Critiques I

 

Épique

    Le roman d'Eugène Le Roy fut d'abord adapté sous forme d'un feuilleton télé en 1969. Laurent Boutonnat, réalisateur des clips de Mylène Farmer, s'attaque avec brio à sa transposition sur grand écran. S'inspirant des tableaux de Millet ou Rembrandt, il signe une adaptation esthétiquement très réussie et offre un très beau rôle à Gaspard Ulliel - César du meilleur espoir masculin pour Un long Dimanche de Fiançailles - très convaincant dans la peau du jeune révolté. Épique et d'un romanesque enthousiasmant.

Anonyme, TéléguideMag, le 4 janvier 2006.

Sincère mais abusif

    On retrouve dans Jacquou le Croquant les mêmes obsessions dans la mise en scène que dans Giorgino. Boutonnat use et abuse des ralentis, qui, efficaces dans ses clips nuisent à la fluidité de son récit en soulignant à outrance des émotions exprimées avec clarté par ses comédiens. Pourtant Laurent Boutonnat ne passe pas à côté de son sujet ; son sens du feuilleton populaire, son art du casting et son goût pour le romanesque finissent par l'emporter.

    Si les cyniques trouveront matière à se moquer dans cette épopée, la sincérité de sa démarche et son sens du spectaculaire en convaincront beaucoup d'autres.

Thierry Chéze, Studio Magazine, janvier 2006.

    Une prose ayant un goût assumé pour l’emphase et une pointe de maniérisme. En revanche, les réserves vont du côté d’un trop-plein de ralentis. En dépit de maladresses de style, la mise en scène épique de Boutonnat redonne vie au destin semé d'embûches du jeune Jacquou.

Xavier Leherpeur, Cinélive, n°108, page 59.

    C’est un film inégal et encore trop long que nous livre Boutonnat, mais néanmoins rempli de souffle épique et de belles vignettes.


Romain Cole, Score, n°25, page 106.

 

 
 

 

Désenchanté !

    Douze ans après Giorgino, Laurent Boutonnat revient péniblement au cinéma, sans Mylène Farmer, mais toujours avec son artillerie lourde de symboles clés en main. Une déception incontestable.

    Après un premier long à scandale diffusé confidentiellement à Cannes en 1980 alors qu’il était encore ado (La Ballade de la féconductrice), Laurent Boutonnat a dû attendre 1994 pour mettre en chantier son deuxième essai cinématographique, Giorgino. Une énorme production à la gloire de son actrice, Mylène Farmer, frôlant souvent le sublime, mais impitoyablement exploité par son AMLF de distributeur, qui en son temps n’avait pas su comment le sortir. Pour mémoire le blockbuster rassembla lamentablement quinze mille fans de Mylène Farmer sur Paris et disparut de la circulation après une brève diffusion sur Canal+. Un désastre inimaginable pour une entreprise aussi onéreuse. Par orgueil ( ?), Boutonnat décida de bloquer la sortie vidéo du film et de laisser de côté la réalisation des clips de sa muse, à quelques rares (mauvais) exemples, pour ne se consacrer qu’à la composition des albums spartiates de la chanteuse rousse. Là encore, la baisse progressive de la qualité insinuant une motivation déclinante, le retour au grand écran du cinéaste maudit semblait providentiel.

Le temps de la revanche ou de la déchéance ?

    Immédiatement, le troisième opus se révèle être un ratage inadmissible de la part d’un maître du visuel aussi exigeant. Adaptation longuette du roman d’Eugène Le Roy, découvert par beaucoup via une série télé populaire des années 60, Jacquou le Croquant s’offre tous les moyens et toutes les ambitions pour finalement les dilapider dans une réalisation tantôt télévisuelle (si, si, la photographie est souvent bien terne) ou tantôt référentielle (on pense beaucoup aux vidéo-clips des années 80 de Farmer, à base d’apparitions de loups, de biches, de plans de lunes et de cimetières nocturnes). Plus grave, la direction d’acteurs ternit encore plus le tableau. Dupontel provoque l’hilarité dès son apparition en Astérix (comprendra celui qui verra) ; Jocelyn Quivrin fronce les sourcils à chacune de ses apparitions pour rendre son personnage de noble le plus ignoble possible ; Olivier Gourmet porte mal le froc... Dans Jacquou, le comédien sonne franchouille et Jacquouille (elle était facile celle-là), même Gaspard Ulliel semble peu convaincu par le rôle de paysan romantique qu’il incarne avec honnêteté, mais sans tempérament.

