en blanc : scènes, phrases, mots et plans supprimées au montage
souligné ET italique : commentaires et annotations de Jodel (le webmaster)
Le vieil homme hausse les épaules et arrache les dessins des mains de Giorgio:
DR. DEGRACE (les yeux au ciel) Ha! vous êtes bien naïf ! ... Donnez-moi la main ...
Degrâce tend la main à Giorgio et le tire hors de son fauteuil ...
82 INT, NUIT ORPHELINAT ESCALIER COULOIR
Muni de la lampe à pétrole, le docteur Degrâce grimpe l'escalier en tirant Giorgio par la main.
DR. DEGRACE (chuchotant, émerveillé) ...
Quand le marais les a rendus, on aurait dit douze petits nénuphars
violets dans leur corolle noire. Ils étaient si beaux que les oiseaux
chantaient ... J'ai cru que c'était le retour du printemps!
Les deux hommes longent le couloir.
DR. DEGRACE ... Alors je les ai sortis de l'eau, un par un ...
Le docteur Degrâce ouvre l'une des petites portes. Il lâche la main de Giorgio pour désigner l'intérieur de la pièce obscure:
DR. DEGRACE
... Et je les ai tous allongés là, les uns à côté des autres! ...
83 INT, NUIT / ORPHELINAT - CHAMBRE DE CATHERINE Le docteur pénètre dans la pièce, suivi de Giorgio.
Giorgio fronce les sourcils en renif1ant l'air, comme si une forte odeur régnait dans la chambre. La faible lueur de la lampe du docteur éclaire à peine une rangée de petits lits. L'un d'eux est couvert d'un drap blanc sous lequel se dessine la forme d'un corps.
DR. DEGRACE ... Mon Dieu! Comme leur petite chair était abîmée ...
Le docteur Degrâce s'approche du lit, accompagné de Giorgio. Il se penche et frôle d'une main tremblante le relief du drap:
DR. DEGRACE ... J'ai cru un instant qu'ils respiraient encore ... Mais non! (il saisit le drap) ... Ils étaient déjà à moitié décomposés!
A cet instant, le docteur Degrâce soulève le drap, découvrant le corps de Catherine. La chemise de nuit de la jeune fille est remontée jusqu'à la cambrure de ses reins et l'une de ses jambes masque à peine son intimité. Sa chair est pâle et soyeuse dans la lumière vacillante de la lampe à pétrole. L'arrondi d'un sein émerge de son décolleté. Son visage, en partie caché par sa chevelure est tachée de quelques ecchymoses. Inerte, elle suce son pouce. Giorgio contemple le corps de Catherine avec effroi. Le docteur Degrâce se saisit de la main de sa fille et lui retire le pouce de la bouche pour reposer le bras le long du corps.
DR. DEGRACE
Pauvre petite chose! ... C'est sa mère qui lui manque ... Les lèvres de la
jeune fille ne se referment pas. Giorgio se met à
tousser. Pris d'étouffement, il se précipite jusqu'à la fenêtre qu'il ouvre
toute grande.
LA BONNE (off) Qu'est-ce qui se passe?!
GIORGIO (tout bas) Aidez-moi, Seigneur ... S'il vous plait ... (relevant la tête vers le ciel) ... S'il vous plait ...
Cette phrase a été montée plus loin dans le film, lorsque la bonne sort avec le docteur Degrâce. La bonne vient d'entrer dans la chambre. Voyant le corps à moitié nu de Catherine, elle court vers le lit et rabat le drap sur la jeune fille.
LA BONNE (inquiète) Qu'est-ce que c'est que ça!?
Elle s'empare d'une petite bouteille ouverte posée sur la table de chevet. Elle la renifle. Sur l'étiquette, nous lisons le mot "Ether". Furieuse, la bonne se tourne vers le docteur Degrâce.
LA BONNE C'est vous qui lui avez donné cette bouteille?
DR. DEGRACE (comme un enfant pris en faute) Nooon!! ...
LA BONNE venez, je vais vous coucher, maintenant!
