Sur les traces...

Suite à des recherches effectuées à Budapest (Hongrie) les dimanche 13 et Lundi 14 août 2000 à la quête de  l'usine de Désenchantée, j'ai pu retrouver le vieux cimetière juif abandonné depuis 1945 dans lequel à été tourné Regrets. Bien que toujours à l'abandon, l'endroit est encore ouvert au rares visiteurs...

    C'est dans les 34°C estivales de la capitale hongroise que j'arrive par hasard à l'entrée d'une rue qui paraît sans fin. Difficile de trouver un endroit de verdure calme au milieu de cette ville. Dans ce huitième arrondissement, aucune voiture neEntrée du cimetiere présente dans le clip sort ni n'entre dans cette avenue. Aucune habitation ne la borde. A sa gauche l'immense cimetière catholique de la ville semble immense, la muraille qui le sépare de la rue s'étirant à perte de vue. Seuls quelques monuments communistes encore en place sont visibles depuis la route. A droite, une entreprise de livraison s'étale sur toute la profondeur de la rue, elle n'a pourtant pas d'entrée... Les poids-lourds sont nombreux, avec ou sans remorque, et sont les seuls à circuler parfois dans cette rue. Ici, certains indices me laissent penser que je suis près d'un lieu familier : les rails de tramway au sol, la perspective à perte de vue de cette rue à l'issue improbable, et ces poteaux télégraphiques pyramidaux et blancs, sur lequel s'ouvre le clip de Regrets. Puisque je ne me pose même pas la question de mon itinéraire, je m'avance...

 

 

 

    La rue est plus longue que je ne l'avais imaginé. Ce cimetière catholique et cette usine semblent interminables. Après deux bons kilomètres de marche, droit devant, dans cette rue déserte où je n'ai croisé personne, je distingue face à l'entrée du l'usine sur ma droite, un haut portail entouré de deux larges colonnes en pierre. Cette imposante porte rappelle une entrée de château, par laquelle on ne pourrait accéder que par l'intermédiaire d'un pont-levis. Plus aucun doute,  le tramway duquel descendait Jean-Louis Murat s'est bien arrêté ici il y a dix ans, et ce portail noir est bel est bien celui qui retenait Mylène Farmer en février 1991. La magie n'est pas du tout trahie. On aurait pu penser que la venue irréelle du tramway de cet inconnu blanc était imaginaire. Difficile en effet de croire que ce lieu existait vraiment. Les environ déserts et étonnamment calmes dans cette capitale recréent étrangement cette impression. Ce qu'on ne voit pas dans le premier plan du film, c'est que ces piliers de pierre supportent une maison, qui semble habitée. La route goudronnée, elle, s'arrête ici. Seul les rails de tramway continuent tout droit, sur de la terre, en direction de la banlieue Est de budapest. On ne peut toujours pas voir l'issue de cette perspective, tant l'exacte linéarité de cette allée semble sans fin. Après le portail, on distingue des tombeaux très hauts qui dépassent de la muraille sensée les préserver. Pas de croix, des traces de textes hébreux, les sépultures sont bien juives. Un énorme chien en garde l'entrée et montre férocement les dents lorsqu'on s'approche d'un peu trop près. Une vieille voiture blanche est garée sous le porche, juste derrière le portail.  Le cimetière abandonné abrite encore quelqu'un...

 

    Je sonne. De la fenêtre située au dessus du porche, une jeune fille d'environ 25 ans me crie quelques mots que je ne comprends pas. Elle me fait signe d'attendre et viendra m'ouvrir le haut portail noir après avoir rentré son chien à l'intérieur. Elle ne parle ni anglais, ni français, ce qui rend le contact très difficile. Je comprendrais juste que c'est elle qui garde le cimetière en l'absence de ses parents. Je tente de lui poser quelques questions à renfort de gestes et d'hésitations. Elle me dira qu'elle a entendu parlé du tournage du film pendant l'hiver 1991 mais qu'elle n'y a pas assisté. Et puis elle me fait signe que les caméras et les photos sont interdites. De toute façon,  je n'ai pas d'appareil sur moi. Je comprends alors qu'il ne sera pas nécessaire d'insister pour visiter le mystérieux endroit. J'entre et  laisse la fille fermer à clef l'entrée derrière moi. Elle retournera chez elle, en me laissant seul avec à ma droite cet endroit envahi de broussailles et de ronces. Devant moi se dresse un imposant monument qu'on distingue d'ailleurs derrière l'entrée dans le clip. A son sommet, des textes hébreux sont gravés. Et en dessous, des caves logent on ne sait quoi. 

