Tout d'une fiction

Tourné avec 7 caméras 35 mm. et 4 bétacams, voulu comme un vrai film digne du grand écran, En concert revêt toutes les caractéristiques du film de fiction. Analyses...

 

 
Suite logique de la carrière discographique d’un artiste, le concert devait tôt ou tard confirmer ou trahir la particularité de l’image que créait depuis six ans Laurent Boutonnat pour sa seule interprète : Mylène Farmer. Producteur, compositeur et réalisateur de la chanteuse, c’est avec une évidence naturelle qu’il se décida à investir la multiplicité de ses talents en travaillant dès les premiers mois de 1988 à l’écriture d’un spectacle qu’il voudra lui aussi particulier, et qui parcourra les routes de France en quatre vingt dates un an et demi plus tard. La volonté, dès son deuxième clip Plus grandir (1985) d’être reconnu davantage comme un cinéaste que comme un “clipeur” l’influera sans conteste pour la conception du show. Pour ce qui est de l’agencement des lumières, des placements des danseurs et de la structure de la scène, tout ceci sera conçu pour l’œil de la caméra. A aucun moment Boutonnat n’a visiblement réfléchi au concert en d’autres termes que cinématographiques, pensant toujours au film qu’il allait en tirer et qu’il conterait plus tard sortir en salle. Pour l’occasion, Laurent Boutonnat utilisera d’ailleurs une pellicule très sensible, lui permettant entre autres de capturer des visages dans le public et chez les musiciens pourtant constamment plongés dans l’obscurité.

 

Hubert Monloup, décorateur d’opéra et de théâtre travaille à la demande de Laurent Boutonnat pour la première fois sur un concert de variété. La consigne donnée est de représenter le défilement du temps. La décision est prise de figurer le site de Stonehenge, en Angleterre. Ses alignements de pierres millénaires, devant lesquelles des civilisations calculaient la position des planètes et songeaient en l’au delà parlent à Laurent Boutonnat. Sur scène ces pierres à priori placées de manière anarchique fait penser à un cimetière vallonné, assez fonctionnel pour faciliter les entrées et sorties de scène, les déplacements, et y intégrer harmonieusement chaque musicien pour qu’il reste visible à la fois de ses collègues et du public. Les concerts de variété ou de rock usent habituellement de structures assez hautes, permettant entre autres une plus grande largeur de champ pour la rotation des projecteurs. Or les dimensions du décor en deux exemplaires créé par Hubert Monloup s’adaptent parfaitement à celles du format d’image utilisé par Boutonnat lors du tournage[1], abaissant la hauteur sous rampe à seulement quatre mètres, malgré les deux niveaux du décor au sol. L’illusion donnée est alors d’une scène plutôt “basse de plafond” s’apparentant davantage à un caveau qu’à un podium musical. Le mimétisme entre les contours de la scène et le cadre ont pour effet esthétique de diminuer le vide qu’aurait mis en valeur un plan large sur une scène à hauteur classique, et d’améliorer la composition plastique de l’image lors de plans d’ensemble avec des chorégraphies, les danseurs se disposant toujours agréablement sur la totalité de la surface filmée. Lorsque les chorégraphies ne se déroulent que sur une partie précise du podium (sur un côté par exemple), l’espace vide crée de l’autre côté est ignoré à l’image, redirigeant par recadrage le regard du spectateur comme le public du concert l’aurait fait de lui-même en ignorant l’espace vide.