La bonne prend le vieil homme par la main et l'entraîne hors de la chambre ... Devant la fenêtre ouverte, par où s'engouffre le vent et le hurlement des loups, Giorgio contemple le visage inerte de Catherine. Soudain, la jeune fille inspire fortement et, sans se réveiller, remet son pouce dans sa bouche. Giorgio ramène son visage vers l'extérieur et inspire lui aussi fortement.
84 MI-NUIT ORPHELINAT CHAMBRE
Son manteau sur les épaules, Giorgio est enfoncé dans un fauteuil, à côté du lit de Catherine. La tête penchée en avant, il dort. Le bruit lointain de quelque chose qui tombe dans 1'eau se fait entendre ... Giorgio ouvre les yeux en redressant la tête. Il écoute un instant le silence de la maison, le regard posé sur Catherine endormie dont le visage est enfoui dans la chevelure. Un bruit de pas fait craquer le plancher, quelque part dans la maison. Giorgio se lève, s'empare de la lampe à pétrole posée sur la table de chevet, en remonte la flamme, et sort dans le couloir sans faire de bruit...
85 INT, NUIT ORPHELINAT COULOIR
... Giorgio avance lentement dans le couloir désert, guettant le moindre bruit.
GIORGIO (appelant tout bas) marie! marie, c'est vous ... ?
Un craquement le fait se retourner. Il se dirige vers le fond du couloir ... Giorgio ouvre une porte:
86 INT, NUIT / ORPHELINAT / CHAMBRE BONNE (VUE DE LA PORTE)
Dans son lit, la tête rejetée en arrière sur le bord du matelas, Marie dort d'un sommeil profond et sonore. A côté du lit, posés sur le dossier d'une chaise, deux gros bas de laine et une large culotte.
GIORGIO (appelant tout bas) Marie! ... Marie ...
La bonne ne se réveille pas. Giorgio tourne la tête vers le couloir en entendant le son d'une porte ou d'un volet qui claque dans le vent...
87 INT, 1TUIT / ORPHELINAT / ESCALIER + HALL D'ENTRÉE
... Giorgio descend l'escalier jusque dans le hall. La porte d'entrée restée entr'ouverte claque dans le vent, laissant pénétrer quelques flocons de neige. Giorgio jette un rapide coup d'œil au dehors avant de refermer la porte. Il parcourt d'un regard inquiet l'obscurité du hall d'entrée et du salon attenant.
GIORGIO (mururant) Docteur Degrâce?!
Revenant vers l'escalier, Giorgio remarque, à la lueur de sa flamne, des traces de neige fondue qui maculent les marches jusqu'en haut. Il remonte l'escalier ...
88 INT, NUIT / ORPHELINAT COULOIR
Giorgio s'approche de la porte entr'ouverte de la chambre des époux Degrâce. Il la pousse et allonge le bras pour faire pénétrer dans la pièce la lumière de sa lampe.
89 INT. NIT / ?ORPHELINAT / CHAMBRE DES ÉPOUX DEGRACE (VUE DE LA PORTE)
Le lit est vide et parfaitement fait. Le chapeau du docteur Degrâce est posé sur l'oreiller..
IN ORPHELINAT COULOIR
En refermant la porte de
la chambre des époux Degrâce, Giorgio remarque une faible lueur qui filtre
d'une autre porte entr'ouverte. il s'y dirige...
9 1. INT. NUIT ORPHELINAT SALLE DE BAINS
Giorgio entre et avance vers une grande baignoire de cuivre au-dessus de laquelle trône une bougie allumée. Giorgio pose sa lampe puis se penche sur la baignoire, laquelle est remplie d'eau à ras bord. Il scrute l'eau en plissant les yeux, comme s'il y apercevait quelque chose ... Sans remonter les manches de son manteau, il plonge les deux bras dans l'eau. Il ressort brusquement une main de la baignoire: deux de ses doigts sont égratignés et saignent ... Giorgio replonge ses mains dans la baignoire. Il en ressort lentement la tête du grand Christ de plâtre, dégoulinante d'eau ...
92 INT. / NUIT ÉGLISE
Les chaises et les prie-Dieu ont retrouvés
leur place. Tout est en ordre dans l'église. Giorgio
traverse à pas feutrés l'allée centrale, sa sacoche de cuir noir à la main.
