La B.O.

 

 

Lundi 08 Janvier 2007 : la bande Originale du film Jacquou Le croquant sort. Critique dans la perspective du travail de Laurent Boutonnat. par Ludovic Huvier.

 

 

 

    Certitude : la vieillesse apporte toujours à l’œuvre une sagesse, quelque chose de beaucoup moins négatif qu’aux débuts, en quelque sorte faire ce que l’on aime sans se poser de barrière, s’ouvrir sur soi- même, quitte à ce qu’on vous le reproche.

 

    Giorgino, précédent film de Laurent Boutonnat, qui encore une fois était le compositeur de la musique,  partait dans de grandes dissonances, des accords totalement mineurs, une ambiance "plombante"… et réussie ; un film qui grâce non seulement aux images mais aussi à la musique gardait une totale singularité et c’est bien là l’essentiel.

 

    Dans Jacquou le Croquant on ressent toujours un peu de ça, mais mêlé avec des accords majeurs la plupart du temps, très positifs, très neutre aussi. Mais la noirceur prends place aussi, surgit d’un coup, comme si Boutonnat redevenait ce rebel d’antan. Il y a de très belles envolées de cordes, un peu simples, pleines de bons sentiments, trop peut-être... Pourtant musicalement Jacquou et Giorgino se confondent un peu, on retrouve les mêmes thèmes récurrents chers à  Laurent Boutonnat : les cordes, les dissonances, les notes de piano très aigu qui se baladent sans autre effet, toujours jouées à la même valeur sonore, les timbales qu’on notera « boum » pour les amateurs, des voix féminines de chorale ( comme dans Giorgino… des claviers sans doutes encore cette fois ! ) et bien entendu les cloches que Boutonnat depuis ses débuts ne cesse d’ajouter.  

  Laurent Boutonnat à Prague lors de l'enregistrement de la musique

 

Piste 1 : L’Ouverture.

    Très imposante. Des instruments de partout, puissance de l’orchestre symphonique de Prague, du rythme, des moments pianissimo, puis forte, mezzo forte, et encore… Décliné à chaque fois sur le thème qui se révèle, à la fin, être le thème du couplet de la chanson du film. Une belle entrée en matière, très riche pourtant très fluide, comme le reste de l’album, avec une marche jouée par une caisse claire avant que tout ne s’arrête et que les cuivres et les voix ne fassent leur entrée, juste quelques secondes car… c’est le thème du film le plus important qui arrive petit à petit, dessiné à chaque fois différemment. Petit « bécard » toutefois : la mélodie du thème aurait pu avoir meilleur effet si un autre instrument que le piano l’exécutait… ça aurait pu être plus grandiose car le côté « variété » du coup se colle à l’orchestre et ce n’est pas du meilleur effet.

 

    Une flûte ( traversière ? ) intervient à la toute fin de l’Ouverture de manière furtive pour ensuite laissé place à une guitare acoustique, comme un clin d’œil à la musique générique du Jacquou de Stellio Lorenzi composée par Georges Delerue qui reprenait cette structure.

 

 

Piste 2 : Nansac

    Commençant par un air inquiétant avec beaucoup de voix pour finir en une très belle mélodie majeure et relativement apaisante, en gardant une note de violons continue aiguë (que nous soupçonnerons d'être un clavier, tout comme les voix d’ailleurs. Enfin ça, c’est certain) qui s’allie superbement bien avec le changement de tonalité final.

 

Piste 6 : Au Lavoir

    Boutonnat revient à ses sources… Il utilise pour le début de ce morceau les accords d’une chanson qu’il avait écrite pour Nathalie Cardone qui s’appelle Antonio, mais qui vire rapidement de bord pour insérer la flûte, un xylophoto, ses magnifiques cordes, une harpe. Ca change du tout au tout. D’un coup ça n’est plus noir du tout, c’est très champêtre et pourrait très bien être une musique finale pour un Disney.

 

Piste 8 : Lina

    Un peu du déjà entendu dans son travail pour Alizée et Mylene Farmer mais ça reste pur. Ce titre fait beaucoup penser à l’Ouverture du film Les fantômes de Louba de Martine Dugowson dont la musique est signée par Peter Chase. Le mélange des instruments y est pour beaucoup.

 

Piste 11 : La deuxième danse

    Petit provocation d’allier un son totalement pourri de cuivre trouvé tout au fond d’un synthé 80’s alors qu’il a à sa portée plus d’une centaine de musiciens pour lui seul… Laurent Boutonnat a un vrai don pour allier les synthés avec les instruments acoustiques et même quand c’est un ensemble aussi imposant qu’un Orchestre symphonique, sa musique garde une âme, une identité. Comme quoi le talent ne s’improvise pas.

 

 

Piste 12 : Jacquou et Lina

    Prise de son impeccable, comme pour les autres pistes. Une sorte d’Ouverture de milieu de film… où on retrouve le piano qui reprend les mélodies des violons, marche descendante qui change de tonalité à peu près toutes les quatre mesures. C’est un peu comme ça que fonctionne la musique du film, (pas seulement celle là, dans Giorgino et même dans les chansons de Boutonnat c’est habituel), en répétant une base d’accords délibérément, en ajoutant des mélodies de piano, des violons, de xylos différents dessus ou par-dessus et bien sûr en changeant la tonalité, cela va sans dire !

