L'Inedit 3

Septembre 1994. Après la projection de presse, Laurent BOUTONNAT, Jeff DAHLGREN avec l'aide d'un interprète et Mylène FARMER donnent les uns après les autres une interview au mensuel français Nostalgie et au journal "L'Est Républicain".  L'entretien a lieu dans un restaurant. Un homme et une femme questionnent à tour de rôles Jeff Dahlgren sur le film, son rôle dans Giorgino et ses attentes.

Ce transcript a été fait avec la plus grande fidélité possible à partir des bandes sonores analogiques de l'enregistrement de l'interview,  la traduction originale étant parfois approximative car réalisée sur le vif, la plupart des propos de Jeff Dahlgren ont été retraduits lors de la retranscription de l'interview par le webmestre. Celle-ci n'a jamais été diffusée, jamais été retranscrite nulle part. Certaines copies circulaient toutefois depuis 7 ans ailleurs, dans les mains de certains fans de Mylène Farmer.  Cette interview en ligne depuis le 27 février 2003 est une exclusivité.

"Lorsque j'ai fait des bouts d'essai il irradiait l'image. C'était incroyable. C'est quelqu'un qui porte l'enfance en lui, vraiment, il l'a porte dans les yeux. Il est blessé, et très étrange dans la vie, très secret aussi."

Laurent Boutonnat, à propos de Jeff Dahlgren

Écran Total - 8 octobre 1994.

 

 

J: Avez-vous été dépaysé par le tournage vous qui vivez à New-York ?

JD: Les montagnes de Slovaquie sont très belles, Prague aussi est très beau

J: Étiez-vous déjà venu à Paris avant le film ? Pour un film ?

JD: Juste pour me balader, j'avais des copains ici et j'ai l'opportunité de venir.

Tournage des extérieurs de GiorginoJ: Est-ce que vous connaissiez Mylène Farmer avant de faire ce film ?

JD: Avant le film non. Mais je connaissais des gens qui avaient entendu parler d'elle, je suis allé les voir ils connaissaient sa musique et surtout ses clips. J'ai ensuite écouté sa musique et regardé ses clips et ai été très impressionné par ce que j'ai vu. Maintenant je la connais (rires)

J: Il parait que vous faisiez partie d'un groupe punk ? (le journaliste prononce pounk) C'était quoi ?

JD : C'est un groupe qui était basé à Los Angeles et qui se nommait Wasted Youth (traduit par la traductrice par "Les jeunesses gâchées").

J: Vous faites toujours partie du groupe ?

JD : Je pense qu'il continue oui. Je 'ai plus de nouvelle je n'ai pas gardé de liaison avec le groupe.

J: Est-ce que le fait d'avoir joué du punk rock vous a servi dans votre jeu d'acteur ?

JD : Oui, dans le sens ou jouer est une forme artistique entre jouer de al musique et au théâtre, ce qui m'a aidé. J'ai aussi pris des cours de théâtre, dans un sens ça m'a aidé.

J: Comment avez-vous été choisi par Boutonnat ? Est-ce que vous le savez ?

JD : On s'est rencontré à Los Angeles au cours d'un dîner avec des amis, je suppose qu'il a  dû me regarder, on n'a pas du tout parlé du film. Ensuite il m'a appelé à Los Angeles en me demandant de venir faire des essais, ce que j'ai fait. Il est complètement barjot ce mec là (rires) Ensuite il m'a juste rappelé pour me dire que c'était moi qui avait le rôle.

A ce moment là, un des journalistes, sceptique, fait appel à Laurent Boutonnat assis à une table voisine pour lui demander des détails... Passage inaudible.

J: Je voudrais savoir quel est votre cinéma préféré, quels genres ?

JD : Les films sombres. J'aime beaucoup ceux avec Steeve McQueen vous savez, avec James Dean aussi. Un de mes films préféré est Reservoir Dogs. J'ai une face sombre en moi, et beaucoup des réalisateurs que j'affectionne ont cette même face ténébreuse; ils utilisent des acteurs qui ont en général une vraie présence. Ils montrent quelque chose qui pour moi relève du pur spectacle.

J: Aimeriez-vous faire partie d'un film de réalisateur relevant des nouveaux courants, comme Kalifornia, True romance ?

JD : C'est une question difficile, je ne peux pas répondre par oui ou par nom. Kalifornia par exemple n'est pas le meilleur film avec ce que j'appelle une face sombre ("Dark side" nla).

 

J: Vous aimez Quentin Tarantino ?

JD : J'aime beaucoup son cinéma, surtout Bad Lieutenant. (réalisé par Abel Ferrara NDLR)Ce sont pourtant des films que la plupart des gens ne veulent pas voir. J'apprécie vraiment les films qui provoquent ça.