Il jette des regards furtifs à droite et à gauche, comme s'il avait peur
d'être surpris, en se dirigeant vers le chœur. Giorgio
s'arrête devant l'autel sur lequel il dépose sa sacoche. Après avoir jeté un
ultime coup d'œil derrière lui, il ouvre la sacoche et en extrait la tête du
Christ. Il la pose délicatement sur un petit plateau d'argent, sur l'autel.
Puis il referme sa sacoche, en prenant bien soin de ne pas en faire claquer les
fermoirs métalliques. Giorgio reprend sa sacoche et
quitte l'autel, en faisant quelques pas à reculons, les yeux posés sur le
grand Christ décapité. A droite de l'autel, on remarque que tous les cierges
des "hommes,, sont rallumés. Alors que Giorgio se retourne pour repartir
vers la sortie, son regard se bloque brusquement sur quelque chose. Il se fige.
Ce qu'il voit le terrifie: Entre deux colonnes, dans l'ombre du coin aménagé
pour l'école, se dessine une petite silhouette d'enfant, portant pèlerine et
béret. Le petit corps est debout, tourné vers lui, immobile. Giorgio ne peut
pas détacher ses yeux de la silhouette. Comme hypnotisé, il avance lentement
vers elle, traversant une rangée de chaises et de prie-Dieu. Des gouttelettes
de sueur perlent sur son front. Il retient son souffle La petite forme ne bouge
pas
Giorgio s'arrête à un mètre d'elle. Il s'apprête à parler, mais sa bouche
reste entr'ouverte sans qu'aucun mot ne sorte. Il s'essuie le front d'un revers
de main et sort de sa poche un sucre d'orge. Lentement, il avance le sucre
d'orge en direction de l'enfant dont le visage est toujours dans l'ombre.
L'enfant fait un pas vers Giorgio, découvrant son visage. Giorgio
lâche un sourire de soulagement. Il lui tend le sucre d'orge ...
L'ENFANT
Si tu m'en donnes un deuxième, je dirai rien pour la tête.
Il sort un deuxième sucre d'orge de sa poche et les donne tous deux au petit garçon qui les prend. A cet instant, un sifflement traverse l'église:
UN DEUXIÈME ENFANT (off) Pssst! ... Eh, Raoul!
Le petit garçon quitte aussitôt Giorgio et traverse le chœur en courant, pour disparaître par la petite porte donnant sur le cimetière. Giorgio hésite un instant, puis se dirige son tour vers la petite porte ...
93 EXT, LEVER DU JOUR CIMETIÈRE
Un faible soleil hivernal commence à poindre sur l'horizon enneigé. Le vent du matin fait hurler les loups. Giorgio, sa sacoche à la main, sort de l'église par la petite porte donnant sur le cimetière: ... Dissimulés derrière des tombes, quatre jeunes garçons, dont Raoul, guettent quelque chose, le visage tourné vers l'horizon. Giorgio, intrigué, arrive derrière l'un deux.
GIORGIO (tout bas) Qu'est-ce que vous regardez?
JOSEPH Chut! Baisse-toi.
Giorgio s'accroupit derrière une tombe en regardant dans la même direction que les enfants. Au bout du cimetière, avant la plaine, la tombe aux douze petites croix se profile sur l'horizon désert. Les enfants continuent de se faufiler à travers les tombes en se cachant derrière les pierres et les croix...
JOSEPH Tu les vois, Raoul?
RAOUL Ouais, ça y est!
Le plus petit des enfants écarquille les yeux, fasciné:
LE TOUT PETIT (dans un chuchotement) oh Putain!
Giorgio se faufile à son tour parmi les tombes, à la suite des enfants.
GIORGIO (à Raoul) Pssst! Qu'est?ce que c'est?
RAOUL Les loups!...
GIORGIO Où ça?
RAOUL Là-bas, sous le soleil, tout au bout ... Y' en a au moins cent!
Giorgio plisse les yeux pour mieux sonder
l'horizon, mais il ne voit rien. ... L'horizon est
toujours désert.
RAOUL C'est dingue, ils étaient jamais venus aussi près!