    Ne crions pas au navet intégral pour autant, en 2h35, Boutonnat brandit souvent des ingrédients et des idées pour relever le niveau de son boulot, nous évitant ainsi de sombrer de justesse dans l’ennui soporifique. Son scénario parvient à créer l’illusion un minimum en mélangeant le romanesque social et le pittoresque régional à l’Histoire de notre bon vieux terroir. La Restauration et les complots des ultraroyalistes en toile de fond apportent un cadre pédagogique à cette petite révolution des campagnes au grand cœur qui n’est pas des plus inintéressants. Mais surtout la grande réussite du film réside en sa bande-son de toute beauté, qui laisse suggérer que finalement le CD (incluant un titre inédit de Farmer) mériterait peut-être plus l’investissement que le ticket de cinéma. Une sage réflexion à méditer.

Frédéric Mignard, A voir A lire, le 12 décembre 2006.

 

Tous à la suite de Gaspard le Craquant !

    Avec Jacquou le Croquant, célébrons le retour du cinéma de grande envergure avec une adaptation captivante de notre patrimoine culturel, une interprétation charismatique de ses interprètes principaux (Gaspard Ulliel et Jocelyn Quivrin en tête) et une vraie recherche dans les décors et costumes.

    La très bonne idée de cette adaptation cinématographique est de se consacrer uniquement à la vie de Jacquou dans ses premières années (enfance, adolescence et début de l’âge adulte), alors que le livre dépeignait la vie entière du héros. Ainsi le film resserre l’action dramatique autour de son héros et donne une part importante à l’évocation de son enfance (mention spéciale au jeune comédien Léo Legrand qui tient le rôle de Jacquou avec une grande justesse pendant la première moitié du film) afin de comprendre ce qui va motiver le Jacquou adulte, partagé entre son désir de vengeance et de justice.

    On a évoqué le gros travail de reconstitution dans les costumes et les décors, il ne faut pas oublier celui du maquillage qui permet à Jocelyn Quivrin d’interpréter avec une grande crédibilité un Nansac aussi coriace à 30 ans qu’à 45 ans !

    Réalisé avec une véritable passion pour son sujet, Jacquou le Croquant offre des scènes d’anthologie particulièrement saisissantes comme celle du bal où le concours de danse du village se transforme en véritable duel de matadors, entre Jacquou et Nansac.

    Il y a également de belles surprises côté seconds rôles, puisque si l’on reconnaît avec plaisir le jeu des comédiens Tchéky Karyo et Oliver Gourmet, on découvre de nouvelles comédiennes aux côtés du héros qui apportent une dose de plus de romantisme enfiévré.

    Les nobles sentiments sont ainsi à l’honneur et Laurent Boutonnat réussit à merveille l’exercice, ô combien périlleux, de l’adaptation cinématographique d’un classique de la littérature française. A présent, courons tous à la suite de Gaspard le Craquant !

Laetitia Heurteau, Comme au cinéma, le 15 décembre 2006.

 

 

De la toile à l'écran

    Trente ans après avoir fait l'objet d'une série télévisée à succès, le roman d'Eugène Le Roy vient d'être adapté par Laurent Boutonnat pour le cinéma, avec Gaspard Ulliel. Pour réaliser ce film pictural, le cinéaste s'est inspiré de peintres aussi divers que Millet, Rembrandt, Repine, Ingres, Géricault ou Goya.

    Spectaculaire. C'était le mot d'ordre de Laurent Boutonnat lorsqu'il a eu le projet de retracer sur grand écran les aventures de Jacquou le Croquant, ce jeune paysan du XIXe siècle en rébellion contre la noblesse, imaginé par l'écrivain Eugène Le Roy. En privilégiant l'esthétique, le réalisateur a voulu doter sa mise en scène de décors et de costumes dignes des plus beaux tableaux. Pour cela, il fallait s'attaquer à un travail de documentation colossal, tant du côté de la peinture que de la sculpture ou de la photographie.

