"Cet espace autour de moi, ce vide, cette lumière c'était donc toi"

 

Splendeur d'une sensualité moite

    L'éternel ciel orageux qui semble plomber la création de Laurent Boutonnat depuis l'échec de Giorgino est on-ne-peut-plus-présent. Cette fois un vent humide emporte avec lui une pluie fine et des feuillages. Il n'y a pas de sol, juste un ciel devant lequel se dresse une silhouette illuminée d'éclairs, une femme encapuchonnée d'une longue cap rouge dont elle se défait. On devine le soleil derrière les nuages, on le voit ce rayon blanc qui éclaire le visage renversé de la femme aux cheveux longs. Avant Parler tout bas et Pardonne-moi Boutonnat use déjà de pellicule noir & blanc à de courts moments pour parcourir le corps de son égérie avec un grain fort sur le support argentique, il le fera par la suite sur les poupées du clip d'Alizée puis sur le corps dansant dans la poussière de Mylène Farmer.

 

 

 

"Malgré les doutes et les médisances
Malgré la peur, malgré les souffrances
Je pense que l'on avait rendez-vous"

 

 

 

 

"Alors cette fois je veux rester
Ne plus croire que si j'aime
On va m'abandonner"

 

 

 

 

    On est proche ici du Saudade d'Etienne Daho réalisé par Philippe Gautier (1991), dans la fusion de la nature, là bas du jeune homme étendu dans la rosée au milieu des insectes, ici de la femme généreuse évoluant dans une humidité omniprésente où s'accouplent des chevaux trempés jusqu'aux os. Les éléments naturels chez Laurent Boutonnat, et plus particulièrement la pluie, jouent des rôles centraux. Non seulement la pluie agit toujours en personnage propre, influant les agissements des personnages,  mais elle est souvent teinte d'une couleur divine, si bien que les héros de Boutonnat ne s'en protègent même pas, et la subissent comme ils se feraient à une malédiction qu'ils mériteraient. Le marionnettiste de Sans Contrefaçon (1987) ne se protège pas de l'averse torrentielle qui s'abat sur lui, il n'aura de regard que pour son pantin tombé dans la boue. Si les vieux de Sans Logique (1989) font semblant de se retirer à cause des gouttes de pluie qui commencent à tomber, c'est pour mieux cacher leur déception devant l'échec de leur rejeton, agonisant sous leurs yeux. La pluie sur Marie à la fin de Giorgino (1994) a même un effet révélateur, c'est en divagant pieds nus sous l'orage qu'elle tombera entièrement et définitivement dans sa propre folie. La pluie encore dans Parler tout bas (2001) où Alizée reste dans sa chambre d'enfant éventrée et abandonnée à l'eau qui tombe du ciel. On la retrouvera plus tard sous la même averse lorsqu'elle enterrera son ours en peluche. La pluie enfin dans Hasta Siempre (1997) où déjà Nathalie Cardone ne faisait qu'un avec l'élément pluie pour porter à la révoltion tout un peuple qui emmène avec sa colère les tourments du ciel.

 

 

    Ici le réalisme n'est pas à propos, et ne le sera d'ailleurs plus jusqu'à Moi...Lolita trois ans plus tard. Boutonnat se met déjà à parler avec sa propre langue, avec ses propres références (les chevaux piétinant de Allan, la robe de Beyond my control, le climat de Sans Logique). Rien de nouveau en somme, c'est vrai. Mais quelles images ! Images naturalistes de cheveux qui ondulent au vent alors que la pluie les humidifie et les alourdie peu à peu, images d'une femme dans son élément, dont la sensualité ne peut que s'exprimer dans un environnement aussi violent.

 

 

    Avec ces éléments le Laurent Boutonnat de 2004 aurait tenu la longueur des quatre minutes de son clip, montrant en long en large et en travers son héroïne en proie avec les éléments déchaînés (Les Mots - 2002). Mais ici Laurent Boutonnat va loin. On peut même dire qu'avec une finesse certaine, il atteint peut-être un extrême que jamais il n'a effleuré jusqu'à lors. Sans scénario, sans justification, mais aussi sans rien monter au tournage, Boutonnat approche deux scènes dans un montage parallèle maîtrisé d'une manière particulière. Uniquement par des astuces de montage, d'association de compositions d'images et de répartition des masses, Nathalie Cardone se trouve aux prises entre deux chevaux en train de copuler. Elle se cambre, et bientôt on se rend compte que ce n'est pas qu'à la pluie que celle-ci s'abandonne. Boutonnat touche ici une drôle de sensualité, dans la froideur et l'humidité, dans l'animalité et la soumission.

 

 

   

 

    Dans un tourbillon de robe humide, de vent froid, de chevaux surexcités, de cheveux mouillés, surplombés de nuages noirs, la moiteur de cette soirée dans cette plaine est éminemment sexuelle. Et toujours ce rayon de soleil qui éclaire par l'arrière la crinière de la jument, l'épaule de Nathalie Cardone, la courbe de son front, ses mèches de cheveux qui volent en harmonies. Boutonnat fait ici de l'art pictural, en fait même vingt quatre fois par seconde, avec ses tons, ses compositions, sa lumière, et son absence de contraste. Lors de très courtes images on devine le mot qui se dégage de cette esthétique : poésie. Lorsque trois gouttes d'eau tombent sur le poitrail de la femme allongée dans sa robe de soie, quand elle se lève et que sa cape sous l'effet du vent prend la forme d'un oiseau, cette femme cambrée qui attend qu'on comble l'absence de l'être aimé; et cette main tendue vers le ciel, comme une nouvelle victoire de Samothrace de la solitude qui désinhibe.

 

Jodel Saint-Marc.

 

  

 

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