"Oui, je pense que c'est un conte. Il y a, à l'intérieur, tout ce que j'ai aimé enfant dans le conte. C'est vrai qu'il y a la neige, la forêt, les loups, la vieille maison qui craque... Quand j'étais petit, je n'avais pourtant pas peur des loups, mais plutôt des kangourous !
Ca venait peut-être du mot. Kangourou."Laurent Boutonnat, Écran Total - 8 octobre 1994.
J (à Laurent Boutonnat, en lui parlant de Jeff Dahlgren): Vous l'avez rencontré dans un dîner ? comment ça se fait que vous l'ayez rencontré lui précisément ?
LB: En fait j'ai rencontré à Los Angeles quinze ou vingt acteurs américains dont Jeff. J'ai fait passer des bouts d'essai à ses acteurs. Et en visionnant les cassettes à Paris j'ai tout à coup été éclaboussé par l'image ! Il était incroyable alors qu'il ne m'avait pas du tout, au premier abord, impressionné. Beaucoup de jeunes acteurs la jouent très "à l'américaine". Pourtant il y eu casting en France, il y en a eu un en Angleterre, ça a été difficile...
J: Il a un gros air de Vincent Perez votre acteur quand même.
L.B. On m'a déjà dit ça aussi mais je trouve pas du tout.
J: Chez les français il n'y avait personne qui correspondait au personnage ? Moi ça m'a frappé à des moments dans le film je me suis dit "pourquoi il n'a pas pris Vincent Perez", surtout que c'est un acteur un peu à la mode...
L.B: Ah non... A la limite parfois dans le film il me fait un peu penser à James Dean
Mylène Farmer arrive autour de la table et prend part à la conversation...
J: On a l'impression que non seulement dans le film vous restez dans votre univers, mai aussi que vous l'extériorisez au maximum, que vous le poussez à bout. N'avez-vous pas à présent une grande sensation de vide ? Par exemple pour le prochain film ?...
LB: Curieusement je n'ai aucune idée de ce que je vais faire. C'est une période très bizarre en fin de compte parce que j'en suis aux toutes dernières finitions avant la sortie et puis qu'est ce qui va se passer je ne sais pas... Je sais qu'après on va refaire un album avec Mylène, mais quand aux projets de film, aujourd'hui c'est totalement absent. Et je pense qu'à un moment précis, ce sera peut-être demain, dans une semaine ou dans un an, tout à coup il va y avoir un projet, et puis qu'est ce qui va se passer, comment il va être reçu, est-ce que les gens vont aller le voir... Il y a un mystère terrible, c'est atroce d'ailleurs.
J: Est-ce que c'était nécessaire les trois heures de film ?
LB: oui. Pour moi, pour raconter cette histoire il me semble. Pour certaines personnes ça ne semble pas nécessaire, mais il me semble que c'est nécessaire. J'aime les films où on prend le temps de se projeter sur une histoire, de s'accrocher à des personnages, à tout. Et moi spectateur c'est souvent dans ce type de film que je rentre, les films où on a le temps de vivre avec les gens. Et après sûrement on vit des choses plus violentes avec des gens auxquels on s'identifie.
J: Le scénario fait partie entièrement de votre imagination où est ce que ça part d'une histoire dont vous avez entendu parler ?
LB: C'est complètement imaginaire. C'est né de je ne sais pas quoi d'ailleurs. Je suis parti de sensations, d'ambiances. Je suis parti d'éléments, d'une envie d'histoire d'amour et après on part dans un truc et plein de choses viennent. L'envie d'un film procède plus d'une envie de sensation que d'une envie d'image.
J: Et pourquoi situer l'histoire en 1918 ?
LB: Quand j'ai écrit l'histoire il y avait plein de raisons précises. Par exemple cet homme arrive dans un village où il n'y a plus que des femmes. Et c'est la seule période dans l'histoire de France où cette situation existait. Et il y a plein de village où les femmes se retrouvaient seules. Donc il y avait cette situation physique qui m'intéressait beaucoup dans cette guerre. Et l'autre chose par rapport à la psychiatrie, parce que cette période c'est la jonction entre deux siècles, l'apparition de l'électricité, des technologies, les frémissements de la psychanalyse.
J (ironique): Oui il y a un grand morceau de bravoure dans le film, c'est la visite dans les sous-sols...
LB : (rires) Oui mais c'est du cinéma bien sûr...
J: Mais ça correspond à une certaine réalité ou vous avez un peu ajouté...
