critiques II

Une sélection exhaustive des critiques les plus haineuses sur Giorgino...

Sans Contrefaçon, je suis un glaçon !

    Mais où sont passé les enfants ? "But where are the children ?" C'est la question que se pose avec insistance Giorgio en octobre 1918. Et il se la pose en anglais. Why not ? Pourtant, Giorgio est un jeune médecin militaire français, fraîchement démobilisé pour cause de poumons gazés (He's got gas in the lungs, poor boy). Désœuvré et toussotant, Giorgio commence par sauver un cheval de la mort, avant de lui monter dessus et de partir à la recherche des orphelins attardés dont il s'occupait avant la guerre. Il part donc pour l'est de la France (the east of the France) où les enfants ont été déménagés et où il ne va pas tarder à neiger. Sur place, il marche dans la neige, il court dans la neige, il se jette dans la neige, il nage dans l'eau gelée (tiens ?), il roule en carriole dans la neige. Bref, il effectue de nombreux allers et venues. Dans la neige. Ah, à propos, les susdits enfants, eh bien... ils sont morts. Tous. La faute à qui ? A une bande de veuves en furie ? A Mylène FARMER ? Aux loups ? Au curé ? Ou bien à la neige ? Afin de mieux résoudre cet épais mystère, Giorgio enlève une première fois son manteau (Baby, take off your coat)...

    "Euh ?", vous interloquerez-vous certainement. Et vous ne serez pas les seuls. Le film s'appelle Giorgino, alors que le héros s'appelle Giorgio : toute la "poésie" du film est ici résumée. Giorgio -Giorgino pour les intimes et les poètes- est donc le premier long-métrage de Laurent BOUTONNAT, mentor complice de Mylène FARMER

    Ses clips étaient des films, assez magnifiques d'ailleurs. Juste retour des choses, son film est comme un immense clip de trois heures (pardon, 2h57) où Mylène FARMER aurait simplement oublié de chanter... Déjà qu'elle n'apparaît qu'au bout d'une heure de film... Ses fans risquent bien d'être déçus.

    Et non seulement personne ne chante, mais pas grand-monde ne parle. Et quand ça parle, c'est donc en anglais; ce qui, dans ce Jura de fin de Première guerre mondiale, s'explique assez mal... Du coup, on se demande si c'est bien la voix de Mylène qu'on entend. Alors on hésite. S'ennuyer au cours de ces lents trajets en carriole, saupoudrés d'une musique si douce qu'on dirait du Eric SERRA en 16 tours ? Ou s'énerver de la sordidité gratuite de certaines scènes sales : un troupeau d'horribles mégères qui se soûlent au vin rouge et se tripotent les varices; Mylène FARMER, femme-enfant certes, mais la bouche encore gluante du lait boueux qu'elle vient de téter au sein de sa nourrice ; les pensionnaires monstrueux d'un asile de fous torturés par DUPONTEL (oui, Albert) et s'étripant dans leur fange ?

    Curieusement, au bout d'un certain temps (assez long tout de même), ce n'est plus ni ennui ni horreur qu'on ressent, mais de la compassion.

    Envers BOUTONNAT d'abord, producteur-réalisateur-scénariste-compositeur, et ses sept années d'efforts... Lui qui avoue avoir tant mis de lui-même et de Mylène dans son film (on ne peut d'ailleurs qu'être intrigué par la nature implicite de leurs rapports, pour le moins ambigus...). Compassion aussi envers Mylène, si identique à celle qu'on a déjà vue, avec son éternel air de chien battu (avec collier). Compassion envers le héros-titre, Jeff DAHLGREN, dont c'est le premier film ; envers ces acteurs confirmés que sont Joss ACKLAND (le méchant de L'Arme Fatale II), Frances BARBER (Chambre à Part, Samy et Rosy s'envoient en l'air), Louise FLETCHER (Blue Steel) ; envers Jean-Pierre AUMONT surtout : tout ça n'est plus de son âge. Et compassion, bien sûr pour les spectateurs, qui attendent pendant trois heures l'éclaircissement d'un mystère qui se révèlera simple eau de boudin.