LE TOUT PETIT C'est vrai: quand je suis arrivé, y'en avait un énorme sur la tombe des petits merdeux! Putain! Il avait des yeux tout jaunes et il bavait! Si ça s'trouve il a sorti un os ...
RAOUL Dis pas de conneries!
LE TOUT PETIT Putain, vas-y voir si, tu me
crois pas!
RAOUL Pourquoi moi?! Vas-y toi même!
LE TOUT PETIT Trouillard!
JOSEPH (à Raoul) Il a raison, t'es un trouillard!
Raoul se tourne vers Giorgio:
RAOUL (tout bas) vous voulez pas y aller voir, vous?
Amusé, Giorgio acquiesce. Il se lève et marche vers la tombe des enfants morts ...
LE TOUT PETIT (à Raoul) Trouillard!
Giorgio s'arrête devant la tombe aux douze croix. Brusquement son visage se fige: ... Sur le dessus de la tombe, entre les croix, l'empreinte d'une patte de loup se dessine dans le neige... Giorgio se penche lentement, effleure la trace du doigt puis sourit, incrédule:
GIORGINO Non... vous me faites marcher! C'est vous qui l'avez faite!?...Il n'y en aurait pas qu'une! ...
Il se redresse en se retournant vers les enfants, et perd son sourire: ... Les enfants ont disparu. Giorgio tourne la tête pour apercevoir deux petites silhouettes qui finissent de s'échapper du cimetière en sautant par dessus le muret.
LE PRÊTRE (off) Je me demandais bien qui était dans le cimetière à cette heure?là!
Le prêtre s'avance vers Giorgio ...
LE PRÊTRE Comment va la petite?
GiORGIO Ca va.
Le prêtre arrive à hauteur de Giorgio et les deux hommes se serrent la main:
GIORGIO
Bonjour, mon père.
LE PRETRE Par contre, vous, vous n'avez pas
bonne mine ... Vous êtes souffrant?
GIORGIO Non, non...
Giorgio fait quelques pas, accompagné par le prêtre.
GiORGIO J'ai réfléchi, mon Père, je vais
emmener la petite Catherine ...
LE PRETRE A Ste Lucie?
GIORGIO Non, je vais partir avec elle,
Un silence. Le prêtre reste sidéré.
LE PRETRE vous allez l' "adopter" ?
GIORGIO ... L'épouser!
LE PRETRE L'épouser? Mais vous n'y pensez pas. C'est uneenfant!
GIORGIO (déterminé) Je vais l'épouser.
Le prêtre se met à boitiller nerveusement autour de Giorgio:
LE PRETRE Mais ... et le deuil ... le deuil ... vous avez pensé au deuil?
(on perçoit le lointain écho de cloches qui sonnent à toute volée)
GIORGIO Nous attendrons
LE PRETRE Et elle, qu'est-ce qu'elle en dit?
GIORGIO Je ne lui ai pas encore parlé.
Le prêtre s'arrête, dos tourné à Giorgio.
LE PRETRE Faut que je réfléchisse...(se retournant vers Giorgio:) Vous ne l'avez pas touchée au moins?
Giorgio fait "non" de la tête.
LE PRETRE Quand comptez-vous partir?
GIORGIO Demain nous ne serons plus l'a.
LE PRETRE ... Bon ... Bon ... Faut que je réfléchisse. A vrai dire, cette histoire, ça m'étonne et puis ... je le savais quand même!
Ramené par le vent, le tintement des cloches s'amplifie ... Le prêtre tend 1'oreille:
LE PRETRE Vous entendez?
GIORGIO Quoi?
LE PRETRE Les cloches... Qui c'est qui s'amuse à sonner les cloches le jour de la St Christian ... ? Dans le film le prêtre parle de la Saint René.
94 EXT. PETIT MATIN / ROUTE CIMETIÈRE- ÉGLISE
Une grosse paysanne à la poitrine opulente court à perdre haleine, une hache à la main. (Ses halètements rauques se mêlent au lointain tintement des cloches.) Elle est en nage, hagarde. Ses seins nus sous une chemise à moitié ouverte battent son torse au rythme de ses pas ... Elle passe à toute allure devant le cimetière et sans s'arrêter tourne la tête vers les silhouettes du prêtre et de Giorgio, plantés au milieu des tombes:
LA GROSSE PAYSANNE (criant) La guerre est finie depuis hier! ... La guerre est finie depuis hier!