LB: Vous savez il y avait deux choses, il y a ce qui est nécessaire pour l'histoire et il y a la vérité, comme ce qui est de la psychiatrie qui à l'époque c'était vraiment le XIXe siècle, c'est à dire que les situations étaient tout à fait crédibles à l'époque.
J: Vous avez fait votre petite enquête pour savoir ce qui se passait dans les asiles à cette époque ?
LB: Oui bien sûr. C'est tout à fait conforme, bon dans le détail on peut regarder mais peu importe la vérité, ce qui est important c'est de se reposer sur l'histoire sinon on fait n'importe quoi. Dans mon histoire il y avait certains éléments nécessaires, donc on a réinventer ce système de baignoires avec le décorateur de façon à ce que ça marque. Donc c'est ce que je disais, peu importe si ça a existé il faut que ça entre dans des choses qui existaient à l'époque et auxquelles on peut croire.
J: C'est un risque énorme pour vous ce film ? financer votre premier long-métrage.
LB. Oui c'est vrai que le financement représente un risque fort. Il ne correspond en rien à l'économie du cinéma. Ca a été très difficile pour monter le film et le financer comme ça était pour moi le seul moyen de le faire.
J: J'en reviens au cheval dans l'église. Vous solutionnez l'énigme par l'arrivée des loups et par dessus ça vous ajouter le cheval qui entre dans l'église pour boire l'eau bénite. Je me suis dit "quel message veut-il faire passer ?.."
LB: En fait on a vécu beaucoup de choses dans ce film et sa résolution ne peut pas uniquement être donnée par l'arrivée des loups. Bien sûr c'est important dans l'histoire mais ça ne peut pas être que ça. Ce cheval dans cette église, c'est comme une dernière page d'épilogue, c'est à dire que le film s'est terminé, et il faut remarquer que sur ce plan il y a le générique qui arrive. Ca veut dire voilà : ce cheval qui est aussi un personnage du film, il reste. Seul dans cette église, enfermé. Et s'il part s'abreuver dans le bénitier, c'est par résignation.
J: Ce cheval qui est si important, pourquoi à ce moment là ne pas lui accorder encore davantage d'importance, pourquoi ne pas l'avoir mis sur l'affiche par exemple ?
L.B: (rires) Non le cheval ne doit pas être à priori le personnage principal, peut être tout simplement pour des raison d'identification. Ca doit être à travers Giorgio que le spectateur doit se projeter parce qu'il souffre, il est malade. quand les gens voient l'affiche, c'est évident que le personnage principal c'est Giorgio. Le cheval ça peut être sa résignation, ça peut être ça aussi.
J : Comment avez-vous fait pour les choisir les lieux où vous tourneriez ?
L.B. : On a fait des premiers repérages avec le décorateur Pierre Guffroy et après on a décidé de choisir les lieux en fonction de la neige. Et les pays de l'Est c'étaient les premiers lieux "idéaux" avec lesquels on était sûrs d'avoir de la neige. Donc on a fait les Alpes françaises, les Alpes autrichiennes, la Bulgarie, la Balkans et la chaîne des Tatras. C'est là où j'ai trouvé les décors idéaux avec ses montagnes et où on avait une quasi certitude de neige.
J: Ca a été tourné quand ?
L.B: Ca a été tourné en 5 mois l'année dernière en 1993, de janvier à mai.
J: Le film est une histoire d'amour, pourtant il n'y a pas de grande scène de passion, très démonstrative, comme c'est le cas dans le cinéma d'aujourd'hui.
LB : On s'attend toujours à ça. Mais ça a été conçu comme ça, je ne me suis pas dis "tiens...". Je pense que l'amour est ailleurs, il ne nécessite pas et je ne crois pas qu'on ai envie dans leur relation d'avoir ça. Je ne crois pas que ce soit nécessaire dans leur relation. Et Mylène le voyait comme ça aussi.
J: Ah c'était une exigence de sa part ?...
L.B: Non non, pas du tout. Mais c'est vrai qu'il n'y a pas la déclaration amoureuse. A chaque fois qu'on s'y attend il arrive quelque chose, soit l'armistice...
J: Quand même, quand on voit par exemple Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino qui s'ouvre sur une scène de mariage, on a des scènes pratiquement identiques, avec le cheval... Même sur le fait de ne pas montrer la guerre mais la suite, ou les conséquences.
réponse inaudible.
Transcript : Jodel. Merci à Anthony, et Flavien.