 
 

 

    Je pars dans cette véritable forêt vierge qui paraît in franchissable. On a ici aucun mal à croire que le site est à l'abandon. Certaines pierres tombales sont couchées les unes sur les autres , ou entièrement recouvertes de racines et d'herbes. Des caveaux ont vu leur toit de pierre effondré, ce qui a fait lâché le sol et met à l'air libre l'intérieur des caveaux. Les tombes sont très vieilles, leurs inscriptions se sont effacées avec le temps et peu d'entre elles sont encore à la verticale. Les allées sont rares, des tombes couchées barrent parfois la route, m'obligeant à les contourner. La plupart des tombes sont invisibles des allées principales, il faut s'avancer, braver les broussailles pour trouver les endroits les plus touchants. Comme ses tombes arrondies devenues anonymes avec le temps, à l'ombre des nombreux arbres qui couvrent les sépultures. Il fait étonnamment frais sous cette verdure, on se sent loin des 34°C de la ville.

 

    Beaucoup de stèles datent du XIXe siècle, même d'avant. Les tombes les plus récentes datent de 1945. Beaucoup de monuments semblent datés de 1918, sauf cette unique tombe, isolée, portant comme date de décès l'année 1968... Il y a aussi cette pierre tombale ave son épitaphe inscrite à la main, en rouge, avec les larmes de la même couleur tracées à même la pierre au dessous des inscriptions mortuaires. Autant d'images lourdes émotionnellement qui restent gravées longtemps dans un esprit. Je passe dans des endroits qu'il me semble déjà avoir vus dans une autres vie. Comme cette large tombe romantique sur laquelle était assis Jean-Louis MURAT en attendant sa bien- aimée. On imagine ce lieu peuplé, il y a bien longtemps, de juifs enterrant leurs morts, ou venant se recueillir. On imagine également les repérages de Laurent , la mise en scène du film, les travellings latéraux, et la neige, qu'on a peu de mal à imaginer recouvrant les arbres et les ronces. Depuis dix  ans que le film a été tourné ici, rien ne semble avoir changé. Rien n'a pu changer... Et personne ne vient. Ce lieu semble inconnu même à ceux qui habitent Budapest.

 

    A l'extrémité du cimetière, du côté opposé à l'entrée, le paysage change étrangement. Les arbres se font tout à coup rares et une espèce de champ apparaît. Il est vide, et seule son extrémité comporte des tombes blanches, anonymes, et bizarrement alignées face à moi. Impression singulière de solitude mêlée de présences silencieuses, d'épouvante aussi. C'est ici qu'a été tourné le somptueux plan où l'on voix Jean-Louis Murat marcher au ralenti de droite à gauche, avec au fond, la marche de Mylène Farmer dans le même sens avant qu'ils ne se rencontrent. Ici, on pense aussi à la biche du début du film. Animal probablement apporté par la production, à moins qu'elle n'ai appartenue aux gardiens... La tombe sur laquelle son couchés les amoureux durant le pont de la chanson reste quand à elle introuvable. Et aucune sépulture ne lui ressemble vraiment, les pierres tombales étant enterrées et invisibles. Il s'agit probablement d'un décors. Le mystère des lieux ne sera pas totalement percé.

 

    Après une heure et quart à visiter ce cimetière (qui est un petit peu plus petit qu'un terrain de football), je me dirige vers la sortie où la fille m'attend, comme si elle avait deviné quand je déciderais de sortir. Sans un regard, elle refermera le portail derrière moi et lâchera de nouveau son chien, comme vexée d'avoir dévoilé un secret qu'elle voulait garder pour elle seule. En sortant, je verrais un tramway arriver du fond de la perspective sans-fin. Les tramways circulant sur cette voix semblent relativement neufs. Leur jaune fait oublier la noirceur de l'étrange wagon figurant dans le clip. Il s'arrêtera juste après le portail d'entrée, à l'arrêt n° 38. Je ne le prendrais pas et repartirais à pied sous la canicule, savourant l'étrange cimetière suave dont j'ai été l'invité.

