Un homme vient renouer dans un cimetière avec l'amour de sa femme défunte.

Jean-Louis Murat et Laurent Boutonnat sur le tournage de la séquence des retrouvailles.

 

Le réalisateur profite du tournage du clip de Désenchantée à Budapest pour filmer celui de Regrets dans un cimetière juif abandonné depuis la seconde guerre mondiale. Laurent Boutonnat ne fera pour une fois que transposer l'histoire de la chanson en y ajoutant son esthétique personnelle, ici la stylisation d’un noir & blanc peu contrasté et surexposé. Le texte de la chanson se compose d’une complainte poétique d’un homme vivant adressée à sa bien aimée dont il ne peut plus atteindre l’amour :

« Debout la tête ivre, deux rêves suspendus, je bois à nos amours infirmes. […] Viens ne sois plus sage, après tout qu’importe, je sais la menace des amours mortes. […] Je me fous des saisons; viens, je t’emmène là où dorment ceux qui s’aiment »

    D’autre part, l’homme laisse la place aux paroles vaporeuses de la femme défunte qui refuse cet amour faute de pouvoir le vivre :

« N’ouvre pas la porte, tu sais le piège de tous les remords, de l’anathème. Gardons l’innocence et l’insouciance de nos jeux d’antan, troublants. […] N’ai pas de regrets, fais la promesse, tu sais que l’hiver et l’automne n’ont pu s’aimer. »

 

 

    L' histoire du film, pour une fois, est celle de Mylène. Laurent Boutonnat ne fera ici que transposer l' histoire de la chanson en y ajoutant son esthétique personnelle. Utilisant le même matériel que sur le tournage de Désenchantée, Laurent Boutonnat ne dispose plus de beaucoup de pellicule d'avance, d'autant plus qu'il tourne presque tous les plans avec un ralenti de 30% (ce qui nécessite bien davantage de pellicule). Il aura donc recourt à de la pellicule rechapée, ce qui donnera à certains plans (notamment celui où les amoureux courent face à la caméra) un aspect de vieux film du début du siècle. L'imagerie et la lumière dont il use dans ce film n'a qu'un seul but : véhiculer le romantisme de cette situation d'au-delà décrite dans le texte. Un homme vient rendre visite à sa femme décédée et veut la persuader de continuer cet amour qui s'était arrêté lors de sa mort. Elle lui expliquera que l'état dans lequel l'histoire d'amour s'est arrêtée était d'une intensité telle que la poursuivre ne la rendrait que moins éternelle. Le film utilise une lumière très surexposée et utilise de nombreuses superpositions de regards, de tombes et de verdure.

 

    

    Deux sublimes remixes accompagnent la chanson pour sa sortie dans le commerce en juin 1991. Le deuxième (Sterger Dub mix) est fait essentiellement de samples des voix de Mylène et Jean-Louis Murat remasterisées et passées à l'envers, comme des messages subliminaux (ils sont repris dans l'ouverture du clip). On entend surtout (et dès le début) Mylène Farmer disant une phrase incompréhensible, qui se trouve être en fait "nos âmes se..." (confondent) passée à l'envers. D'ailleurs, on remarquera que le titre du remix en question est lui même Regrets en écriture inversée... 

 

 

 

 

Dans le magazine Voici n° 878, daté du 6 au 12 septembre 2004, Jean-Louis Murat parle du duo avec lequel il tourna le clip : 

"Dans le business, les deux personnes les plus estimables que j'ai rencontrées c'est Mylène et Laurent. Je les adore et les respecte infiniment. Ce sont les plus intelligents. D'une intelligence à la Warhol. Ce sont ceux qui comprennent le mieux les mécanismes de ce business, qui sont en meilleure position pour le pervertir, en tirer tous les fruits. Ils crachent dessus tout en faisant cracher le fruit. Pas mal."

"(le but du truc) C'est de faire cracher les fans. C'est un challenge profondément immoral, intéressant. Laurent Boutonnat est un vrai immoraliste, au sens noble du terme. Il y a une sorte de pulsion consumériste dans la population, autant être là pour en profiter. Il vaut mieux que les jeunes achètent des T-shirts de Mylène Farmer plutôt que des T-shirts de la Star Ac' !"

"Par rapport à Goldman, Mylène Farmer c'est du Wagner ou du Bach ! Il y a chez elle quelque chose de simple, populaire, féminin et pervers aussi. C'est très excitant sexuellement tout ça. Et c'est parfaitement maîtrisé dans une sorte de tradition décadente. A côté de Mylène, Jenifer on dirait un Caterpillar."

Propos Recueillis par Tifenn Duchatelle et Hugues Royer.

    Pour finir notons l'interview de Jean-Louis Murat à Thierry Ardisson dans l'émission Double Jeu diffusée le 2 novebre 1991, dans laquelle ce dernier demandait comment s'était passée la collaboration avec Farmer. Murat rétorqua qu'elle s'était bien passée( "très agréable jeune fille") mise à part le partage des droits ("dans la difficulté mais c'était assez normal"). "Vous avez fait 50-50%" demande Ardisson ;"non non, c'est elle qui a écrit la chanson".