J : Mis à part ces films là, il vous arrive de voir ceux d'autres auteurs ? Comme ceux qu'aime Mylène Farmer ?

JD : Oui, par exemple elle m'a fait voir Le Piano (La leçon de Piano de Jane Campion ndla). C'est vraiment un film magnifique je trouve. Je l'aime vraiment beaucoup, le jeu de l'actrice notamment. C'est ce qui m'intéresse dans le jeu : faire une vraie composition.

J: Comme quels autres acteurs ?

JD : Michele Pfeiffer par exemple. 

J: Et Mylène Farmer en tant qu'actrice ?

JD : Je trouve qu'elle est douée, elle a le talent, elle n'a pas de stéréotype dans son rôle, ce qui est le défaut de beaucoup de jeunes actrices.

 

Des personnes arrivent pour faire signer des autographes à Laurent Boutonnat, Mylène Farmer, et Jeff Dahlgren. Coupure brutale de l'enregistrement de  l'interview.

reprise.

J : vous avez dû vous questionner énormément sur le fait qu'on fasse appel à vous, un acteur de théâtre américain, pour jouer dans une super-production française ?

JD : Ce n'est pas tant la provenance qui m'a supris, c'est le fait de m'avoir choisi moi ! C'est pas la France qui m'attirait c'est le script !

J: Que saviez-vous de la guerre de 1914 avant de commencer le film ? 

JD : Avant de tourner le film, on n'a pas étudier énormément cette guerre à l'école, je n'en savais rien. quand j'ai eu le rôle alors là oui je me suis renseigné, je suis allé à la bibliothèque de Los Angeles et j'ai lu beaucoup de livres, j'ai étudié pas mal la période. Puis quand je suis arrivé en France j'ai lu un peu plus et j'ai vu pas mal de film sur la guerre 14-18.

Laurent Boutonnat et Jeff Dahlgren pour la séquence de la baignoireJ : Quel genre de films ?

JD : Beaucoup de documentaires. Je me souviens plus des titres, je en parle pas français et je n'arrêtais pas de changer de cassettes, d'avancer, de reculer la bande...

J: Après avoir joué dans un groupe Punk aux Etats-Unis, le statut de Mylène Farmer et sa musique ont dû un peu vous déstabiliser ?

JD : Depuis que je suis en France, pour la promotion, j'ai entendu beaucoup de groupes qui jouent comme nous aux Etats-Unis, en tout cas le même style de musique. Je ne veux pas dire que les américains font des choses que les autres plagient, mais par exemple il y a des chansons que Laurent à écrites pour Mylène que j'aime beaucoup. Mais dans les groupes français il y a F.F.F. que j'ai découvert et qui font des choses qui sont très proches de celles que font les américains. Mais apparemment les musiques françaises et américaines sont totalement différentes les une des autres.

 

J : Qu'est ce qui était le plus difficile sur le tournage ? les conditions climatiques ? la neige ? ou la tension morale ?

JD : (hésitation) Moralement je n'ai pas trouvé ça tellement dur, d'autant plus que je trouve plusieurs parallèles entre ma personne et Giorgio. En revanche ce qui a été beaucoup plus dur c'est physiquement, parce qu'il faisait quand même très froid, parfois -20°C. C'est dur quand on ne va pas bien physiquement, d'avoir l'air naturel. Maintenant je n'ai plus aucun problème ni avec le film ni avec le personnage.

J : Qu'est-ce que vous pensez de l'hyper-romantisme de votre personnage ? 

JD : C'est son côté enfant, et surtout toute cette naïveté qui le rendent si romantique. Je pense que quand on est naïf comme cela, c'est ce qui donne l'impression de romantisme à ce point. Giorgio ne se voit pas du tout comme ça, mais il se trouve qu'il tombe amoureux et que ça se passe d'une manière forcément plus romantique.

 

J : C'est quand même un enfant Giorgio, mais qui a connu les horreurs de la guerre...

JD : Giorgio est un jeune homme qui a grandi plus vite qu'il n'aurait dû. Son côté enfant lui vient du fait qu'il a travaillé avec des enfants. mais c'est un homme parce qu'il est médecin et avant tout parce qu'il a combattu, qu'il a fait la guerre. S'il n'y avait pas eu la guerre, il s'amuserait avec les enfants, jouerait avec eux. C'est en ça qu'il ne peut pas croire ou avoir la foi en autre chose, c'est un type bien.

J : Vous aimez vraiment beaucoup votre personnage ! (rires)

JD : Au début, à la lecture du scénario, ce qui m'a intrigué c'est l'ambiance générale du film que le personnage de Giorgio lui-même. Ensuite je me suis davantage impliqué dans ses sentiments.

J : Quelle est la scène que vous préférez ?

