- Vous traversez une forêt, vous entendez un bruit, et quelquechose apparaît devant vous. Qu'est-ce que c'est ?
- La sainte Vierge.
Laurent Boutonnat, Écran Total - 8 octobre 1994.
J: Avez- vous voulu faire un film sur les conséquences de la guerre de 14 ? L'après...
J: La Slovaquie est issue d'un souhait de délabrement ?
LB : (rires) Qu'est ce que vous voulez dire par là ? Par rapport aux décors et tout ça ?
J : Oui, et la tension bien sûr et puis... (inaudible)
LB : En fait, c'est plus la Tchécoslovaquie dans son ensemble. On a tourné en Slovaquie en fait tout ce qui était : la neige, la montagne et par contre tous les décors naturels comme l'asile, ces vieilles rues et tout ça, c'était du côté Tchèque. Parce que c'est vrai que là bas, comme d'ailleurs dans la plupart des pays de l'Est, il y a des décors qu'on ne trouve plus ici. Justement parce qu'ils sont dans un état de délabrement incroyable. Il y a des choses superbes et on ne trouve plus ça en France. Tout est restauré ou bien, si c'est très beau à
l'intérieur vous avez tout à coup un lampadaire orange ou un truc qui ne va pas du tout. Et c'est vrai qu'il y a aujourd'hui que dans ces pays là où on retrouve des ambiances de décors et d'architectures européennes dans un état lamentable. Mais en même temps c'est superbe et j'adore ça. Les décors et tout cas...
J : Pourquoi vous n'avez vous pas situé précisément dans l'espace le lieu où l'action est censée se passer ?
LB : Vous voulez dire le situer par rapport à une ville existante ?
J: Oui, ou à une région, tout ça ?... Faire abstraction de toute notion dans les dialogues pour qu'on arrive pas à...
J : Mais le point de départ c'est quoi exactement ?
LB : Si je le savais ! (rires) Le point de départ... Au départ ça part de choses
absolument bizarres. Un producteur un jour qui m'appelle, il avait vu des clips à la télévision et m'a dit : "- J'aime beaucoup ce que vous faites..." et il me proposait de l'argent et un contrat pour écrire un film.
L'argent je l'ai jamais vu mais peu importe (sic). En tout cas cette chose a fait que ça m'a excité et avec un ami qui est devenu le co-scénariste de ce film qui s'appelle Gilles
LAURENT, j'ai ressorti un très vieux projet que j'avais écrit à l'âge de 18 ans qui s'appelait déjà
Giorgino mais qui n'a rien n'a voir au final avec le film qui existe maintenant. Et j'avais fait lire ce script en lui disant : Voilà j'aimerais bien
remanier ce script qui était écrit à l'âge de 18 ans qui était un peu simple et pas très élaboré. On est reparti de cet ancien projet, j'en ai gardé certainement l'essence, le phantasme, le truc qui excite un peu l'imaginaire quand on a envie de faire un film. Et après vous dire comment c'est né.. c'est très étrange... (silence) De quoi naissent les histoires ? c'est très difficile. Jamais je ne me suis dit par exemple "je vais raconter l'histoire d'un type qui va faire ceci pendant la guerre". Pas du tout. Ca part au départ d'envies. vous savez par exemple vous avez envie de neige, vous avez envie de tempête, vous avez envie de vieilles maisons, vous avez envie d'amour, vous avez envie de violence... je crois que les films partent de ça au départ, avant même de devenir une histoire. A partir du moment où on
conçoit l'histoire... Alors souvent on vous prend pour un fou quand vous dites "au départ j'avais une envie de..." (rires) et puis il y a des choses que je peux pas vous dire parce que c'est tellement exagéré que ça serait...
J: Et le premier Giorgino, ça racontait quoi ? Vous aviez écrit quoi ?