    L'aventure ne pouvait qu'emballer Jean-Daniel Vuillermoz, un créateur de costumes qui s'est illustré à l'opéra ou au théâtre, mais aussi au cinéma, avec La Reine Margot ou Saint-Cyr, le film de Patricia Mazuy qui lui valut un césar en 2001. Afin d'habiller tous les protagonistes de l'histoire de Jacquou, qui se déroule dans le Périgord des années 1820-1830, il s'est donc constitué une vraie documentation sur l'époque, pour ensuite recréer une mode à partir de plusieurs sources d'inspiration. «Pour tous les costumes de la noblesse et de la bourgeoisie, dit-il, je me suis inspiré des oeuvres de Jean Auguste Dominique Ingres et de toute la peinture du XIXe siècle, notamment celle de Daumier, Prud'hon, Goya, Delacroix ou Constable. Pour les paysans, j'ai cherché des peintures liées au monde rural, comme on en trouve chez Jean-François Millet, Théodore Géricault ou le peintre russe Ilia Repine.» Finalement, sa recherche l'aura mené vers des artistes tels que les frères Le Nain, Jean-Baptiste Greuze ou l'Italien Giacomo Ceruti, et jusqu'à la photographie contemporaine, puisque chez les amis de Jacquou, on retrouve les visages des enfants des rues captés par l'Espagnol Sébastien Salgado.

    Pour les décors, Boutonnat s'est appuyé sur le talent de Christian Marti, un architecte décorateur formé au théâtre, qui s'est illustré au cinéma avec de grands succès comme Germinal ou Le Hussard sur le toit. Sur les conseils du réalisateur, lui non plus n'a pas hésité à s'éloigner de l'art du XIXe. «Le but n'était pas de reconstituer le décor de l'époque avec une fidélité extrême, explique-t-il. Mais nous l'avons bien intégré afin d'être ensuite plus libres d'imaginer des choses.» Des lumières de qualité, travaillées à la façon des tableaux de Rembrandt pour les intérieurs. Dans la chaumière de Jacquou, à l'église, au tribunal ou au château, Boutonnat s'est attelé à ce que l'on ressente «l'importance du temps, la patine, l'usure des choses». Dans un décor artificiel à 80%, le travail sur chaque meuble, chaque objet a nécessité une certaine minutie. Ainsi, chez le comte de Nansac, Christian Marti s'est-il «amusé» à créer un blason, qu'il a reporté non seulement sur une plaque au-dessus de la cheminée de la salle à manger, mais aussi dans chaque assiette, sur chaque fauteuil. «On ne peut faire l'impasse sur rien, avoue-t-il. D'une part parce qu'on ne sait jamais à quel moment la caméra se rapprochera d'un objet, et d'autre part parce que si l'illusion est parfaite, le décor ne pourra jamais interférer dans la magie du film.» Autant de joyaux voués à être détruits. Marti se souvient d'ailleurs d'avoir eu un pincement au cœur lorsqu'il a vu, lors du tournage d'une scène d'incendie, une magnifique copie de Goya disparaître dans les flammes. Grâce à une photographie et une lumière qui donnent au film un réalisme et une esthétique exceptionnels, le résultat est là. Et il prouve que le jeu en valait la chandelle.

Clara Géliot. Le Figaro, le 15 décembre 2006

 

Classique-moderne

    Difficile de faire une critique du film sans trop en dévoiler. Disons que Boutonnat a réussi le pari difficile de faire un film à la fois grand public, au charme romanesque presque désuet et une oeuvre très personnelle où on retrouve évidemment tous les éléments de son univers (bestiaire symbolique, la Nature, Dieu...) et, surtout, l'essentiel, à savoir la pleine maturité de son style visuel.

    Loin de toutes les adaptations poussiéreuses et académiques qui jalonnent l'histoire du cinéma français, des Misérables de Jean-Paul Le Chanois au Germinal de Claude Berri, en passant par Le rouge et le noir de Claude Autant-Lara et autres Grand meaulnes, Boutonnat signe ce qui est sans doute le premier pendant français du western américain, avec tout ce que ce genre a d'archétypal (certains diront "manichéen"). Les Croquants sont les "bons indiens" de ce western paysan, attachés à leur terre, littéralement "enracinés", en communion avec une nature qui se déchaîne ou s'apaise au gré de leurs émotions, ... tandis que Boutonnat dépeint les aristocrates, les "ultras", comme des âmes noires errantes, plongés dans une décadence désespérée comblée par un besoin irrésistible de pouvoir et de conquête.

