Diffusé pour la première fois en noir & blanc
en 1969 et une deuxième fois colorisé en 1981, le rythme de la série est
lent. Très très lent. Six épisodes de 1h30 chacun (sauf le dernier, qui fait
2h00, ce qui fait environ 9 heures au total) couvrent un très grand nombre de
scènes du livre de Le Roy, et invente même d'autres scènes, pas
indispensables à l'intrigue. Peu de dialogues, mais énormément de larmes.
Stellio Lorenzi voulait faire pleurer dans les chaumières, cela ne fait aucun
doute, et pourquoi pas ? Lorenzi, réalisateur communiste militant de l'O.R.T.F.
des années 60 avait compris la portée sociale du roman d'Eugène Le Roy, et
surtout de la misère de ses personnages. Thème que Laurent Boutonnat n'a pas
compris, de son propre aveu :
Cette histoire (...)
touche à beaucoup de choses humaines auxquelles je suis sensible. Je lui ai
trouvé beaucoup de similitudes avec Bambi. Je ne crois pas que la
jacquerie soit le sujet principal du film.
La
Montagne, le 17 janvier 2007.
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Lina et Jacquou enfants | Jacquou adulte | Le comte de Nansac | Lina adulte | La Galiote |
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le curé Bonal | Le Chevalier | Marie (la mère) | Martin (le père) | M° Vidal-Fontgrave |
Remarques dans la chronologie de
l'histoire de la série :
L'arrivée du
chien, corde au cou, dans le film de 2007 est longue, car elle correspond à la
durée du générique de début. D'où vient-il ? Pourquoi s'est-il échappé ?
Nous n'en saurons pas beaucoup, tant la rapidité avec laquelle il se fera
descendre prendra le spectateur de court. Dans la série, le régisseur vient à
plusieurs reprises harceler la famille Ferral et les racketter de sacs de farine
et de moutons, pour le compte de Nansac. Mais postérieurement au coup de sang
de Martin (le père de Jacquou, Marti dans le film, Martissou dans la série et
le roman, Fred Ulysse dans le civil) envers le comte, ils viennent aussi
confisquer leur chien, car ils ressortent une règle selon laquelle il est
interdit aux métayers de posséder un animal de chasse à leur domicile. Le
chien est donc prêté à un cousin, mais finit par revenir à son foyer. C'est
là où,
malgré la dissimulation maladroite de l'animal par Jacquou, il se fait
quand même tuer par Laborie (Charles Moulin).
Contrairement à l'œuvre de 2007,
nous nous rendons compte ici de toute la portée provocatrice de cet acte :
supprimer le chien, c'est tuer -injustement de surcroit-la dernière once de
liberté de la famille Férral, c'est une ingérence intolérable à leur vie de
famille. Et s'ils s'attaquent au chien, tôt ou tard ils s'en prendront
obligatoirement à l'enfant. Cela explique mieux la rapidité de la réponse de
Martin, qui tirera immédiatement sur Laborie.
C'est lorsqu'on découvre le conte de Nansac avant la mort du régisseur Laborie qu'on s'aperçoit de la superficialité des personnages de Laurent Boutonnat. Dans la série de 1969 le conte de Nansac (Claude Cerval) n'est pas cassant, à peine méprisant, il s'exprime comme un homme politique (alors qu'Eugène Leroy ne le fait pratiquement pas parler dans le roman). Nansac vante l'esprit d'équipe, le partage, s'enorgueilli de louer ses terres juste en échange de la moitié de ce qu'elle produit, et rappelle la liberté de ses métayers qu'ils ont à sortir de la métayerie, et se montre même disposé à répondre à toutes les questions qu'on lui posera. On songe alors au comte de Nansac comme la caricature de l'homme politique moderne, qu'est alors le Général De Gaulle, qui mourra un an exactement après la diffusion du cinquième épisode).
