L'idée originale du film est celle de
Laurent Boutonnat , elle date de son adolescence mais la première réelle
version du scénario date, elle, de 1986. A ce stade de l'écriture, il sait
déjà que le film coûtera très cher, sans pour autant pouvoir chiffrer son
coût. Un producteur semblera intéressé par l'histoire et lui proposera de la
financer en 1987. Après hésitation, Laurent ne se sent pas encore prêt. Pour s'assurer la plus grande liberté artistique et afin de pouvoir
tenir toutes les commandes créatives de son film, Laurent Boutonnat veut
financer lui même le plus possible son budget en mettant en jeu les royalties
de ses productions discographiques. C'est précisément pour cela qu'il crée
dès la fin des années 80 plusieurs des sociétés de production qu'il détient
aujourd'hui. Heathcliff S.A. est sa société qui gère les tournées de
Mylène Farmer et dont il se servira pour produire Giorgino. A cette étape où
on sait à peu près ce que le scénario donnera, Laurent Boutonnat obtient
l'agrément provisoire du C.N.C (Centre National de la Cinématographie) qui lui
permet de se lancer dans la pré-production du long métrage. L'esquisse du
scénario détaillé est signée en 6 mois entre Laurent Boutonnat et le
scénariste Gilles Laurent. On peut alors estimer approximativement le budget du
film à 54 millions de francs, ce qui le met quand même au dessus de la moyenne
du budget moyen d'un film de l'époque.
En 1989, Laurent
Boutonnat
propose son scénario à plusieurs sociétés de production cinématographiques
qui n'y croient pas et le trouvent trop cher. Un film durant trois heures et
parlant (lentement) de la seconde guerre mondiale représente des risques. Étant
persuadé de trouver les fonds qui lui manquent afin de boucler son budget,
Laurent Boutonnat se lance "tête baissée" dans
sa
préparation : Il fait appel au décorateur Pierre Guffroy (qui s'est occupé entre autres des imposants décors de Paris brûle t-il
(René Clément), Valmont (Milos Forman), Que la Fête commence (Bertrand
Tavernier)
ou encore du Locataire (Roman Polanski). Ensemble
ils partent en repérage pour trouver un village enneigé qui pourrait être
crédible en habitation du début du siècle. Après être passés dans les
Vosges, en Chartreuse et en Hongrie durant le tournage de Désenchantée et Regrets, ils décident de tourner dans le parc national des Tatras,
dans les montagnes de Slovaquie. L'endroit est
désert et il faudra construire
sur place l'intégralité des décors, de l'église à l'orphelinat, en passant
par le village tout entier. Vouloir tout construire sur place est une décision
qui va permettre au chef-décorateur de renforcer l'aspect fantastique du film,
puisqu'il pourra imposer l'univers complexe de Laurent Boutonnat par tous les
détails possibles. C'est un peu comme à l'image du cinéaste Joseph von
Sternberg (l'Ange bleu, Les Damnés de l'océan) qui voulait que
tout ce qui était devant la caméra n'existe que par la caméra. Mais c'est
aussi une décision qui va alourdir le budget de plusieurs millions de francs
!
Laurent Boutonnat trouve en 1992 Polygram
Films qui acceptera de s'associer à lui à auteur de 21 600 000 Francs d'apport
du budget. Suite à cela, deux autres aides viendront s'ajouter comme celle du
C.N.C et de canal plus. Laurent reste quand même l'un des propriétaires de son
film puisqu'il y a déjà investi 32 millions de Francs par le biais de sa
société Heathcliff S.A. C'est alors qu'obtenant tous les détails par rapport
au tournage, il obtient l'agrément définitif du C.N.C. qui sonne en quelque
sorte le coup de départ du tournage...
"A un moment donné, vous n'écoutez pas ce que vous devriez entendre, de l'extérieur, de certaines personnes. Peut-être foncez-vous avec des oeillères... Comme j'étais très volontaire, mon entourage était sans doute impressionné et laissait faire. Ce que j'ai appris avec Giorgino c'est aussi à entendre, à écouter."
décembre 2007.