LB : Alors le premier Giorgino était une histoire en fait très simple. une histoire d'amour entre un homme et une femme. Et c'était un huis-clos entre ces deux personnes dans une maison, et en fait c'était une espèce de ... appelons ça un film de terreur un peu psychologique. Tout le film, cet homme passait de l'amour fou et du désir pour sa femme à une peur panique de sa femme. C'est à dire que tout ce qu'il aimait chez elle devenait un objet de terreur et se finissait dans un drame terrible. Et on ne savait jamais si cette femme devenait vraiment monstrueuse ou si lui devenait fou. Bon, je vous le raconte mais c'est un truc que j'aimerais bien faire un jour...
J: Ca tourne toujours autour de la folie vos sujets non ?
LB : Ah ? Et bien peut-être oui... C'est peut-être pas la folie... Enfin la folie fait partie de ça mais il y a deux choses en fait. J'ai du mal à analyser ce que j'aime, c'est toujours un peu dur mais c'est l'équilibre, plus que la folie. C'est l'équilibre qu'il y a entre la réalité et l'à côté de la réalité. Et souvent quand on regarde les choses un tout petit peu de côté, ça fait peur, ou on parle de folie... vous voyez ? C'est la folie qui est la frontière de ce qui est l'anormalité et la normalité.
J: Quand même ce qui est étonnant c'est quand le producteur vous appelle en vous disant "je vous propose un film" et qu'automatiquement vous avez la réaction "je sors un vieux scénario, il s'appelle Giorgino". Pourquoi vous avez eu le besoin de ressortir ce scénario écrit a 18 ans ?
LB : Et bien parce que c'est une idée que j'aimais bien au départ, et puis j'avais pas 40 projets sous le bras parce qu'il faut dire que
Giorgino était écrit il y a 7 ans, 8 ans ! Enfin... la première mouture, ca a été retravaillé depuis. Et puis au départ il m'a dit "est ce que vous avez un projet à me montrer tout de suite ?" donc moi j'ai sorti ce vieux projet que j'avais et dont j'aimais bien l'idée en tout cas. Alors je pense que de ce premier projet sont restés des éléments sur effectivement la folie, le
rêve et la réalité, l'amour et la terreur. Enfin des choses comme ça quoi... Et c'est devenu
complètement autre chose. Et par quelle magie j'en sais rien...
J: C'est le seul projet dans les cartons ou il y en a beaucoup d'autres ?
LB : Non, j'avais écrit un autre script, j'avais cet âge là à peu près. D'ailleurs c'est marrant ce que vous dites parce que c'était une espèce de grande histoire familiale terrible, terrible (rires). Et je ne me souviens plus du détail de cette histoire mais je pense que ce premier
Giorgino et cet autre script mis ensemble, ce n'est pas Giorgino du tout mais ça a quelque chose à voir dans certaines choses
sûrement. C'est ça qui fait que finalement il y a des choses qu'on est obligé de faire dans la vie, qui sont
nécessaires. Et je ne sais pas pourquoi. Parce que ce film, ça a été dextrement
dure à monter, parce que personne n'en voulait. Enfin, ce n'est pas que personne n'en voulait mais
financièrement ça faisait peur, le sujet faisait peur.
J : Donc le premier producteur qui vous a contacté n'était pas preneur ?
LB : Je suis resté assez longtemps avec lui, et il me disait "on va le faire, on va le faire... " et il ne le faisait jamais... Alors on faisait des études
financières, on faisait des préparations, on faisait des repérages, on faisait des tas de trucs comme ça et ça
traînait toujours. Alors comme moi je n'avais pas d'urgence à l'époque -parce que comme je travaillais avec Mylène, j'avais un travail fou avec les disques, les clips, les tournées etc...- je voyais pas l'urgence de tourner. Ca se reportait, je faisais : "- Bon ben là il y a une tournée alors je ferais ça l'année prochaine". Et en fait un jour ce producteur, alors que tout était prêt, chiffré... ne se décidait toujours pas à produire. Alors là je l'ai quitté parce que je me suis
aperçu qu'il ne voulait pas ma lâcher en fait, mais il ne voulait pas produire le film. Quand vous quittez un producteur sur un film aussi lourd, important, vous ne changez pas de producteur comme ça. Donc après j'ai travaillé sur d'autres projets parce qu'on me disait "- Oui, mais fais un film plus simple d'abord, un peu moins cher, et ensuite tu vends ton film, le film que tu as envie de faire..." Alors à la fin vous baissez les bras vous dites "Ah ben oui, c'est pas possible, donc c'est pas possible." Donc j'ai travaillé sur d'autres projets, des adaptations de livres d'ailleurs. Et en travaillant sur d'autres projets, je revenais toujours dans les mêmes émotions, les mêmes univers, c'était toujours... Et jusqu'au jour où quelqu'un m'a dit "- Mais tu as un film qui est écrit, pourquoi tu ne le fais pas ?" Et le fait de me dire ça tout d'un coup, je me suis dit : "Mais oui, pourquoi je le fais pas ? Je vais le produire moi même."