Dr. Jodel

 

 

      Venant de nulle part dans un noir & blanc surexposé, un homme descend d'un tramway sortant d'un brouillard ne pouvant être que le néant. Il se rend à un rendez-vous mortuaire au sein d'un vieux cimetière juif. Les tombes clairsemées et à moitié enterrées sont envahies par les ronces, une biche solitaire le traverse, la neige qui commence à fondre se confond avec les nappes de brouillard omniprésentes. L'homme attend assis sur une tombe (celle de la jeune femme ?) un bouquet de chardons et de roses à la main. Les mains de Mylène Farmer, qui interprète ici ce fantôme féminin, se posent sur les yeux de Jean-Louis Murat, lui est l'amour, elle est la mort. Telle Libertine avec le petit tambour dans Pourvu Qu'elles Soient Douces, et dans un éclat  de rire partant en échos, elle le prendra par la main et l'emmènera dans les allées de ce cimetière pour faire tout ce qu'il n'avaient pas eu le temps de faire étant vivants : courir, rire, et danser l'un contre l'autre. Lui bascule dans ce monde onirique ou la notion de temps n’est plus. Le film n'est alors plus qu'au ralenti. 

    Ce qui pourrait être vu comme de lentes lamentations romantiques sans fond se doublent en fait du récit d’un homme rendant une courte visite à sa défunte femme. Il vient la persuader en vain de pérenniser leur amour malgré la mort de celle-ci. L’intégralité du clip se place dans cet au-delà à la géographie limitée : celle de rails de train issues du brouillard conduisant aux portes d’un vieux cimetière isolé, aux tombes enneigées et détruites, envahies par les ronces. Lui est amour, elle est la mort. Comme un cadeau inespéré, l’homme peut voir sa bien aimée, la sentir, la toucher, et lui donner en main propre son bouquet qu’il aurait sans doute posé sur sa sépulture. Le reste du clip n'est qu'une longue et belle contemplation de ces retrouvailles platoniques. Malgré des performances d’actrice contestables, entre l’outrance inappropriée de Libertine II (1988) et la vulgarité non assumée de California (1996), Mylène Farmer atteint dans Regrets une sorte d’abstraction assez intéressante. Lorsqu’elle incarne des êtres en proie avec la mort (A quoi je sers – 1989), l’interprète se révèle être une bonne actrice, capable de vider son visage de toute expressivité humaine. Ici la chanteuse est dans son élément, dans son emploi.  

    Sur le pont musical de la chanson, une longue image vient broyer les sens. Dissimulés derrière des branchages, sur une tombe isolée, Jean-Louis Murat s’est endormi sur les jambes de Mylène Farmer. Un peu comme l’amour se reposant sur la mort sa compagne, les deux êtres entourés de nappes de brouillard se cachent pour s’aimer. Lorsque tout est dit, que les amants se sont regardés dans les yeux et qu'ils ne leur reste plus qu’à s’embrasser, Mylène Farmer et sa silhouette de spectre rendent le bouquet puis disparaissent dans le brouillard, en pénétrant précipitamment l'épaisse fumée. Il ne restera plus à l'amoureux déçu qu'à ressortir de ce cimetière et repartir à bord du tramway la tête ivre de souvenirs ; souvenirs d’une union éphémère.

 

    Mylène Farmer est faite pour jouer ces états là, lyriques, même pas humains. Pendant le pont de la chanson, la caméra de Laurent Boutonnat tourne autour de cette tombe sur laquelle est couché le couple: Malgré les broussailles qui dissimulent le tableau, on se sent alors témoin d'une union unique, celle de l'amour avec la mort. Avant de le quitter définitivement, la jeune femme se sera retournée pour lui donner un dernier sourire qu'il ne verra pas. Il ne restera plus à l'amoureux déçu qu'à ressortir de ce cimetière et de repartir à bord du tramway qui le ramène vers ce que pour la mort est le néant : la vie.

 

Jodel Saint-Marc.

 

    "Comme à l'accoutumée, il reste impossible de parler du cinéma de Boutonnat sans évoquer métaphores et images tant il use d'un symbolisme pompier dont chaque idée s'étire en arborescence sur le symbolisme le plus pur tiré des grands poètes tels Baudelaire ou Poe. Peut-être le dernier chef-d'œuvre de Laurent Boutonnat annonçant la mort inéluctable de l'ancienne Mylène Farmer qui, après avoir noyé ses personnages et brûlé son décor, fait entrer l'autre dans son univers à présent fissuré, voir abîmé et qui donnera lieu à la fin de la Mylène Farmer "pré-anamorphosée". (...) A force d'étirer la quintessence de ce que fut Mylène Farmer avant que Laurent Boutonnat ne la délaisse professionnellement, on en vient à pardonner que tout ne se soit pas arrêté sur A Quoi je sers tant Regrets peut y être lu comme une seconde lecture de la dégénérescence de la saga Farmer."

Xavier Sigala (alias Hubert X) - MF Magazine n°8

 

 

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