Il commence en janvier 1993 après trois mois consacrés à la construction des décors. Le casting est international avec Louise Fletcher (l'infirmière de Vol au dessus d'un nid de coucou), David Ryall (l'ivrogne de Elephant-man) et Jean-Pierre Aumont (dont les plus grands rôles - Jean De La Lune- datent des années 30-40). Des acteurs anglo-saxons (Frances Barber) et des tchèques rejoignent la distribution. Laurent Boutonnat tourne le film en anglais et se paies pour la bande son le codage Dolby Surround Digital. Il commence par tourner toutes les scènes en extérieur dans le parc National des Tatras, en haute Slovaquie, qu'il réserve pour l'occasion. C'est d'ailleurs exactement au même endroit où Boutonnat a fait construire Chanteloup et ses environs que sera tourné trois ans plus tard le film Jeanne d'Arc de Luc Besson. Il tournera les extérieurs des rues et la façade de l'asile Ste Lucie dans la province de la République Tchèque plus tard. Les nombreuses séquences de la bibliothèque de l'asile Ste Lucie, ses couloirs intérieurs, l'hôpital où officie le docteur du début du film ainsi que l'intérieur de l'église sont tournées au monastère de Bohusov, en République Tchèque. Il finit le tournage de avril à juillet 1993 par toutes les scènes d'intérieur qu'il tourne aux immenses studios Barrendov à Prague. Mylène Farmer parlera de ces studios de cinéma dans le Femme de juin 1996 :
"- Il y a, à la périphérie immédiate de la ville,
un centre cinématographique très important : Barrendov. Un endroit curieux,
une sorte de petite cité aux frontières de la grande, vouée toute entière au
cinéma. Le quartier en lui-même n'a rien de séduisant : une énorme
concentration de bâtiments fonctionnels qui ressemblent à... des villas. Mais
l'histoire de son nom, en revanche, me plait beaucoup. Il le doit à un savant
français du XIXe siècle, Joachim Barrande, un
paléontologue qui a consacré sa vie à l'étude des fossiles. La colline
de calcaire sur laquelle s'élèvent aujourd'hui les studios en était
pleine. Il l'a explorée de fond en comble et, en souvenir de ses recherches, on
a baptisé le site Barrendov. C'est là que pendant presque deux mois j'ai
passé toutes mes journées. Mais, le soir et les week-end retour au cœur de
Prague. Il n'y avait pas de rupture : L'atmosphère de la ville prolongeait
celle du film. L'un et l'autre inspirait la même nostalgie poétique. Ils me
semblaient habités des mêmes anges et des mêmes démons."
l'équipe technique du film dans le parc naturel des Hautes Tatras (Slovaquie).
On peut voir le décor construit de l'église, à l'arrière.
Ensuite la post-production commence sous la direction de Caty
Lemeslif (déjà présente sur certains courts) et durera près de 10 mois.
Cette durée peut s'expliquer par le fait que Laurent Boutonnat maîtrise tout,
du montage à la réalisation, en passant par la musique qu'il enregistre en
parallèle du montage avec l'orchestre philharmonique de Prague et des chœurs
Boni-Pueri. A la place de ses chœurs devaient initialement se faire entendre la
voix de Mylène Farmer. Mais pour cause d'emploi du temps divergents, elle n'a
pas pu enregistrer sa prestation. Laurent Boutonnat a alors opté pour cette
chorale d'enfants. En mai 1994, le film est présenté au distributeur AMLF. Lors de
cette première projection, le film dure 4h10, ce qui est jugé trop long par la
distribution. On ordonne donc à Boutonnat de faire des coupes et il ramènera
son film à une durée de 3h15 puis 3h03. Plusieurs scènes et
éléments d'intrigues devront être supprimés. Parmi les séquences coupées,
il y a notamment celle où un doute est posé sur l'auteur des dessins d'enfants
représentant les loups. Se serait peut-être Catherine qui les aurait
dessiné... Ce qui remettrait en question les rapports entre les enfants et les
loups... La sortie initialement prévue le 24 août
1994 est repoussée tout d'abord au mercredi 20 septembre, c'est à cette date
que le dossier de presse et le plan de promotion du film sont imprimés. Mais le
doublage en français prend du temps et la sortie du film est pour la troisième
fois repoussée à en octobre (très mauvaise période cette année là). Le film
obtient parallèlement un visa de censure qui l'interdira de projection aux
moins de 12 ans et le dépôt au registre légal de Bois-d'Arcy. Le film sort
finalement seulement en France le 5 octobre 1994.