  

Des scènes d’extérieur

 

L’utilité de la haute grille de cimetière encadrée de deux murs qui trône sur la scène avant et après le concert (et qui dévoile le décor caché derrière) n’est pas seulement justifiée par la diégèse[2] du spectacle ; c’est aussi le moyen pour le cinéaste Laurent Boutonnat d’introduire son film par un travelling circulaire[3] autour du cimetière-décor, transplanté sur une plaine de rase campagne. C’est peut-être ici que réside la première particularité de forme de ce film de concert. Là où un film de spectacle habituel commence directement par la première chanson ou par les backstages[4], En Concert débute par le long plan séquence de ces alignements baroques loin de tout public ou de tout projecteur. On ne peut alors soupçonner que le cimetière représenté à l’image est le décor du concert, sa place étant inimaginable au beau milieu d’un champ. Rien d’autre dans la bande son ne laissera encore de piste pour laisser imaginer qu’un concert en public va commencer. Après des inscriptions de génériques sur la musique Prologue[5] débarrassée des cris d’impatience du public, le plan du décor isolé est coupé à quatre reprises par des plans similaires du décor, mais cette fois en caméra-épaule pris parmi les spectateurs[6]. En établissant une telle liaison entre l’extra-ordinarité du décor et sa présence sur la scène, Laurent Boutonnat immerge directement le spectateur de son film dans un long-métrage qui ne se revendique pas d’emblée comme le simple compte-rendu d’un spectacle, mais bel et bien d’un long-métrage romanesque.

 

 
 

 

Lors de la longue introduction musicale de la chanson Ainsi-soit je, Laurent Boutonnat insérera dans son film une seconde scène d’extérieur : la visite au ralenti d’un (vrai) cimetière par la chanteuse suivie de dos qui finira par se recueillir sur une tombe. Par un effet de surimpression, le retour sera fait sur la scène où le pianiste, éclairé d’un seul projecteur, terminera son introduction. L’interprète fera peu après une nouvelle entrée en scène vêtue d’un nouveau costume. Une avant-dernière fois, Laurent Boutonnat utilisera des plans de son décor déplacé en plaine, lors du classique passage du rappel. Dans tout concert, l’interprète faisant mine de terminer le spectacle se retire sous les vivas, puis réapparaît quelques minutes plus tard pour une ou plusieurs éventuelles dernières chansons faussement improvisées. Ici, la chanteuse se retire une première fois à la fin de Libertine, à l’époque son plus grand succès populaire[7]. Suite à un feu d’artifices illuminant toute la surface de la scène, le décor du concert dans la plaine autour duquel tournait la caméra au début du film explose sous l’effet de cinq bombes qui font voler les pierres tombales en éclats. C’est après avoir montré en surimpression ralentie à la fois les effets de l’explosion sur le décor et le public réclamant la chanteuse, que celle-ci refait une dernière fois son apparition sur la scène pour un morceau d’adieux. 

 

La conception de la fin du concert sera en stricte relation avec son Prologue, les grilles de fer réapparaissent alors et se referment sur la silhouette de la chanteuse apparaissant une dernière fois en haut des marches du cimetière. La fin du film est cependant autre, elle aussi en relation étroite avec son ouverture : Alors que la chanteuse a disparue définitivement de la scène, l’écran resté noir quelques secondes se rallume sur le décor du concert se consumant au milieu de la plaine campagnarde. Pendant quelques minutes, des plans de spectateurs en sanglots se mêlent au paysage dévasté qu’offre les pierres qui brûlent sur une structure calcinée. Il ne fait alors plus aucun doute que nous sommes bien face à la structure même de la scène du concert, des travellings latéraux nous montrant les barres de fer devant la soutenir. Pour la seule fois dans le film, des images d’extérieur sont présentes sur l’écran en même temps que des plans tournés dans la salle du concert, unissant définitivement les deux lieux dans une même vision de détresse et de destruction. Le générique se déroulera sur un dernier long plan reprenant le travelling ²circulaire² du début du film, à la seule différence que le décor finira de se consumer lentement sous l’œil de la chanteuse, debout et impassible, vêtue d’une robe de deuil qui constate la lente disparition du décor faisant plus que jamais figure de cimetière.

