Un visage aigu, entouré d'une coiffe de
cheveux roux. Un regard clos, une bouche fermée. Seul le col blanc, en fer de
lance, éclaire le costume sombre de cette garçonne qui marche, pommette rosie
des coups reçus, sur cette plaine Hongroise, emportant dans son sillage un
troupeau d'enfants carapaçonnés de hardes. En 1991, Mylène FARMER interprète
Désenchantée. Laurent BOUTONNAT réalise le clip. Tous deux semblent
conjuguer un passé défini, une mémoire prête à jaillir et qui se fige,
pareille à de la cire, pour cause de nostalgie et de défaites répétées à
croire, encore, en l'homme et en ses idées.
Cette infinie langueur intime dangereusement
le mal dont souffre une génération tout entière, privée, bien malgré elle,
des bruits et des agacements furieux du mois de mai 1968. C'est en elle, c'est
pour elle que Mylène FARMER incruste le désenchantement, source amère où
elle boit seule. Le je qu'elle emploie ici n'a pas figure de règle, ne
fait pas vœu de sacerdoce, ne prétend à rien d'autre qu'au constat d'une
solitaire, déçue. Blessée par ce qu'elle récent comme une trahison,
délestée de tous les mots d'ordre, des anathèmes brandis, des idées d'amphithéâtre.
Le drapeau rouge n'en finit plus de s'effilocher dans le chaos. De lui ne
demeure qu'un rideau de scène s'entrouvrant par à-coups sur un théâtre
d'ombres, la satisfaction amère de ressasser les causes perdues par les autres,
de s'en rassasier jusqu'à le crier dans une chanson.
Mylène
FARMER admet que l'on partage sa
souffrance, qu'elle sait véritable, qu'elle ne veut pas contagieuse, mais ne
juge personne digne de réparer les cicatrices. Dans cet enclos lugubre où la
plongent les caméras de Laurent BOUTONNAT, elle suscite et mène la révolte,
rompt des liens, se grise, un temps, de liberté. Voici de quoi nourrir un
malentendu définitif, elle qui se refuse à fédérer, à rassembler et dont la
première place l'expose encore davantage. La fatalité ouatée de l'échec
rattrape la bande de forçats miniatures, courant sous le soleil qui tombe vers
un désarroi glacé. Pas une plainte. Plus une larme. Le piège du paradoxe se
referme. Faire le tour de la prison n'est pas l'apprivoiser. Dans le regard de
Mylène FARMER, se lit le courage triste d'avoir perdu la foi en franchissant le
seuil de l'age adulte.