Cette fois on ne les y reprendra pas ! Dès qu’il est question de tourner le clip de la première chanson de Mylène Farmer chez Polydor, Laurent Boutonnat impose ses choix : le clip sera tourné sur plusieurs jours en partie en extérieur, sur pellicule 35 mm ; support d’habitude réservé au long-métrage de cinéma, et en format cinémascope panoramique. Et c’est à grands renforts d’avant-premières dans les cinémas parisiens que Laurent et Mylène feront la promotion de cette histoire noire, onirique, fantasmatique, pourtant enregistrée et mixée après Libertine. (curiosité : il a été présenté à la presse le 13 novembre 1985 alors que son visa de contrôle n'est délivré que le 10 décembre 1985) L’interprète vêtue de noir arpente les allées d’un cimetière avant de se recueillir sur sa propre tombe. Suivra la rétrospective de sa vie, succession d’humiliations et de souffrances, tour à tour violée par un cambrioleur et battue par des nones, la chanteuse apparaissant pour la première fois seins nus.

 

 

 
 

 

Dès 1985 on commence à trouver certaines fulgurances dans le cinéma de Boutonnat, comme cette statuette de la sainte vierge qui se cache le visage lorsqu’on implore son pardon, où la danse tragique qui clos le film, entraînant une Mylène Farmer qui vieillit à vue d’œil dans une valse macabre au milieu des toiles d’araignée et des candélabres. Le clip de Plus Grandir ressemble à un premier film, dans lequel on aurait voulu mettre tous ses fantasmes inavouables et ses questionnements inextricables. Le clip rassemble néanmoins de grandes références cinématographiques. On aura peu de mal entre autres à approcher le traitement anticlérical de celui des Diables de Ken Russel (1971) surtout lors de la scène où deux nones donnent des coups de pieds à la pénitente à terre. On verra aussi dans l’animation de la statue, l’influence d’un Jean Cocteau. François Hanss, futur réalisateur de clips pour Mylène Farmer (Je te rends ton amour, Immoramento) y voit même une « Jeanne d’Arc revisitée par une imagerie que même Hollywood n’a pas rêvée » (Hanss, François, «Clip ou film? Les deux. Mylène Farmer inaugure le genre», Starfix n°39, août 1986 pp.80-81.)

 

 

    Plus Grandir marque les premiers investissements de Mylène Farmer dans la création artistique. C’est elle qui s’occupe des dessins du story-board, et on remarquera dans celui-ci l’épitaphe inscrit sur la tombe supposée de la chanteuse : « Mylène Farmer, Plus Grandir, 1962 – 1985 ». Or Mylène Farmer est née en septembre 1961 et non l’année suivante. Cet "oubli" sera répété lors d’une prestation télévisée, où les mêmes dates seront reprises sur un landau noir servant de décor à l’interprétation de la chanson. L’implication de la 'jeune' artiste ne s’arrête pas là puisque c’est elle qui confectionne la poupée de chiffons qu’on voit dans le clip. Accessoire à priori anodin mais qui revêt dans le film une importance toute particulière : C’est cette poupée qui nargue l’héroïne de sa jeunesse éternelle, qui la poursuit dans ses nuits, et ses cauchemars. En se protégeant le visage du coup de couteau asséné par Mylène Farmer, c’est elle qui déclenchera la danse du vieillissement en lui rappelant brusquement qu’elle, être humain, est périssable. C’est donc ce jouet provocant qui aura le mot de la fin : alors que le spectre de Mylène Farmer jette son bouquet sur sa tombe et s’en éloigne, la poupée assise sur une pierre tombale tourne la tête en notre direction pour nous rappeler à notre misérable condition humaine. Plus Grandir marque avant tout le premier passage de Mylène Farmer à l’écriture, c’est elle qui signe les paroles, alors que Laurent Boutonnat s’affaire à écrire le reste de l’album Cendres de Lune. Étrangement, il est très difficile jusqu’en 1995 de différentier les textes écrits par Laurent Boutonnat de ceux signés du nom de Mylène Farmer : mêmes thèmes, même tourments, mêmes inspirations, même culture, et surtout même style.

 

    Pour financer ce scénario qu'on estime déjà très coûteux, le cinéaste fait appel au producteur de publicité Stephan Sperry qui parvient à louer durant quatre jours un des studios SETS à Stains, en Seine St-Denis et à débloquer 330 000 Frs pour financer tout le film. Toute la largeur du studio est décorée par une équipe (accompagnée du père de Mylène Farmer en personne) car Boutonnat tourne en cinémascope (format 2.35 rarement utilisé depuis les westerns des années 60). Il s'agirait ici d'un des premiers clips au monde réalisé en format Cinémascope sur pellicule film.

 

    Le premier  jour de tournage se fera dans le cimetière le plus proche du studio : celui de Saint-Denis où sera installée la fausse pierre tombale portant le nom de la chanteuse et le titre du film. On parlera de Laurent Boutonnat comme seul réalisateur ayant donné à ses clips un soin cinématographique. Ceux avec Michael Jackson réalisés par John Landis (dont Thriller date de l'année de Maman à tort-1984) sont eux plus proches de la série B que du  cinéma (effets spéciaux grossiers et support vidéo à l'appui). C'est donc à partir de ce film que Laurent Boutonnat a la volonté de faire de Mylène Farmer un mythe. Il prend alors tout ce que son entourage peut lui offrir, il utilisera le caisson aquatique du studio pour trois secondes de film et embauchera des figurants pour des durées toutes aussi courtes (les deux naines, le violeur...). C'est surtout sur ce tournage que Laurent Boutonnat fait connaissance avec les techniciens qui le suivront  jusqu'en 1994, date de sa chute. Il craque d'abord pour le chef opérateur de publicité Jean-Pierre Sauvaire (Taxi-1998) avec lequel il travaillera dix ans. L'équipe des clips et des films se complétera ensuite par la monteuse Agnès Mouchel, la costumière Corinne Sarfati et François Hanss qui lui servira plutôt d'assistant.

 

Jodel Saint-Marc.

 

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