Les silhouettes des deux hommes se tournent vers elle. La femme poursuit sa course effrénée, dépassant l'église ...
LA GROSSE PAYSANNE (à bouc de souffle) ... La guerre est finie depuis hier!
95 EXT. JOUR UN PEU PLUS LOIN SUR LA ROUTE
La grosse paysanne continue de courir ... Trois femmes de Chanteloup sont en train de piocher des monticules de tourbes gelées. Elles s'interrompent au passage de la grosse paysanne qui continue de crier' (Mais nous n'entendons plus qu'un son infernal de cloches) ... Les paysannes lâchent leurs outils et courent vers la route ...
96 EXT. JOUR 1 PLACE DE CHANTELOUP
... devant l'auberge, la grosse paysanne en larmes, est entourée d'une dizaine de femmes qui exultent , s'embrassent et pleurent. D'autres femmes et enfants surgissent de partout pour se mêler à la liesse. (Nous n'entendons toujours que le son très présent des cloches.)
97 INT, JOUR CLOCHER DE L'ÉGLISE DE CHANTELOUP
La cloche bat à toute volée ...
98 INT. JOUR / ÉGLISE
La longue femme maigre vue au comptoir de l'auberge se tord dans tous les sens en tirant hystériquement sur la corde de la cloche. Sa petite tête aux cheveux gras est tournée vers le ciel. Ses yeux délavés sont exorbités. Son corps monte et descend, emporté par la corde de la cloche. Elle rit comme une folle en hurlant des choses que nous n'entendons pas ...
99 EXT. SOIR ORPHELINAT ESCALIER + COULOIR
Le couloir est plongé dans la pénombre de la tombée du soir. On entend résonner les notes de la petite comptine jouée au piano ... La bonne finit de grimper l'escalier, une lampe à pétrole à la main. Elle avance dans le couloir et vient discrètement coller l'oreille contre une porte. Puis elle frappe:
LA BONNE (Tout bas) Monsieur! ... Monsieur, vous m'entendez?
99a INSER. La main de Giorgio repose
rapidement une seringue dans une boite de fer. La bonne
frappe à nouveau. Une clef tourne dans la serrure. La porte s'ouvre lentement
... La bonne porte la main à sa bouche et recule d'un
pas.
LA BONNE Oh, monsieur! Je ne vous aurais pas reconnu!
Giorgio se tient devant elle, vêtu de son uniforme militaire. Il est bien rasé et bien coiffé, mais son visage est creusé par la fatigue.
LA BONNE On s'est inquiété, monsieur. on avait peur que vous soyez souffrant. Oh, ce que vous êtes beau, monsieur!
Giorgio regarde Marie, sans rien dire, un sourire triste au coin des lèvres ... Toute rouge, la bonne baisse timidement les yeux.
99b Giorgio sort de sa chambre et longe le couloir en direction de l'escalier. marie l'accompagne en lui parlant avec excitation ...
LA BONNE Les femmes sont venues, monsieur. Elles sont venues faire la paix on a eu une grande nouvelle, monsieur: tous les hommes vont rentrer ! ... Mademoiselle Catherine n'a plus rien à craindre, elles l'ont même embrassée ! ... Elles font une fête, ce soir à l'auberge ... Elles nous ont invitées, vous viendrez, hein ?! ... Vous viendrez avec nous ?!
Giorgio s'est arrêté, en haut de l'escalier. La bonne est tournée vers lui, attendant sa réponse ... mais Giorgio regarde fixement quelque chose en bas des marches: Dans le hall d'entrée, immobile au pied de l'escalier, Catherine attend, toute de noir vêtue ... Avec prestance, Giorgio commence à descendre lentement les marches sans quitter Catherine du regard. La bonne l'accompagne, presque collée à lui...
