le réalisateur

Giorgino projeté en avant première à la rédaction de Studio, celle-ci offre une pleine couverture et deux dossiers à Mylène FARMER et Laurent BOUTONNAT à dix mois d'intervalle pour leur film. Le réalisateur y dévoile beaucoup de ses inspirations...

Laurent Boutonnat à son bureau au siege de Heathcliff S.ADans Giorgino, le climat romantique est encore plus saisissant que dans vos clips. C'est un vrai film romantique. On pense irrésistiblement à toute la littérature gothique. Vos lectures ont-elles été la source de votre inspiration ?

    Mon travail est la somme de beaucoup de choses. Mais c'est vrai que j'ai toujours aimé la littérature du XIXe siècle : Henry JAMES, les sœurs BRONTE... De même que j'aime la littérature russe de cette époque, qui est de la même veine, avec un style plus brut.

On retrouve dans Giorgino tous les symboles de cette littérature : les loups, la chouette, le cheval noir, la pleine lune...

    Oui, on m'a même dit que le cheval noir était le personnage principal du film, ce qui n'est pas faux (Sourire.) Mais se sont des archétypes, des images de l'enfance qui restent chez tout le monde, de façon plus ou moins forte.

Quel a été précisément le déclic qui vous a amené au sujet de Giorgino ?

    Le véritable point de départ, c'est un script que j'avais écrit vers 17-18ans, en quinze jours. D'ailleurs, le scénario final de Giorgino n'a pratiquement plus rien à voir avec le premier script.

 

 

Comment évoqueriez-vous l'aventure qu'a été la création de Giorgino ? Mylène FARMER disait que sur le tournage, vous vous étiez protegé des autres...

    J'ai en effet lu ça dans Studio. (Rires.) (Voir l'Interview II). Dès l'instant où le tournage a commencé, la pression a été telle que mon comportement est devenu quelque chose d'incontrôlable. On ne pense plus à soi ni aux autres, mais uniquement au film. On est quelqu'un d'autre. J'avais l'impression d'être fou, dans un autre monde. J'aurais pu tuer froidement quelqu'un !

Giorgino, dont vous êtes le seul producteur, a nécessité des moyens financiers très importants, et pourtant, contre toute attente, le personnage principal n'est pas Mylène FARMER, mais un jeune comédien inconnu, Jeff DAHLGREN, qui n'avait jamais fait de cinéma auparavant...

    Ce film est avant tout l'histoire de Giorgino. Vu le statut de Mylène auprès du public, la logique aurait voulu qu'elle ait le premier rôle et on m'a reproché que ce ne soit pas le cas. Mais cette logique n'a pas de sens face à celle du scénario, qui est toute autre. Le personnage de Mylène est moins présent à l'écran que Giorgino, pour la simple raison que l'histoire le nécessite. Ce sont les personnages qui décident.

Mylène FARMER est-elle intervenue sur certaines scènes ?

    Elle est toujours intervenue pour m'aider dans certains moments de doute, moments durs où l'on prend du retard, et qui coûtent très cher.

Entre la fin du tournage et la sortie du film aujourd'hui, il s'est déroulé presque un an. Pourquoi un aussi long délai ?

    Ca a été en effet spécialement long, et très difficile sur le plan physique. Je suis resté en salle de montage presque dix mois. Et quand j'en sortais, il me restait toute la musique à écrire. Ca a été du travail non-stop, sans soirées, ni week-end. Et pas au grand air ! De temps en temps, j'allais nager pour ne pas finir comme un vieux...

Cela confirme votre réputation de tout vouloir faire tout seul. Ne craignez-vous pas, parfois, que cette manière de travailler vous coupe du regard extérieur de certains interlocuteurs ?

    Parce que vous croyez que j'ai passé dix mois dans une cave, comme un rat, sans aucune compagnie ? (Rires.) Non, sérieusement il y avait ma monteuse, Agnès, l'assistante monteuse, le stagiaire, le monteur son... Se sont eux qui donnent le recul. Et Mylène aussi, car elle est souvent intervenue au stade de la post-production. C'est quelqu'un dont l'avis est très juste, très franc. Elle ne dit pas les choses pour me faire plaisir.

Vous avez l'impression d'appartenir à une famille de réalisateurs ? Celle des cinéastes de l'image comme Luc BESSON ?

    C'est difficile, l'appartenance aux familles (Sourire.) Avec Luc, que je connais, on a forcément des choses en commun mais chacun a sa façon de filmer. En fait, je ne me pose pas trop ce genre de questions. Quand je tourne, j'ai souvent la caméra à l'épaule, c'est du travail, comme on pourrait le faire avec un stylo ou un pinceau. Avec la même spontanéité. C'est-à-dire qu'en filmant une scène en plan large, il m'est arrivé tout d'un coup pendant la prise, de bouger, de zoomer, pour obtenir un plab qui n'était pas prévu.

Vous avez des cinéastes ou des films de références ?

    Il y en a plein. J'adore Lawrence d'Arabie, David LEAN, Sergio LEONE. BERGMAN aussi, qui est d'ailleurs très proche de LEONE dans sa façon de filmer les visages. J'adore les plans sur les visages au cinéma... rester sur un visage. On n'a plus le temps de faire ça. J'admire les cinéastes russes aussi. Ils aiment ça, cette manière de prendre son temps et de rester sur leur sujet jusqu'à faire percevoir de véritables sensations. Comme Tarkovski, il y a quelque chose de magique chez lui, d'extrêmement humain, même si son cinéma n'est pas toujours facilement abordable.

Il y a cette très belle phrase à la fin de Giorgino : "Et on ne mourra jamais." Diriez-vous que vous faites des films aussi pour ne pas mourir ?

    Oui, je crois qu'il y a une urgence forcément vitale a faire les choses. C'est cela, en tout cas, qui m'a permis de faire ce film. Un mélange de souffrance et de naïveté que je retrouve d'ailleurs largement dans les personnages de Giorgino, et de Catherine qui entraîne ce garçon par la main dans le monde de l'enfance, et des cauchemars... En fait, Giorgino est un film sur l'enfance.

Propos recueillis par Juliette MICHAUD. Studio Magazine. 10/94

 

Reportage pour la promotion de la sortie de Giorgino au "Journal du cinéma" de Canal Plus. Images alors inédites du making of. Diffusé le mercredi 5 octobre 1994.

durée : 1'35 mn.
 

durée : 1'35 mn.

 

 

Le Monde le parcours Les Interviews Les Critiques Les Analyses Dossier de Censure

revenir au menu

< Retour à Giorgino.