 

En ce qui concerne le traitement du son lors de ces scènes particulières, on peut noter que la musique présente lors de l’enregistrement du concert[8] en sonorise chaque seconde, ne laissant jamais entièrement la place aux bruitages inhérents à l’environnement de ces plans en extérieur (vent, crépitements du feu…). Nous conviendrons pour ces plans de trois niveaux de sonorisation : celui de la musique du concert, sortant soit des instruments des musiciens soit d’une bande son synthétique préenregistrée diffusée au public ; celui de la foule du concert, comportant les cris et applaudissements ; puis enfin celui de l’extérieur, représentant le champ sonore des plans tournés hors scène de spectacle. Pendant la scène d’ouverture du film, seule la musique du concert est audible, le son d’extérieur est muet alors que celui du public n’apparaît brutalement[9] que lorsqu’un plan relatif au concert apparaît à l’image. Lorsque le travelling latéral en extérieur s’achève et qu’on entre définitivement dans le monde du concert, le niveau du bruit du public devient assez haut pour placer le spectateur du film “dans” le public, en rétablissant le champ sonore auquel il aurait droit s’il était dans la salle. Alors que la scène d’introduction de la chanson Ainsi soit-je est sonorisée uniquement par la musique du concert et les bruits du public, l’explosion du décor en rase campagne ne peut se passer des déflagrations couvrant en partie les acclamations de la foule. Explosions qui disparaîtront d’elles-mêmes au bout de quelques secondes dans un écho, facilitant en douceur l’enchaînement avec la chanson de rappel. La scène finale, elle, reproduit la distribution du champ sonore de la scène d’ouverture à un détail prêt. Alors que jusqu’à la fin du générique du film la musique du concert reste présente[10], le son du public s’arrêtera en fondu lors du passage à la dernière scène d’extérieur qui montre le décor se consumer. C’est alors que sans le chevaucher, le son d’extérieur des crépitements du feu et du hurlement du vent apparaît. Alors que le vent restera audible jusqu’à l’extrême fin du film, le crépitement du feu s’arrêtera simultanément à l’arrêt sur image situé au milieu du générique.

 

  

Un Processus d’identification

 

On analysera ces choix de placements sonores en partie par un processus voulu d’identification au public du concert, en particulier pour la scène d’introduction. Alors que le spectateur du film s’attache pendant les plans d’extérieurs à la musique de fond comme à une musique extra-diégétique, il s’aperçoit lors des premiers plans de la salle de concert que cette bande musicale est bel et bien jouée on stage par les musiciens, les acclamations en rythme du public le lui faisant facilement comprendre. Les premiers plans en caméra-épaule embarqués dans le public du concert accroissent ce processus d’identification, le spectateur du film se trouvant au même niveau que les autres spectateurs. Le choix de Laurent Boutonnat de porter l’identification du spectateur sur le public du concert est sans nul doute le plus judicieux, car les deux parties assistent au spectacle et n’en sont pas acteurs. Ceci explique l’absence d’images de coulisses de l’interprète à laquelle on ne doit surtout pas s’identifier, tant sur elle repose tout le spectaculaire de la mise en scène et une grande partie de l’effet charismatique que veut donner le show. Lors du passage précédant Ainsi soit-je, la scène d’extérieur de visite du cimetière n’a pas le son intra-diégétique qu’on pourrait en attendre, qui pourrait par exemple être composé des bruits de pas dans les feuilles mortes des allées. Si seuls les bruits de concert sont audibles, c’est justement parce que c’est sur la scène que va se passer l’action, que se place la diégèse, et non pas dans ces plans qui n’ont ici qu’une fonction d’image mentale quasi-onirique et symbolique. Plus que jamais à cet instant le spectateur du film doit se situer par rapport au concert et non pas aux plans additionnels extérieurs à la salle de spectacle. En ce qui concerne la fin du film, alors qu’à l’image se mêlent dans les mêmes plans visages du public du concert et décor en extérieur, le son reproduit cette ambiguïté en ne représentant que le son musical du concert sans celui du public mais néanmoins en y ajoutant les bruits d’extérieurs. C’est peut-être ce moment précis que Laurent Boutonnat choisi pour mettre en évidence le désarroi du public désormais muet qui se recueille devant les cendres encore rouges de la scène. Public alors confondu avec les spectateurs du film, chacun placé symboliquement par Boutonnat devant la scène dans la salle de concert, et devant le décor transplanté dans la nature. On ne peut que se rendre compte de l’extrême cohérence à la fois de la structure scénique à priori hasardeuse et du processus d’identification voulus par Boutonnat : situer le spectateur de son film face au décor de son spectacle, de la même manière dont il a traité les spectateurs du concert par rapport à la scène qui leur faisait eux aussi face.