LA BONNE (rougissante, tout bas) Monsieur ... Monsieur, voilà ... Pour l'Armistice enfin... mademoiselle Catherine enfin... voilà ... Elle aimerait que vous l'embrassiez, monsieur. Enfin, pour l'Armistice!
Giorgio finit de descendre les dernières marches et s'arrête devant Catherine. Ils se regardent intensément ... La bonne, est restée en retrait. Impatiente et timide, elle se tord les doigts. Catherine renverse la tête en arrière et ferme doucement les yeux. La bouche offerte, elle attend ... Giorgio enserre délicatement sa nuque et s'approche de ses lèvres entr'ouvertes et frémissantes... A cet instant, du bout des lèvres, Catherine dépose un rapide baiser sur la bouche de Giorgio. Puis elle se détache de lui, et fait quelques pas en arrière. (Le son du piano s'arrête)
CATHERINE j'ai...j'ai promis à Marie que ... que si elle osait vous demander de m'embrasser ... vous l'embrasseriez aussi.
Giorgio la regarde, désemparé. Il se retourne vers marie: La bonne, tête baissée, les poings serrés le long du corps redresse timidement les yeux vers Giorgio. Giorgio regarde à nouveau Catherine ...
CATHERINE (excitée comme une petite fille.) Allez ! Allez ...
Giorgio se tourne à nouveau vers marie qui s'avance jusqu'à lui en fermant les yeux. La Bonne applique ses lèvres contre celles de Giorgio. Elle l'embrasse avec sensualité. N'osant le toucher, elle vibre de tout son corps. Elle ouvre et replie nerveusement ses poings. Catherine contemple ce baiser en ricanant comme une petite fille.
DOCTEUR DEGRACE (off) Et moi, alors ?
Giorgio décolle ses lèvres de celles de la Bonne qui reste toute rouge et toute tremblante. Catherine se précipite dans le salon...
CATHERINE Oh oui, à Papa A Papa !
100 - INT, SOIR / ORPHELINAT, SALON
Assis devant le piano, les mains immobiles sur le clavier, le Docteur Degrâce a le visage tourné vers le hall d'entrée. Sa tête est rejetée en arrière, ses yeux fermés, sa bouche offerte dans une moue hautaine. Il attend ... Catherine vient poser la main sur l'épaule de son père et, toute excitée, se tourne vers Giorgio. Giorgio pénètre à son tour dans le salon, suivi de la bonne.
CATHERINE (secouant l'épaule de son père) Allez! ... Embrassez Papa ! Allez
Le vieil homme attend toujours sans broncher, les yeux fermés, la bouche offerte. Son cou tendu laisse apparaître la trace violette ...
GIORGIO Catherine... il faut que je vous parle...
Catherine se détache de son père et fait quelques pas en arrière... Giorgio, sans la quitter des yeux, s'approche lentement du Docteur ...
LA BONNE (douce) Allez, Monsieur ... Faites-le ... pour l'Armistice
Giorgio regarde le Docteur Degrâce, abandonne un petit sourire, se penche vers lui, et dépose un baiser sur ses lèvres. Puis il se redresse vers Catherine:
GIORGIO (très intimidé) ... Je ... je discutais avec monsieur le curé et ... vous savez, le climat ici... n'est pas très bon pour ma santé ... Enfin, je pense que vais devoir partir ... alors ... Est-ce que vous voulez vous marier avec moi ?
CATHERINE ... Pour de vrai ... ?
GIORGIO Oui.... bien sûr
CATHERINE Et puis, on emmènera Marie Elle sait faire des enfants, marie
LA BONNE (gênée) Il ne faut pas dire des choses comme ça, mademoiselle
GIORGIO Si vous voulez, nous pourrons partir demain matin ...
Catherine sourit et se détourne pour avancer vers le fond du salon ...
CATHERINE (rêveuse) Et puis on pourra emmener papa, aussi! ... Comme ça il soignera nos enfants et ils ne mourront jamais!
DOCTEUR DEGRACE (catégorique) Jamais
Désemparé, Giorgio se tourne vers la bonne: Marie le fixe d'un regard désapprobateur... Giorgio baisse les yeux et regarde à nouveau Catherine, qui se tient dos à lui ...
GIORGIO
Alors ... c'est oui ... ?
