Le Film

 

Synopsis officiel

    1815. Jacquou, jeune paysan du Périgord vit heureux avec ses parents. Par la faute d'un noble cruel et arrogant, le comte de Nansac, il devient orphelin et misérable. Jurant de se venger, Jacquou va grandir et s'épanouir sous la protection du curé Bonal qui le recueille. Grâce à des amis sûrs et à une jeune fille patiente et lumineuse, il deviendra en quelques années un jeune homme déterminé et séduisant. Il saura transformer son désir de vengeance en un combat contre l'injustice, et prouver qu'un simple croquant n'est pas dénué de grandeur.

 

Incipit

1815 : Année terrible. La défaite de Waterloo vient de mettre un point final à l'aventure Napoléonienne. A Paris, le roi Louis XVIII s'installe sur le trône et la noblesse française, chassée par la révolution, revient en conquérante dans un pays profondément bouleversé. Comme soldat, j'ai connu cette époque trouble et arrogante où chacun à eu sa part de malheurs. Comme médecin, j'ai vu bien des souffrances et bien des formes de courage. Mais celui qui m'a le plus touché, qui m'a le plus ému par sa droiture, n'était qu'un simple paysan ; un enfant, un de ces pauvres gueux qu'on appelle un croquant. A dire vrai, ce garçon n'aimerait pas trop tous ces compliments. Mais comment, pour un vieil homme comme moi, dire à un  enfant qu'on l'admire ? Peut-être, tout simplement, en racontant son histoire...

 

 

"Décidément, ce croquant mérite une leçon"

 
    Faut-il se fier au professionnalisme de Laurent Boutonnat qui saute aux yeux dès la première image ? La scène d’ouverture a le mérite de plonger le spectateur immédiatement dans le climat d’une époque et d’une région, d’esquisser en quelques secondes le Périgord Noir, les métayers, les chasses à cour, et de rendre tout ça crédible si tôt. Imposer une atmosphère et un sens du rythme a toujours été le point fort de Boutonnat. En revanche lorsqu’il s’agit de faire entrer le spectateur en empathie avec un personnage, Laurent a plus de mal. L’action commence sans qu’on sache vraiment qui tue qui, pourquoi, et surtout avec quelles éventuelles conséquences. Si on entre en osmose avec la splendeur de la nature, le vent dans les feuilles, les chardons, la faune, on reste un trop long moment étranger aux personnages et à la gravité de leurs actes.   

 

 

La première scène du film

Tcheky KaryoDu côté du casting en revanche pas d’impair, des gueules cassées, le charisme incroyable de Tchéky Karyo (son "Il est mort" est d'une justesse qui relève du grand art), un Gaspard Ulliel tout en cou, un Jocelyn Quivrin qui a l’intelligence de jouer l’orgueil ridicule, la désopilante Sissi Duparc, et une néo-Nathalie Cardone en ténébreuse Galiote. 

Malheureusement, malgré les mèches de cheveux derrière lesquelles se cachent les deux Jacquou, la direction d’acteurs se sent trop, et semble exiger des personnages une expressivité outrancière. On en arrive parfois à se demander qui est derrière la caméra. Laurent Boutonnat ? ou Jean-Paul Salomé ? ou Antoine De Caunes ?… En fait un peu n’importon se la raconte un peu derrière les mèches...e qui aurait pu s’occuper du tournage de ce film tant la réalisation reste impersonnelle. On sent que le cinéaste a tourné la plupart des séquences comme il l’aurait fait pour un concert : une demi-douzaine de caméras capture ce qui se passe sur le plateau, et on verra bien au montage. Au final de très nombreux travellings et zooms indigestes ; et c’est à cause de ce trop-plein que Laurent Boutonnat passe souvent à côté de la simplicité des sentiments. L’avantage est que tout cela contribue à "remplir" visuellement le film, tout comme le fait pour la bande son la surabondance de bruitages (le son de la pluie surmixée ajoute considérablement à la tension dramatique), et le soin apporté à la musique (souvent plus lyrique que l’action elle-même). Certaines scènes comme la promesse de vengeance face au château atteignent quand même avec ça un sacré lyrisme, tout comme l’instant où le curé demande à Dieu une dernière minute avant de mourir n’est pas dénué de grâce. C’est d’ailleurs lorsque ce dernier récupère Jacquou que le vrai bon film commence, et laisse derrière lui les Salomé et De Caunes.   