    Tout cela dit, on ne peut que constater qu'après avoir révolutionné le clip, Laurent BOUTONNAT reste un pionnier. De chantre de l'imprononçable et de l'impalpable, il devient aujourd'hui le premier réalisateur de l'infilmable : rien, mais longtemps.

 

Jean-Yves KATELAN, Première, novembre 1994.

 

 
 

Danse avec les loufs

Il y a eu le naufrage du Titanic (1 490 morts). Il y a eu le séisme des Philippines (1 621 morts). Aujourd'hui il y a Giorgino (30 morts), le premier long métrage de Mylène FARMER, réalisé par son complice Laurent BOUTONNAT. Un film-catastrophe mais qui, sans le vouloir, pourrait bien être culte dans vingt-cinq ans.

Intrigue : Octobre 1918. Dans un village français enneigé qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la Transylvanie, et où l'on parle l'anglais avec l'accent américain, Giorgio VOLLI, un jeune beau médecin tuberculeux, recherche douze orphelins de ses amis pour leur offrir des sucres d'orge. En fait, ils sont tous morts : noyés et dévorés par les loups, ou achevés à coups de bûche par Mylène FARMER ?

Personnages : Pour son premier rôle au cinéma, Mylène, alias Catherine, est dingue, ouf, barjo, azimutée, fondue, loufdingue, maboule, toc-toc, bref "différente". Une vraie surprise. Elle voit plein de loups et d'enfants morts partout et c'est ça qui est chouette. Femme-fillette, elle suce son pouce et frotte sa tête contre son épaule d'un air souffreteux pour bien montrer sa "différence". Jeff DAHLGREN, alias Giorgino, qui est un poil morbide-maso (..."différent") et se shoote aux médocs tous les jours, adore. Du coup, il plonge dans l'eau glacée, croise des revenants, se fait à moitié étrangler, interviewe des aliénés, tousse comme un damné et meurt à la fin : Mylène aussi adore. Autour d'elle, une gouvernante qu'on devine un peu gouine et que Cathy-Mylène tête goulûment (Frances BARBER), un père à enfermer ("différent ? Jean-Pierre AUMONT), un curé unijambiste (Joss ACKLAND) et une (petite) foule de figurantes de la SFP grimées en sorcières mal peignées.

Scènes cultes : Celle dite de "la défloraison", où Mylène, du sang sur les mains, balance sans ménagement son amant Giorgino dans l'eau glacée d'un marais, le forfait accompli. Et la scène finale où Giorgino meurt dans les bras de Mylène qui, seule au monde mais tout de même entourée d'une centaine de loups (du zoo de Vincennes ?), suce candidement un sucre d'orge (un thème récurrent).

Objets indispensables dans le décor : Chandeliers, lit, crucifix, douche froide, seringue, bénitier, cheval, mongolien, cercueil, enfants sales, vieilles édentées.

Materiel (pour réaliser le film) : Les fiches Monsieur Cinéma de La fille de Ryan, Bambi, Dracula, Les Hauts de Hurlevent, toute la collection des Série rose sur M6 (cf. la scène où Mylène, endormie, un pouce dans la bouche, dévoile une cuisse de nymphe), la caméra de Luc BESSON, et le sponsoring "Pierrot Gourmand".

Mots à retenir : asile, fou, folle, loup, marais, étrange, pendaison, sang, neige, varice éclatée.

Répliques incontournables : "Qu'est ce que je vais faire de tous ces sucres d'orge ?" (Giorgino inquiet, en apprenant la mort des enfants). "La mère a sombré dans la mélancolie, la père a perdu la tête, du coup la petite est étrange" (description de la famille FARMER). "Les enfants ressemblaient à de petits nénuphars violets avec leurs corolles noires." "Vous allez l'adopter ?" "Non, je vais l'épouser" (le curé à Giorgino). "Attention, voilà la folle" (une vieille, en parlant de Mylène). "Je vous aime, je crois que je vais mourir" (Giorgino à la même).

Scène clé : Lorsque tous les personnages, habillés de costumes à paillettes et de talons compensés, se trémoussent sur La Bonne du curé. Non, c'est une blague.