 

    Je reviendrais le lendemain, (cette fois avec un appareil photo) et tout se déroulera de la même façon. Nous tenterons de dialoguer en vain, elle me laissera seule à l'intérieur du cimetière faire ma propre visite, et je ressortirais, une heure plus tard, la pellicule pleine, pour embarquer dans le train pour Paris. On repense à cet endroit des semaines entières après son retour en France. On se souviens de l'abandon d'un lieu, du véritable repos et la vraie paix des défunts, que rien ne vient perturber. On se souvient aussi de ces endroits où Laurent avait posé sa caméra, fixant pour toujours sur la pellicule ces tombes qui finiront inévitablement rasées un jour, pour laisser la place à un aménagement plus moderne.

     Je ne pense pas retourner un jour dans cet endroit qui pourtant m'a ému. Je préfère garder le souvenir d'une découverte, d'une bonne surprise au court d'une Balade hongroise. Non loin de la gare, le cimetière juif est visible des lignes de l' Orient-express. C'est lorsqu'on quitte Budapest en train qu'on peut l'apercevoir, calme, perdu et désert, au milieu... de nulle part.

  Dr. Jodel, septembre 2000.

 

    M.A.J. juillet 2005 : Le 14 juin 2005, le cimetière juif de Budapest a été profané. Les dégradations sont particulièrement importantes, de nombreuses pierres tombales sont éventrées et les stèles souvent brisées en deux : "La nature des destructions et le nombre de tombes profanées écartent la thèse d’un acte individuel spontané. Il est difficilement imaginable qu’un individu isolé ait pu profaner plus de 130 tombes et la destruction de lourdes dalles de marbres implique que des outils, peut-être des masses, aient été apportés sur place." (Guillaume Carré, L'Humanité, édition du 17 juin 2005).

    M.A.J. septembre 2006 : Le cimetière juif profané le 14 juin 2005 est celui de la rue Kozma, dans le Xeme arrondissement. Ce n'est donc pas celui où a été tourné Regrets, qui se situe, lui, dans le VIIIe arrondissement ; ce qui n'enlève rien, bien évidemment, à la gravité des actes.

 

    "Quand j'ai vu le vieux cimetière (à Prague), j'ai été submergée d'émotion. La rencontre la plus forte, la plus importante de mon séjour. J'aurais voulu être juive, je me sens juive. J'ai l'impression de partager cette douleur de l'arrachement, ce long chagrin des racines coupées. Mais aussi ce besoin du lien, de la transmission. Devant ces tombes superposées et ces stèles si  serrées, j'ai pensé à l'écrivain Primo Lévi (cf. Souviens-toi du Jour - Marcus Nispel -1999). Bien que l'endroit date du XVe siècle, les images de la guerre et des camps vous arrivent tout de suite. On devrait donner à lire Si c'est un Homme à tous les adolescents. Pour qu'ils comprennent en même temps ce sont le Mal et l'humain. Je le considère comme un chef-d'œuvre irremplaçable. Ensuite seulement, j'ai ressenti de la douceur à être là, dans ce lieu si beau, presque un jardin minéral. Pour moi les cimetières ne sont pas des endroits tristes. Tragiques parfois, mais pas sinistres. J'ai retrouvé des lettres que j'avais écrites, enfant, à ma grand-mère. Dans toutes je lui disait : "Si tu veux dimanche, nous irons au cimetière..." Je l'envisageais sans angoisse, comme un cadeau à lui faire, une belle chose à partager. A Prague, j'ai aimé cette jonchée de pierres , vivantes et meurtries et cette floraison de petits cailloux sur les tombes. Celle du philosophe érudit Rabbi Löw, soupçonné d'avoir donné vie au Golem, est toujours vénérée. Près de quatre cent ans après sa mort. Quelle fidélité et quelle foi parfaite."     

Mylène Farmer. Femme - juin 1996

 

Ancien cimetière juif de Budapest, Kerepesi temeto, rue Salgótarjáni, VIII, BUDAPEST, Hongrie.

Tramway ligne 37. Semble ouvert tous les jours sauf le samedi.

 

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