Mise
en place d’une symbolique
L’ambition
de Laurent Boutonnat est de réaliser une œuvre de clips qui tient un discours
sur le monde, qui évoque plusieurs thématiques choisies et qui représente un
univers cohérent, réalisation difficile dans cette forme filmique du clip qui
exige une grande concision. De plus, l’aspect promotionnel inhérent à la
forme du clip impose une facilité de compréhension certaine par le grand
public. Afin de donner l’éclat d’une œuvre d’auteur à l’ensemble de
sa production, Laurent Boutonnat l’enrichi d’une symbolique pompière
accessible par une partie relativement grande du grand public. C’est pourtant
cette symbolique simple qui rendra ses clips particuliers, là où la
quasi-totalité des autres réalisateurs ne penseront qu’à illustrer de manière
descriptive et le plus directement possible des situations décrites dans les
paroles de la chanson. L’utilisation d’une symbolique dans un vidéoclip
n’est
pas chose aisée, car celle-ci ne se prête pas forcément à la
projection dans d’autres clips du même artiste auxquels elle sera forcément
comparée. La symbolique du vidéoclip en question risque de rester incomprise
lorsque celui-ci sera diffusé conjointement à ceux du même interprète,
autres clips très probablement tournés par des réalisateurs différents
n’usant pas du même vocabulaire. En étendant sa symbolique sur toute la clipographie
d’une interprète, Laurent Boutonnat crée une homogénéité qui lui permet
de réutiliser les symboles instaurés dans un film précédent sans avoir à
les signifier à nouveau.
Très
utilisée chez Boutonnat, la mort frappe le plus souvent le héros du film. On
distingue deux nuances : soit le symbole est utilisé pour souligner le trépas
du personnage en question, soit pour figurer son statut de défunt. Plusieurs
films du réalisateur mettent en effet en scène des personnages morts dont on
suit l’action dans l’au-delà. Certains d’entre eux peuvent être rangés
dans la première catégorie, la mort par fusillade de Libertine[1]
est montrée de manière on ne peut plus claire, celle de Tristana est rendue
indirectement par le visage terrifié de l’héroïne auquel succède la giclée
de sang sur le portrait de Karl Marx accroché au mur[2],
ou encore la lente agonie du toréador de Sans Logique que l’on voit
transpercé par des cornes de la femme-Centaure. En revanche, d’autres clips
évoquent la mort du personnage plus qu’ils ne la montrent, ceci dans des
clips plus sobres et plus lents. Clips qui véhiculent une espèce de romantisme
éthéré qui épargne par un hiatus diégétique le décès du personnage dont
la cause importe peu. A la fin de Plus grandir, la mort de l’héroïne
intervient lors du fondu enchaîné elliptique entre deux de ses états :
le plan de son visage vieillissant est en surimpression avec le recueillement de
son fantôme devant
sa propre tombe, posture faisant écho début du clip. Afin
de souligner le trépas du personnage, l’élément de la colombe qui se pose
devant elle évoque la paix retrouvée, en contraste avec les tortures et la
confusion qui ont précédé dans sa vie. Cet élément qui conclu la vie du
personnage conduit le spectateur à voir le plan du cimetière comme une
apparition post-mortem de l’héroïne, et donc à intégrer l’idée de son décès
sans que celui-ci n’ait été montré. Le décès du personnage de la
marionnette de Sans Contrefaçon est particulière car il n’aboutit pas
à la suppression du personnage mais à son passage d’un état animé à un état
inanimé. La marionnette de cire en question voit sa réelle naissance marquée
par sa transformation en personnage de chair et de sang. Sa mort sera un retour
à ce premier état, comme si ce qui précédait la naissance relevait du même
domaine que ce qui succède au décès. La mort de la marionnette devenue
humaine n’est pas montrée, mais on sait au moment présumé du décès que la
fée qui lui avait donné la vie quelques minutes plus tôt part sur la plage en
signe d’abandon. C’est précisément c
e détachement que Laurent Boutonnat
prend pour métaphore de la mort de la marionnette, et le traitement du conte
qui régit le clip fait beaucoup pour la justification d’un tel symbole :
celle qui a donné la vie par sa venue la reprend par l’effet de sa
disparition. Suite au plan de la fée se retirant au loin sur le rivage, le
marionnettiste tenant son pantin dans les bras se rendra compte de sa soudaine
raideur et le découvrira redevenu de bois et de chiffons. Cette femme en noir,
transposition d’une fée détenant le pouvoir de vie, est aussi symbole de
mort, et emporte avec elle l’existence des êtres qu’elle a effleurés.
