Il y a tant à dire sur Giorgino.Aboutissement, oeuvre à part entière, univers propre, le film de trois heures rassemble presque toutes les émotions que le cinéma peut transmettre. Il y a des personnages, leur psychologie, leur passé, leur destin et leur rapports. Il y a avant tout un univers. Une ambiance "pourrie" selon les propres mots du réalisateur, un monde recouvert de neige, sans le moindre rayon de soleil, peuplé de femmes qui fument, de familles se détestant. Ce qui se présente au départ comme une fresque devient un film d'aventure puis un drame pour se finir dans le désespoir le plus total. Laurent BOUTONNAT joue avec ce que le spectateur a l'habitude d'attendre. Tout est bouché : du début à la fin. On attend un dénouement, une sérénité qui ne viendra pas. Cela peut mettre mal à l'aise, mais si on entre dans cet univers, si on veut se laisser emporter par l'histoire et par son rythme, Giorgino se révélera être un très grand film. Bouleversant. 

Laurent Boutonnat dans l'entrepôt où sont stockées toutes les bobines tournées pour "Giorgino"

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Plan promotionnel du film.

 

 

 

 

Première rumeur sur Giorgino, parue en novembre 1992 Dans le magazine Première.Première rumeur sur Giorgino, parue en novembre 1992 Dans le magazine Première.

 

 

 

 

 

 

La première affiche du film, telle que Laurent Boutonnat l'avait voulue.

La première affiche du film, telle que Laurent Boutonnat l'avait voulue.

 

Cette "pré-affiche" fut vendue par correspondance avant la sortie du film, pendant l'été 1994.

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

Invitation à l'avant première de Giorgino à Montpellier la veille de la sortie nationaleInvitation à l'avant première de Giorgino à Montpellier la veille de la sortie nationale

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes manuscrites de tournage du carnet personnel de Laurent Boutonnat :

 

Plan promo du DVD :

 

 

 

"Hors-Série Giorgino" : on est revenu de la guerre

    Bonne initiative, courageuse même, de la part du magazine Instant-mag (qu'on devrait appeler revue tant il délimite de mieux en mieux son sujet) qui consacre un hors série luxueux (surtout par le prix) à Giorgino, film sorti si brièvement en salles en 1994 et diffusé pour la dernière fois à la télévision il y a huit ans. Autant dire que ce film ne dit pas grand chose aux français, même public de Mylène Farmer. Vrai pari donc de sortir en kiosque une publication entièrement consacrée au film dont il y a, c'est vrai, encore tant à dire.

    Vrai pari et vraie surprise aussi : l'Instant-mag, tout en gardant sa ligne éditoriale  irrévérencieuse et abondamment illustrée, immerge le novice dans l'univers du film en le racontant en détail, et replonge les autres dans les atmosphères en en dévoilant certaines clés, et en les agrémentant d'anecdotes de tournage et du recul que permet ces neuf ans d'absence. On note quelques bonnes idées formelles : comme la typographie des titres qui a été choisie pour représenter une écriture d'enfant, les interviews sans questions apparentes, et aussi LE scoop en deuxième page : 

" ...d'après des sources bien placées et proches du distributeur Pathé, nous apprenons que Laurent Boutonnat s'apprête à renouer avec la caméra, avec un tournage pour l'an prochain. Aux dernières nouvelles, le "maître" hésitait entre 2 projets que nous ne pouvons pas malheureusement vous dévoiler. Deux indices : le premier concerne un abominable docteur, le second un petit paysan bien courageux. " 

Bientôt un remake du Testament du Docteur Mabuse (Fritz Lang - 1933) ou du Cabinet du Dr. Caligari (Robert Wiene - 1919) ? Dans ce dernier cas Boutonnat referait une plongée "giorginesque" inattendue dans les asiles et les insomniaques... On en sait plus depuis.

tournage dans la cour des studios Barrendov    Le plus grand intérêt de ce numéro (comme des autres d'ailleurs) tourne bien sûr autour des photographies inédites, ici toutes plus sublimes et instructives les unes que les autres. On a par exemple droit à la magnifique déclinaison du couple Giorgio-Catherine amoureux et ensanglanté, photographié par Jean-Marie Leroy en première, deuxième et quatrième de couverture. Nombreuses aussi sont les photos représentant Laurent Boutonnat au travail en studio pendant la scène de l'asile, de l'orphelinat et du marais, puis en extérieur pour les plans du village et du cimetière, des trajets en calèche et du face-à-face final entre les deux personnage principaux. C'est pour cette séquence que les photographies (surtout celle en page centrale) nous en apprennent le plus : les gros plans de Mylène Farmer et Jeff Dahlgren n'ont pas été tournés dans le cimetière mais dans la cour des studios Barrendov, sur le mur duquel l'équipe décoration (en bras de chemise) a accroché une affiche représentant le décor enneigé ! On découvre sur une autre photo quatre machinistes secouant la calèche où sont sensés discuter Giorgio et Sébastien pour faire croire qu'elle est tirée par des chevaux. On peut aussi découvrir des scènes plus touchantes comme Jeff Dahlgren à la caméra, en train de triturer le clapet de l'objectif l'air intrigué, assis à côté de Boutonnat méditant. On peut voir une Mylène Farmer qu'on imagine légèrement blessée, assise sur sa baignoire de l'asile, en train de se faire soigner par un technicien. On peut aussi voir un Laurent Boutonnat facétieux donner des indications au hibou qui servi pour la séquence du marais et qui s'était posé pour le coup sur le magasin de sa caméra !

