Le réalisateur semble avoir voulu
s’extraire au maximum de l’œuvre originale. Mais, fidèle à sa grammaire
et ses propres symboles, Laurent Boutonnat rend toujours à César ce qui est à
César. Donc, si on se penche d’avantage sur son court-métrage, on peut voir
dans les détails de décors, de script ou d’histoire de nombreuses références
aux éléments décisifs de l’histoire du Pinocchio original. Chaque
chapitre du livre trouve sa correspondance dans le film, même si cette
retranscription des éléments du roman est adaptée, transposée non
chronologiquement.
Il faut être
imprégné du film, voir dans le fond du champ, dans les bords, dans tout ce qui
donne au film son rythme, son univers et son atmosphère. Pinocchio est
partout, et c’est dans ses « abords » qu’il se cache, donnant au
film la splendeur fantastique du roman originale de Carlo Collodi. Nous
trouverons donc les références au roman chapitre par chapitre, afin de trouver
quelle structure Laurent Boutonnat à voulu apporter à son adaptation et avec
quels éléments il a fait référence aux chapitres et aux séquences du livre
dont il ne se servait pas.
Nous
pourrons aussi voir quels éléments il a transformé et nous en déduirons
qu’il n’a pratiquement rien ajouté mais seulement transféré d’une scène
à l’autre de l’histoire, la rendant différente (un peu comme Tristana,
adaptation de Blanche-Neige et les sept nains de 1987, transposé pendant
la révolution russe où Blanche-Neige ne répondait au baiser du « prince
charmant » que par une phrase qui la situait pour l’éternité, par la
grâce de l’amour du « prince », entre la vie et la mort…
Chapitre 1 :
Au début de l’histoire, on situe l’action autour de maître Cerise
qui trouve un morceau de bois qui « pleure et rie comme un enfant ».
On se rapporte ici à l’ouverture même de Sans Contrefaçon où la
marionnette se tourne vers le public pour dire sa phrase d’une voix enfantine « Dis
maman… pourquoi je suis pas un garçon ? ». La matière de la
marionnette est d’ailleurs indéfinissable, peut-être bois, peut-être
cire… La main du marionnettiste est à déjà à l’intérieur de la
marionnette, et le coup de projecteur sur sa figure relate le moment où maître
Cerise (qui pourrait être présent dans le public par exemple) trouve cet étrange
morceau de bois qui ne ressemble encore à rien[1].
Chapitre 2 :
Ce chapitre relate essentiellement l’offre
du bois de maître Cerise à Gepetto qui l’emporte chez lui pour se fabriquer
un pantin merveilleux capable de danser, de faire de l’escrime et des sauts périlleux.
On retrouve ici la toile de fond du film qui est celle de la bohème, du
spectacle itinérant. On se réfère immédiatement à cette image de la
marionnette seule en scène, face à un public invisible. On revoit aussi cette
ballerine du cirque noir des collines ventées. Tout cela se rapporte à ce à
quoi était destinée à priori la marionnette.
Chapitre 4 :
C’est ici qu’apparaît le fameux grillon parleur. On peut mettre en
parallèle à cette séquence la scène où le marionnettiste ramasse Pinocchio
dans la boue puis se met à lui parler, jouant en quelque sorte le rôle de la
conscience de la marionnette, inexistante matériellement dans le film. On voit
aussi que les méchants enfants du roman n’aiment guère se faire rappeler à
l’ordre par les gens qui en savent plus long qu’eux. Ici on peut établir un
rapport avec les deux travestis tenanciers du cabaret qui jettent sous la pluie,
pour des raisons inconnues, l’artiste dans la boue. On se doutera de causes méchantes,
vu leurs mines réjouies et sadiques, comme par exemple la jalousie d’un
talent qu’a le marionnettiste et qui leur fait cruellement défaut.
Chapitre 5 :
Ici nous découvrons l’histoire où Pinocchio a faim et cherche un œuf
pour se faire une
omelette. Mais au moment fatidique, l’omelette lui fait faux
bond en s’envolant par la fenêtre ! Laurent Boutonnat semble s’être
inspiré de cet épisode (ou de ce chapitre plutôt puisqu’on parle ici du
roman intégral) pour la scène où le marionnettiste voit son pantin volé par
la fée. Il lâche alors la gamelle de purée qu’elle lui avait gentiment
offerte. La nourriture qu’il attendait tant, tellement on nous le montrait épuisé[2],
s’est envolée devant ses yeux simultanément à la disparition conjointe de
sa bienfaitrice et de sa créature inanimée.
Chapitre 6 :
Chapitre où Pinocchio s’endort les pieds
sur le réchaud et se réveille le lendemain matin les pieds tout brûlés.