Autre personnage noir, le cheval de Pourvu qu’elles soient douces est
nommément désigné dans le clip comme le symbole de la mort. La voix du
narrateur cite son propre père en désignant le cheval noir comme le signe
distinctif du prochain trépas :
« -Tu
reconnaîtras la mort à son grand cheval noir. Si par malheur un jour elle
s’arrête devant toi, surtout ne la regarde pas ».
L’emploi
du cheval dans un premier temps comme symbole est cependant vite dépassé par
l’apparition de la mort elle-même sur le cheval, sans que celle ci ne soit présentée
verbalement comme symbolique. Le personnage de la mort est figuré dans le clip
par Libertine vêtue de noir, car c’est elle qui monte le cheval et en est
propriétaire. La suite du clip confortera cette lecture, la mort et son cheval
noir faucheront le petit tambour anglais devant les yeux médusés et
impuissants de la troupe française pourtant armée. Ici le statut symbolique de
l’élément est intégré d’une manière totalement diégétique à
l’histoire, et ce uniquement afin d’introduire par un effet dramatique le
personnage de Libertine sensé être l’incarnation de la mort. Nous préciserons
que l’emploi du cheval noir comme symbole de la mort sera repris dans le
long-métrage Giorgino ; c’est lui qui suivra le héros du début
à la fin du film et sera l’annonceur de sa mort. A l’extrême fin du film,
après la mort du héros et pendant l’approche de centaines de loups, le
cheval en question se réfugiera dans une église et s’abreuvera au bénitier,
seule utilité trouvée à la religion dans tout le film. D’autres signes dans
Giorgino laisseront entrevoir l’emploi du cheval comme symbole
mortuaire : c’est par exemple à lui que sera attaché le cadavre de Sébastien
Degrâce traîné au sol les bras en croix ; c’est aussi du passage
d’un autre cheval noir à l’exacte moitié du film que sera associée
l’apparition fantomatique de l’âme des orphelins noyés, sur lesquels le héros
est venu enquêter.
Deux
des clips de Laurent Boutonnat mettent en scène leur héroïne en tant que
personnage défunt : A quoi je sers et Regrets. La diégèse
des clips en question se situe dans un au-delà rendu d’une manière
stylistique assez identique : un noir et blanc surexposé et des paysages déserts.
Pour rendre l’aspect irréel et post-mortem de l’au-delà de A quoi je
sers, Laurent Boutonnat use d’une symbolique biblique, qui met en scène
un mystérieux passeur sur un fleuve qu’on reconnaîtra comme étant le Styx,
fleuve des enfers. La venue de personnages morts dans les précédents clips,
comme le capitaine de Libertine II, sa rivale ou le toréador de Sans
logique accentue le statut de défunte de l’interprète à laquelle ils se
joignent. Dix ans plus tard dans Parler tout bas (1999) Boutonnat
s’attache à décrire, à nouveau dans un monde mi-réel mi-imaginaire, le
passage d’une jeune fille à l’âge adulte. Loin de la poésie dont il avait
fait précédemment preuve avec l’usage d’une symbolique relativement juste
et discrète, Laurent Boutonnat quelques années après s’être illustré avec
les clips de Mylène Farmer fait avec Parler tout bas (2000) un clip
uniquement peuplé de symboles. Ici aucun d’eux n’est au service d’une
histoire et seul le basculement de l’enfance vers l’âge adulte justifie
leur emploi. Du point de vue des éléments filmés, on pourrait lire ce clip
comme une suite du précédent réalisé par Boutonnat : Moi…Lolita
(1999). Le jeune homme amoureux d’elle dans le premier opus revient dans
celui-ci, et alors qu’elle le rejetait à l’époque, le garçon trouve à présent
devant lui les bras grands ouverts de la protagoniste ; preuve du passage
de la jeune fille à l’âge adulte. On peut remarquer aussi que Parler tout
bas commence dans une maison en ruines jonchée de jouets cassés et de
boue, probablement celle qu’habitait la jeune femme alors enfant dans Moi…lolita.
Le champ désert et boueux qu’elle traverse pour enterrer sa vie d’enfant
ressemble lui aussi aux champs d’orge du premier "épisode". Mais
ici la reprise de ces éléments se fait dans un contexte plus onirique qui
rappelle celui de Plus Grandir (1985). Parler tout bas ressemble
justement à un rêve ; ou plutôt à un cauchemar de petite fille qui ne
voudrait pas devenir grande, tout comme Plus grandir. Les lieux que
traversait la jeune fille dans Moi…Lolita étaient autant peuplés,
ensoleillés et vivants que ceux qui leurs correspondent dans Parler tout bas
sont déserts, pluvieux et désolés. Après avoir enterré son ours en peluche
sur lequel elle plante une croix de bois, la jeune fille rejoint une dizaine de
poupées géantes symbolisant on l’imagine l’accompagnement éternel de l’âme
d’enfant dans sa vie d’adulte. La grossièreté des symboles de Boutonnat
dans cette période non-assumée de sa carrière a pour mérite de justifier
l’emploi que le réalisateur faisait d’une symbolique qu’il a toujours dit
ignorer.