JD : D'abord la scène du marais, quand Catherine me jette dans le marais, puis la scène dans l'asile avec la douche, ou je la sors de là. Et puis la séquence du début dans l'auberge avec Louise Fletcher. J'ai beaucoup aimé tourner avec elle. Mais j'ai aussi beaucoup aimer tourner les scènes d'intérieur de l'église avec Joss (Ackland - l'abbé nla). Puis bien sûr avec Jean-Pierre (Aumont - Sébastien ndla) qui est un type superbe, je ai beaucoup aimé travailler avec lui, ce fut un très grand honneur, il est grandiose comme homme.

 

 

J: Vous le connaissiez de sa carrière américaine Jean-Pierre Aumont ? Enfin vous êtes trop jeune pour leurs sorties en salle, mais est ce que vous avez vu certains de ses films à la télévision ?

 
JD : Oui oui, mais je ne me souvenais pas de son nom. Quand j'ai été à la MGM (studios Métro Goldwyn Mayer ndla) j'ai vu plusieurs de ses films. Et sur le tournage il m'a raconté plusieurs anecdotes qui lui sont arrivé lorsqu'il était encore sous contrat avec la MGM. En jeune premier il était très très bien. Je me souviens il avait une telle présence lorsqu'il arrivait sur le plateau, c'était très impressionnant. Sur Giorgino j'ai appris plus de lui que de n'importe qui d'autre.

J : Quels autres acteurs américains ou autres avaient pour vous une telle présence, que vous admirez ?

JD : Steve McQueen, Paul Newman dans Hustler (L' Arnaqueur ndla) avec Jackie Glisson, Robert Redford, James Dean dans Giant. Vous êtes certainement plus experts que moi en la matière mais ce que j'aime retrouver dans les films, ce sont les côtés sombres que j'ai en moi. Toute l'angoisse qu'il y a dans un film, j'adore ça.

J : Est ce qu'on peut vous demander votre âge et si vous avez fait votre service militaire ?

JD : 29 ans. Je n'ai pas fait mon service militaire mais ça n'est pas obligatoire aux Etats-Unis Dieu merci ! (rires) Non merci (en français ndla).

J : C'était vraiment un rôle de composition alors. C'était la première fois que vous portiez un uniforme ?

    JD : Oui.

 

 

J : Vous avez gardé l'uniforme que vous portiez dans le film ?

JD : Non, il doit être quelque part, mais justement ça me rappelle qu'il me reste quelque chose à faire ! (rires) Je vais peut-être aller le récupérer cette après-midi c'est une bonne idée. En revanche j'ai gardé quelques petites choses du tournage, comme par exemple mes chaussures, elles étaient devenues confortables après les avoir portées cinq mois. Je n'ai pas pris le chapeau, mais par contre j'ai pris un des dessins d'enfants qu'on voit dans le film. J'ai aussi gardé une carte postale que Frances (Barber, Marie la bonne ndla) m'a donnée lorsqu'elle a eu fini de tourner son personnage, avant de repartir. Au début du tournage j'étais content de porter un chapeau. Mais au fur et à mesure je m'en suis lassé et j'ai été content de le perdre ! (rires) Je ne parle pas du personnage là mais de moi, j'avais vraiment perdu le chapeau !

J : Avec le physique que vous avez, ne vous as t'on jamais proposé de rôle de Christ ?

JD : Non mais j'aimerais bien ! (silence) J'aime beaucoup votre question. (re-silence) merci.

J : Vous croyez en Dieu ?

JD : Je crois que Jésus Christ a existé à un certain moment, mais le pouvoir suprême non, je ne sais pas. Personnellement, il m'est difficile de croire ce que je ne vois pas. Je suis désolé si ça offense qui que ce soit.

J : Je peux vous inviter à Nancy si vous voulez, parce que tous les ans il y a Le Théâtre de la Passion, si ça vous intéresse...

JD : merci, merci. (en français)

J: Avez vous des projets importants après la promotion ?

JD : Il y a quelques petites choses oui, j'en parle avec des gens mais comme rien n'est décidé pour l'instant je ne peux rien confirmer...

 

 

J : Et dans les comédiens de votre génération, il y en a certains avec qui vous aimeriez jouer, vous nous avez parlé de Paul Newman... ?

JD : Non, personne particulièrement.

J : Et vous avez des amis comédiens, que vous fréquentez ?

JD : Non je ne sors pas beaucoup, si c'est pour aller en boite avec Johnny Depp ou Brad Pitt et Gary Oldman ça ne m'intéresse pas ! Ce n'est pas mon truc. La plupart du temps je reste chez moi à bosser sur ce que je dois travailler.

J : vous faites partie d'une famille d'artistes ?