Tournage de la séquence des marais    En ce qui concerne le contenu, on reconnaît le regard du magazine et celui de ses rédacteurs, on appréciera des parallèles pertinents et des remarques originales par exemple sur la symbolique phallique de la jambe de bois exhibée par l'abée. L'article "Jésus crie" va aussi plus loin dans le parallèle biblique du personnage de Marie en nous rappelant qu'elle a élevé Catherine sans l'avoir enfantée... On savourera l'humour distillé dans les portraits des sept personnages principaux (la dépendance aux sucres d'orge du Dr. Degrâce, la rancune injustifiée du Pr. Beaumont, la manifestation sanguinolente du désir chez Marie). En revanche on regrettera l'angle systématiquement psychanalytique pour décoder cet univers, qui demande bien d'autres clés. Travers habituel du magazine qui abuse de références obscures (Pinel et son Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale sont-ils si abordables et pertinents que ça ?) pour nous parler d'un scénario davantage hanté par un vécu personnel et artistique.

 

construction du décor de Chanteloup

 

   Les révélations les plus cruciales viennent en fait des trois interviews d'auteurs ayant collaboré au film (Gilles Laurent scénariste, Jean-Marie Leroy et Etienne Georges photographes de plateau, et surtout Jean-Pierre Sauvaire chef opérateur). On en apprendquasiment à chaque page, on découvre par exemple que Giorgino avait été écrit, minuté et vendu aux distributeurs à 2h03 et non 3 heures. Laurent Boutonnat aurait désiré la temporalité lente de la narration qu'au montage. On apprend que le scénario est d'ailleurs né d'une simple mélodie au piano ! On se doutait aussi que le film avait été très difficile à monter financièrement, mais pas au point de perturber le tournage et son réalisateur entre les scènes ! Quand on sait l'importance que donne Laurent Boutonnat aux conditions climatiques, on comprend quel a du être son désarroi lorsque des semaines durant, pas un seul nuage et pas un seul flocon de neige n'est apparu, l'obligeant à tourner sur place des plans prévu pour être faits en studio. 

dressage des deux cents chiens pour la scène finale

 

    Un grand moment est l'entretien avec Jean-Pierre Sauvaire, qui n'hésite pas à parler de "film raté", "trop long" qui "ne lui a jamais rien apporté en terme de renommée", juste avant de se contredire en évoquant les cinéastes faisant appel à lui pour avoir le même type d'image que Giorgino dans leur film ! En revanche ce dernier n'hésite pas à s'auto-congratuler sur son travail, à citer des compliments sur son "image superbe", en se gardant bien de parler de la lumière de certaines scènes, comme celles bâclées de nuit en calèche qui semblent éclairées aux néons. Par les photographes de plateau, on en apprend davantage sur les rapports difficiles entre Laurent et Mylène Farmer sur le tournage, ils évoquent une "ambiance particulière", "pas facile", parlent d'un "drôle de couple", de ressentis "pas forcément favorables" et ont assisté à des "remarques un peu sèches". Euphémismes.

    Ces interviews ont le principal avantage de mettre en lumière la terrible cassure qu'a été Giorgino dans la carrière de Boutonnat : à part la costumière Carine Sarfati, aucun des collaborateur au film n'a retravaillé avec lui, ni Jean-Pierre Sauvaire, ni Gilles Laurent, ni personne. Ici ils s'expliquent (et Thierry Rogen dans l'interview de l'Instant-mag n° 15) et ça dénonce ! Jean-Pierre Sauvaire parle de "rupture émotionnelle" avec Boutonnat, Gilles Laurent d'un film dont il "ne savait pas quoi penser" à la sortie (alors même qu'il l'avait co-écrit !). Même pendant l'enregistrement de Anamorphosée, il se fâche avec Thierry Rogen son mixeur légendaire et ne voudra plus retravailler avec lui. La sortie de Giorgino en salles a marqué le repliement total de l'auteur, qui a cessé tout contact et s'est visiblement interdit de reparler à ceux qui avaient collaboré avec lui. (Seule la costumière Carine Sarfati le suivra sur Les Mots) Laurent Boutonnat s'est senti seul, et c'était sans doute le seul moyen pour lui de défendre son film que de se couper de collaborateurs qui ne comprenaient même plus l'œuvre à laquelle ils avaient participé. 

 

répétition pour la séquence de la fondation Roux

 

    Mieux que l'ambiance du film, tout ceci semble restituer l'ambiance du tournage, à la foi tendu et jubilatoire. Mais aussi sortent pour la première fois officiellement tous les non-dits sur les longueurs du récit (le chef opérateur avoue même avoir caché à Boutonnat ses doutes sur le résultat final). Ce qu'il y a à apprendre de ce hors-série instructif est cela : Giorgino film ô combien personnel ne peut être saisissable à quiconque. Tout ce qui touche à lui ne peut pas être partagé avec son auteur : Giorgino, c'est Laurent Boutonnat.

Dr. Jodel, le 14 octobre 2003.
(Instant-mag, hors-série Giorgino, retiré des kiosques le 28 novembre 2003)

 

 

 

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