Les images christiques chez Laurent Boutonnat sont essentiellement employées
par association à la douleur des personnages. Dans Sans Logique, la
petite fille qui trouve une figurine du Christ par terre puis un petit crucifix
un peu plus loin les rassemblera en clouant l’un à l’autre, crucifiant
symboliquement une seconde fois Jésus sur sa croix. Cette scène introduit bien
le rituel de mort qui suivra, et préfigure de l’acharnement que va subire
l’héroïne qui sera attachée, humiliée et maintes fois poignardée par son
entourage. La tête du Christ en plâtre de Giorgino plusieurs fois détachée
accidentellement, trouve un retentissement particulier avec plusieurs épreuves
auxquelles est confronté le héros. Le Christ ainsi décapité renvoie aux scènes
de l’asile de fous, où les aliénés enfermés dans des baignoires en
ressortent le cou cerclé d’une marque noire ; marque aussi identique à
celle laissée par la corde qui servit les enfants à tirer le corps du héros
inconscient dans les sous-bois. La trace noire autour du cou, récurrente dans
le film, renvoie ainsi à la même idée d’asservissement, voire
d’emprisonnement des personnages qui la portent, en soulignant du même coup
le discours de l’impuissance d’une religion et son caractère impersonnel.
Sans surinterpréter les éléments graphiques présents dans le cinéma de
Laurent Boutonnat, on peut voir aussi des images de crucifixion dans plusieurs
scènes d’errance et de divagation. Ainsi dans Sans Contrefaçon,
l’apparition lointaine d’un épouvantail appuie l’idée d’un long et pénible
chemin de croix que le héros est en train d’accomplir.
Le
cas Regrets
Dans Regrets aucune référence biblique ni d’apparition de personnages déjà morts ne peuvent guider le spectateur vers une lecture d’un au-delà. Ici Boutonnat semble faire confiance aux paroles explicites de la chanson et à la capacité de double lecture de son public pour que celui-ci trouve ce que représente le décor. La piste sonore de Regrets est un duo avec Mylène Farmer et Jean-Louis Murat remixé et bruité.
L’homme
(vivant) pénètre dans l’au-delà grâce à un wagon de train sortant d’une
épaisse brume pour s’arrêter devant une grille de cimetière close. Les
caractéristiques des "portes de l’au-delà", souvent rendues au cinéma
par l’emploi d’une ouverture blanche et lumineuse derrière laquelle s’étend
un monde inconnu, sont ici réutilisées à l’inverse pour signifier la vie de
laquelle sort et retourne l’étrange wagon. Si l’emploi du cimetière duquel
semble prisonnière l’héroïne évoque son statut de défunte, le néant
brumeux d’où sort l’homme symbolise bien la différence entre cet au-delà
et le monde de vie auquel il appartient. Certains détails à l’image appuient
les appartenances des deux protagonistes. Dans le générique de début, qui se
compose des deux noms des interprètes et du titre du clip, le positionnement
sur l’écran renvoie chacun des deux héros à son état dans le clip. Ce
n’est pas innocemment que le nom de la chanteuse apparaît en haut à gauche
de l’écran, élevé vers le ciel et du côté du cimetière. Ce n’est pas
non plus dans un pur souci de composition d’image que celui du chanteur reste
planté au bas de l’écran à droite, comme s’il avait les pieds sur terre.
Suite à l’apparition des deux noms, le titre du clip apparaît au centre de
l’image simultanément et au même
endroit que le wagon sortant de la fumée,
désignant le plus simplement possible les sentiments de l’homme présent dans
le train : des Regrets. Le clip fourmille ainsi de détails à la
cohérence implacable avec l’histoire racontée. Par exemple, l’apparition
d’un daim solitaire lors de l’entrée de l’homme au bouquet dans le cimetière
évoque Bambi (Walt Disney - 1946) qui perd sa mère dans le long-métrage
d’animation du même nom. Alors perdu dans la neige, Bambi est recueilli par
son père qui est le seul de ses parents encore vivant. Fils symbolique des deux
protagonistes de Regrets, de la mère morte et du père venant le
recueillir, le daim comme tous les autres éléments du clip fait une apparition
en totale cohérence avec le contenu du récit.
