La narration de Plus grandir, premier des clips de
Laurent Boutonnat subissant le traitement cinématographique du réalisateur, se
trouve dans un certain prolongement de celle utilisée dans le vidéoclip Maman
à tort. Les différents thèmes abordés par le texte de la chanson ne le
sont pas de manière allégorique, c’est leur adaptation visuelle qui en fera
des scènes à l’imagerie forte et symbolique. La structure de la chanson est
adaptée dans le clip en autant de scènes que de couplets, tandis que le sujet
général de chacun d’eux est évoqué parallèlement à leur passage par la
mise en scène de symboles s’y rapportant. Par rapport à la succession de
plans statiques dans Maman à tort, le fait de découper Plus Grandir
en scènes et de les faire correspondre avec la
structure mélodique de la
chanson se rapproche du traitement narratif d’un clip traditionnel. La
particularité du cinéma de Laurent Boutonnat ne se situe pas ou plus à ce
niveau, mais dans l’utilisation d’une grammaire cinématographique pour la réalisation
de clips. Empruntant la logique de ses raccords au cinéma classique, une partie
de son esthétique et sa thématique aux cinéastes anglais, son imagerie à la
littérature du XVIIIe siècle, la démarche de Boutonnat n’a réellement
d’originale que sa destination vers une forme aux possibilités juge t-il
inexploitées.
Dans un cimetière envahi par les feuilles
mortes, une jeune fille poussant landau vide (le deuil de la jeunesse) se dirige vers sa
propre tombe. Elle contemple sa sépulture mais n'a pas l'air de se recueillir,
on dirait même qu'elle éprouve du dédain. Tenant un petit bouquet , elle
passe sa main derrière son oreille. C'est sans doute ce qui la fera entrer dans
une phase où elle se verra ensauvagée, assise dans une aile de château, la
bouche écorchée. Elle est dans une vaste chambre vide aux fenêtres ouvertes
qui laisse entrer un vent puissant. La pièce est faite d'une architecture
baroque (la forme triangulaire de la porte d'entrée) à l'intérieur de
laquelle grouillent des rats. Au milieu trône une statue de sainte vierge
devant laquelle Mylène Farmer prie en pleurant. Pendant un orage, lorsqu'un individu
entre dans la chambre pendant son sommeil, Laurent Boutonnat va offrir à son public la première scène de nudité de son oeuvre.
L'homme
(Hervé Lewis, alias Rambo Kowalski, le duelliste de Libertine I, et
futur entraîneur de la chanteuse) est un violeur, il s'acharnera à déchirer le pyjama
rouge-sang de la jeune fille et lui caressera le corps jusqu'à ce qu'elle se
laisse faire. Le visage de l'homme s'approche du sien lentement, ils se
regardent et la jeune fille se préparera à être embrassée par son agresseur en
y éprouvant un plaisir certain. Ca y est, le passage à l'age adulte est
consommé, la virginité est irrémédiablement perdue, et la statue de la
vierge se retourne en se cachant le visage dans ses mains. Apparition onirique,
deux bonnes sœurs naines volantes sont derrière une fenêtre et regardent
toute la scène. Le fait qu'elles soient naines est le sens propre de ne pas
grandir, non pas par volonté mais par obligation. Comme une vangeance, même si elles flagelleront la jeune fille perverse ensuite à
coups de bâtons, elles n'en sont pas moins voyeuses. Lors de
sa punition,
Mylène expliquera pourtant ses souhaits récurrents : "Plus grandir,
j'veux plus grandir pour pas mourir, pas souffrir". Elle souffre, donc
grandit. La fille blessée
s'est alors réfugiée dans un coin de la pièce pour vivre sa douleur en
silence. Elle
s'acharnera aussi à vouloir supprimer sa poupée de chiffon, qui elle ne
vieillira pas. Elle tente en vain de la noyer, de la mutiler. L'expression de la
poupée change, du mécontentement a
u sourire sadique. Si l'on doit trouver la
métaphore du temps dans ce film, ce sera forcément elle. Et c'est lorsqu'en
voulant la couper en deux avec un couperet, que la poupée cachera son visage
avec son bras qui sera mutilé et tournoiera en l'air. Mylène Farmer comprendra alors,
que la poupée ne vieillira jamais, elle si. Elle sourira donc
pour la première fois du film en tournant sur elle même dans sa chambre, les
bras déployés, heurtant meubles et toiles d'araignées. Les rides couvrent peu
à peu son visage et son cou, le sourire se transforme en une expression qui
rappelle l'incompréhension d'avoir perdu ce qu'on était, d'avoir perdu sa
jeunesse et sa vie. Elle finira accoudée à la fenêtre et regardera expression
un colombe se poser sur la bordure de la fenêtre devant elle, comme une
communion, comme la paix avec soi-même).
Plus
Grandir (1985) et son arrière-plan biblique permettent de voir un clip de
Boutonnat de deux façons différentes. A la fois récit d’une déchéance
physique et critique d’une religion aveugle et impuissante, Boutonnat met en
scène dans Plus Grandir des éléments détenant un sens pour chacun des
deux niveaux de lecture. Il prend parti d’opposer au lent vieillissement du
personnage des images du cath
olicisme comme par exemple la statue de la sainte
vierge ou deux nonnes violentes et vindicatives. On peut lire la présence et
l’action de ces éléments comme les signes avant coureurs d’une sérénité
relative à la vieillesse prochaine du personnage, voire à sa mort inéluctable,
mais également comme l’omniprésence d’une religion qui bannit de manière
systématique les agissements déviants de ce même personnage. Ainsi dans le clip, la
statue de pierre s’anime pour se cacher les yeux devant une prière vaine, et
les nonnes punissent sévèrement par les coups la perte de virginité de l’héroïne :
passage symbolique violent à l’âge adulte qui la précipitera rapidement
dans la déchéance physique la plus totale.
On retourne dans le cimetière qui a ouvert le film, Mylène Farmer a toujours la même expression sur son visage, on ne peut plus neutre. Elle jettera son petit bouquet sur sa tombe et s'en ira sans se retourner. Mylène Farmer vient d'entrer dans une phase onirique dont elle ne sort pas intacte, puisque malgré le fait qu'elle reparte vers la sortie avec son landau vide, elle extrait de son cauchemar la poupée qui s'installe définitivement dans le réel.
Jodel Saint-Marc.