2 anecdotes sont à noter pour la sortie du film : La pré-affiche originale où l'on voyait seulement un enfant (petit Georges) entouré de loups au milieu d'une forêt a été remplacé pour la deuxième sortie par une affiche plus classique où l'on voit le visage des acteurs principaux. Un troisième affiche plus "commerciale" sera éditée pour la deuxième semaine d'exploitation et représente un photomontage des scènes fortes du film au dessus des portraits des cinq personnages principaux, c'est cette affiche qui figure, d'ailleurs, sur le plan de promotion de septembre. Pour la sortie du film et la projection à la presse, la durée du long-métrage inscrite sur le dossier de presse est ramenée à 2h57, pour ne pas rebuter les spectateurs avec le cap peu ragoûtant des 3 heures (le film dur en fait 3h03).
Giorgino a subit un double échec : le
premier est critique car on lui reproche d'être trop long, trop morbide et trop
onirique. Le deuxième est commercial parce que le public s'est déplacé à 2
500 le premier jour à Paris (et sa périphérie), ce qui est très peu. On sait
maintenant que son exploitation ("semaines d'exclusivité") a duré trois semaines et a fait en France
exactement 60 111 entrées durant cette période. 25 salles en région
parisienne qui totalisent 16 918 entrées au total en fin d'exclusivité (au 25
octobre 1994), dont 12 071 entrées en 1ere semaine. Giorgino a été ainsi un
des plus grands désastres financiers de 1994 avec Les Patriotes (Eric
Rochan - 1994). On peut expliquer l'échec du film entre autres par le report de sa
sortie peu favorable car, au 5 octobre 1994, il sort une semaine après Pulp
Fiction (Quentin Tarentino), une semaine avant Léon (Luc Besson, un ami personnel de Laurent Boutonnat ),
et surtout le même jour que Forest Gump (Robert Zemeckis), trois Blockbusters. La sortie éventuelle de Giorgino en Italie est annulée mais il
reste quand même à l'affiche jusqu'en Février 1995 dans deux salles
"d'art & essai" : La Fourmi à Lyon et Le Studio Galande dans le cinquième arrondissement de Paris. Bien évidemment, Heathcliff S.A. la
société de Laurent Boutonnat passe difficilement cette
épreuve et se retourne vers la musique l'année suivante. Le film est diffusé
quatre fois à la télévision en une semaine sur canal plus à partir du 28
novembre 1995 à 20h35 en version française, puis en version originale.
Polygram films veut quand même sortir le film en vidéo à peu de tirage mais
Laurent Boutonnat refuse, même quand d'autres
distributeurs le lui proposeront.
Laurent Boutonnat
déjà abattu par l'échec du film, mais encore perfectionniste, aurait été
même jusqu'à faire 2 montages différents de son film en 1995 en vue d'une
éventuelle exploitation en cassette vidéo (ce qui n'était pas exclu tant
qu'il n'avait pas racheté ses parts financières). Il aurait terminé le
montage de la version de 4 heures initialement prévue au printemps 1994 avant
de prendre la décision d'annuler la sortie du film en VHS dans le commerce.
Pourtant une version
courte a
été en vente clandestinement de très courtes semaines de 1996 par l'ancien assistant
de Bertrand LePage (qui pourtant n'avait pas travaillé sur le projet Giorgino).
Rapidement retirée de la vente (pourtant déjà illicite à lors), cette
version s'est révélée être un montage totalement amateur recentré sur
Mylène Farmer. Version remontée par l'assistant de Bertrand Lepage lui-même.
Laurent Boutonnat
détient en 1996 déjà le droit de diffusion télévisé (excepté
sur canal + où le contrat impliquait les diffusions) et s'en sert pour refuser
les offres que les chaînes lui font. Toutes les diffusions sur le câble et sur les
bouquets satellites ne se feront pas à cause de son véto. Seule une projection fut
programmée en
1997 à Montpellier dans le cadre des soirées "Mylène Farmer sur grand écran" organisée par l'association Zik et Toiles qui est
parvenue à se procurer une copie du film qui tournait sur la région parisienne.