  

Une structure fictionnalisante

 

            Décidé à faire de En Concert un film complet, écrit, pourvu d’une diégèse, Laurent Boutonnat s’est sans doute rendu compte que ce qu’il avait appliqué au court-métrage pour réaliser ses clips, il pouvait le réinventer pour le film de son concert en s’inspirant des attributs du long-métrage. Le dispositif du concert permet d’emblée d’appliquer au film qui en sera tiré certaines de ses caractéristiques : le changement de costumes (voire de décors ou de coiffures), le découpage par séquences, la justification de la musique, et avant tout une mise en scène. Si Laurent Boutonnat a interprété la présence d’un public comme faisant du concert un spectacle hybride entre le théâtre et le clip, il a sans doute envisagé son film comme un long-métrage dont le genre[11] serait renouvelé. Investissant les mêmes moyens dans la réalisation de ce film qu’au tournage de ces petites réalisation, Laurent Boutonnat veut faire de son long-métrage une partie intégrante de son œuvre de clips, décomplexée du dispositif scénique qui bride malgré tout de manière importante la portée de la mise en scène des actions. Boutonnat dévie cet inconvénient en composant sa scène comme il le ferait pour son cadre lors de la réalisation d’un clip ; d’où l’importance d’identifier le spectateur du film au spectateur de la salle, à la différence près que le second peut, s’il le désire, profiter du hors champ du premier.

 

 

Le film de concert est vu en général comme un documentaire, retraçant en temps réel les actions contenues dans le spectacle afin d’en donner le compte rendu le plus fidèle. Il y a dans ces films bel et bien une notion de mise en scène, même de scénario, mais ceux ci sont conçus en amont et n’ont pas pour objet le film, mais son relatifs à la conception du concert en question. Pour prendre une comparaison, le film de concert pourrait s’apparenter au documentaire sur un groupe (une tribu, une association, des amis) qui donne un spectacle à un public ; le documentariste tentant de rendre au mieux la vérité par un effet de réalité. Ces films se veulent généralement le témoignage d’un spectacle, n’interférant pas dans les choix esthétiques et narratifs de celui qui l’a conçu, et livrant simplement, quitte à la commenter et y appuyer un regard, la vision que l’on doit avoir de ce qui s’est passé lors de la prise de vue.  Laurent Boutonnat étant à la fois l’unique concepteur du concert et le réalisateur du film qui en est tiré, il a choisi d’enrichir le premier par le second, en les éloignant néanmoins l’un de l’autre dans leur forme. Les moyens de tournage mis en œuvre son bel et bien ceux offerts à la majorité des films de fiction ayant un budget comparable : pellicule 35 mm; caméras Steady-cam[12], ralentis débrayables[13] et loumas à l’appui. Mais Laurent Boutonnat a avant tout modifié les plans qu’il avait pris du concert pour les inclure dans une structure fictionnalisante en direction d’un support cinématographique. Non seulement il y a inclus des scènes d’extérieur, situant la scène de concert dans un autre lieu spatial que la salle de spectacle[14] ; mais il a aussi “mutilé” le concert de deux chansons (Plus grandir et Allan) lors du montage du film. L’objet du film n’est pas le même que celui du concert. Si lors du spectacle la pièce principale reste l’artiste qui apparaît sur scène et interprète son répertoire, le film, lui, tourne autour de l’idée du concert, c’est lui l’objet capital du long-métrage. Alors reléguée par le truchement de la caméra au rang de participante au film du concert, la chanteuse n’apparaît plus en tant qu’artiste, mais en tant que personnage jouant un rôle fictionnel. L’abondance d’artifices comme les plans ralentis sur sa personne vont dans le sens de la composition d’un personnage par l’interprète, irréalisant parfois outrageusement sa prestation.