    Contrairement à d'autres cinéastes français qui s'attaquent depuis plusieurs années au "film de genre" en cherchant vainement à imiter la démesure, le "bigger than life" du cinéma américain des studios, ou à courir après la post-modernité asiatique, Boutonnat demeure enraciné comme son héros à son identité française et raconte cette histoire simple, d'un "petit" héros du Périgord, en la filmant à hauteur d'homme et à hauteur de village, rappelant que les "grands sentiments" concernent aussi les plus humbles. L'interprétation, sans être parfaite, est plutôt équilibrée. Mention particulière à Léo Legrand (Jacquou enfant) qui dégage un magnétisme rare. La bande originale, entre Morricone et Goldsmith, est magnifique.

    Bref Jacquou est un film épique et intimiste, ne cherchant jamais l'efficacité à tout prix, assumant totalement son emphase romanesque d'un autre temps, quitte à déplaire aux spectateurs élitistes mais aussi à la génération MTV qui trouvera sans doute ce film long et ennuyeux. Ceux qui avaient estimé Giorgino à sa juste valeur regretteront que Jacquou ne soit pas aussi contemplatif, aussi éthéré, aussi intransigeant... mais ils apprécieront la pérennité de l'univers et du style. Boutonnat ne s'est à aucun moment trahi et c'est là l'essentiel.

    Laurent Boutonnat s'affirme donc définitivement comme un "classique-moderne", à l'instar d'un Michael Mann (Jacquou le croquant n'est d'ailleurs pas sans rappeler Le dernier des Mohicans).

"Norman Bates", MFiscalled, le 15 décembre 2006.

 

Séduction maladroite

 

    Treize ans après Giorgino, Laurent Boutonnat revient à la réalisation avec un nouveau long métrage ambitieux, adapté du célèbre roman d'Eugène Le Roy : Jacquou le Croquant. Fort d'un confortable budget (25 millions d'euros) et d'un casting alléchant, le réalisateur délaisse l'ambiance morbide qui faisait le charme troublant de son précédent film pour nous entraîner dans une aventure trépidante portée par un héros rebelle comme on les aime. Si la sauce ne prend pas totalement en dépit d'une durée conséquente, Jacquou le Croquant force indéniablement la sympathie, ne serait-ce que de par sa volonté farouche de raviver un genre tristement tombé en désuétude dans nos contrées.

    Pour un film épique exhalant le vent de la révolte, celle des laissés-pour-compte exploités par les nobles sans cœur, Jacquou le Croquant manque incontestablement de souffle. Le constat est sans appel, et ce malgré les efforts déployés par Laurent Boutonnat et son équipe pour nous faire vibrer aux côtés de ces héros dont les destinées appellent naturellement à l'empathie. La faute à quelques lourdeurs imprévisibles auxquelles la mise en scène n'est malheureusement pas étrangère. Surlignés à l'excès, étirés à l'aide de ralentis souvent malvenus, les événements tragiques déterminants qui ponctuent les jeunes années du futur héros – disparition du père et mort de la mère – peinent souvent à susciter l'émotion. L'abus de gros plans (voire de très gros plans), en particulier, empêche constamment cette belle histoire d'atteindre le degré d'ampleur à laquelle elle prétend de par son sujet. A force de coller de trop près à ses personnages, le réalisateur en oublie parfois de les faire évoluer pleinement dans l'espace, un écueil qui se répètera jusqu'au climax du film, moins puissant que prévu malgré la justesse de la cause défendue.

