Certitude :
la vieillesse apporte toujours à l’œuvre une sagesse, quelque chose de
beaucoup moins négatif qu’aux débuts, en quelque sorte faire ce que l’on
aime sans se poser de barrière, s’ouvrir sur soi- même, quitte à ce qu’on
vous le reproche.
Giorgino,
précédent film de Laurent Boutonnat, qui encore une fois était le compositeur
de la musique, partait dans de
grandes dissonances, des accords totalement mineurs, une ambiance "plombante"…
et réussie ; un film qui grâce non seulement aux images mais aussi à la
musique gardait une totale singularité et c’est bien là l’essentiel.
Dans Jacquou
le Croquant on ressent toujours un peu de ça, mais mêlé avec des accords
majeurs la plupart du temps, très positifs, très neutre aussi. Mais la
noirceur prends place aussi, surgit d’un coup, comme si Boutonnat redevenait
ce rebel d’antan. Il y a de très belles envolées de cordes, un peu simples,
pleines de bons sentiments, trop peut-être... Pourtant musicalement Jacquou
et Giorgino se confondent un peu, on retrouve les mêmes thèmes récurrents
chers à Laurent Boutonnat :
les cordes, les dissonances, les notes de piano très aigu qui se baladent sans
autre effet, toujours jouées à la même valeur sonore, les timbales qu’on
notera « boum » pour les amateurs, des voix féminines de chorale (
comme dans Giorgino… des claviers sans doutes encore cette fois !
) et bien entendu les cloches que Boutonnat depuis ses débuts ne cesse
d’ajouter.
Très imposante.
Des instruments de partout, puissance de l’orchestre symphonique de Prague, du
rythme, des moments pianissimo, puis forte, mezzo forte, et encore… Décliné
à chaque fois sur le thème qui se révèle, à la fin, être le thème du
couplet de la chanson du film. Une belle entrée en matière, très riche
pourtant très fluide, comme le reste de l’album, avec une marche jouée par
une caisse claire avant que tout ne s’arrête et que les cuivres et les voix
ne fassent leur entrée, juste quelques secondes car… c’est le thème du
film le plus important qui arrive petit à petit, dessiné à chaque fois différemment. Petit
« bécard » toutefois : la mélodie du thème aurait pu avoir
meilleur effet si un autre instrument que le piano l’exécutait… ça aurait
pu être plus grandiose car le côté « variété » du coup se colle
à l’orchestre et ce n’est pas du meilleur effet.
Une flûte (
traversière ? ) intervient à la toute fin de l’Ouverture de manière
furtive pour ensuite laissé place à une guitare acoustique, comme un clin d’œil
à la musique générique du Jacquou de Stellio
Lorenzi composée par Georges Delerue qui reprenait cette structure.
Commençant par un air inquiétant avec beaucoup de voix pour finir en une très belle mélodie majeure et relativement apaisante, en gardant une note de violons continue aiguë (que nous soupçonnerons d'être un clavier, tout comme les voix d’ailleurs. Enfin ça, c’est certain) qui s’allie superbement bien avec le changement de tonalité final.
Boutonnat revient à ses sources… Il utilise pour le début de ce morceau les accords d’une chanson qu’il avait écrite pour Nathalie Cardone qui s’appelle Antonio, mais qui vire rapidement de bord pour insérer la flûte, un xylophoto, ses magnifiques cordes, une harpe. Ca change du tout au tout. D’un coup ça n’est plus noir du tout, c’est très champêtre et pourrait très bien être une musique finale pour un Disney.
Un peu du déjà entendu dans son travail pour Alizée et Mylene Farmer mais ça reste pur. Ce titre fait beaucoup penser à l’Ouverture du film Les fantômes de Louba de Martine Dugowson dont la musique est signée par Peter Chase. Le mélange des instruments y est pour beaucoup.
Petit provocation
d’allier un son totalement pourri de cuivre trouvé tout au fond d’un synthé
80’s alors qu’il a à sa portée plus d’une centaine de musiciens pour lui
seul… Laurent Boutonnat a un vrai don pour allier les synthés avec les
instruments acoustiques et même quand c’est un ensemble aussi imposant
qu’un Orchestre symphonique, sa musique garde une âme, une identité. Comme
quoi le talent ne s’improvise pas.
Prise de son impeccable, comme pour les autres pistes. Une sorte d’Ouverture de milieu de film… où on retrouve le piano qui reprend les mélodies des violons, marche descendante qui change de tonalité à peu près toutes les quatre mesures. C’est un peu comme ça que fonctionne la musique du film, (pas seulement celle là, dans Giorgino et même dans les chansons de Boutonnat c’est habituel), en répétant une base d’accords délibérément, en ajoutant des mélodies de piano, des violons, de xylos différents dessus ou par-dessus et bien sûr en changeant la tonalité, cela va sans dire !