Que ce soit
l'esclave, le cerf ou le salarié, voilà donc aussi le discours-type du patron
moderne, ou plus justement et généralement de toute exploitation de l'homme
par l'homme. Lorenzi apporte ici sa dimension d'auteur à Jacquou le Croquant,
ô combien dans la filiation et compatible à celle de l'écrivain du début du
siècle. On comprend alors mieux ce qui nous échappe dans le film de Laurent
Boutonnat : Pourquoi le comte a un tel pouvoir sur les paysans ? Pourquoi le
craignent-ils ? Pourquoi ne se rebellent-ils pas plus tôt ? Beaucoup de la
pression du comte sur les paysans est décrite lors du procès de Martin Ferral,
absent de la version de Boutonnat, et étonnement absent du roman original ! Vus
par les yeux de Jacquou, le long-métrage et le roman font l'impasse sur ce procès,
car l'enfant en était absent. Pourtant c'est là que l'avocat Maître Fongrave
parle des pressions de Laborie, fait appeler à la barre la Mion, abusée par le
régisseur, ce qui aura pour conséquence son renvoie de la matayerie par le
comte de Nansac.
Parfois, le film
de Laurent Boutonnat ressemble davantage à une série que la fiction de Lorenzi.
Le troisième épisode de la série est celui de la mort des parents de Jacquou,
et c'est lors de l'agonie de la mère que le jeu d'acteurs relève du grand cinéma.
Éric Damain (Jacquou) s'accroche à sa mère (Helena Bossis) et se rend compte
qu'elle tombe peu à peu dans le délire et la folie, se plaint du froid et
imagine la porte de la maison ouverte, alors qu'elle est fermée. C'est d'épuisement,
et alors qu'elle est encore en pleine crise, que Jacquou s'assoupit à ses côtés.
Force est de constater que les deux acteurs de Laurent Boutonnat font pâle
figure à côté de la composition poignante du duo d'acteurs de cette scène précisément.
Si la trouvaille du film de Laurent Boutonnat concernant le passage de Jacquou enfant à son âge adulte est sobre et inventive, celle de la série aurait pu être elle aussi dans le ton du long-métrage. La voix de Jacquou adulte (qui raconte toute l'histoire tout au long de la série à la première personne, sans pour autant citer littéralement le texte du roman original) reprend sur la bande son. Il parle du cycle de la nature, des saisons qui passent, en opposition à la rage envers le comte qui, elle, ne passe pas. Des images de forêts et de coteaux périgourdins de toutes saisons occupent l'image, comme une parabole de la construction d'un homme, qui arrive à ses vingt ans, et qu'on redécouvre de dos, grand et fort, en train de couper du bois. La deuxième partie de la vie de Jacquou (Daniel Le Roy) commence...
En plus de
s'accorder des religions différentes de celles des personnages du roman
(Jacquou est à la base catholique, et il devient -sans qu'on devine pourquoi-
protestant dans le film de 2007), Stellio Lorenzi à son époque avait vu le
chevalier comme un catholique, comme nous l'apprend le curé Bonal sur son lit
de mort, alors que Laurent Boutonnat le fait décrire par ce même curé comme
"libre-penseur".
La fameuse scène
du bal où Laurent Boutonnat fait défier Jacquou pour la première fois face au
comte de Nansac n'existe pas dans la série, pas plus que dans le roman. En 1969
on invente un autre affrontement à la symbolique aussi maligne. Jacquou est défié
en duel à mains nues par un défenseur du comte. Jacquou le mettra à terre et
en traînera le corps inconscient au pied du cheval du comte. Il ne reste à ce
dernier qu'à rentrer, honteux, dans son château, en jurant de bientôt tenir
vengeance... Première apparition, muette, de la Galiote dévisageant ce
courageux paysan qui ne la remarque alors même pas. Plus tard, C'est devant l'église
de Fanlac, à l'intérieur de laquelle les paysans se sont enfermés pour
enterrer La Ramée sans prêtre, que le comte débarque à cheval avec ses
hommes pour les faire évacuer. Peine perdue, les hommes sortent d'eux-mêmes,
laissant le cadavre de la Ramée devant l'autel. Ils refuseront de rendre l'église,
maison de Dieu, au nouveau prêtre qui remplace le curé Bonal, homme de Dieu,
mais qui en détourne selon eux le message. Deuxième échec pour le comte, qui
se retire en fulminant.