AUBERGE DE CHANTELOUP
Les femmes du village sont réunies dans l'auberge où règne une atmosphère de fête, bruyante et enfumée.,
LES FEMMES CRIANT EN CHŒUR Ouiiiiiiiiii !
Marthe est debout sur une table, une grosse bouteille de vin coincée entre ses jambes, comme un sexe d'homme. manifestement soûle, elle ondule du bassin, faisant à chaque à-coup, s'échapper une giclée de vin. Debout à ses pieds, deux femmes, une bouteille à la bouche, jouent à celle qui boira le plus vite. Marthe se trémousse au rythme des femmes qui chantent et frappent sur les tables avec des couteaux pour encourager les buveuses ...
LES PAYSANNES Et glou, et glou, elle a tout bu, Elle sera la première à tomber sur le cul (Ad. Lib.) On note une version différente dans le film
L'aubergiste s'approche de Marthe en souriant:
L'AUBERGISTE Arrête tes cochonneries, Marthe, y, a un homme!
Tous les visages se tournent vers la porte. petit à petit, les femmes
s'arrêtent de chanter et de frapper sur les tables: Giorgio vient d'entrer,
vêtu de sa tenue militaire, son manteau posé sur les épaules. Catherine est
à son bras, l'air fier, vêtue de noir. Derrière eux, la bonne, vêtue de noir
elle aussi, referme la porte. Dans le film Catherine a la robe rouge de sa
mère, qu'elle porte jusqu'à la fin du film. Debout
sur la table, Marthe, titubante, contemple le couple en laissant pendre au bout
de son bras sa bouteille de vin. Dans le silence, un
sifflement strident s'e fait entendre ... Sur le bord du comptoir, la petite
fille de l'auberge s'amuse à faire chanter un verre en y promenant son doigt.
L'aubergiste la gifle.
L'AUBERGISTE Ca suffit!
la fillette se recroqueville en gémissant faiblement.
UNE FEMME AU COMPTOIR (à l'aubergiste) Ben pourquoi tu la tapes, Armelle?
L'AUBERGISTE
on dit qu'à chaque fois qu'un verre chante, un soldat meurt.
L'aubergiste revient vers Giorgio et Catherine.
UNE AUTRE FEMME (à l'aubergiste) Qu'est-ce que ça peut faire, maintenant ... la guerre est finie.
L'AUBERGISTE
oui mais quand même! (à Giorgio) C'est gentil d'être venu ...
Marthe descend de la table et, le regard fixé sur Catherine, avance en titubant jusqu'à elle, sa bouteille à la main.
MARTHE (soûle) Ce soir, c'est le soir du Pardon ... L'Abbé Glaise a dit que j'avais été méchante, alors je m'excuse..
Marthe se laisse glisser jusqu'aux pieds de Catherine et les embrasse. Catherine se laisse faire sans' ien dire.
MARTHE (se relevant) Et puis je vais vous servir à boire! Donne leur des verres, Armelle!
Au fond de la salle, assise à une table, la mère Pétaud
tire sur sa pipe, les yeux posés sur le couple. L'aubergiste
apporte deux grands verres à Catherine et Giorgio. Marthe les remplit
maladroitement, en les faisant déborder. Giorgio et Catherine se regardent.
MARTHE Allez, buvez!
Les femmes recommencent à taper sur les tables avec le manche de leurs couteaux, en scandant:
LES PASANNES (de plus en plus vite) Et glou, et glou, et glou... (Ad. Lib.)
Giorgio et Catherine se jettent un regard amusé puis portent leur verre à leur bouche.
LES PAYSANNES (suite) ... ils ont tout bu, Ils seront les premiers à tomber sur le cul! Et glou, et glou ... (Ad. Lib.)
Tout en buvant, Giorgio et Catherine se regardent en coin, chacun essayant de boire plus vite que l'autre. Dans leur précipitation, le vin leur coule par la commissure des lèvres. Dans un coin de la salle, la longue femme maigre est assise par terre. Hilare, elle balance son petit crâne dans tous les sens en caressant les cheveux de la pertite Poulette qui est venue se réfugier dans ses bras. Catherine termine son verre la première et se met tousser en riant et en s'essuyant les lèvres d'un revers de main.
