Les derniers jours de tournages se passent en Seine-Maritime, et sur les
falaises d'Étretat. Au total, le film se tourne en deux fois et le tournage s'étale
d'octobre 78 à février 1979. Laurent BOUTONNAT se souviendra
d'avoir eu à développer sa pellicule noire et blanc jour après jour,
pour pouvoir continuer le tournage. L'histoire du film elle-même se construit
au fur et à mesure du tournage, qu'il adapte aux conditions météorologiques,
le film se déroulant presque entièrement en extérieur. Il gardera cette
méthode de travail chaque fois qu'il aura à tourner en extérieur dans sa
carrière. Comme dans Désenchantée (1991) et à plus forte raison dans Giorgino(1993). S'en suivent six mois de montage,
composition et mixage. Le film aura coûté au total 50 000 F apportés par
lui-même et par Les Films du Marais. Une première est organisée au cinéma Le Marais
au début du mois d'avril 1980. Certains critiques de cinéma "art et
essai" sont là. Lors de la sortie de Giorgino quatorze ans plus
tard, Laurent BOUTONNAT se souviendra de la
difficile sortie de son premier film dans les salles :
"A 17 ans, on a forcément envie de choquer les
adultes. C'était un fantasme d'adolescent que je m'étais amusé à réaliser
avec très peu d'argent. Je faisais tout : le maquillage, les costumes... Je
tournais un plan et développais la bobine le lendemain... Puis c'est devenu un
film d'une heure quinze. Je ne m'en souviens plus très bien, à vrai dire.
C'était l'histoire d'une tueuse en série qui se déguisait en clown avant
chaque meurtre... Après l'échec du film, je suis resté à demi mort."
Propos recueillis par
Juliette Michaud, Studio Magazine.
octobre 1994.
Le film est d'abord sélectionné pour le Festival de Cannes de 1979. Laurent Ce
que les 1200 spectateurs ont vu ce soir, c'est la première bobine du film, soit
approximativement dix minutes. Le public a été face à ça :
Tout
d'abord un panneau sur fond noir en écriture blanche indique au spectateur que
le film auquel il va assister est interdit aux moins de 18 ans. Toujours en
écriture blanche, en silence, vient s'inscrire à l'écran : Laurent
Boutonnat présente. L'image s'ouvre sur un escalier extérieur, vide, en
noir et blanc, filmé en contre plongée. Sur une musique expérimentale (déjà
reconnaissable de Laurent Boutonnat) au piano, un jeune prêtre aux cheveu longs
et portant des lunettes le descend (Xavier Anezo, un amis d'enfance de Laurent),
il marche dans la rue avec une dégaine un peu vulgaire et n'hésite pas à
mettre sa main sur ses parties intimes en marchant. Sur un large trottoir qu'on
devine à Paris, un homme à barbe vient lui demander du feu. Il lui en donne.
Ensuite il se dirige vers l'église pour y célébrer la messe. Une fois à
l'intérieur de l'église nous le voyons entrer dans la sacristie. Montage
évident, l'autre côté de la porte de la sacristie donne sur un pièce blanche
décorée pour l'occasion qu'on imagine aisément être la propre chambre
d'adolescence de Laurent Boutonnat ou d'un de ses camarades de l'époque. Le
prêtre célèbre l'office en présence de deux enfants de cœur, agenouillés
et nus devant l'autel de fortune. Le prêtre leur fait bientôt chanter un
psaume qui se révèle être un chant religieux passé à l'envers, symbole
évident du satanisme du prêtre. Les enfants de chœur accompagnent bientôt ce
chant au flûtiau. Comme il sont nus, le son de la flûte fait dresser le sexe
d'un des enfants de chœur en l'air qui se met à danser au rythme de la musique
! Une fois l'office terminé, les enfants
de chœur s'approchent du prêtre, se mettent à genoux et l'embrassent sur tout
le corps enveloppé de sa soutane. Bientôt c'est le prêtre qui s'asseira par
terre devant le corps nu et debout d'un des enfants de chœur, dégainera un
long couteau et se saisira de l'autre main de l'extrémité du sexe du
garçon. Le prêtre émascule les deux enfants de cœur. Il coupe le bout
du gland du premier qui souffre d'une manière... expressionniste. De
profil, on voit le gland du jeune homme tomber à terre. Un gros plan nous
montre ce qui vient de tomber à terre : une marguerite ! Le prêtre la prend
puis s'enfuit à toutes enjambées. En ressortant de l'église, il se retrouve
face à une jeune fille lui souriant, une troisième marguerite à la bouche.