    Le traitement manichéen de certains personnages clés est sans doute pour quelque chose dans cette impression mitigée. Le comte de Nansac (Jocelyn Quivrin), qui règne sur la région aidé de ses acolytes dévoués et peu finauds, aurait mérité d'être davantage creusé ou, au contraire, de se montrer plus excessif, pour s'imposer comme l'ennemi charismatique approprié à ce type de récit. Les premières scènes laissent pourtant présager d'un énergumène intrigant – il toise ses adversaires sans quasiment dire un mot – , mais la déception s'installe inexorablement dès lors que l'on s'aperçoit que ce regard énigmatique ne dissimule aucune profondeur, et ce même si Jocelyn Quivrin ne dépare pas dans le rôle. La même chose peut être dite des parents de Jacquou, trop succinctement esquissés, trop idéalisés pour être crédibles. Le père (Albert Dupontel) est brave et aimant, la mère (Marie-Josée Croze) est douce et protectrice. La petite famille qu'ils forment avec leur fils Jacquou (Léo Legrand) dégage un parfum diffus d'anachronisme, tant les liens qui les unissent paraissent modernes pour l'époque (le début du XIXème siècle). Ce sentiment est encore exacerbé dans cette scène où, béat d'admiration devant sa mère affairée, le petit Jacquou lâche un "Tu es belle, maman" parfaitement déplacé dans la bouche d'un enfant de cet âge.

    Cela étant dit, Jacquou le Croquant possède bel et bien un pouvoir de séduction qui survit aisément à ces maladresses patentes, pour peu que l'on accepte de s'y laisser prendre. Si le film vogue à mille lieues des envolées lugubres de Giorgino, il n'en recèle pas moins quelques passages très noirs, qui se concentrent pour la plupart justement dans cette première partie du film, tout entière consacrée à l'enfance broyée de l'intrépide Jacquou (Gaspard Ulliel). Une première partie très longue, esthétiquement soignée, dont les plus belles scènes se déroulent au beau milieu de décors sombres, pluvieux ou enneigés, si chers au collaborateur privilégié de Mylène Farmer. Le petit Jacquou représente indubitablement le point fort de cette première heure, mélange de détermination et de vulnérabilité propres à son jeune âge et admirablement restituées par le très prometteur Léo Legrand. Plus généralement, c'est lorsque Laurent Boutonnat s'intéresse aux enfants, qu'il adopte leur regard tour à tour naïf et lucide, que la sincérité de son propos rejaillit avec le plus de force. Les enfants étaient déjà au cœur de l'intrigue de Giorgino, fantômes insaisissables réincarnés à travers le personnage innocent de Giorgio Volli. Dans Jacquou le Croquant, ils sont livrés à eux-mêmes mais résolus à se faire une place dans le monde hostile et glacial des adultes. A ce titre, la scène la plus importante du film, la plus émouvante aussi, est certainement celle du procès du père de Jacquou, qui est entièrement perçue de leur point de vue.

    Dès l'instant où Jacquou a lui-même atteint l'âge adulte, il paraît soudain passionner un peu moins le réalisateur. Est-ce parce que le personnage a trop parfaitement réalisé sa mue, après tous ces drames ? Gaspard Ulliel incarne pourtant un Jacquou convaincant, avec ce qu'il faut d'insolence et d'intransigeance pour s'imposer comme le sauveur que tous attendent. Mais il faudra attendre que le héros se frotte à la Galiote (Bojana Panic), une jeune fille au tempérament très juvénile derrière son air arrogant, pour que revive le Jacquou que l'on a tellement aimé durant la première heure. De même, sa relation filiale avec le curé Bonal (Olivier Gourmet) et le Chevalier (Tchéky Karyo), qui court sur les deux parties du film, se révèle particulièrement réussie sur la durée, les deux personnages offrant un contrepoint satisfaisant aux figures désincarnées des parents. On a plaisir à voir les uns et les autres grandir ou vieillir – une quinzaine d'année s'écoulent au total – , tandis que les décors et les costumes bénéficient d'un soin égal et remarquable tout du long.

    Jacquou le Croquant est un spectacle imparfait, parfois bancal, qui nous laisse dans un premier temps avec des sentiments partagés. Pourtant, les nombreux défauts n'empêchent pas au final la fraîcheur, l'idéalisme et la générosité de l'emporter irrésistiblement. Ce qui n'est pas rien.

Caroline Leroy, Excessif, le 28 décembre 2006.