C’est cet excès de chaleur qui manque cruellement à l’univers dans lequel
les personnages de Laurent Boutonnat sont forcés d’évoluer. La seule pointe
de chaleur dans cette atmosphère de plateaux campagnards glacés, de littoral
hivernal est humaine. On la trouve dans l’avant dernier plan du film, lorsque
le marionnettiste pose sur les épaules de son pantin inanimé sa veste pour
qu’elle ne prenne pas froid, ou en espérant qu’elle revivra aussi…
Chapitre 7 :
Une des scènes tristes du roman où Gepetto rentre chez lui et donne au
pantin le casse-croûte qu’il s’était mis de côté. On aurait pu rapporter
cette séquence au moment où le marionnettiste mange, mais à aucun moment il n’offre quoi que se soit à sa marionnette à
manger, contrairement au roman. C’est peut-être ce cruel « oubli »
qui apporte la malédiction du destin à emporter la marionnette loin de lui.
Chapitre 8 :
Séquence où Gepetto refait les pieds à
Pinocchio et vend sa propre casaque pour lui acheter un alphabet. Ce sont ici
des éléments dont Laurent Boutonnat ne voulait pas s’embarrasser, laissant
l’intrigue de l’alphabet au roman. Le réalisateur, toujours tenu par des
impératifs de temps fait concis. Il fait en revanche référence aux pieds de
Pinocchio importants ici en les cadrant à part lorsque la marionnette vivante
est dans les bras du marionnettiste[3].
Ce plan qui ajoute au mystère accède aussi à une dimension référentielle qui
échappera à toute personne n’ayant pas souvenir des détails narratologiques
de l’histoire originale.
Chapitre 9 :
Le chapitre du livre où Pinocchio vend son
alphabet pour aller au théâtre de marionnette est ici montré à deux reprises
pas le 1er théâtre mystérieux où la marionnette se produit mais
aussi par l’arrivée de l’homme t de son pantin au cirque. Où on peut
remarquer en passant que des marionnettes représentant des animaux ont remplacé
les lions dans la cage qui leur était à priori destinée. Le thème de la
marionnette est donc usé à plusieurs reprises, parfois en toile de fond, à
moitié visible, sans rapport direct avec l’histoire.
Chapitre 10 :
Épisode un peu à part du roman où les
marionnettes reconnaissent leur frère Pinocchio et lui ont fait un accueil
grandiose. Mais Mangefeu le marionnettiste sort des coulisses au moment
fatidique, et Pinocchio risque de connaître une triste fin. Destin dramatique
ici repris dans le film lorsque le pantin est chahuté de mains en mains, en
l’air et rattrapé par les divers membres de la troupe du cirque qui se
l’envoient comme un vulgaire ballon. A ce moment là de l’histoire on peut
se demander vraiment ce qu’il adviendra de cette poupée de cire avec ce
marionnettiste un peu incapable qui ne sait guère s’occuper d’elle.
Chapitre 12 : Ici le marionnettiste Mangefeu offre cinq pièces d’or à Pinocchio la chargeant de les porter à son père Gepettto. Mais Pinocchio se ravisant, se laisse embobiner par un renard et un chat, et part avec eux. Le double emploi du renard et du chat (la ruse et la légèreté) peut être comparé à celle du marionnettiste de Sans Contrefaçon qui vole à son tour le pantin à la fée vêtue de noir en lui faisant miroiter un amour qui restera éphémère. La marionnette n’aura pas du non plus succomber aux avances de son « manipulateur ».
On peut
remarquer que Laurent Boutonnat à opéré une sorte de concentration des
personnages du roman pour établir ceux de son film. Les actions destinées aux
uns et aux autres ne sont plus imputées qu’au marionnettiste et à cette
demi-douzaine de personnages secondaires qui peuple son roman. Les actions
subissent la même concentration en étant souvent évoquées en un seul plan
laconique, qui peut être comparé à un « flash » pour le lecteur
familier du roman de Carlo Collodi.
Chapitre 13 :
Le chapitre de l’auberge de l’écrevisse
rouge prend ici les traits du cabaret du début du film où les deux travestis
faisaient figure de Ténardiers devant le pas de leur porte, prêt à décider
qui nourrir ou non, détenant un droit de vie sur autrui qu’ils ne méritent
pas.
Chapitre 14 :
Ici Pinocchio, faute d’avoir suivi les
bons conseils du grillon parleur, tombe sur des brigands. Entremêlement de
personnages encore ici car c’est en ignorant le chien[4]
lorsqu’il quitte le village que le marionnettiste tombe sur les brigands que
représentent les membres du cirque. Brigands qui accéléreront l’engrenage
tragique de l’histoire en affolant la fée qui finira par voler le pantin,
prise de panique, et qui s’enfuira avec pour lui donner puis lui reprendre la
vie.
Chapitre 15 :
La scène où les brigands rattrapent
Pinocchio et le pendent à une branche du « Grand Chêne »
n’est pas du tout retranscrite dans le film[5]
mais en revanche l’image du « grand Chêne » est omni présente
sur le plateau qui surplombe la mer lorsque les roulottes du cirque sont en arrêt.
Il n’y a qu’un arbre sur le plateau, ce n’est pas un chêne mais une espèce
de bouleau, qui se retrouve dans chaque plan, d’ensemble ou pas, et derrière
chaque personnage filmé.