 

Certaines images boutonnesques retiennent alors l’œil, et pas seulement le loup sous la pleine lune que chacun attendait plus ou moins. L’image du cadavre du régisseur, pendu par le pied à l’étrier de son cheval piétinant sous la pluie choque ; tout comme cette fillette caillassant une fosse à cochons avant qu’ils ne soient lâchés sur elle, ou les chevaux qui fuient leurs écuries enflammées. Aussi, quelques excellentes trouvailles de mise en scène ravissent : comme l’ellipse autour du procès du père à laquelle répondra plus tard l'ellipse du verdict de Jacquou, ou encore le plan-séquence de Jacquou qui vieilli de dix ans sans aucun trucage. Quelques dialogues et sorties savoureuses (voir plus bas) s’ajoutent à une légèreté qu’on n'attend pas à priori de ce réalisateur, tout comme la provocation de la racaille de l’époque à la maréchaussée, bien plus subversive que n’importe quel "nique la police!". Léger aussi le gros clin d’œil à Libertine lorsque, juste avant la révolte, une minute du banquet du comte est filmé-monté comme vingt ans auparavant, lumières chaudes, poudres, perruques, bougies, éventails, accolades, raisins et victuailles se succédant comme dans le clip de 1986. Drôle et légère encore, une autre insolite invention boutonnienne (qui sera sûrement reprise ailleurs) : le "pano-piano" : Lors d’une course poursuite dans un couloir, la caméra voltige au-dessus des touches d’un piano et en fait synchroniser le son dans la B.O, comme si la caméra frôlait elle-même les touches.   

Libertine III ?

Du côté des effets spéciaux on n'est pas loin de la perfection : les rides sous les yeux du curé vieilli ne souffrent d’aucune approximation, l’incendie du château ne sacrifie pas au spectaculaire et reste réaliste. Et si la pluie battante et la neige en suspension dans l’air sont parfaitement maîtrisées numériquement, on ne peut malheureusement pas en dire autant des éclairs.

 

Pour conclure, on a avec Jacquou le Croquant une terrible confirmation : ce qui faisait de Laurent Boutonnat un Auteur a bel et bien disparu. Restent du grand divertissement, des bribes d’un univers englouti, quelques bonnes idées de forme, et des renoncements. Face à Jacquou, ce que Boutonnat a perdu en singularité, il l’a gagné en fougue, en émotions et sûrement en public, faisant de lui un cinéaste commercial, se détournant du fond social, de l’Histoire, et peut-être de l’engagement ; alors qu’il aurait pu faire un grand film à l’image de la scène du bal : la prise de pouvoir politique d’un peuple par un homme.

 

 Ce qu'il reste de l'artiste ? A la Révolution intérieure de Jacquou, du tiraillement entre pardon et vindicte au chemin apaisé de la vengeance magnanime ; se confond l’évolution de Laurent Boutonnat, qui après s’être demandé : « Peut-on rester un enfant ? » se questionne : « Comment devient-on un Homme ? » 

Jodel Saint-Marc, le 14 janvier 2007.  

Les Répliques qui restent

"- Je suis vierge.        - Ce serait bien la seule ici !"

"- Nous avons raté la tuerie mais reste la curée"

"- Tu connais autre chose que ton sillon, ou le cul de ta vache ?"

"- Les seules traces que vous laissez sont celles de vos fientes."

"- Il danse bien le conte.      - Il a que ça à foutre !"

"- Le sanglier aussi est courageux, mais ça reste un cochon."

"- Putain ça commence bien"   (1ere réplique du film)

"- Si au séminaire on m'avait que je finirais entre un libre penseur et une moitié de protestant je ne l'aurais pas cru."

"- Banal, comme ce mot vous va bien"

"- Avoir froid pour vous, c'est frissonner le temps d'une chasse."

"- Tout cela n'est que du menuet version bûcheron"

"- T'es tout pâle, on dirait un fromage du mois dernier !"

"- Nous sommes ruinés Monsieur le comte, il va falloir rentrer à pieds..."

 

Notes sur le film et ses critiques

    Jacquou le Croquant débute sur un long plan totalement flou. Peut-être celui duquel s'extirpe Laurent Boutonnat après 13 ans de comas filmique. Seule une voix, celle du chevalier, raconte alors le début d'une histoire. Bonne référence au roman, où, privé d'images, le lecteur devait s'imaginer le monde rustique de Jacquou. La série de 1969 l'avait imaginé, et c'est en pensant à priori incompatible le monde de Boutonnat et celui de Lorenzi que la critique s'acharna sur lui.

 

 

    Pour éviter à l'avenir de se faire renvoyer à son statut de "clipeur", Laurent Boutonnat devra laisser de sa tendance à l'emphase et cantonner ses ralentis aux actions dramaturgiquement fortes. Il se rendra compte alors, qu'étirer le temps sur la botte d'un cavalier qui descend de cheval ou sur un acteur qui cligne des yeux peut desservir l'immersion du spectateur plutôt que de la susciter. Si Jacquou le Croquant emprunte à l'esthétique du vidéo-clip, c'est là dessus, mais uniquement là dessus. Il est injuste d'y résumer son film. D'autant plus qu'il est aisé (et maladroit) de confondre cet écueil avec celui du maniérisme dont Boutonnat fait preuve sur certains bouts de scènes. Ainsi, celle des enfants derrière la grille lors du procès du père ; musique larmoyante et très gros plans accentuent outrageusement une action qui aurait pu compter sur sa puissance émotionnelle intrinsèque. Tout ça pousse inévitablement le film dans le sens d'un manque de réalisme (sûrement voulu), que pourtant le thème et l'histoire originale sont en droit de réclamer. Réalisme pas aidé par les décors où les troncs d'arbres morts et le lichen sur un gué champêtre ajoutent à la poésie abstraite et enlève au misérabilisme, pourtant clé de l'intrigue. La question soulevée est alors devant nous : Peut-on faire d'une oeuvre politique un film formel. Laurent Boutonnat y apporte l'honnêteté de sa réponse, à chacun de juger s'il peut y adhérer ou pas.