LEs PAYSANNES (hurlant) Ouiiiii!
Elles applaudissent. Giorgio termine son verre, essoufflé. Il sourit.
MARTHE Allez, à la Marie, maintenant!
LES PAYSANNES + CATHERINE Ouiiiii!
Tout le monde se retourne vers la bonne à qui Marthe tend la bouteille.
CATHERINE Allez, Marie, à toi!
La bonne se met à boire au goulot sous les "Et glou, et glou" qui reprennent. Giorgio, légèrement enivré par le vin, vient s'appuyer sur le comptoir au milieu d'une rangée de femmes. L'une de ses voisines lui tapote gentiment l'épaule:
LA FEMME (d'un air complice) Alors ça y est, docteur, vous nous l'emmenez à Ste Lucie?
Giorgio la regarde en perdant son sourire.
LA FEMME ... vous inquiétez pas, ici, personne lui dira rien... on fera comme si qu'elle était comme les autres.
Giorgio acquiesce, gêné. La femme lui tapote le bras et. lui fait un clin d'œil complice avant de s'éloigner. L'aubergiste sert un verre de vin à Giorgio.
GIORGIO (à 1'aubergiste) monsieur le curé n'est pas 1à?
L,AUBERGISTE (radieuse) Non, il est resté prie r dans son église, à remercier le Seigneur ... Le brave homme, il pleurait de joie! C'est lui qui a ramené la nouvelle comme quoi les gars rentraient ... C'est le maire de Ste Lucie qui y' a dit, en personne!...,ça va nous faire drôle de les revoir après tout ce temps. (elle désigne la photo de son fils posée derrière elle:) Mon Marcel, ça doit être un vrai homme, maintenant!
A côté de Giorgio, une femme "Madame Ferrauge" se met à pleurer.
MADAME FERRAUGE
mon Julien... Quand je pense que les rats y ont mangé les oreilles!
UNE FEMME Tu vas pas recommencer! Y' a un an que je te dis qu'on vit très bien sans oreille, hein Docteur?
GIORGIO (à Madame Ferrauge) ... C'est vrai ... Vous savez, dans les oreilles, c'est l'intérieur qui compte!
madame Ferrauge pleure de plus bel:
MADAME FERRAUGE ... oui, mais comment qu'y fera pour mettre ses lunettes?
UNE AUTRE FEMME Ben t'auras qu'à y attacher derrière la tête avec une ficelle, hein Docteur?
GIORGIO (distrait) oui, bien sûr ...
Giorgio s'est retourné vers la salle pour regarder Catherine: La jeune fille est entourée de Marthe et de la Bonne. Elles sont en train de rire. Catherine agrippe tendrement le bras de Marie:
CATHERINE je suis si heureuse, Marie!
Giorgio vide son verre d'un trait. L'aubergiste lui en ressert un autre. A cet instant la grosse paysanne (celle qui courait en annonçant la fin de la guerre) entre dans l'auberge et se dirige vers le comptoir, essoufflée ...
LA GROSSE PAYSANNE (à l'aubergiste) monsieur le Curé va pas bien. ..J'y apportai son bois, il a même pas voulu que je rentre dans son église. Il veut voir personne! On dirait que c'est la tête ... J'espère qui va pas nous tomber fou! (très inquiète, vers Giorgio:) Faudrait peut-être y aller voir, Docteur ... il a jamais été comme ça.
GIORGIO J'y vais ...
Giorgio tourne les talons.
L'AUBERGISTE (souriante, à la grosse paysanne) C'est pas pour faire ma vipère mais, à mon avis, c'est pas bien grave ... il a dû trop tirer sur le bouchon!
Giorgio se dirige vers la porte. Il regarde Catherine qui rit et se balance, bras dessus, bras dessous, entre deux femmes tandis que la bonne remplit des verres en s'esclaffant. Au moment d'ouvrir la porte, Giorgio remarque la petite Poulette qui le regarde tristement. Il sort de sa poche la langue de Belle-mère et la lui donne ...
GIORGIO (souriant) Tiens
Giorgio sort.