La Ramée,
modeste paysan aux mimiques DeFunèsques (Noël Roquevert, qu'on
regrettera de ne pas avoir vu dans d'autres films), a donc été tué par les
hommes du comte. Cette scène n'a malheureusement pas été retenue par Laurent
Boutonnat, qui aurait pourtant pu en faire un remake grandiose. Les chevaux du
comte débarquent dans le pré où broutent les moutons de la Ramée et y sèment
la terreur. Des moutons passent sous les sabots des chevaux lancés au galop,
ils trébuchent, volent par-dessus le troupeau ou se font piétiner, et alors
que certains d'entre eux agonisent dans l'herbe, les cadavres des autres se
laissent chuter dans le pré en pente. Le montage rapide de cette scène
inattendue accentue la violence de la fin de ce cinquième épisode. Si Laurent
Boutonnat avait voulu en faire de même, on imagine mal comment il aurait pu
aboutir au même résultat que Stellio Lorenzi sans faire souffrir aucun bovidé...
S'il est une scène
intraduisible à l'écran, c'est bien celle dite des "oubliettes", où
dans le roman, Jacquou est sensé rester enfermé dans le noir le plus complet
dans un sous terrain circulaire sans aucune issue, avec les poignets liés.
Trouvant une pierre coupante, il se défait de ses liens et rencontre des os
humains. Personne n'est jamais ressorti d'ici. Les semaines passant, il reste
immobile et affamé, à demi conscient, manquant même de se faire dévorer par
des rats, qui commencent à lui grignoter les doigts de pieds jusqu'au sang.
Chez Boutonnat on a préféré le puits, les flots esthétiques des eaux de
pluie qui tombent en croix dans le précipice, et la gouttière qui mène aux
douves du château, sûrement asséchées durant le directoire succédant à la
Révolution de 1789. C'est par là que Jacquou parviendra à l'échapper. Dans
le roman original c'est lors de la deuxième perquisition des gendarmes de
Fanlac (sans le chevalier et Lina, qui eux, n'eurent rien trouvé) que Jacquou
parviendra à se manifester assez fort pour que la maréchaussée le repère et
le fassent sortir de là. Dans la série de Lorenzi la détention de Jacquou le
Croquant est quasi identique, mis à part le fait qu'il n'erre pas à
l'aveuglette dans l'oubliette mais peut très bien voir les squelettes qui
l'entourent et les rats lui grimper dessus. C'est sa libération qui sera toute
différente... Alors que la deuxième visite des gendarmes à l'Herm ne donne
rien, le comte de Nansac et ses adjoints déciderent de déplacer le corps de
Jacquou, qui finirait -craignent-ils - par être retrouvé par les autorités.
Ils remontent donc le corps et l'emmènent en forêt pour l'y exécuter. C'est in
extremis, alors que le revolver est sur la tempe de Jacquou inconscient, que
La Galiote débarquera pour empêcher, d'autorité, le massacre. Il sera retrouvé
peu après par ses compagnons du village qui le ramèneront parmi eux et le
soigneront.
La dernière
image de la Galiote (Elisabeth Wiener) sera au verdict du procès, lorsqu'elle
quittera la salle d'audience, après avoir lancé un regard de haine mêlé de déception
à Jacquou. La série se termine quant à elle sur le long plan silencieux de
Jacquou et la Bertille qui partent vers d'autres horizons avec leur carriole.
Laurent Boutonnat a donc fait de Jacquou
le Croquant le film de la construction d'une personnalité. Il y est
d'ailleurs parvenu assez adroitement, mêlant d'astucieux flashbacks lors de la
scène du tribunal où Jacquou retrouve l'innocence de son animal de compagnie,
et l'enfant qu'il était derrière les barreaux de la fenêtre de la salle
d'audience. En ce sens, il est clair que la pauvreté, à l'origine de la
jacquerie, n'ait pas été le sujet principal de son film. Mais quelle légèreté
dans l'adaptation du film ! dont le réalisateur de la série était resté
d'une fidélité de fond à l'auteur du livre.
Jodel Saint-Marc, le 5 mars 2007.