Le Réalisateur 2

Le 28 décembre 2006, Laurent Boutonnat accorde une interview au magazine mensuel Historia, mensuel d'Histoire.

 

"J'ai imité Millet, le peintre des paysans"

 

Historia - De quels conseils historiques avez-vous bénéficié ?

    Laurent Boutonnat - Le coscénariste, Franck Moisnard, s'intéresse particulièrement à Napoléon. Il a tout lu sur Bonaparte. Il a passé pas mal de temps, et moi avec lui, un peu partout où la mémoire de l'Empereur est célébrée, aux Invalides bien sûr, et jusqu'à Cuba où il existe un musée Napoléon... C'est pourquoi nous avons transformé le père de Jacquou en officier napoléonien. On s'est intéressé aussi au retour des jésuites, alliés aux ultraroyalistes. Le chapelain du comte, un prêtre quelconque dans le roman d'Eugène Le Roy, devient ainsi un jésuite. Aujourd'hui, ils sont vus comme un ordre libéral. Or, durant toute la première partie du film, le spectateur vit avec Jacquou et voit les choses à travers son regard. Quand l'enfant regarde un autodafé accompli par un jésuite, pour lui, le prêtre est une sorte de démon.

tournage en extérieur (Laurent Boutonnat au 1er plan)

 

H. - Est-ce surtout le livre d'Eugène Le Roy qui vous a inspiré ?

    L. B. - Avec le coscénariste, nous avons lu et relu le roman. Le temps de l'adaptation est toujours long, c'est la durée nécessaire pour posséder parfaitement le livre. Une fois l'histoire emmagasinée, broyée, malaxée, il faut s'en détacher, l'oublier. Ce qui demeure, ce sont des séquences qui apparaîtront nécessairement dans le film. La première décision qu'on a prise était d'arrêter la vie de Jacquou à l'âge de 20 ans. Dans le livre, sa vie se poursuit jusqu'à 90 ans.

H. - Où avez-vous tourné ?

 
    L. B.
- Une grande part en Roumanie et une autre en Dordogne, ainsi que quelques scènes en région parisienne, comme la partie de chasse à courre en forêt. J'ai effectué de nombreux repérages, d'abord dans le Périgord Noir, qui est la terre de Jacquou, et en Dordogne. Les intérieurs de châteaux ont été filmés dans cette région : le château de Biron, en Périgord, qui est la demeure du comte de Nansac, dans la vallée de la Dordogne et le château de Beynac dans le Sarladais. Le problème est que les petits villages anciens sont magnifiques, mais restaurés. Tourner là demande un travail colossal de... salissage ! D'où la Roumanie. Le plus important pour moi, c'est la nature. Quand je suis allé dans ce pays, j'ai découvert des décors extraordinaires qui font penser à la Dordogne d'il y a deux cents ans. On rencontre de grandes vallées pleines de feuillus, c'est magnifique.

Olivier Gourmet, Laurent Boutonnat et Léo Legrand

 

H. - On sent l'influence de la peinture dans votre film.

    L. B. - Avec Christian Marti, le chef décorateur, et Jean-Daniel Vuillermoz, le responsable des costumes, nous avons regardé beaucoup de toiles. Je leur ai montré notamment un peintre russe, Ilia Répine, que j'aime beaucoup et qui a représenté les milieux ruraux et la misère paysanne. Je suis très sensible aux Russes, à leur peinture, à leur littérature et à leur cinéma. Ils savent capter les sentiments humains à travers des scènes de nature. On a cherché du côté des peintres du XIXe qui s'étaient intéressés au monde rural tels Louis-Léopold Boilly et Géricault. La première référence a, bien sûr, été Jean-François Millet, peintre des paysans. Dans ses tableaux, ceux-ci sont toujours dignes. Dans leur dénuement, il y a de la poésie que nous avons essayé de transmettre. Rembrandt, bien qu'appartenant au XVIIe siècle, nous a également beaucoup aidés pour les intérieurs et la qualité des lumières. Ainsi que Greuze, Le Nain, l'Italien Ceruti. Et un photographe espagnol contemporain, Sébastien Salgado, pour les amis de Jacquou enfant, qui a réalisé des portraits d'enfants des rues dans le monde entier. Pour ce qui est des costumes de la noblesse et de la bourgeoisie, on a beaucoup travaillé à partir du livre d'Eugène Le Roy, en repérant tout ce qui concernait la description des personnages.

Laurent Boutonnat dirige le Bigleux

 

H. - Dans votre film, on a une vision de Périgueux à couper le souffle.

    L. B. - J'avais très envie d'un plan de Jacquou et de sa mère qui passent le pont et montent vers la cathédrale Saint-Front, dont les coupoles ont inspiré Violet-Le-Duc pour le Sacré-Coeur de Montmartre. A l'époque de Jacquou, la cathédrale était couverte d'un immense toit pour protéger de la pluie les coupoles complètement percées. La ville de Périgueux nous a prêté des gravures. On peut jouer avec l'histoire mais j'aime bien l'exactitude. On s'est donc servi des gravures. Mais on a aussi photographié de vraies bâtisses qui existent encore aujourd'hui le long des quais. Des créateurs d'effets spéciaux et des graphistes ont travaillé pour reconstituer la ville et spécialement Saint-Front avec son grand toit. Si on l'avait laissé avec ses petites coupoles, peu de monde nous l'aurait reproché. Mais je ne veux pas qu'une seule personne en fasse la remarque. Même chose pour les châteaux, les masures, les habits de paysan, l'important est de donner la sensation du vrai.

 

Propos recueillis par François Quenin

Historia, le 28 décembre 2006.

Laurent Boutonnat sur le tournage du générique de début

 

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