Déjà grands amoureux de la pellicule, de l’image panoramique, de
grandes mises en scène, Laurent Boutonnat et Mylène Farmer développaient
parallèlement à la promotion de Maman à tort un projet bien plus
ambitieux pour la chanson. Déjà écrit et story-boardé, c’est à dire figuré
sous forme de dessins expliquant plan après plan le vidéo-clip, le résultat
"définitif" devait coûter la bagatelle de soixante dix mille Euros,
durer une dizaine de minutes et faire prendre vie aux personnages présents dans
les paroles : comme cette bonne sœur, infirmière attentive et attentionnée
mais aussi l’héroïne un peu perverse qui s’enfuit de cet
"clinique-couvent" avant de se jeter du haut de l’aile d’un château ;
et enfin sa mère possessive et violente, qui s’acharne sur sa fille malade en
la giflant. Le compositeur et l’interprète de la chanson y croient. Ils
donnent même un exemplaire à la presse qui le publiera un peu hâtivement.
Mais quel avantage pour RCA, leur maison de disque de l’époque, de financer
un tel court-métrage alors qu’un clip plutôt original et moins coûteux a déjà
été tourné ? Les deux complices ne verront jamais leur projet grandiose
aboutir, ce qui précipitera leur départ de la maison de disque l’année
suivante pour la tout jeune Polydor.
"STORY-
BOARD POUR UNE AMOUREUSE A SUCCÈS"
Avant-dernière étape avant la réalisation d'un clip, le story-board qui n'est autre que le découpage du futur film en plans dessinés à la main. Une étape facultative, certes, mais qui, dans bien des cas, se révèle indispensable lorsqu'il s'agit de décrocher les fonds nécessaires au financement de l'œuvre.
Pour Laurent BOUTONNAT et Bertrand LePage, respectivement réalisateur, producteur et chargé de la promotion sur le premier disque de Mylène FARMER (Maman à tort), le story-board, sur un scénario de Laurent BOUTONNAT lui-même, était absolument nécessaire pour qu'une nouvelle version du succès de la chanteuse (allongée celle-ci de trois minutes et tournée en anglais et en français) puisse voir le jour.
Leur problème ? Un premier clip réalisé à la va-vite (en deux jours), pour les besoins de la promotion, si réussi que personne dans la profession ne voyait l'utilité d'en tourner un second. On les comprend : le premier a coûté 5 000 F. Le second en coûtera plus de 450 000 F. Tourné en cinémascope et en noir et blanc, ses créateurs le destinent aux premières parties des films au cinéma.
La question pour nous n'est plus tant de défendre la carrière de Maman à tort, qui est presque aboutie, mais d'asseoir Mylène dans un véritable univers. Un univers mythique aux couleurs grises de l'hôpital et rouge de la passion qui pourrait bien faire scandale. Les paroles de la chanson sont aussi acides que les images. Story-board à l'appui, elles ont convaincu les annonceurs.
Marie-Elisabeth ROUCHY - Le Matin - novembre 1984
LE STORY-BOARD
1a
Intro. Deux paires de pieds côte à côte avancent face à la caméra. Les
pieds s'arrêtent.
2b Mylène et sa mère sont de dos. Devant
elles ont aperçoit le portail d'un hôpital. Elles avancent vers lui. La
caméra les suit en travelling avant.
3c Mylène et sa mère font connaissance de
l'infirmière qui va s'occuper de la jeune fille. Travelling arrière en
diagonale droite.
3e Mylène suit l'infirmière qu'elle tient
par la main à l'intérieur de l'hôpital, Elle regarde une dernière fois sa
mère. Travelling latéral droite-gauche. Fin de l'introduction.
4
On installe la jeune fille sur un fauteuil roulant. Zoom arrière. Panoramique
gauche-droite.
5 La tête baissée, elle parle
doucement : "1, maman à tort; 2, c'est beau l'amour; 3, l'infirmière
pleure; 4,,je l'aime". Travelling arrière.
9
Mylène est triste. Elle voudrait dormir. Deux infirmière la force à se tenir
debout. Elle chante : "1, quoique maman dise; 2, elle m'oubliera". La scène
est tournée au ralenti.
10
Les infirmiers ont enfermé Mylène dans dans une pièce. Travelling avant sur
son visage.
12
Plan américain trois-quarts droite. l'infirmière a délivré Mylène; à
présent elle la lave dans une gigantesque bassine. Mylène regarde la caméra
en chantant : "J'aime ce qu'on m'interdit, les plaisirs impolis".
"J'aime quand elle me sourit, j'aime l'infirmière." Ralenti.
13 La mère de Mylène contemplait la
scène. Elle sort de l'ombre et se précipite pour frapper sa fille. Le plan est
demi-rapproché et filmé en contre-plongée.
28 Plan américain. Couchée dans son lit,
Mylène regarde l'infirmière qui va partir. Elle pleure. "4, j'ai peur; 5,
c'est dur la vie; 6, pour un sourire; 7, j'en pleure la nuit; 8, et vous
?".
42b Mylène s'est échappée de l'hôpital. Des
infirmières se lancent aussitôt à sa poursuite. Plan général plongée.
43 La jeune fille fonce à travers des
enfants et des nones qui s'écartent, terrifiées travelling avant.
45 La jeune fille est arrivée près d'une
tour de forteresse. Après un moment d'arrêt, elle se dirige vers elle. Plan
grand ensemble. Légère contre-plongée.
48 L'infirmière qui s'est occupée de Mylène suivie du personnel de l'hôpital tente désespérément de la rattrapée. La caméra avance en travelling latéral gauche-droite.
53 Plan moyen. Légère plongée de
l'infirmière qui regarde Mylène sur le haut de la tour. Zoom avant lent. Elle
crie en faisant des signes à Mylène.
63 Contre-plongée totale de la tour. On
assiste à la lente tombée du corps de Mylène...
scénario : Laurent BOUTONNAT Dessins : Vincent DEYRAMA