Je t'aime Mélancolie en tant que "métaclip"

 

Pour une définition du métaclip

 

    La nouvelle forme filmique qu'est le vidéo-clip a permis, grâce à ses particularités, d'adapter des genres cinématographiques connus et de les transposer sous les contraintes du clip. Laurent Boutonnat est un des grands coutumier de cette pratique car pour cette question du genre il ne cherche que ceux existant dans le cinéma pour les transposer dans le clip et dans son univers qu'il veut cohérent malgré le genre qui régira son écriture filmique. On remarque à la fin des années 90 une espèce de nouveaux genre clipesque se rapportant lointainement à celui du métafilm au cinéma. Régulièrement, l'univers d'un vidéo-clip s'inspire directement de sa propre forme, de son propre statut. Peut-être parce que le personnage principal d'un vidéo-clip est presque toujours l'interprète de la chanson, les réalisateurs se plaisent à montrer la structure même du médium de promotion qu'est le vidéo-clip. Comme il montrerait l'artiste sur une scène lors du tournage d'un concert, il filme ce même artiste en studio lors du clip, l'élément principal de la vidéo n'étant plus l'histoire ou l'atmosphère, mais l'artiste lui-même qui tourne son clip. Au Japon notamment en 2001, la chanteuse Ayumi Hamasaki pour son clip Evolution joue non seulement son propre rôle mais évolue entre les caméras du studio, les grues et les personnels de production. Monté sur le rythme de la chanson comme souvent dans les clips, la vidéo de Evolution montre de manière stylisée (tous les techniciens portent des lunettes noires, les coulisses sont elles-mêmes décorées et éclairées dans les mêmes tons que le studio…) tous les matériels et les équipes nécessaires pour le tournage du clip. Mais ce que nous appellerons ici le métaclip , vidéo musicale promotionnelle à la diégèse se référant aux propres statuts du vidéo-clip, s'auto-étudiant, s'auto-démontant, trouve des matérialisations plus complexes que de montrer les coulisses esthétisées du tournage du même clip.

 

    Jessica Folcker semble avoir été la première dans le vidéo-clip Tell me What you like (U.S.A - 1996) a créer un stratagème pour montrer que le dispositif dans lequel elle évoluait n'était conçu que pour son clip, ce qui explique même la définition que nous faisions à l'instant de notre nouveau mot, métaclip. Ce qui fait de Tell me What you like un vidéo-clip intéressant tient surtout au fait qu'il fonctionne comme une métaphore de la mise en scène "clipesque" : La chanteuse Jessica Folker est installée sur une sorte de scène ronde minuscule de 1 mètre de rayon au fond de laquelle est planté à la verticale une toile blanche en guise de décor. Pendant les cinq minutes que dure le clip, des séquences où deux techniciens montent et démontent cette petite scène alternent avec des plans où la chanteuse interprète sa chanson sur cette installation dans des lieux aussi différents qu'un carrefour de circulation, une rase campagne ou un centre commercial. Facile alors de faire un parallèle ironique avec l'histoire du vidéo-clip tel qu'il existait dans les années 80 : un artiste qui chante où on le pose, un décor simpliste, des lieux et des décors incohérents les uns avec les autres et une abstraction de narration que cache tant bien que mal l'interprétation de la chanson.

       Au delà du tournage même de la vidéo, donc de sa conception, ce que nous appelons ici métaclip recouvrirait également les productions dont le récit évoque l'étude du vidéo-clip en tant que produit fini. Par exemple dans You're my heart, you're my soul'98 du groupe Modern Talking (Allemagne - 1998) les deux membres du groupe ne sont vus que par le biais d'écran de télévision disposées en nombre dans un discothèque. Les images du groupe chantant la chanson sont montées rapidement sur le rythme de la chanson, et on devine sans peine que c'est cette même chanson qui passe dans la discothèque où dansent les jeunes gens que nous voyons. Le dispositif de mise en abyme est fait pour renforcer le statut de notoriété du groupe en question, remixant pour l'occasion de leur come-back en 1998 un de leur succès datant de 1986. En diffusant ces images (insituables temporellement car portant costumes noirs, sur fond noir, sous un éclairage bleuté) des deux chanteurs dans les téléviseurs de cette discothèque, le téléspectateur assiste à la remise aux goûts du jour du groupe et son éventuel succès qu'il provoquerait en club. Le vidéo-clip est donc ici utilisé en tant que produit fini, afin de promouvoir visiblement le groupe auprès des jeunes gens de la discothèque. Le résultat est donc un "clip dans le clip" qui promeuvent autant l'un que l'autre le groupe, tous deux par leur diffusion télévisée, réelle ou figurée.

 

    On peut lire d'autres apparitions de l'objet qu'est clip dans des vidéos plus anciennes. Ainsi dans L'Aziza (1987) de Daniel Balavoine, c'est le chanteur dans un téléviseur que découvrent rapidement les habitants d'un village africain en voie de développement. C'est donc par un extrait de clip simpliste et parasitée (Balavoine y est face caméra, immobile) que l'interprète fait son entrée dans ce vidéo-clip français qui sera l'un des plus originaux de son époque. Filmé au Sahel et à Paris, le vidéo-clip à l'histoire réalisée à la manière d'un conte fantastique se voudra être lu davantage comme un film que comme un clip, l'interprète ayant d'emblée évacué cette forme à l'ouverture par sa laconique apparition télévisée faussement bâclée.

    C'est d'ailleurs par le métaclip que l'on peut lire Je t'aime Mélancolie de Laurent Boutonnat . Comme une allégorie du film-clip duquel les productions du réalisateur étaient qualifiées jusqu'ici, le décor unique d'un ring de boxe surdimensionné accueille alternativement un combat entre un boxeur et l'interprète, puis la chorégraphie de la chanson. On arrive ici à une égalité parfaite entre le clip utilisant une histoire bien définie, et les délires chorégraphiques improbables se rapportant aux premiers vidéo-clips proches des apparitions télévisées des émissions de variétés. Parallèlement aux deux séquences opposées, les liens se font comme la récurrence des gants de boxes sur les danseuses, apportant une cohérence au tout, ce qui fait du film une métaphore du choix devant lequel se trouvait Laurent Boutonnat lorsqu'il devait écrire un clip, une étude comparative des deux pôles extrêmes de la forme du vidéo-clip. Pour renforcer cela, on peut lire d'autres liens dans le clip comme l'aspect chorégraphique du combat de boxe qui dégénère (ô symbole des règles qu'on brise) et le regard de Mylène Farmer dans les scènes de chant et de danse qui reste fixe dans le vide droit devant elle, mais jamais face-caméra comme c'est pourtant toujours le cas lors d'une interprétation dans un clip, donnant ainsi l'impression au téléspectateur d'assister davantage au tournage du clip qu'à sa diffusion.

 

Jodel Saint-Marc, le 13 août 2003.

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