L’aspect
poétique des paroles comme la difficulté de décodage de la symbolique du clip
ne laissent pas une grande place pour une lecture claire de l’histoire racontée.
Rien n’y est clairement dit et tout est montré figurativement de manière
plus ou moins décryptable. Ici c’est le bouquet tenu à la main par l’homme
et refusé par la femme qui symbolise l’amour qu’il devra garder pour lui.
Le voyage dans l’au-delà de cet homme n’est pas figuré par le passage
pompier d’un tunnel ou d’un pont mais par l’emprunt d’un wago
n sur des
rails menant nulle part. Le plus souvent dans les vidéo-clips, les symboles
utilisés sont relatifs à l’image que l’interprète veut donner de lui, au
titre de sa chanson ou à certaines paroles, mais ils sont rarement utilisés au
service d’une histoire construite. Dans les autres cas, l’usage du symbole
dans un clip est dû à la volonté du réalisateur de transposer visuellement
un texte relevant d’éléments abstraits. Le récit de Regrets
reproduit au contraire fidèlement l’histoire contenue dans le texte de la
chanson sans l’enrichir d’autres actions. Ici la symbolique intervient
seulement pour fixer quelques éléments narratifs et diégétiques d’une manière
romantique cohérente avec la sobriété voulue par l’auteur.
Ce
qui fait de Regrets, comme d’autres clips de Boutonnat, une œuvre aux
attributs cinématographiques est l’usage d’une même langue pour se faire
comprendre, qui est celle du cinéma classique. En ce sens Laurent Boutonnat
s’éloigne du reste de la production de clip contemporaine utilisant les
outils du langage cinématographique (raccords, échelle de plans) et des
figures de style dans le but unique de produire chez le spectateur de la
sensation brute. En cela nous rejoignons ce que nous expliquions au début de
notre première partie sur le cinéma post-moderne. Regrets se lit comme
ce que Christian Metz appelle un « long-métrage de fiction romanesque »[3]. En s’attachant aux
raccords du clip, on remarque que les nombreux fondus enchaînés qui séparent
les plans représentent à chaque fois un hiatus diégétique, et renforcent à
chaque fois l’impression de longueur, de lente errance dans le cimetière.
L’unique scène du clip montée en cut est le moment où les deux
amoureux se regardent l’un l’autre en champ-contrechamp avant de se séparer.
C’est justement la seule séquence du clip où le temps du film est le même
que le temps de la diégèse, le seul instant où aucune ellipse n’est présente
entre deux plans. Laurent Boutonnat par ce montage obéit à l’usage ancien et
très fréquent du montage cut dans les scènes à chronologie normale,
et des surimpressions pour simuler les ellipses. Afin probablement d’accentuer
la magie de la rencontre entre l’homme et sa femme, Boutonnat applique un fort
ralenti à chaque plan où ils figurent tous les deux dans l’image ;
comme si par la grâce de leur proximité retrouvée le temps ralentissait,
devenait élastique et ne comptait plus. Ces ralentis commencent dès l’entrée
de l’homme dans le cimetière et s’arrêtent lorsque sa femme lui rend le
bouqu
et. Facile alors de définir l’emploi du ralenti dans Regrets
comme la magie inhérente à la rencontre post-mortem entre les deux amants. Le
fait, chez le spectateur, d’associer le ralenti à l’irréel ou la
surimpression à l’ellipse ne relève pourtant pas du même apprentissage à
la lecture d’images. En ce qui concerne les images ralenties, les plans
ralentis devrait-on dire, le spectateur subit un effet technique spécial qui
modifie le déroulement du film et change du même coup la temporalité.
L’impression alors ressentie par le spectateur est directement donnée par
l’effet spécial en question, sans qu’aucun enseignement lui ai précédemment
dicté quel figure de style le ralenti signifiait dans ce cas là[4] ;
bien que le spectateur ai certes pu être aiguillé dans sa lecture par
l’emploi de ralenti dans un film qui produisait le même sens. En ce qui
concerne la lecture des points de raccord dont nous parlons plus haut, son sens
n’en sera dégagé que si le spectateur a eu connaissance de la signification
d’un tel emploi. Si la volonté d’émotion provoquée par un fort ralenti
est comprise dans l’effet, l’ellipse matérialisée à l’écran par la
surimpression ne produira son sens que si le spectateur est déjà éduqué à
la signification de cet effet ; un peu comme si en linguistique un lecteur
sait ou ne sait pas ce que signifie un point d’exclamation.