Je note que
Debout Nansac fait écho quelque part à A Catherine de Giorgino
dans cette manière de jouer seulement quatre notes très proche les unes des
autres en incluant celle qui apportera le malaise, la dissonance, dans
l’ensemble. Alors oui c’est différent mais c’est la même technique de
composition que pour Giorgino. Les cordes plus sages, les percussions en
plus. Un peu comme pour la musique de Giorgino, les mélodies se
confondent, le thème revient souvent mais il est difficile aux
premières écoutes de savoir quelle « chanson » on vient
d’entendre.
La dernière
piste, La Galiote, réuni au final les airs entendus tout au long du
disque. Pour débuter une mélodie assez solennelle, un air de romance un peu
las. Le thème du film dans ce morceau cependant arrive bien tard je trouve…
Il y a un moment où plusieurs phrases distinctes sont jouées, à partir de
cinq minutes et vingt-huit secondes. Les accords de base joués de façon saccadée
par les violons en fond, s’ajoutent une autre phrase aiguë de violons sans
que le piano ne s’arrête de jouer le thème… puis à partir de cinq minutes
et cinquante et une seconde, la troisième phrase de violons vient se coller à
tout ça… tout en gardant une sorte d’intimité dans le morceau. C’est
beau, simplement ça ne s’envole pas. On s’attendrait à avoir une tempête
de cymbales, de timbales, de caisses claires et de cuivres avec des violences
dans les cordes et non. On finit sur une vieille cadence parfaite totalement
pourrie : pour un metteur en scène ça la fout mal. Oui une B.O. se met en
scène aussi. Là on est ni dans la fin triste et lente, ni dans quelque chose
de dynamique… c’est juste beau, on avouera que c’est au final déjà pas
mal. Mais il manque une petite flamme à tout ça…
On a dû mal à
croire de plus en plus, puisqu’on le décrit comme tel, que Laurent Boutonnat
n’écoute pratiquement que de la musique classique, que c’est là sa source.
Car en écoutant la B.O. on sent que c’est un enfant de variété, de mélodies
efficaces un peu flemmardes malgré tout. La démarche est honnête, Boutonnat
fait ce qu’il aime sans se préoccuper de sa propre répétition. Il pourrait
faire des tas de chansons avec ce qu’il a produit. D’ailleurs, quand on
entend Devant Soi, la chanson thème du film interprété par Mylène
Farmer, on se demande si la chanson a été pensée en premier lieu pour le film
ou si le thème justement est né d’une chanson pour la rousse.
Du coup quand la
piste 21 commence, rien n’est choquant puisqu’on nous a rabâché le thème
constamment dans la B.O., ce thème qui devient le couplet de la chanson. Bien sûr
d’un coup il y a quelque chose de plus kitsch et rythmé (variété française
oblige) qui s’installe mais ça ne fait pas tâche.
Ce que je
reprocherais à l’arrangement total de la B.O. est vraiment d’avoir abusé
du son de piano car il a des allures d’amateurs, des allures de mauvais midi
aux sons inutiles. On sent qu’il n’a pas pu résister dans ses morceaux
classiques à ajouter son brin de folie variétés, parce qu’il aime tout
simplement ça, et qu’il ne peut s’en empêcher. Cette B.O. reste très
abordable à l’oreille, on définirait facilement le style comme de la musique
classique de variété.
Seul regret :
de ne pas retrouver la musique du teaser dans la B.O. où l’on avait une démonstration
de percussion et de tension hâtive avec un montage sur une scène qui donne
l’impression d’une danse de village mais rien du tout… il nous faudra
capter le son du teaser pour immortaliser la musique.
L’impression générale
de cette B.O. c’est qu’il y a une sorte d’apaisement dans la musique qui
manquait dans Giorgino. Une pureté générale, fluidité forcement, et
de l’honnêteté dans sa démarche artistique : d’avoir écrit ce
qu’il sait faire et ce qu’il aime entendre et donner de lui-même aux
autres.
Il faut aussi dire que Nic Raine a
effectué ce beau travail qu’est de retranscrire et comprendre la musique de
Laurent Boutonnat.
Il a bien su décliner aussi
l’accompagnement du thème du film qui revient indéfiniment et qui du coup ne
lasse pas puisque à chaque fois le fond change… il a fait un vrai travail
d’orchestration au vu de la base que lui a donnée Laurent Boutonnat n’est
pas très riche. Il n’est pas si facile de coudre des parties de cordes et
autres différentes à chaque fois pour un thème de seulement 15 à 30
secondes.
Seule grande
certitude de cette B.O. : Paul Ramirez Del Piu est mort. Paix à son âme.
Ludovic Huvier, le 11 janvier 2007.