Pour la première fois Laurent Boutonnat et Mylène Farmer semblent vouloir faire simple. Après avoir enchaîné tube sur tube deux ans durant, ils tentent de vendre leur première chanson 'lente' dans le commerce, malgré la sortie avortée de Au bout de la nuit en 1987, qui fut remplacée par Tristana. Laurent Boutonnat réserve pour deux jours les modestes studios de Stains en banlieue parisienne pour ce clip d’une sobriété inhabituelle, et qui deviendra, de son propre aveu, le clip préféré de la chanteuse. Le duo est en fait déjà en pleine préparation du concert de l’année suivante, et surtout de Pourvu Qu'elles Soient Douces, le prochain grand clip. Pourtant habitués des tournages en extérieur, Mylène Farmer et Laurent Boutonnat prennent ici le parti pris de reconstituer un environnement naturel en studio, et s'arrangent même pour mettre en évidence le fait que le film soit tourné en intérieur : tout dans le décor sonne volontairement faux.

La neige aux flocons improbables, le diamètre irréel de la lune et l'absence de décor de fond qui ne fait qu'accentuer cette impression, et ne dupera aucun spectateur. De plein pied dans un imaginaire personnel, le duo semble décrire son propre univers, et met en avant ses ingrédients les plus poétiques. Laurent Boutonnat utilisera un virage au sépia sur la pellicule ; ceci renforce l'idée d'intemporalité, faisant des images de ce film autant de vieilles photographies qu'on aurait gardées trop longtemps. Le titre de la chanson apparaît sur un reflet de pleine lune à la surface d’une eau claire, seulement ondulée par des gouttes d’eau qui tombent de temps à autre. Sûrement des larmes. Les animaux utilisés ici font penser à toute une littérature anglaise du XVIIIe siècle, une biche et un hiboux rendant cette lourde atmosphère romantique. Mais le clip dépasse la simple description contemplative. Car au bout de cinq minutes de poésie monochrome, avec animaux sauvages, neige, balançoire, la belle fini tout de même par se noyer. Volontairement ? Comme une fatalité, elle s’épanche sur la mélodie de Laurent Boutonnat, déclare que tout est noir et qu'elle ne voit pas quel espoir il pourrait y avoir :

« De nos destins naît que solitude / Deux orphelins que le temps défigure ».  

 
Tout ici fait de Mylène Farmer un personnage intemporel, mi-vivante mi-morte, mi-humaine mi-déesse, et surtout désespérément seule. Le film est fait de tas de petits détails qui nous montrent que le personnage est loin des hommes. Le milieu que nous voyons pourraient d'ailleurs faire penser à une espèce d'au-delà où, après la mort, la défunte se rapproche des états transitoires, tel la fuite en direction d'une lune blanche qui pourrait bien être l'issue du tunnel qui mène au point de non-retour. Car c’est bien pour la première fois l’ombre du suicide qui plane sur Ainsi soit-je, comme un constat d’échec d’une vie dont on ne peut jamais se satisfaire. Mylène Farmer a pourtant un instant un sourire franc : assise sur une balançoire, elle semble égrener la fuite du temps dont elle est victime, tout en se remémorant le temps des jeux d’enfants, irrémédiablement perdus. Sa noyade est ici étrangement passée à l'envers dans le film, donnant l'impression que la chanteuse avale les bulles qui viennent de la surface lorsqu’elle hurle des cris inaudibles, comme si en double supplice, elle devait subir aussi la suffocation. Plus que jamais attachés au morbide, les deux artistes n’hésiteront pas dans les années qui suivront à aller crescendo dans la fascination de la mort, s’appropriant la célèbre assertion d’Oscar Wilde : « Partout où se trouve la douleur, c'est terre sainte. »

Après avoir subi des instants de souffrance, comme la fuite vers une lune inaccessible et cette insoutenable noyade, puis les rares moments relatifs aux jeux de la balançoire, du contact avec les bêtes sauvages, Mylène Farmer revient à l'état naturel, voire originel. Elle se recouvre le visage de boue pour mimer une certaine idée de mort qui voudrait que tout défunt retourne à l'état initial, retourne à la terre. Le clip se clôturera comme il a commencé : par la neige tombant au ralenti. L'absence de décor et de personnages secondaires nous fait ressentir avec une réelle profondeur le vide imperceptible et désespéré dans lequel Laurent Boutonnat veut sans cesse situer le personnage de Mylène Farmer.

 

Dr.Jodel.

 

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