JD : Non pas du tout, mon père et ma mère ont dessiné un petit peu mais pas grand chose. Ma mère a été dans la télévision, puis elle a travaillé dans les affaires, elle était vice-présidente à la MGM. Et je trouve ça fou d'utiliser un nom pour passer comme ça en force quelque part. Ce n'est pas mon mode de pensée.

J : Vous préférez la musique ou le cinéma maintenant que vous avez goûté au deux ?

JD : Je pense que c'est deux forme d'expression artistique très différentes. La musique donne la possibilité d'être plus véritable selon soi, selon ce qu'on a envie de faire; mais on a aussi besoin d'être dirigé, d'être produit. Laurent a été très attentif a tout cela et s'il me demande de m'impliquer davantage dans notre collaboration, cinématographique ou musicale, je serais là. Laurent m'a été d'une aide énorme, il a cru en moi, m'a même fait croire en moi ! Pour mon premier film, il m'a beaucoup aidé et je ne le remercierai jamais assez que tout ça soit possible. Je lui serais reconnaissant à vie. 

L'aide de Mylène m'a été précieuse également. Quand je commençais à m'affaler, à ne pas aller très bien elle me remettait debout. Bon, elle aussi c'était sa première vraie expérience mais elle était déjà dans le circuit depuis des années. Mylène et Laurent sont des gens très forts. Au début j'ai pensé que Laurent était complètement barjot de me choisir pour le rôle. Mais ensuite il m'a dit qu'il m'avait choisi entre autres pour prouver quelque chose à l'intérieur de l'industrie du cinéma français. Je suis très heureux qu'il ai fait ce choix mais au départ j'ai réellement cru qu'il était fou.

 

 

J : Qu'est ce qui vous a poussé à devenir comédien ?

JD : J'avais des ambitions artistiques mais je  ne me connaissais pas bien moi-même. J'ai pensé que faire une carrière itinérante de théâtre sur les routes serait une très bonne chose. Je ne sais pas si ça a été la meilleur expérience possible mais en tout cas ça m'a aidé à aller au delà de mes peurs, et j'ai grâce à ça pu maîtriser beaucoup de mes craintes. J'ai fais quelques petites choses dont je ne veux pas parler. (silence) Par exemple lorsque vous m'interviewez, vous souhaitez peut-être par la suite questionner quelqu'un de plus connu. Pour moi ça a été pareil, on fait ça dans son job, et moi je n'ai pas voulu aller plus haut, mais aller plus en avant, faire autre chose. C'est pour ça que ça a été une très grande chance de rencontrer cette opportunité là, de travailler avec eux, je suis très reconnaissant.

J : Vos projets immédiats ?

JD : Je suis en train de finir un disque, et je suis en pourparler avec des gens pour un script. Mais on en est vraiment qu'au début des discutions, rien n'est fait. J'aimerais faire d'autres films, mais je ne pense pas que ce sera obligatoirement plus facile après la sortie du film. Ca m'aidera peut-être, je montrerai le film pour mes prochains projets. 

J : Et vous re-collaborerez avec Laurent Boutonnat ?

JD : C'est à lui de faire appel à moi, mais je dirai oui sans hésiter !

J : Vous vous sentez capable de faire d'autres rôles principaux quand même, vous avez enrichi le film non ?

JD : Ce n'est pas à moi de juger le film, ce n'est pas à moi non plus de me juger, je ne suis vraiment pas du genre à me jeter des fleurs.

J : Et ça vous intéresserai de tourner un clip comme Laurent Boutonnat le faisait ? Puisque vous toucher à la musique et maintenant au cinéma...

JD : Alors là oui ! définitivement oui ! Laurent a une putain de folie ! ("Laurent is fucking crazy" ndla) pour moi, je ne parle pas en général. J'aime beaucoup ce qu'il fait, il y a un côté en lui que j'admire vraiment, ce côté sombre. Si j'ai l'opportunité de faire ça je la prendrais sans réfléchir.

J : Merci beaucoup

Jeff Dahlgren se lève de table et va poser pour des photographes qui viennent d'arriver. Fin de l'interview.

Transcript : Jodel.
Merci à Anthony, Lacrymoire et Flavien.

 

 

Depuis la promotion de Giorgino en octobre 1994, Jeff Dahlgren vit toujours à Los Angeles. Il a été  guitariste sur les albums Anamorphosée (1995) et Innamoramento (1999) de Mylène Farmer. Il a en outre participé à deux tournées de cette dernière en 1996 et en 1999.

Jeff Dahlgren n'a pas rejoué au cinéma mais a réalisé en 2001 le clip I'm not a boy pour la chanteuse russe Christia Mantske. Il est aussi devenu photographe, puis s'est lancé dans la production de disque début 2010 et apparaît dans le vidéo-clip Cut The Cord du groupe KatsüK réalisé par Alexis Anderson.

 

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