Symboles suicidaires du premier achèvement d'une oeuvre et d'une première vie d'artiste.

    Tournés dans un noir & blanc granuleux au lac de Grandlieu, à Passay (Loire-Atlantique) en août 1989, la chanson et le clip se trouvent justifiés par les conditions dans lesquelles leurs auteurs les ont écrits. Pour promouvoir la grande tournée que Mylène Farmer s'apprête à faire, elle écrit avec Laurent Boutonnat une chanson évoquant la fin d'un cycle : le leur. Si la critique a souvent qualifié le duo de nihiliste, c'est bien à cause de ce petit court-métrage, qui semble rejeter toute forme de croyance et de respect religieux. C'est bien d'autodestruction qu'il s'agit ici, en "suicidant" les héros de Laurent Boutonnat, Mylène Farmer achève leur première oeuvre, la plus noire. En brûlant quelques mois plus tard le décor de leur tournée dans un champ irréel, Laurent Boutonnat terminera cette destruction. même Mylène regardera le décor flamber, signature macabre de leur autodestruction.

 

 

En pleine tournée, est intégrée au milieu exact du spectacle une chanson inédite simultanément à sa sortie dans le commerce en 45 tours. A quoi je sers est une chanson au rythme dansant mais aux paroles désespérées. Elle fut écrite un soir de blues, ce qu’on pense assez rare chez Mylène Farmer. Dans ce contexte de sortie, entre les salles de concert remplies et les loges vides, ce n’est bien évidemment pas par hasard que le texte de la chanson parle ouvertement de suicide  :

«Chaque heure demande pour qui, pour quoi se redresser / Pourquoi ces larmes ? A quoi bon vivre / Je divague, j’ai peur du vide, je tourne des pages, mais des pages vides / J’avoue ne plus savoir à quoi je sers, sans doute à rien du tout / à présent je peux me taire si tout devient dégoût. »

 

    Sans album à promouvoir, et ainsi débarrassé d’obligations promotionnelles, Laurent Boutonnat se sent donc une liberté totale pour la mise en images du clip. Il fera le choix d’aller vers une sorte d’abstraction en noir et blanc, remplie de langueurs et de symboles. Évoquant sous un angle biblique et symbolique le suicide (artistique) de la chanteuse, le clip représente sa longue et calme traversée d’un fleuve avec pour seul accessoire une valise dont le contenu nous restera inconnu.

 
    Un bruit sourd de vent glacial, un fleuve sombre, un ciel nuageux. Le brouillard envahi tout. Une pirogue avance, guidée par un vieux passeur, vêtu de noir et défiguré par le temps. Mylène Farmer monte dans cette barque-cercueil qui la fera traverser ce qu’on imagine être le Styx, le plus grand fleuve des enfers, en direction d’un autre affluant, qui sépare les vivants des morts. Selon cette lecture du clip, le passeur est Caron, chargé de faire passer les défunts dans l'autre monde. Leur embarcation traverse les roseaux que le vent fait plier, symbolisant selon la science des rêves le tourment et les problèmes existentiels. L’interprète, elle, ne pose son regard sur rien. Le passeur aux yeux cernés conduit la chanteuse dans les marais monochromes non loins de la rive gauche du Léthé, qui mène celui qui y arrive à l'oubli de sa vie. Mylène Farmer se retourne enfin, peut-être sur son passé, acceptant la propre mort de son personnage et reconnaissant les héros des clips de Laurent Boutonnat, ayant eux, déjà trépassé antérieurement. Ceux avec qui elle a débuté sa carrière sont présents.

Rasoukine (Tristana)   

Le Marionnettiste (Sans Contrefaçon)    Le picador (Sans Logique)    Le Capitaine anglais (Pourvu Qu'elles Soient Douces)   

La Rivale (Libertine)

 

   Elle balaie son regard, comme une façon de revoir sa vie d'artiste en un instant. Le clip se termine par un long plan-séquence ralenti de tous les personnages de dos, entraînant Mylène Farmer dans les eaux profondes, sans doute pour se noyer ensemble. Départ en électrochoc d’un processus d’autodestruction qui s’achèvera quelques mois plus tard, par l’incinération du décor de la tournée pendant le générique final du film du concert. En rendant sa cohérence à l’ensemble des clips qu’il a produit, Laurent Boutonnat en fait une œuvre homogène et ne filme là rien d’autre que la fin de cette époque. Son public sait dorénavant que ni Libertine ni sa rivale ne renaîtront une nouvelle fois de leurs cendres, et constate que Mylène Farmer et son mentor posent le voile de l’oubli sur un style qui leur fut si personnel. Poussant l’idée un cran plus loin pour bien que son public les comprenne, la face B du 45 Tours est une chanson titrée La Veuve noire qui reprend en boucle la mélodie d’introduction de A quoi je sers. La Veuve noire semble évoquer la mort artistique de la chanteuse le soir de la date de son premier concert :

 

« Toi veuve noire tu périras ce soir de mai »  

 
 

Laurent Boutonnat sur le tournage, à côté des batteries  (photographie inédite)    Mylène Farmer et Laurent Boutonnat sur le tournage (photographie inédite)

 Mais peut-être que le tableau n'est pas si noir, peut-être qu'une renaissance est possible... En tout cas, à l'époque, nombreux sont les fans qui se sont demandés si la carrière de Mylène Farmer ne se terminait pas ici.

 

Dr. Jodel.

 

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