Lawrence d'Arabie rendu en abstrait ?
Une fois n'est pas coutume, nous nous attardons
sur un texte qui n'est pas officiellement signé par Laurent Boutonnat. Pardonne-moi
est sans nul doute le clip du réalisateur qui se prêtera le plus longtemps à
l'analyse, tant les éléments y étant inscrits n'on pas de rapport à priori
entre eux. Bien que l'analyse et l'interprétation n'ont pas ici de bien fondé
(nous expliquons pourquoi dans la page consacrée au clip), nous nous penchons
sur le texte de la chanson (écrit par Mylène Farmer) qui lui non plus, ne
semble pas "coller" à sa mise en image. Et pourtant, il aurait pu...
Sur des arrangements vaguement orientaux,
Pardonne-moi peut en effet s'écouter comme une B.O. de film. Cette musique plante
directement le décor d'un désert à perte de vue, de princes, de journées
chaudes et de nuits froides. Dans un univers tellement imagé, un parallèle
cinématographique s'impose pour une tentative de compréhension du texte,
avouons-le, volontairement confus. Quel film montre une telle lutte de prince ?
Quel film voit ses héros tant tiraillées entre le désir de vie et les
"pulsions de mort" ? Quel film enfin est si cher à Laurent Boutonnat
et à Mylène Farmer ?...
Lawrence d'Arabie est un film de
3h28 réalisé par David Lean en 1962. On peut reconnaître dans les personnages
présentés dans la chanson les principaux protagonistes du film du réalisateur
anglais. Même si le "prince Hongrois" y est absent, c'est pourtant le
style nordique qui trahira Lawrence (Peter O' Toole), une fois démasqué avec
ses yeux bleus, son teint blanc et ses cheveux blonds. C'est d'ailleurs
lui-même qui avait été élevé au rang de "prince Arabe" auparavant
dans le film, après avoir sauvé la vie de deux nomades dans le désert au
péril de la sienne. Le "prince noir" quand à lui est sans nul doute
le personnage de Omar Sharrif, le seul prince a être couvert de noir au
contraire des autres vêtus de blanc. On peut remarquer la reprise dans le clip
de Laurent Boutonnat de ce personnage : même silhouette, même costume, même
cheval.
Entre autres célèbre pour la composition
de ses plans d'extérieurs, Lawrence d'Arabie met en scène le désert
qui tient lieu de personnage dans le film. En parlant de "Prince
Aurore", le texte fait sans doute référence au petit jour qui accompagne
à plusieurs reprises la troupe de Lawrence qui doit se remettre en route.
D'autres références apparaissent comme les images omniprésentes des dunes, et
des parts de lumière et d'ombres qu'elles dessinent, et beaucoup utilisées
dans le film lors de longs plans-séquences contemplatifs. "On descend de l'autre côté du monde; parcourir les toits
de chaque seconde". "Partager l'ombre" fait en revanche
référence à l'ombre créée par les tissus lorsque la troupe est en repos.
Les homme qui n'étaient pas couchés derrière leur chameau devaient pour ne
pas être exposés au soleil s'abriter sous des espèces de petites toiles de
tente de fortune, formées simplement par un long tissu noir qui devait être tenu à la main.
Plusieurs scènes dans le film font références à ce mode de protection du
soleil.
Rappelons juste que Lawrence d'Arabie
se compose en fait d'un long flash-back et que la vie du capitaine est en fait
introduite par des réactions au début du film qui font suite à son
enterrement. Bon moyen pour le texte de Pardonne-moi de commencer dans
son premier couplet par un opportun "Nos chaque jour : Il était une
fois" qui renvoie si ce n'est au conte, à une histoire. Inutile de rappeler que le
"T'aimer comme un fou que tu n'es
pas" du refrain de la chanson fait référence à la première partie du
film où Lawrence est décrit comme tel et est plusieurs fois soupçonné de
folie et d'incompétence par son entourage et ses supérieurs. En effet, le
volubile et gai Lawrence des premiers jours laisse par la suite place à un
homme désabusé, silencieux et sombre, perdu dans ce monde militaire, lui qui
n'est reconnu que par les arabes et les turcs pour lesquels il s'est battu. On
lit très clairement durant toute la deuxième moitié du film chez cet homme le
désespoir amer de ne plus avoir de chez soi : "En lui guette un silence
sans fard, un nulle part".
Lorsque Lawrence avoue à son supérieur
avoir éprouvé une jouissance lorsqu'il a tué l'homme à qui il avait
précédemment sauvé la vie, son personnage s'épaissi et il est alors
difficile au spectateur de faire le choix entre le personnage généreux qu'il avait
été avec les peuples du désert et le tueur sanguinaire et guerrier qu'on
découvre. "Où
en est-on de ces pulsions de mort ?" pose la question (si ce n'est
la remise en question) de ce personnage qui ne sait plus où il en est. Il faudra attendre la fin du film pour
voir Lawrence sombrer dans la folie et tuer à coups de revolver tous ceux qui
passent devant lui. Suite à cela Lawrence cessera tout combat, qu'il soit
positif ou non "Qu'avons nous fait de bien après l'effort ?". La
question restera sans réponse, comme les nombreuses énigmes posées par le
texte et le clip de Laurent Boutonnat, notamment sur le fait de ne pas avoir
poursuivi le parallèle avec le film de David Lean, si ce n'est en mettant en
scène brièvement ce Prince Noir sur son cheval.
Nous pouvons aussi rappeler que "Prince noir" était le surnom d'Edouard Prince de Galles, le chef de l'armée anglaise qui occupait la Guyenne en 1360, et qui fit notamment construire les bases de l'impressionnant phare de Cordouan à l'embouchure de la Gironde en France.
Jodel Saint-Marc.