J: Oui, c'est ça, vous l'avez produit vous même...
LB : Oui, Ca n'a pas été simple mais je me suis dit je vais le produire, je vais aller voir des gens. Et donc après un an d'aller retours un peu partout j'ai réussi à monter ce film avec le concours de Polygram. Enfin tout ça pour vous dire qu'à un moment c'est
nécessaire. Je ne sais pas comment vous le dire mais il y a des choses qu'on doit faire et on doit passer par là. Je ne sais pas quel sera l'avenir de ce film et comment ça va se passer mais voilà.
J : Et pour vous, dans vos idées de départ, Mylène Farmer a toujours été Catherine ? Vous deviez
faire un film avec elle ?
LB : Je ne peux pas vous dire oui comme ça, je ne peux pas vous répondre non non plus. Mais il y a eu un tel travail en commun pendant des années que il n'y a pas un moment ou je me suis dit "- Tiens, ça va être Mylène qui va faire ce rôle", et non plus je l'ai écrit pour Mylène". Donc la question ne s'est pas vraiment posée en fait. Elle faisait partie de ce projet comme elle fait partie d'une grande partie de ma vie, comme dans le travail, comme dans... Et puis au delà de ça, je pense que ce rôle est vraiment pour elle, même si je pense qu'il n'a pas été écrit au départ pour elle; Même si j'en suis le co-scénariste donc il y a forcément à voir avec ça (rires). Je ne vois pas quelqu'un d'autre quoi.
J : Et pourquoi vous pensez que c'est pour elle ? Qu'est ce qui vous fait penser ça ?
LB : Parce que c'est ce type de personnage comme ça, c'est quelque chose qui est proche d'elle dans ses perceptions des... Elle n'est pas comme ça dans la vie bien sûr, c'est un rôle, elle joue mais je pense qu'il y a certaines... Enfin je dis ça, j'en sais rien ! Elle fera peut-être une comédie !...
J : Mais vous l'avez senti comme étant... (Laurent acquiesce) Alors qu'est ce qui fait que vous l'ayez senti comme étant elle ?
LB : Ce n'est pas comme étant elle. Je pense qu'elle est beaucoup plus sensible, donc beaucoup plus proche d'elle pour
interpréter un rôle comme ça.
J : Quels sont les éléments du rôle qui sont proches d'elle ? Sa vie ?
LB : Ce n'est pas la vie, c'est pour ça que c'est difficile à exprimer parce que "dans la vie" non. Elle n'est pas comme ça dans la vie Mylène, elle n'est pas... Quoi que... (rires). Je pense qu'il y a des points communs, c'est ce rôle. Enfin vous verrez avec elle tout à l'heure, elle vous dira peut-être "non, mais ça n'a rien à voir avec moi, j'ai fait mon travail." Je pense avoir avec elle par rapport à la sensibilité, par rapport à l'intérêt et la fascination qu'elle peut avoir pour une certaine folie, pour l'enfance. C'est ça quoi : l'enfance, le monde
intérieur et tout ce qui a trait à ça : des rêves aux cauchemars les plus terribles, aux peurs de l'enfance, à la folie de l'enfance, à l'autisme peut-être aussi...
J : Est-ce qu'on soigne toujours les malades comme dans votre film ? Jusqu'en 14, on l'a fait ?