Paul Van Parys, qui travaille pour Heathcliff S.A. (co-productrice du
film) fera tout pour empêcher
cette projection et négociera son retrait au téléphone au nom de Boutonnat
jusqu'au dernier moment avant la projection. La réponse de l'organisateur de la
soirée restera dans les anales : "-Si vous ne voulez pas que le film
soit vu, il ne fallait pas le distribuer." C'est après cette phrase
assassine que Paul Van Parys raccrochera et laissera cette dernière projection
avoir lieu, ne pouvant plus intervenir.
Depuis, Laurent Boutonnat a racheté les parts financières de Polygram, ce qui fait de lui le seul détenteur de son film au monde. Il a ainsi le droit de regard définitif sur toutes les exploitations qu'il en sera faite, il est capable de s'opposer sans discussion à toute exploitation publique. Ce qu'il fait fréquemment d'ailleurs. Le 29 septembre 2001 est organisée une projection au cinéma Max Linder à Paris par le fan club officieux de Mylène Farmer L'Instant-Mag. Laurent Boutonnat refusera la projection qui devra être annulée et remplacée par les films des concerts tournés par Boutonnat, qu'il laisse, eux, toujours projeter en salle. Le cinéaste très touché par cet échec, qu'il n'a pas su relativiser et qui n'a en réalité jamais remis en cause son talent, a décide visiblement de faire de Giorgino un film maudit que personne ne verra avant longtemps. Toutefois, dix ans après la sortie du film, on pouvait présentir qu'il reviendrait sur sa décision, une fois le deuil fait. il le laissa même sous-entendre à la presse :
Pourquoi Giorgino N'est-il pas sorti en DVD ? C'est une question de droits ?
L.B. : "Non, c'est que cela a été une histoire assez difficile à vivre Giorgino. Ce film n'a pas marché du tout. A l'époque, j'ai presque financé moi-même 80% de ce film, donc, il a fallu rebondir. J'ai pu en fait récupérer les droits de ce film, d'exploitation vidéo, etc... Et à ce moment là, je n'avais eu qu'une envie, c'était prendre les droits, les mettre dans un tiroir, le fermer et ne plus jamais en entendre parler. C'est aussi simple que ça. Peut-être qu'un jour, je le sortirai en DVD. Peut-être après un autre film... voilà."
(conférence de presse du 17 décembre 2004)
En effet, le 5 décembre 2007 sorti en Double DVD Giorgino, plus de 13 ans après sa sortie en salle, avec un long making of mais toujours sans piste commentaire audio. La bande originale resorti dans les bacs des disquaires elle aussi le 3 décembre 2007, agrémentée de deux musiques du film non présentes sur la version parue en 1994.
Une page internet pour la promo du DVD apparu le 6 novembre 2007, et proposa à partir du 13 novembre une bande-annonce inédite, très réussie, reprise dans le DVD. Un site internet fut créé et un concours organisé pour promouvoir la sortie du DVD et sa dernière projection exceptionnnelle sur les Champs-Elysées au Gaumont Marignan le 4 décembre 2007 à 19h30 :. Laurent Boutonnat vient présenter le film une dernière fois, dans la salle même où eu lieu l'avant première 13 ans auparavant.
Extrait du livret DVD :
"Si le film s'était fait d'une façon différente, il n'aurait probablement jamais existé. Je suis passé outre les barrières, j'ai usé de toute mon énergie et de mon pouvoir pour le financer et aujourd'hui, je me dis "tant mieux", alors que je ne le pensais pas à l'époque. C'était un chemin nécessaire même s'il a été très douloureux. Finalement, c'est bénéfique, et c'est une force.
L'homme que je suis aujourd'hui est aussi né de ce film."décembre 2007.
Une des seules consécrations de Giorgino, qui aura sûrement réconforté Laurent Boutonnat et Mylène Farmer, est la diffusion du film à la télévision culturelle russe "Культура" ("Culture") le 5 juillet 2009.
Dr.Jodel.