 

Juliette COPE. 20 ans. octobre 1994.

Interview de Bertrand LePage

   "Mylène avait pu imaginer qu'elle était une "Élue" et elle a, comme Jeanne MAS, perdu le contrôleBertrand LePage et Laurent BOUTONNAT en 1985. de ce qu'elle était. Le problème, c'est que Laurent lui aussi était persuadé d'être un "Élu" et il pensait que rien ne pourrait empêcher leur ascension. Aucun des deux ne pouvait alerter l'autre. On sent que Mylène est toute seule, perdue. Pour la promo du film Giorgino, c'est évident qu'elle et Laurent étaient isolés, entourés de gens incapables de leur dire en face ce qu'il fallait faire, incapables de les prévenir du danger. Comment peut-on dire à une super-star ou à un super-producteur que ce qu'il fait n'est pas bien, à moins d'avoir été débutant avec lui ? 

    Giorgino a coûté très cher. C'est terrible car c'est quatre ans de boulot et tout l'argent qu'ils ont gagné anéanti. En revanche, je ne m'explique pas pourquoi aucun journaliste n' a signalé les liens de Laurent avec l'Angleterre romantique, et surtout avec David LEAN auquel il a emprunté toute La Fille de RYAN. Toute sa vie a été influencée par ces personnages : Pourquoi baptiser Ryan Jones une de ses affaires ? "Ryan", parce que La Fille de RYAN, et "Jones", parce que c'est le nom du capitaine qui tombe amoureux de la fille de Ryan. La société d'édition de Laurent s'appelle Requiem, la société de production discographique Toutankhamon, la société de production cinématographique s'appelle Heathcliff, du nom du héros de Wuthering Heights / Les Hauts de Hurlevent, un autre film qui a beaucoup inspiré Laurent. 

    Giorgino est trop long, il n'y a pas matière à en faire trois heures. Le film aurait duré une heure et demi, il aurait marché. La sortie a été repoussée deux fois, une fois au printemps, un fois fin août. La promotion à l'automne a été volontairement trop discrète, il y a eu des problèmes de promotion. Celle-ci n'a vraiment commencé que deux semaines avant la sortie et personne n'a vraiment su que le film sortait enfin. Personne n'a eu envie d'aller le voir, car tout le monde pensait que le film ne serait qu'un clip longue durée. En plus, l'attitude distante de Mylène et Laurent est apparue pour de la prétention. Ils ont fait un film tourné en anglais pour qu'il aille dans le monde entier mais n'ont donné que peu d'interviews. Je me souviens d'Hugh GRANT, avant le succès de "Quatre Mariages et un Enterrement". Il avait été contacté pour jouer le premier rôle aux côtés de Mylène, mais il a refusé. 

    On raconte que Laurent est en dépression. Même l'histoire privée de Laurent et Mylène ne peut pas ne pas pâtir de cet échec. Je pense que les passions sont liées aux crises et que les ruptures et les réconciliations sont inévitables."

 

Propos recueillis le 21 octobre 1994. par Jean-Pierre PASQUALINI
Platine Magazine. n°19. mars 1995. pp.17-19.

Interview de Sophie TELLIER

    "Au début j'avais un rôle. (celui de l'aubergiste, NDA.) J'ai été écartée quand ils ont opté pour une distribution internationale. Ca m'a fait un peu de peine et je me suis détachée. J'ai l'impression que Mylène n'a jamais voulu le comprendre. On en a vaguement parlé, mais elle n'a pas dû saisir que c'était important pour moi. Quand j'ai vu le film, j'étais un peu déçue. Les images étaient splendides, mais c'était trop long... Laurent était plus carré dans ses clips, plus efficace. Il est très sûr de ce qu'il veut, il ne fait pas n'importe quoi n'importe comment. Je crois qu'il a fait ce qu'il a voulu. Il voulait un film à la David Lean, très long, avec des étendues de paysages, la petite calèche qui traverse la neige pendant deux heures..."

Propos recueillis le 12 février 1997.
Platine, n°39, mars 1997, pp.19-20.

 

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