Chapitre 16 :
Ici une belle enfant aux cheveux bleus
recueille le pantin, le met au lit et convoque trois médecins pour savoir
s’il est vivant ou mort. Dans le film on ne sait jamais si la marionnette a le
don de la vie ou non. Nous en avons déjà parlé précédemment et étudié ces
scènes notamment lorsque la marionnette s’anime sans que le marionnettiste ai
mis ses mains dedans et lorsque la marionnette vivante possède toujours ses
pieds de bois.
Chapitre 18 :
Ici dans le roman le renard et le chat
emmenant Pinocchio dans le champ des miracles pour lui faire semer ses quatre pièces.
Ici c’est d’ordre symbolique que Laurent Boutonnat use de la référence en
faisant tomber la marionnette sur la plage. Lorsqu’elle se relève, elle a le
visage recouvert de sable comme si elle avait été enterrée. La marionnette
est tout ce que possède le marionnettiste, elle est en ce sens comparable aux
quelques pièces du roman.
Chapitre 20 :
Ce chapitre relate la rencontre de Pinocchio
avec un horrible serpent. Dans le film on peut comparer cette rencontre à celle
d’avec le cul-de-jatte pensionnaire du cirque. Mi homme mi-bête il rampe
quand il n’est pas tiré sur son chariot. C’est également le dernier
personnage du cirque que l’on voit à l’écran. Un choix sûrement pas
anodin du réalisateur qui se situe ici uniquement dans le référentiel du
roman et aussi de l’histoire du cinéma en citant en quelque sorte le film Freaks
(Tod Browning – 1932).
Chapitre 21 :
Ici Pinocchio tombe aux mains d’un paysan qui l’oblige à faire le
chien de garde devant son poulailler. Comme cette image de contemplation à la
fin du film où le marionnettiste veille sur sa marionnette, sorte de chien de
gardien désespéré des sentiments éteints. On voit aussi l’élément du chien
en bas de l’écran dans le début du film lorsque l’homme quitte le village.
On l’entend également aboyer.
Chapitre 23 :
Pinocchio pleure la belle enfant aux cheveux
bleus, puis il rencontre un pigeon qui le transporte au bord de la mer et se
jette à l’eau pour porter secours à son père Gepetto. LE pigeon qui guide
vers al mer est repris dans le film lorsque l’homme se dirige vers elle sans
le savoir. On voit en même temps à l’image un épouvantail et on entend en
bruitage (un des seuls du film) le bruit d’un oiseau, comme s’il annonçait
la démarche de l’homme et l’amenait sur le plateau qui domine la mer.
Chapitre 26 :
Ici on retrouve l’élément du bord de la mer car dans le roman, Pinocchio et
ses camarades de classe vont au bord de la mer voir un terrible requin. Et
c’est précisément en ces lieux que se termine l’histoire de Sans
Contrefaçon.
Chapitre 30 :
Il fait référence au pays des jouets qui est, dans le film, mêlé au monde de
la diégese car il reste peuplé lui-même de ses jouets. Pinocchio le rejoint
normalement avec son ami Lumignon qui est dans le film, l’éternel et fidèle
marionnettiste.
Chapitre 31 & 32 :
Là où Pinocchio se transforme en âne dans
le roman, il ne fait que se transformer en fille dans le film. Double
transformation tout de même car à défaut d’être un garçon comme on s’y
attend, la marionnette du film devient en plus une fille.
Chapitre 34 :
Dans le roman Pinocchio est jeté à la mer,
mangé par un requin et retrouve Gepetto dans le ventre de l’animal, mais
redevient un pantin comme avant. Laurent Boutonnat ne garde que ce dernier élément
et fait abstraction des autres car le pantin ni la fée ne pénètrent dans la
mer[6].
On retrouve en revanche l’image du requin dans le visage du baroque Luc Jamati
qui joue le magicien, dans cette tête taillée en fer de lance, anguleux et
dure.
Chapitre 35 & 36 :
Là où dans le roman Gepetto fait redevenir
Pinocchio un vrai petit garçon, Laurent Boutonnat stoppe l’histoire juste
avant par soucis de gommer tout « happy end » de l’histoire ;
comme dans Tristana réalisé la même année, dont nous avons déjà
parlé pour la même raison.
Jodel Saint-Marc, le 30 janvier 2002.
[1] Puisque la marionnette n’a encore rien fait d’elle même, contrairement à la suite du film.
[2] La scène précédente où la bouteille est vide, où les espérances de vie sont eu plus bas nous le montre.
[3] Notons que la marionnette est vivante à ce moment là alors que les pieds montrés en gros plan sont de bois.
[4] Le chien fait peut-être figure de conscience ici, à moins que ce ne soit la fée vêtue de noir.
[5] Bien que Laurent Boutonnat ai beaucoup évoqué la pendaison dans ses films et longs-métrages postérieurs.
[6] Contrairement à la version originale du film en long métrage (La Ballade de la féconductrice – 1979) où la fée pénétrait dans la mer pour se laisser engloutir par les vagues.