Nathalie Cardone, à bout de course, joue son va-tout.
Malgré le petit succès de Mon Ange, le public commence à l'oublier.
Choisir la rythmique efficace de Baïla Si pour finir de
promouvoir son unique album est pourtant un bon choix, mais les paroles en
espagnol se révéleront un sérieux handicap. La très utile NRJ
refusera de diffuser le morceau à l'antenne, et le single passera pratiquement
inaperçu. Laurent Boutonnat avec elle, arrive au bout d'une collaboration.
Est-il satisfait de ce qu'il a accompli trois années durant avec Nathalie
Cardone ? On n'en saura rien, et on pourra tout juste constater la lente régression
de l'imagination du réalisateur.
Sous une
lune géante façon carton-pâte et un fond noir de studio sans décor, les
contorsions de Nathalie Cardone rendues en sépia font penser à un Ainsi
soit-je version latino-dance. La thématique de la lune présente dans les
paroles de la chanson est allégrement reprise dans le clip. C'est sur elle que
s'ouvre le film. Des nuages noirs qui laissent découvrir, au son des grillons,
une pleine lune blanche et estivale. Le décor naturel est modélisé, matérialisé
plutôt en studio, avec une artificialité assumée. La pleine lune est là, au
fond, en un panneau circulaire de trois mètres de diamètres. Les nuages sont là
aussi, plombés au sol par une
atmosphère nocturne qu'on imagine lourde. L'ambiance est sexuelle, forcément,
et la douzaine de danseurs et danseuses n'ont pas attendu que le clip débute
pour se dévêtir. C'est torses nus qu'on les découvre, les hommes comme les
femmes. Éclairés par l'astre lunaire, ils ne peuvent faire qu'une seule chose
: se toucher. Eux-même attention, pas mutuellement, on est plus chez Mylène
Farmer.
Les corps
sont cassés, basculés d’avant en arrière, comme soumis à un démon, celui
de la danse. La chorégraphie, elle, est d'inspiration hispanique, forcément.
Les cheveux longs des danseuses à demi-nues valsent en tout sens, sous l'effet
du vent qui s'abat sur la troupe pa
r
rafales régulières. Et on retrouve un gimique sonore de Boutonnat, lorsque les
danseurs tapent dans leurs mains : le son passe nettement par-dessus la musique,
ce qui met l'image au même niveau hiérarchique que la musique, ce qui reste
rare dans le vidéo-clip. L'éclairage est d'une originalité subtile, représentant
la lueur rasante d'un soleil couchant, qu'on pourrait situer hors-champ à
gauche de la scène.
On devine
derrière tout ça le casse-tête qu'a dû être le montage du clip. Les
gesticulations de Nathalie Cardone ne suivent à aucun moment les mouvements
chorégraphiés des danseurs (qu'elle ne devait visiblement pas connaître). Sa
chorégraphie à elle a tout l'air d'être improvisée lors de leur captation
par la caméra. D'une prise à l'autre ses mouvements de bras et sa position par
rapport aux objectifs ne sont du
coup
jamais les mêmes, et c'est avec fatalité qu'au montage on a dû laisser passer
les nombreux faux raccords, inéluctables. On devine alors la vraie Nathalie
Cardone, ses origines siciliennes et andalouses, ses colères et son tempérament
ingérable. On est finalement peu étonné que la collaboration entre la
chanteuse et le réalisateur touche à sa fin, tant Mylène Farmer devait être
obéissante et d'un professionnalisme docile envers le cinéaste.
La scène centrale du clip correspond au pont musical de
la chanson. C'est devant une lune à raz terre, flirtant avec l'horizon, qu'une
Nathalie Cardone nue, à quatre pattes, progresse lentement de la droite vers la
gauche dans le brouillard. S'agenouillant devant la
pleine lune, elle bascule la tête en arrière. En passant du gros plan au plan
large, Boutonnat nous montre son égérie dans son plus simple appareil : la
silhouette de son corps en ombre chinoise tranche avec la blancheur lumineuse de
la lune en arrière plan. Ses longs cheveux, dont elle se sert dans tous ses
clips comme pour se dissimuler derrière son mutisme farouche, ces cheveux
laissent découvrir le profil intact d'une femme offerte à l'humidité de la
nuit. Et la chorégraphie reprend de plus belle, tandis que le brouillard au sol
refait parfois son apparition, en autant de faux raccords qui rendent le clip
interminable. La scène où l'on découvre la chanteuse entièrement nue fut
tournée indépendamment des autres. C'est à la fin de la journée de tournage,
tard le soir, après le départ de l'équipe technique, que Laurent Boutonnat
aurait tourné le plan, avec comme seul entourage son chef opérateur et un
machiniste.
La réalisation à proprement parler ressemble à du
Boutonnat on ne peut plus basique, utilisant seulement les effets de focale qui
valorisent le défilement des arrières plans lors de nombreux travellings latéraux.
Parfois dissimulée derrière
les gesticulations de ses danseurs, Nathalie Cardone les cheveux dans le
ventilateur domine ceux qui l'entourent avec ce qui lui reste de sensualité.
Parfois sur fond noir, d'autres fois sur fond de lune selon la position de la
caméra, tout est pensé en fonction de la mise en valeur de cette femme. Elle
regarde toujours droit devant elle, comme si une seule caméra la captait. Le
spectateur a alors l'impression de découvrir des images volées lorsque, derrière
un torse ou des épaules, on distingue la chanteuse regardant ailleurs, dévoilant
un visage de trois-quarts finement découpé défiant le monde et la g
ente
masculine. Derrière les quatre clips avec Nathalie Cardone on peut découvrir
un même féminisme moderne, qui ignore les hommes plutôt que de combattre
leurs avantages. L'ère Farmer est déjà loin, Cardone a ses avantages, sa
nature, et n'a à combattre personne. Sous la caméra de Laurent Boutonnat elle
n'interprète jamais de personnage, elle l'a assez fait au cinéma. Tout
comme Mylène Farmer, elle est une femme seule. Alors que la vie de la
deuxième est nourrie de rencontres et de combats, celle de
Cardone
est vidée. Dans Hasta Siempre c'est toujours en regardant droit devant
elle qu'elle arpentera Cuba, son enfant sous son sein. C'est sans adresser la
parole à quiconque qu'elle mènera tout ce peuple accablé de pauvreté à la révolte.
Dans Baïla Si c'est toujours aussi fière qu'elle s'impose à nous; et
c'est la tête haute qu'elle en profite pour se retirer de la vie publique,
n'ayant à rougir de rien, ni de ses collaborations, ni de ses mots, ni de sa
nudité.