Elle la lui offre. Générique. Des
zooms arrières successifs sur des peintures de crucifixion gothiques et
baroques nous sont montrées sur une musique des plus terrifiantes composée par
Laurent Boutonnat. Mouvement de lune n'est qu'une reprise de ce morceau
animal au violon et au piano qui rythme de sa sordidité les toiles en noir et
blanc sur lesquelles s'impriment en blanc les noms des acteurs du film. Un
dernier long zoom arrière est fait sur l'une de ces toiles. En lettres
gothiques minuscules, le titre du film vient s'inscrire en blanc sous nos yeux :
Ballade de la feconductrice. puis en lettres espacées : un film écrit,
monté et réalisé par Laurent Boutonnat.
Laurent Boutonnat a seize ans et décide de se lancer avec
des amis dans l'aventure d'un film expérimental qu'il voudra
"choquant". Il se procure une caméra 16mm, de la pellicule Noire
& Blanc et quelques fonds de la société de production: "Les Films Du
Marais". Le tournage démarre donc en 1978 à Paris. Il fait tout: musique, photo, production
exécutive, direction
d'acteur. Il choisit comme acteur ses camarades de court et son jeune frère Dominique
alors âgé de 8 ans pour le rôle secondaire de l'enfant épieur. Il fait appel
à Gilles MATE, un comédien de l'actor-studio peu connu
de l'époque et surtout Orit MIZRAHI (Les précieuses ridicules,
Esther) pour tenir les rôles principaux. Cette dernière était sa petite amie à l'époque, et a enseigné, suite au film, le théâtre en tant qu'assistante de mise en scène au lycée François Truffaut à Bondoufle. Il engage pour les autres
rôles des comédiens principalement de théâtre comme Anne-Marie DUBOUCHER pour la femme enceinte, Yves BOUIN pour le clochard,
Antoine THEROND pour le paralysé et Anne-Marie POL pour la sainte vierge. D'autres acteurs amateurs et amis de Laurent BOUTONNAT viendront compléter le casting : Michel SOUBRIER (l'agent
de police), Jacques BAILLON (l'homme au chien), José FUENTES (l'aveugle), puis Pascal VASSORT, Jean-Damien THIOLLIER et Thierry DELETRAZ (par ailleurs décorateur du film).
BOUTONNAT
part donc défendre son film qui n'est pas présenté en sélection officielle
mais dans la sélection parallèle Le Marché du Film. Le film y fut
très mal accueilli, il fut siffler et le jeune Laurent Boutonnat fut conspuer
par les personnes présentes. Malgré la maladresse évidente du film, il n'est
néanmoins pas utile d'en ajouter sur l'académisme presque
réactionnaire du jury du festival de Cannes à l'époque, et même encore
aujourd'hui. Le film subit une sorte de pré-censure qui le fit passer
pratiquement inaperçu. Pour envisager de distribuer son film dans les salles,
le réalisateur doit donner son film au comité de censure qui lui attribuera un
visa d'exploitation. Laurent BOUTONNAT explique en 1994 : "Il
est passé trois fois à la commission de contrôle, ce qui n'arrive jamais. La
première fois, ils voulaient l'interdire complètement, puis il est passé en
commission plénière où on a voulu le X-er. Finalement, sa sortie a été
restreinte à une salle avec une interdiction aux moins de 18 ans. J'en avais
17." Le film sort en fait le 15 mai 1980 au cinéma Le Marais et
y est exploité durant deux semaines. Cette petite salle d'art et essai,
appartenant à la société Les films du Marais qui s'est occupé du film
était une petite salle (depuis fermée) comportant un unique écran ddans le IVe
arrondissement de Paris comportait soixante dix fauteuils. Lors de la
première semaine d'exploitation (du 15/05/80 au 21/05/80), Ballade de la Féconductrice
a fait 266 entrées (environ 38 spectateurs par jours). Pour
sa deuxième et dernière semaine d'exploitation dans cette salle (du 22/05/80
au 28/05/80), le nombre d'entrées baissera à 193 places vendues (plus que 28 spectateurs
par jour). L'échec du film affectera beaucoup Laurent BOUTONNAT
qui attendait beaucoup de cette sortie en salle.