 

    Après la mort de la mère, Boutonnat lance brièvement la piste d'un film sur l'évolution d'une personnalité. Tout s'arrête. Le petit Jacquou sort de la maison et réalise l'Homme qu'il va peut-être devenir. Le silence, la contemplation du monde, l'intériorité d'un personnage, nourrie de plans fixes et d'une musique enfin redevenue expérimentale. Cette tendance sera confirmée lors de son procès, quand les images de son chien et de l'enfant qu'il était l'extirpent du boxe des accusés pour le transporter dans l'immensité de sa propre existence.

 

 

    Hors mis ces rares séquences, et de peur que son spectateur ne s'ennuie, Laurent Boutonnat occupe l'image dès la première scène jusqu'à la fin du film au point de ne jamais relâcher l'action. Il manque justement peut-être quelques autres scènes contemplatives, qui auraient permis de prendre du recul sur la séquence qui vient de passer, et qui aurait servie de respiration Affiche officielle concue par "Déjà"au spectateur et à la réalisation, en même temps que de pivot à la trame narrative. Si l'on accepte le principe de base selon lequel Jacquou le Croquant délaisse bel et bien ce genre de subtilité pour devenir un film esthétisant (effort que peu de critiques-presse ont consenti à faire), il y aura peu à reprocher. Notamment grâce à l'armée de 40 décorateurs et Olivier Cocaul, remarquable directeur de la photographie. Rarement les extérieurs-nuit ont été aussi bien rendus dans un film. Sans recourir aux éternels virages bleuâtres, Cocaul parvient à rendre une nuit désaturée, claire, crédible, à l'intérieur de laquelle on ne devine pas de source directe de lumière, si ce n'est celle d'une lune qu'on imagine diffuse et blanche, ne laissant aucune ombre au sol. Lumière soignée également sur les scènes du tribunal, très obscures et toutes en contre-jours ; où là par contre l'horizontalité de la lumière directe se fait violente sur les visages. S'oppose à ces scènes la luminosité de tableaux comme celui du lavoir, qui avec son illustration musicale parvient à rendre au film toute la simplicité et la beauté du cinéma en costumes. On retrouvera cette virginité à la toute fin du film, débarrassée des mystères et des questions en suspend. Une histoire s'achève et la vraie commence. Alors que la Galiote déshéritée part sur un itinéraire solitaire tout personnel, Jacquou et Lina restent sur leurs terres, fondements de leur identité. Si la Galiote part chercher le bonheur là où il se trouve, Jacquou et Lina se réclament de leur passé commun en ces lieux, car le bonheur il est là et ils l'ont déjà trouvé. Tout est dans cette phrase de Lina : "- Jamais je ne voudrais partir d'ici, j'ai l'impression de faire partie de chaque plante, de chaque caillou sur la route." L'ambition, s'est se condamner au renoncement, la pauvreté c'est se permettre l'ancrage. Leur Dieu, c'est la Nature. 

 

    Mais lorsque la simplicité et le trop-plein se conjuguent, Laurent Boutonnat livre alors toute son énergie créatrice et dessine de puissantes scènes saisissantes. Lors de la promesse face au château de Nansac le trop-plein est là, mais devient signifiant. On se sent à la place du petit Jacquou sur ce rocher face au vide, on ne comprend pas ce qui se passe soudainement, le bras qu'on nous a tiré pour nous amener  jusqu'ici, les mots de notre mère qui nous crie au visage, exige des choses de nous, se crache dans la main et y dessine une croix, la brandit dans le vide, la salive se mélange à l'eau de pluie, on claque des dents sous le froid de l'orage, derrière le tonnerre ininterrompu on n'entend plus ce qu'elle dit. De la faiblesse de l'un et de l'autre, quelques heures avant la mort de sa mère et avant l'émancipation du fils, une force commune s'échappe pourtant, le dernier hurlement d'une famille qui va disparaître, la composition picturale d'un plan testamentaire, le climax du film, la clé de tout.

    Il manquera à Jacquou le Croquant une folie plus vaste que celle-ci pour faire de lui un grand film.

La vengeance face au château, probablement la scène la plus lyrique du film

 

    Par la suite, et pour la première fois chez le réalisateur, on pourra savourer certains dialogues, et même quelques joutes verbales remaniées à partir des citations du chevalier dans le roman, et qui servent les (maigres) psychologies de personnages, notamment la savoureuse dernière réplique du comte :

    (le comte au jésuite)
- "Que pensez-vous des bals mon père ?
 
    (le jésuite)
- C'est comme les champignons, même les meilleurs ne valent rien.
 
    (le chevalier)
- Si vous voulez des mariages, faites des bals, si vous voulez des églises vides, construisez des couvents.
 
    (le comte, ironique)
- Excellent. La soirée s'annonce bien."

Jodel Saint-Marc, le 19 janvier 2007.

 

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