LB : Alors jusqu'à quand exactement... Ce qui est intéressant dans cette période de l'histoire, c'est que ça a été un peu la charnière du XXe siècle cette guerre. d'un côté il y avait un
progrès qui commençait à arriver avec l'électricité, avec les prémices de la psychanalyse, mais la psychiatrie : c'était le XIX e siecle ! Vraiment ! Alors jusqu'à quand ça a duré je ne sais pas, c'était peut-être encore le cas en 25, en en 30, j'en sais rien ça jusqu'à quand ce type de méthode s'est arrêté. En tout cas les douches froides ça existe encore mais plus dans des baignoires avec des... Mais ça existe encore. La façon dont on traitait les fous et la façon dont on les soignait était
extrêmement barbare. C'est pour ça que c'est curieux cette période. Mais enfin bon l'électrochoc
commençait à arriver, c'est quand même pas plus... C'est moins sale si vous voulez... Mais c'est quand même...
J : Qu'est ce que vous avez lu comme livres documentés là dessus ?
LB : Pour ce film je n'ai pas lu spécialement des choses mais dans ma vie je me suis beaucoup intéressé à la psychiatrie, à la psychiatrie enfantine, à la
psychanalyse, à plein de choses. Mais pour ce film, je ne me souviens plus des livres que j'ai lus. Je ne me rappelle plus des titres, mais j'ai lu un livre sur la folie pendant la
guerre de 14-18, et sur l'énormité de la folie déclenchée par la guerre. Les
hôpitaux c'était effrayant ! C'était plein de gens qui devenaient fous à cause de la guerre, mais beaucoup plus qu'à la seconde guerre mondiale. Des vrais cas de folie, des gens qui pêtaient les plombs à cause de la guerre. Il y avait des psychoses et des paranoïas terribles. Je le comprends parce que c'était une guerre en plus... C'était la dernière guerre
moyenâgeuse. Bien sûr que toutes les guerres sont des horreurs mais la guerre de 40 était "un peu plus propre" alors que la guerre 14-18 c'était terrible.
J : Et le choix de l'acteur américain ? (Jeff Dahlgren NDDr.J) Comment l'avez vous choisi ?
LB : En fait c'est un casting. A un moment donné, comme ce film s'est monté d'une façon très bizarre financièrement -c'est à dire qu'il ne correspond à aucune logique économique du cinéma actuel en France- parce qu'il a été entièrement financé par Polygram et par moi-même, sans aucun autre partenaire, à part Canal plus. Donc, comme il n'y avait plus d'obligation qui sont d'avoir une star ou un nom connu dans le rôle principal, je me suis dit "je vais vraiment" chercher le rôle. A partir de là on a fait des castings en France, en Angleterre et aux
États-Unis, et c'est lors d'un bout d'essai aux États-Unis avec une quinzaine ou une vingtaine de jeunes acteurs américains, on a fait passer des bouts d'essai. En revenant à Paris j'ai regardé ces bouts d'essai et là Jeff m'a... c'est incroyable ! Alors qu'il ne m'avait pas du tout impressionné pendant les bouts d'essai mais en le revoyant en vidéo, il était très sobre. Alors que les autres acteurs étaient très à l'américaine vous voyez ? Ils étaient au bord des larmes, ils faisaient des gueules et tout, lui rien. Et je l'ai revu en vidéo et tout d'un coup, là... il n'y avait que lui, une espèce de photogénie.
J : Il a fait d'autres choses avant celà ?
LB : Non, il est vierge. C'est quelqu'un qui est totalement vierge. Sauf bien sûr, il a fait du théâtre, il a fait ce que font tous les jeunes acteurs américains, c'est à dire un peu de tout, je crois de la musique... Je crois même qu'il était dans un groupe punk-rock, et il a fait un peu de théâtre à New-York, je crois qu'il a fait des pubs, il faisait un peu de tout pour vivre... Mais c'est tout, c'est le premier gros truc qu'il fait dans sa vie.
J : Et en face de lui vous avez des grands pros comme Joss Ackland, Frances Barber. Comment ça se passe avec eux alors ?