 

Le choix d’enlever deux parties du concert, à la présence pourtant justifiée dans le spectacle, s’explique de deux façons. Tout d’abord l’enjeu promotionnel étant toujours présent en 1989, deux 45 tours sortiront en extrait de l’album live du concert afin de le promouvoir. Plus grandir et Allan sont présents dans le disque qui sort dans le commerce le dernier jour de la tournée. Or le film du concert ne sortira qu’un an plus tard, Laurent Boutonnat qui a suivi de très près l’ensemble de la tournée ne se consacra au montage qu’une fois qu’elle fut terminée. Un an de montage et de mixage fut nécessaire et le film sorti en septembre 1990 simultanément en salles et en cassettes vidéo. Les passages du concert concernant les deux chansons furent utilisés à l’époque de leur sortie respective[15] dans le commerce. Alors remontés pour en faire deux clips “live“ présentant eux aussi des scènes extérieures, des ajouts de bruitages et d’effets spéciaux vinrent accompagner les plans filmés pendant le concert (voire chapitre suivant). Eux-mêmes vendus en vidéocassette peu après leur diffusion télévisée[16], l’idée de leur absence sur la cassette du concert sera sans doute venue du souhait d’encourager les acheteurs à se procurer les deux vidéos pour pouvoir jouir de l’intégralité du spectacle. La deuxième raison de “l’amputation” de Plus grandir et Allan relève du simple confort de visionnage du long-métrage. Les films de concert, déjà peu nombreux en 1989, ne sortent jamais en salles, excepté quelques-uns uns anglo-saxons réalisés sur pellicule à la fin des années 70. Afin de rapprocher En Concert d’un long-métrage habituel, le fait pour Laurent Boutonnat de retirer ses deux chansons ainsi que tous les temps morts situés entre elles (silences, certaines intros, outros, reprises et rappels…) , le ramena à une durée de une heure et trente minutes, en opposition aux deux heures un peu lourdes qu’aurait duré l’intégralité de la capture du spectacle.

 

La question du choix des chansons à retirer se pose inévitablement. Nous noterons que les deux parties soustraites à l’ensemble ont de maigres chorégraphies, Plus grandir mettant en scène deux danseuses et Allan une seule. Si pendant le concert la fadeur relative des deux chansons (pourtant assez rythmées) par rapport au reste ne choqua pas[17], leur présence dans le film n’eut pas été assez spectaculaire ou même suffisamment distrayante. Boutonnat ne pensa pas frustrer excessivement son public en omettant volontairement ces deux chansons. Celles-ci sont peu connues, et même si Plus Grandir fut un 45 Tours quatre ans auparavant. Celle-ci ne connu à lors qu’un succès d’estime et ne restait pas dans la mémoire collective comme une chanson très populaire.

 