La vengeance d'un croquant

    En 1815, la défaite de Napoléon offre la France à Louis XVIII et à toute la noblesse revancharde. Cet événement va être répercuté jusque dans une minuscule métairie du Périgord où le petit Jacquou file des jours tranquilles entre sa mère (Marie-Josée Croze) et son père (Albert Dupontel), ancien caporal dans l'armée impériale. Le film commence par une grande chasse à courre sur les terres du comte de Nansac (Jocelyn Quivrin). Un petit chien de chasse désorganise la meute, celui du père de Jacquou, bientôt trucidé par l'intendant du comte. C'est par là que débutent les malheurs de Jacquou. Son père tue l'intendant et, après un procès expéditif, est envoyé aux galères. Mais il périt dans une rixe avant le départ. La mère de Jacquou meurt à son tour d'épuisement et de chagrin. Le gamin, après avoir frôlé la mort, est recueilli par un curé constitutionnel (Olivier Gourmet), un prêtre qui, avec la Restauration, risque de perdre sa cure puisqu'il a pactisé avec la Révolution. Jacquou (Gaspard Ulliel) grandit au cœur de ces bouleversements. Bientôt, il accomplit le vœu fait à sa mère : venger la mort du père. Cette vengeance constitue la seconde partie du film, tout en mouvements, en affrontements et en jacqueries qui se concluront par les journées des Trois Glorieuses.

    Le feuilleton télévisé de Stellio Lorenzi, qui passionna la France en 1969 avec ses quatre épisodes d'une heure trente chacun, pouvait prendre le temps de rendre compte dans le détail du beau livre d'Eugène Le Roy écrit en 1899. Demeure, dans le film de Laurent Boutonnat, le squelette de l'intrigue alliée à une ample mise en scène et à une musique composée par Boutonnat lui-même, réalisateur des clips vidéo de Mylène Farmer. La mise en scène masque mal certaines maladresses comme la transition trop brutale entre le petit Jacquou meurtri et le grand Jacquou révolté. Ce Jacquou le Croquant est en définitive une oeuvre qui sollicite plus la sensibilité du spectateur que sa réflexion.

François Quenin, Historia, le 28 décembre 2006.

 

    Le Jacquou du réalisateur Laurent Boutonnat, aux allures de séduisant bandit corse, reflète les critères esthétiques et émotionnels de notre société. Mais cette reconstitution historique, très soignée, lumineuse, optimiste, s'est éloignée de la veine idéologique de ses précédents littéraires et cinématographiques.

Joëlle Chevé, Historia, le 28 décembre 2006.

 

Pas d'ennui

    Le film traîne parfois en longueur et fait quelques infidélités au livre pour plaire au plus grand nombre. Mais on casting est exceptionnel et on ne s'ennui jamais. La ressemblance entre Jacquou enfant (Léo Legrand) et Jacquou adulte (Gaspard Ulliel) est troublante ; elle se lit jusque dans leurs yeux.

Charlotte Duperray, Je Bouquine n°275, janvier 2007, p.57.

 

Corps et âme au service de l'Histoire

Le cinéma de grande envergure est de retour ! On sent que Laurent Boutonnat s'est donné corps et âme au service de l'histoire. Mouvements de foule incluant jusqu'à 500 figurants, décors somptueux montés minutieusement par une centaine de techniciens, quatre mois de tournage en extérieur afin de restituer à l'écran la beauté des paysages, des centaines de costumes étudiés au boution près, 150 000 mètres de pellicule... le compositeur de Mylène Farmer redonne des couleurs au roman d'Eugène Le Roy et au feuilleton télé de la fin des années 60 pour nous offrir une fresque riche en scènes saisissantes.

    En se consacrant uniquement à l'enfance, l'adolescence et le début de l'âge adulte de Jacquou, Boutonnat densifie l'histoire, rendant son opus poignant. Il réussi ainsi l'exercice, ô combien périlleux, de l'adaptation ciné. Chose qui n'aurait jamais été possible sans son casting qui regroupe de solides comédiens aux fortes personalités et la crème de la jeune génération : Gaspard Ulliel en Jacquou crève l'écran et Jocelyn Quivrin en comte de Nansac est époustouflant.

Anne Castel, Gaumont/Pathé
(magazine du producteur du film), 5 janvier 2006, p.30

 

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