LB : Ca s'est très bien passé. Bon... après il y a des acteurs qui sont plus emmerdants que les autres (rires) vous voyez ?
J : C'est à dire ? les noms ! (rires)
LB : Oh je dirais pas de noms. Je pourrais vous en donner mais c'est pas très intéressant. Vous avez deux types d'acteurs : Vous avez effectivement des acteurs qui sont des vieux pros mais dont certains sont extraordinaires. Par exemple Louise Fletcher (Armelle l'aubergiste NDDr.J) elle est extraordinaire. Cette femme qui a
une carrière, qui pourrait faire chier et caetera, c'est un bonheur pour un réalisateur. Elle se laisse guider, elle se laisse
complètement aller, elle ne discute pas, elle propose des choses quand elle semble... et souvent c'est très juste. Et ça c'est vraiment un
bonheur : Quelqu'un qui ne cherche pas à avoir des explications rationnelles précises, elle se laisse guider. A la limite elle pourrait travailler son script je pense. Et ça c'est un bonheur. C'est le cas de Mylène et de Jeff qui eux sont tous frais, ils se laissent guider. Et ça c'est la plus grande qualité pour un acteur : se laisser guider, parce que même si ils connaissent leur rôle ou qu'ils savent ce qu'ils font ils ne peuvent pas vraiment le savoir et la seule personne qui peut le savoir je pense c'est le réalisateur. Parce qu'on peut mentir aux acteurs, on peut leur faire lire un script, changer tout au dernier moment, donc il faut qu'ils se laissent guider.
Et puis vous avez d'autres types d'acteurs... comme Joss par exemple (rires) (l'abée Glaise NDDr.J), qui est formidable au demeurant, même Frances qui est une actrice que j'aime beaucoup, qui fait la bonne, qui sont des gens qui sont difficiles mais pas dans le mauvais sens. C'est à dire qu'ils ont besoin de discuter. Tout le temps. Et pour une raison, c'est que je pense qu'ils se font leur propre mise en scène du role. Et en général ils ont tout faux parce qu'un acteur se fait toujours une fausse représentation de lui même et de son rôle. Je pense que les acteurs ne peuvent pas vraiment percevoir -même s'ils pensent le percevoir- ce qu'ils sont et ce qu'ils vont être dans un film. Alors se mettre en scène tout le temps, s'imaginer... Joss Ackland par exemple : pour moi ça a toujours été dans ce film un curé de campagne simple, plein de bon sens, simple. Et je pense qu'il a toujours pensé -et il le pense encore- pendant ce film, qu'il était un mec vachement intelligent, vachement intellectuel, très "pasteur
protestant" vous voyez ? Alors que c'est ça que j'aime bien chez lui et dans ce rôle, c'est ce côté bonhomme, un peu à côté de la plaque, mais touchant, humain.
J: Oui, vous avez réussi à lui tirer ça quand même, je trouve...
LB : Oui, oui, mais c'est pour vous dire que c'était pas simple tous les jours.
J : Et Jean-Pierre Aumont ? C'est vous qui l'avez souhaité Jean-Pierre Aumont ? (le Docteur Degrâce NDDr.J) C'est sa voix à Jean-Pierre Aumont ou il a été doublé ?
LB : Ah oui, Jean-Pierre Aumont je l'ai voulu, il est incroyable ce type ! Il a été doublé en anglais oui...
J : Ah c'est pas lui ? Pourquoi vous l'avez doublé parce qu'il aurait pu le faire en anglais...
LB : Le seul problème, c'est pour une raison d'accent. Il parle très bien l'anglais Jean-Pierre mais il a un accent très français. Or, c'est tout le problème des versions anglaises quand on est avec plusieurs acteurs de différentes nationalités, c'est l'accent. Et pour qu'une histoire soit crédible, autant ça ne me choque pas des français ou des gens qui ne sont pas
anglo-saxons, mais pour des gens anglo-saxons, avoir un film où les gens du même village parlent avec des accents différents... Vous avez Louise Fletcher avec un accent américain, les femmes du village avec un accent anglais, Jeff avec un accent américain, Mylène avec un accent "mid-altantique" comme on dit, c'est un peu américain un peu anglais vous voyez, on ne sait pas...