    La cohérence entre la mise en scène du concert et les ajouts de Laurent Boutonnat, tant au niveau de l’image que celui du son, donne une autre dimension au film. On ne peut le situer que par rapport au décor perdu dans une plaine désolée, et non pas au Forest National de Bruxelles[18] avec des coulisses, des billets d’entrée et des gradins. C’est ici que réside aussi la fiction, dans l’anonymat d’un lieu qu’on remplace par un espace imaginaire. Le concert se découpe en tableaux, chacun regroupant une chanson, parfois deux. A chaque tableau correspond un dispositif d’éclairages, une panoplie de costumes, d’accessoires, et avant tout une façon de filmer. On peut comparer chacun des tableaux de ce film à une séquence dans un long-métrage de fiction, la ponctuation délimitant chacune d’elle étant ici un plan sur le public, une scène d’extérieur ou un noir. Tout au long du film le spectateur (tout comme le public dans la salle) est assujetti à la mise en scène du spectacle. Alors que Laurent Boutonnat aurait pu utiliser les plans sur certaines personnes du public comme de simples plans documentaires sur la réception émotionnelle du spectacle par le public, il les manipule pour les fictionnaliser et les replacer dans des contextes discursifs. Les ralentis qui leur sont appliqués fait ressortir leur utilisation purement sensationnelle et esthétique[19] ; et on mettra par exemple en évidence que le moment où les personnes en question sont filmées est différent de l’endroit où leur plan est monté dans le film. C’est ainsi que la fin du concert fait de surimpressions crée l’impression de personnes se lamentant sur les décombres du décor qui s’enflamme, alors qu’elles n’ont jamais assisté à cet embrasement et ne faisaient que réagir à une des sorties de scène de leur artiste.

[1] Le format 1.85 est le format d’image panoramique le plus utilisé par le réalisateur.

[2] On utilisera ici ce mot tant le monde du concert en question est différent de celui, réel, de la salle de spectacle.

[3] L’effet à l’image est celui d’un travelling circulaire, mais il s’agit en réalité d’un travelling latéral, auquel Laurent Boutonnat a appliqué de lents zooms avants et arrières lorsque la caméra s’approchait des extrémités.

[4] Scènes de préparation filmées avant le début du spectacle ou en coulisses.

[5] Musique expérimentale de chants grégoriens et de cris de nourrissons d’une durée de six minutes de Laurent Boutonnat introduisant l’ouverture du concert.

[6] Dans ce chapitre sera faite la distinction entre le spectateur du concert (représenté dans le film) et le spectateur du film de Laurent Boutonnat.

[7] Libertine (1986) n’a pourtant pas été un aussi grand succès commercial que Sans Contrefaçon (1987) ou surtout Pourvu qu’elles soient douces (1988), qui avait alors été son 45 Tours le plus vendu, mais est assurément resté le plus populaire.

[8] Mouvements de lune II, musique audible par le spectateur du concert.

[9] Le son du public est alors mixé à la musique du concert et n’apparaît sans fondu que sur les plans qu’il sonorise, c’est à dire en cut.

[10] Le concert se terminait sur un son régulier d’horloge pendant que les spectateurs quittaient la salle.

[11] Le genre étant le film de concert, nous ne le confondrons pas avec le concept du ²film-concert² évoqué dans le chapitre consacré au clip en tant que cinéma post-moderne.

[12] Caméra fixée à la taille du cadreur lui permettant de tourner des travellings d’une grande fluidité.

[13] Plusieurs caméras tournaient à vitesse triple, divisant par trois la vitesse de ralenti tout en permettant de garder la même qualité qu’en défilement de pellicule à vitesse normale.

[14] Jamais ne sera montré une paroi de la salle où fut tourné le concert, donnant un peu l’impression qu’il se déroulait de nuit en extérieur.

[15] Plus Grandir sorti déjà en 1985, mais il s’agit là de la version live, différente de la première mouture.

[16] Réunis sur une compilation de clips avec aussi Sans Logique et A quoi je Sers (1989).

[17] Alors que Plus Grandir, la deuxième chanson du concert servait à faire “monter la pression” du public avant le tableau de Sans Logique et ses dix danseurs, Allan se voulait davantage comme une pause entre un climax du concert (Pourvu Qu’elles Soient douces) et A quoi je sers, la chanson “tube” alors en exploitation sur le marché.

[18] Lieu où fut tourné le concert, deux soirs de suite, sans qu’il soit mentionné à l’écran, à l’exception d’une ligne dans le générique de fin.

[19] Les spectateurs filmés sont toujours actifs, criant, pleurant, dansant ou s’évanouissant.

 

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