« Toute
lecture d’image consiste dans "l’application" sur l’image, de
processus qui lui sont, en eux-mêmes, extérieurs ; la lecture d’une
image n’est pas le résultat d’une contrainte interne, mais d’une
contrainte culturelle. »[5]
Toutefois,
le spectateur pourra être aiguillé par la différence de décor selon les
plans : si le plan situé avant le raccord en surimpression représente les
même personnages que le deuxième mais dans des positions et des lieux différents,
même sans avoir précédemment appris ou déduit la signification du fondu
enchaîné, le spectateur comprendra le hiatus sans que sa lecture du film
n’en soit troublée.
Boutonnat
a employé dans toutes ses oeuvres une symbolique relativement accessible pour
un public de cinéma, qui renvoie le plus souvent au champ lexical des éléments
utilisés en allégorie. Par exemple es éléments graphiques pris comme
symboles de la mort y sont toujours noirs, ce qui facilité leur interprétation,
alors que ceux ayant trait à l’au-delà se teintent d’un blanc omniprésent.
Par delà une simple justification esthétique, l’emploi de signes christiques
apparaît par association à l’action du film, ce qui figure des parallèles
entre l’histoire racontée et un discours plus général sur la religion. Chez
Boutonnat chaque symbole vient enrichir l’histoire, aucun d’entre eux
n’est gratuit et n’apparaît pour figurer une caractéristique de
l’interprète en tant que personnage public, comme c’est pourtant souvent le
cas dans l’emploi de symboles dans les vidéoclips. La force de Laurent
Boutonnat en ce domaine est de pouvoir étendre les composantes de son cinéma
sur plusieurs films, de rendre sa symbolique solidaire non seulement de ses réalisations
et compositions musicales, mais de la présence répétée de ses interprètes
sur l’écran. La force promotionnelle du clip est alors enrichie par cette
association entre un vocabulaire cinématographique particulier et la chanteuse
qui sera désignée comme porteuse de ce style. En plus d’être pleinement
dans
une situation de cinéaste par rapport à son oeuvre, Laurent Boutonnat se
place d’une manière nouvelle sur le plan de la promotion de l’interprète
en l’associant sur la durée à son travail visuel et narratif, créant une
unité entre l’interprète et son réalisateur dont aucun autre artiste n’a
eu l’occasion de bénéficier à l’époque[6].
Il est néanmoins difficile de prêter au réalisateur de grandes ambitions
d’allégories ou de paraboles car il a toujours refusé de commenter ou
d’expliquer son cinéma, comme un rejet de toute justification. Comme nous
l’expliquerons dans une prochaine partie, le plus grand projet de Boutonnat, Giorgino,
est peuplé (voire surpeuplé) de symboles, dont certains sont relativement peu
décodables pour un spectateur peu coutumier de son cinéma. Dans une de ses
rares interviews[7], le cinéaste commentera
le plan final de son film[8]
manifestement symbolique par une explication très rationnelle : il dira
avoir simplement voulu montrer la survie possible de ce cheval, dans cette église
assiégée par des hordes de loups. Sans juger du crédit à porter à une telle
"explication de texte", le silence quasi-continu de Boutonnat par
rapport à la presse et au métier explique sans doute sa volonté de ne pas
analyser son cinéma et d’en laisser la libre interprétation au spectateur.
Jodel Saint-Marc, le 11 novembre 2003.
- [1] Dans le premier épisode datant de 1986.
- [2] Ajoutons à cela une dernière apparition onirique de Tristana conclue le clip, dansant et se recouvrant de neige.
- [3] Christian Metz, « Le Cinéma moderne et la narrativité », Cahiers du Cinéma n°185, décembre 1966 (numéro spécial « Film et roman : problèmes du récit »), Ed. de l’Etoile, Paris, pp.43 - 68.
- [4] Le ralenti revêt bien des significations, surtout dans le vidéo-clip où il est employé très fréquemment sans que le réalisateur ne lui ai obligatoirement donner un sens.
- [5] F. Bresson “Compétence iconique et compétence linguistique” in Communications, n° 33, 1981, pp. 187 - 189.
- [6] On notera dans les années 2000 l’habitude du réalisateur Spike Jonze qui travaille fréquemment avec le groupe français Daft Punk (Da funk, Around the world), ou la collaboration quasi-systématique du réalisateur Chris Cuningham avec le groupe anglais Chemical Brothers, créant tous deux un monde visuel propre au groupe dont ils s’occupent.
- [7] Interview sonore non-officielle donnée à un magazine de presse écrite.
- [8] Le cheval noir, réfugié dans l’église autour de laquelle hurlent les loups, s’abreuve au bénitier sous un Christ sans tête.