Vingt et une années plus tard le film a plus de succès que lors de sa sortie !
Applaudi par 1200 spectateurs au cinéma Le Max Linder le 29 septembre 2001 lors
d'une projection surprise, la première bobine projetée a suscité beaucoup de
réactions dans la salle. Des rires bien, sûr tant le pré-générique prête
aux grincements de dents. Il commence de manière légère et gentiment
blasphématoire pour se terminer en émasculation, ce qui refroidit
l'assemblée ! Donc le film a provoqué aussi beaucoup de réactions
différentes, ne serais ce par ce qu'on sait de lui : un tournage amateur, un
futur réalisateur culte mais encore mineur, des images en noir et blanc aux
personnages muets vieilles de 23 ans !
Ironie du sort, Laurent Boutonnat au beau milieu des années 2000 ne possèdait plus de copie 16 mm. de son film.
Comme beaucoup de réalisateur et producteurs qui n'ont pas la place nécessaire
ni les conditions pour garder avec eux les bobines de leurs films, Laurent
Boutonnat les laisse en dépôt aux laboratoires de développement, Éclair,
situés à Epinay-sur-Seine (93), où il doit être à sa disposition. Jusqu'à
ce qu'en 2004 une femme se fasse passer pour l'attachée de presse de Laurent
Boutonnat, emprunte les bobines pour le compte du réalisateur, et ne les a jamais rapportées. Cette femme a ensuite tenté de revendre cette copie 10 000 Francs (1500 €) en contactant des collectionneurs et revendeurs parisiens. Après la réalisation Jacquou
le Croquant, et s'apercevant de la curiosité croissante autour de La
Ballade, Laurent Boutonnat essaie finalement de remettre la main sur son
film et le réclame aux laboratoires Éclair. C'est seulement là qu'il
s'apercevra du vol. Laurent
Boutonnat à la recherche de son premier film. Pour en faire quoi au final ? Le montrer
à nouveau ? Le détruire ? Le garder pour éviter qu'il ne se remette à
circuler ? Mystère...
Aujourd'hui, Laurent Boutonnat aurait réccupéré les bobines de son film, et les garderait dans un endroit tenu secret. Il
existe aussi une autre copie du film sur 16 mm.
qui appartient de longue date à un collectionneur parisien.
Après la réalisation Jacquou le Croquant, et s'apercevant de la curiosité croissante autour de La Ballade, Laurent Boutonnat essaie finalement de remettre la main sur son film et le réclame aux laboratoires Éclair. C'est seulement là qu'il s'apercevra du vol.
Avec Ballade de la féconductrice, Laurent BOUTONNAT tient tout de même un record. Il est avec le réalisateur Steven SPIELBERG le cinéaste le plus jeune à avoir réalisé professionnellement un film. Alors que Laurent BOUTONNAT avait 17 ans lors du tournage de ce premier film, SPIELBERG en avait lui 13 lors du tournage de Escape To Nowhere, son premier film, bien avant Duel.