 

Piste 18 : Debout Nansac

    Je note que Debout Nansac fait écho quelque part à A Catherine de Giorgino dans cette manière de jouer seulement quatre notes très proche les unes des autres en incluant celle qui apportera le malaise, la dissonance, dans l’ensemble. Alors oui c’est différent mais c’est la même technique de composition que pour Giorgino. Les cordes plus sages, les percussions en plus. Un peu comme pour la musique de Giorgino, les mélodies se confondent, le thème revient souvent mais il est difficile aux  premières écoutes de savoir quelle « chanson » on vient d’entendre.

 

 

Piste 20 : La Galiote

    La dernière piste, La Galiote, réuni au final les airs entendus tout au long du disque. Pour débuter une mélodie assez solennelle, un air de romance un peu las. Le thème du film dans ce morceau cependant arrive bien tard je trouve… Il y a un moment où plusieurs phrases distinctes sont jouées, à partir de cinq minutes et vingt-huit secondes. Les accords de base joués de façon saccadée par les violons en fond, s’ajoutent une autre phrase aiguë de violons sans que le piano ne s’arrête de jouer le thème… puis à partir de cinq minutes et cinquante et une seconde, la troisième phrase de violons vient se coller à tout ça… tout en gardant une sorte d’intimité dans le morceau. C’est beau, simplement ça ne s’envole pas. On s’attendrait à avoir une tempête de cymbales, de timbales, de caisses claires et de cuivres avec des violences dans les cordes et non. On finit sur une vieille cadence parfaite totalement pourrie : pour un metteur en scène ça la fout mal. Oui une B.O. se met en scène aussi. Là on est ni dans la fin triste et lente, ni dans quelque chose de dynamique… c’est juste beau, on avouera que c’est au final déjà pas mal. Mais il manque une petite flamme à tout ça…

 

 

    On a dû mal à croire de plus en plus, puisqu’on le décrit comme tel, que Laurent Boutonnat n’écoute pratiquement que de la musique classique, que c’est là sa source. Car en écoutant la B.O. on sent que c’est un enfant de variété, de mélodies efficaces un peu flemmardes malgré tout. La démarche est honnête, Boutonnat fait ce qu’il aime sans se préoccuper de sa propre répétition. Il pourrait faire des tas de chansons avec ce qu’il a produit. D’ailleurs, quand on entend Devant Soi, la chanson thème du film interprété par Mylène Farmer, on se demande si la chanson a été pensée en premier lieu pour le film ou si le thème justement est né d’une chanson pour la rousse.

 

    Du coup quand la piste 21 commence, rien n’est choquant puisqu’on nous a rabâché le thème constamment dans la B.O., ce thème qui devient le couplet de la chanson. Bien sûr d’un coup il y a quelque chose de plus kitsch et rythmé (variété française oblige) qui s’installe mais ça ne fait pas tâche.

 

    Ce que je reprocherais à l’arrangement total de la B.O. est vraiment d’avoir abusé du son de piano car il a des allures d’amateurs, des allures de mauvais midi aux sons inutiles. On sent qu’il n’a pas pu résister dans ses morceaux classiques à ajouter son brin de folie variétés, parce qu’il aime tout simplement ça, et qu’il ne peut s’en empêcher. Cette B.O. reste très abordable à l’oreille, on définirait facilement le style comme de la musique classique de variété.

 

    Seul regret : de ne pas retrouver la musique du teaser dans la B.O. où l’on avait une démonstration de percussion et de tension hâtive avec un montage sur une scène qui donne l’impression d’une danse de village mais rien du tout… il nous faudra capter le son du teaser pour immortaliser la musique.

 

    L’impression générale de cette B.O. c’est qu’il y a une sorte d’apaisement dans la musique qui manquait dans Giorgino. Une pureté générale, fluidité forcement, et de l’honnêteté dans sa démarche artistique : d’avoir écrit ce qu’il sait faire et ce qu’il aime entendre et donner de lui-même aux autres.

 

Il faut aussi dire que Nic Raine a effectué ce beau travail qu’est de retranscrire et comprendre la musique de Laurent Boutonnat.

 

 

Nic Raine        Nic Raine dirigeant l'orchestre de Prague

 

 

Il a bien su décliner aussi l’accompagnement du thème du film qui revient indéfiniment et qui du coup ne lasse pas puisque à chaque fois le fond change… il a fait un vrai travail d’orchestration au vu de la base que lui a donnée Laurent Boutonnat n’est pas très riche. Il n’est pas si facile de coudre des parties de cordes et autres différentes à chaque fois pour un thème de seulement 15 à 30 secondes.

 

    Seule grande certitude de cette B.O. : Paul Ramirez Del Piu est mort. Paix à son âme. 

 

Ludovic Huvier, le 11 janvier 2007.

 

 

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