censé illustrer.

Jodel, le 3 octobre 2003.

INCASSABLE ?

    Ce film nous est dès le départ vendu comme le nouveau film de l'auteur et réalisateur du Sixième Sens. C'est ce qui figure sur l'affiche, c'est avec ces deux casquettes le nom du réalisateur, Night Shymalan apparaît à l'écran. Il appose toujours un laconique M devant son nom, première lettre de son vrai prénom indou, qui impose un respect à ce Monsieur qui semble vouloir vite devenir un grand du cinéma. Auteur, réalisateur et interprète puisqu'il se permet, dans une apparition, de jouer un dealer de drogue.

    L'histoire du nouveau film de, donc M. Night Shymalan auteur et réalisateur du Sixième Sens, est très simple : Un fan de BD obsédé par les héros manichéens tente de persuader un homme invincible d'admettre qu'il le soit. Avec cette seule intrigue, le pari que c'est fixé l'auteur-réalisateur M. Night Shymalan est de tenir 1h45. Une longue heure 45 pendant laquelle il doit prouver pour la seconde fois qu'il est un auteur et un réalisateur qui possède un univers.

    Cet univers, le réalisateur le décris comme noir, enfin l'espère noir. Alors pour que son spectateur s'en aperçoive, il force là dose, et donne à voir la même sorte de compilation de joyeusetés que dans son film précédent : avec par ordre d'apparition : Un nourrisson mal formé, un enfant craintif et agoraphobe, un ménage en pleine séparation, des actes racistes, des femmes assassinées, violées, séquestrées, du fauteuil roulant, de l'agonisant, encore du handicapé… Night Shymalan, auteur et réalisateur… n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. On se souviendra du coup des fantômes peu rajoutant du Sixième Sens, vomissant sous les toiles de tente, se pendant des les couloirs, ou s'éclatant la cervelle à vélo. Tout ça, donc sur le compte de l'univers… " noir ". Et pour qu'il le soit encore plus, il pleut des hallebardes pendant toute la seconde moitié du film. (ça fait plus noir paraît-il).

    C'est quand on se rend compte que l'histoire ne tient pas, que le film, prétendument vendu comme incassable commence dangereusement à se fissurer. Comment, sans vouloir placer son film dans le fantastique, le réalisateur justifie t-il les volontés de Elijeah ? Pourquoi, constamment entre deux genres, ne pas avoir choisi un parti pris soit réaliste, soit onirique ? Que vient faire ce rapport commun au deux héros à l'eau dans l'histoire, si ce n'est justifier une scène que l'auteur voulait absolument filmer ?

    Elijeah est sur d'être le mal, mais devient conscient de son identité seulement à la connaissance de celle de David. Comme l'argument n'est pas assez fort visuellement pour tenir ces 1h45, Night Shymalan, (qui je le rappelle est l'auteur et réalisateur du Sixième Sens), force le trait de ses personnages en en rendant le héros quasiment invincible et en définissant l'autre, Elijeah comme un perdant, un malchanceux, un poissard, un looser. Un peu comme une adaptation du thème de l'auguste et du clown blanc par un réalisateur, qui a certes écrit et réalisé Le Sixième Sens, mais qui se prendrait un peu trop au sérieux pour être capable de faire une comédie.

    Pour forcer encore un peu plus le trait, David, le personnage principal, a non seulement jamais été malade (mais jamais ! c'est à dire même pas un saignement de nez, pas un aphte, rien !) Mais a tout en plus les dons : surpuissant, devin… enfin à peu près tout sauf hypnotiseur (qui est un don réservé au soporifique réalisateur). Pour bien qu'on le comprenne il va même jusqu'à nous montrer David en prophète (dans une des seules scènes de grâce qui ne sombre pas rapidement dans le ridicule) les bras écartés, sensible à toute la vie des gens qui l'approchent.

    Mais on voit trop que Night Shyamalan s'emmêle avec son histoire et ne sait plus quoi faire de ses personnages, alors il s'amuse avec, joue à Autant en emporte le vent, à Scream, à piocher par-ci par-là les ingrédients et des références qui composeront un univers qu'il osera plus tard prétendre inédit. Malgré un argument qui tient en une demi-ligne, Night Shyamalan a beaucoup d'ambition, et ne doit douter de rien. Incassable, tout comme Le Sixième Sens, auraient fait de très bon court-métrages, et ça n'est pas du tout méchant que de dire ça. Après un quart d'heure, une fois que les personnages et l'intrigue sont posés, il n'y a plus qu'à attendre la phrase finale du film pour que tout soit élucidé. Alors puisque visiblement Night Shymalan a décidé de raconter ses films comme on raconte des blagues, on peut aisément se permette de somnoler une bonne heure sur son siège en attendant la chute. Mais celle ci se révèle être beaucoup moins surprenante que celle du Sixième Sens et on sera déçu de son faible impacte. Difficile aussi de s'intéresser à l'histoire d'amour entre David et sa femme, à la psychologie pourtant trouble de l'enfant, et à celle d'Elijeah, dont Night Shymalan ne se sert malheureusement pas pour passionner son spectateur.

    Il semble plus occupé à donner du style, à vouloir rendre son film " mystique ". Malgré les apparences, il ne reste toujours que dans le superficiel. Et pour l'image, il semble se contenter se points de vue improbables et paraît-il lyriques, qui devaient nourrir un style qui est malheureusement plus proche de la gentille frime d'un Sam Raimi de bande-dessinée. On nous en montre le moins possible, les personnages sont vus par leur reflet, ou cachés par des sièges ou des rideaux, ou très souvent à contre jour. Ajoutons à cela, pendant qu'on y est un sens de la composition sommaire (le réalisateur centre tout). Comme le dit Samuel L. Jackson à la fin du film, " la vie n'entre pas dans les petites cases qu'on lui dessine " ; et je rajouterais qu'un film ne se contente pas non plus d'étirer en long, en large et en travers un scénario à l'indigence manifeste et indigeste.

Jodel Saint-Marc, le 6 janvier 2001.