J : Alors vous avez doublé tout le monde ?
LB : Non, mais il y a eu un travail sur le tournage avec un coach (Louise Vincent, par ailleurs la femme de la fondation Roux NDDr.J) qui a essayé d'aligner les accents. C'est à dire que les américains ne soient pas trop américains, que Jeff ne soit pas trop (il fait un charabias avec l'accent américains), que Louise Fletcher... En fait ils viennent de Los Angeles Jeff et Louise Fletcher, donc ce sont des accents assez clairs, ce sont des accents du cinéma américain des années quarante, c'est à dire qu'on comprend tout. Ce qui était le plus compliqué c'étaient les anglais, qui eux ont des accents très prononcés donc il a fallu les "neutraliser".
J : Alors évidemment vous avez du doubler la voix de Jean-Pierre Aumont. Il y en a d'autres ?
LB : Il y a Jean-Pierre Aumont et il y a plein de petits rôles qui étaient Tchèques, quelques rôles français et même une actrice anglaise qui a été doublée, parce qu'elle avait un accent qu'elle tenait et qu'elle ne pouvait pas enlever.
J : C'est quand même international comme casting...
LB : Oui, américain, tchèque, français, anglais... Mais ça j'aime bien. Mais Jean-Pierre Aumont est incroyable comme type, incroyable... il est incroyable ! C'est un monsieur qui a pas loin de 85 ans je crois, pas loin, 83 ou quelque chose comme ça. Et il a une magie, dans ce film, il a l'air totalement dans un autre monde.
J : Ca n'a pas été trop dur le tournage pour lui parce qu'il y a certaines scènes qui sont... quand vous le jetez dans l'eau...
LB : Non, ça n'a pas été facile parce que, quand même, toutes ces scènes extérieures
dans la neige... On avait quand même souvent -20°C, entre -10 et -20 souvent le matin, ça se levait un peu après mais il ne bronchait pas quoi, il était assez incroyable. Alors on le mettait avec des grosses couvertures des trucs comme ça, entre deux prises... (rires) Je pense qu'il a du souffrir mais en même temps il ne le marquait pas. C'est ça qui a fait qu'on était dans un autre monde.
J : Une dernière question pour Laurent, une question purement technique : Est ce qu'il y a une
symbolique dans la scène finale où le cheval va boire l'eau bénite ?
LB : Oui. Enfin sûrement. Je ne suis pas toujours très
conscient de mes symboles vous savez... Ce qui était important pour moi à la fin, c'était la solitude de ce cheval les yeux bandés dans cette église. C'est marrant que vous me posiez cette question parce qu'il y a un technicien Tchèque -ça ça m'avait impressionné- qui m'avait posé cette question car ça l'avait choqué. Vous savez ils sont très catholiques. Et ce n'est pas que ça les avait choqué mais il voulait savoir. Il voulait comprendre. Et ce que je lui avait dit à l'époque, c'est que le fait que ce cheval boive dans le
bénitier à quelque chose à voir pour moi avec une lueur d'espoir, quand même. Mais après on peut broder des heures sur le fait que ce soit un
bénitier, de l'eau bénite... A la limite vous, vous pourriez en parler des heures. Moi aussi, mais c'est très difficile pour moi de vous dire...
J : Un cheval noir, de l'eau bénite... Vous l'avez fait dans quelle volonté ?
LB : Vous voulez dire une volonté de choquer c'est ça ? (rires)
J : Non, justement, parce que c'est quand même la scène finale du film. Vous savez pertinemment que ça va faire parler.
LB : C'est l'épilogue. (long silence) Que voulez-vous que fasse ce cheval devant un Christ sans tête, avec les yeux bandés ?
Il lui reste plus qu'à boire l'eau... C'est la seule chose vitale, c'est pour ça que je dis que c'est la vie qui reste. C'est la seule chose qui va lui
permettre de vivre encore quelques heures.