Une histoire vraie ?

Fiction ou réalité, jacqueries et croquants ont existé. Herm, Barade ou Mansac sont des noms que le Périgord sur XIXe siècle a entendu... Eugène Le Roy avait-il, en écrivant la petite histoire, romancé la grande Histoire ?

Dans le film de Laurent Boutonnat comme dans le roman d’Eugène Le Roy, tout le décorum de Jacquou le Croquant, l’appellation des lieux dits, des terres, les repères géodésiques, bien que reconstitués en Roumanie sont réels. Les noms sont bien ceux des sites périgourdins et la misère paysanne sous la restauration (bien que retranscrite avec pathos) respecte en ce sens pleinement la vérité historique régionale. L’auteur est coutumier de l’utilisation d’un cadre on ne peut plus réaliste ; Le Moulin du Frau (1891) prouvait déjà sa connaissance infaillible des sites et des villages de Dordogne.

 Le vrai château de l'Herm

Dans Jacquou, le château de l’Herm, où vit le comte de Nansac existe vraiment. Ressemblant à s’y méprendre au non-loin château du Paluel (décor du Tatoué, avec Louis de Funès et Jean Gabin), il ne reste aussi de lui au XXIe que quelques ruines : le gros œuvre du bâtiment principal, ainsi que le sol en pisé de la chapelle retrouvé récemment. Fût-il incendié par un petit paysan révolutionnaire ? Pierre Grellety par exemple, le dernier croquant connu ? Que nenni, il a simplement été détruit par les Intérieur du château de l'Herm en travaux, avec les monumentales cheminéesméfaits du temps. Trouverons-nous un jour d’autres vestiges du château de l’Herm dont nous aurait parlé Jacquou ? C’est très probable, des fouilles ont repris en 2001 et ont permis la mise à jour des anciens fours (en 2004). Des passerelles ont été depuis aménagées à l’intérieur du château et un projet de toiture translucide est à l’étude pour permettre les visites des monumentales cheminées qui sont imitées dans le film. Si d’autres ruines de châteaux dans le Périgord le sont à cause des révoltes, celui de l’Herm n’a pas pourtant connu ces actions violentes. Il reste le décor d’un roman. Pourquoi alors Eugène Le Roy s’intéresse au Château de l’Herm déjà 4 ans avant l’écriture du roman (une lettre adressée à l’archéologue Charles Durand en 1895, et retrouvée par Amaury Fleges le prouve[1]) ? Probablement parce qu’il apprend que la forêt Barade (forêt fermée, en patois), toute proche, fut incendiée entre 1758 et 1761, ce qui non seulement enrichira l’intrigue encore inexistante de son roman, donnera une unité de lieu à l’action, mais de surcroît la datera. C'est sans doute pourquoi il décidera de titrer son roman La Forêt Barade, avant de le renommer à la veille de la parution du nom de son personnage principal : Jacquou le Croquant.

 

entrée des oubliettes du château de l'Herm, ou "fut" enfermé JacquouLe Roy entreprend alors de se documenter sur la topographie du château de l’Herm, et découvre vite l’existence d’une prison et surtout d’une oubliette (toujours visible de nos jours). Ces trouvailles éveillent sans doute son inspiration, c’est pourquoi il se rendra aux archives de la Dordogne où il apprendra l’existence d’une légende sur le château de l’Herm : La Main de cire, dont il ne se servira finalement pas. Il prendra toutefois des notes sur les différentes émeutes et exactions, qu’il aurait évoquées dans une des premières  versions du roman[2]. Pour le tournage du film de 2007, Laurent Boutonnat se servira du château de Biron à Monpazier, autrement plus imposant et mieux entretenu.

    

 
    L’intrigue principale de Jacquou le Croquant lui a été en fait inspiré par tout autre chose que des ruines ; un livre : les Origines de la France Contemporaine, et plus particulièrement le tome IV : La Révolution : le gouvernement révolutionnaire. Taine y parle du château de Bars qui, lui, fût brûlé et de son châtelain M. De Bars qui y fut assommé au début de la révolution. L’évènement l’inspire, au point de calquer son récit sur ce qui s’est passé ce jour là au château de Bars : Une milice locale, menée par un certain Faucher s’en prend au châtelain. Faucher est arrêté, puis  vite libéré grâce aux protestations vindicatives du village. Mais Faucher ne s’arrête pas là et se dirige en direction du château de M. De Bars avec une petite troupe de paysans. Ils en enfoncent les portes et refusent de quitter les lieux[3]. Il y aura beaucoup de ce Faucher dans le futur Jacquou. Mais pour autant on ne peut pas dire que Jacquou le Croquant soit la biographie de cet épisode de la vie de Faucher, même en ce qui concerne l’affrontement avec De Bars, car la fin de la petite histoire est toute autre : De Bars propose une trêve et la révolte tourne à la camaraderie ! Le châtelain organise une fête pour les villageois et il en fournira gracieusement le vin !

 

Le château de l'Herm en travaux

 

Reste donc le méchant comte de Nansac, qui n’a, nous venons de le voir, rien à voir avec ce magnanime M. De Bars. Nansac appartient donc à l’imagination de Le Roy. Quoique… On remarque pourtant dans la presse du XIXeme siècle un fait divers mettant en scène un certain comte De Mansac, dont le château à Pazayac subit l’assaut et le vandalisme de paysans maltraités[4]. La proximité des noms est trop proche pour être un hasard. Ce Mansac porta plainte à la cour d’assise de Périgueux[5] contre un certain Lafon. De ce Mansac on n’en sait pas davantage. Peu importe, car ce sont l’avocat et un témoin de la défense de ce Lafon (le chevalier de Gilibert de Marlhiac), qui inspireront Le Roy pour créer les personnages du généreux avocat Vidal-Fongrave et du pittoresque chevalier Galibert. La chute du roman qu’il commence à imaginer est crédible : l’avocat de ce Lafon a finalement obtenu sa relaxe.   

la prise du château

D’autres évènements postérieurs abonderont dans le sens que Le Roy veut donner à son récit : en 1848 à la Durantie, le château du célèbre maréchal Bugeaud sera attaqué[6], et le confortera probablement dans la volonté de dépeindre une aristocratie imbue de ses privilèges, et attachée aux injustices que lui permettait l’ancien régime. On ne saura jamais quelle fut la part de vérité historique dans le manuscrit original de Jacquou le Croquant : celui-ci a été perdu, et dans les critiques de l’époque qui ont traversé le XXe siècle, aucune n’y fait malheureusement référence.

 

Jodel Saint-Marc, le 9 janvier 2007.
(merci aux archives départementales de Dordogne) 

SOURCES :

[1] In Présentation et notes sur Jacquou le Croquant, Librairie générale française, 1985, 403 p.

[2] Ibid.

[3] Hippolyte Taine, Les origines de la France contemporaine, Hachette, 1875-1893, 839 p.

[4] L’Echo de Vésone, éditions des 8-17 août 1830.

[5] L’Echo de Vésone, édition du 7 avril 1829.

[6] Jean-Pierre Bois, Bugeaud, Éditions Fayard, 1997.

 

 

Histoire d'un nom

Jacquou dans l'oubliette    Jacquou, comme son père, porte le surnom de " Croquant ". Ce terme est apparu au XVIe siècle dans le Périgord, pour désigner le paysan en armes lors des révoltes de 1594 et 1637 sous le règne d'Henri IV ; le mot viendrait de " croc " parce que les paysans s'armaient d'un outil semblable à un croc. Crocq est également le nom d'un bourg en Limousin lieu d'une révolte de paysans à cette époque. S'il constitue au départ une insulte, les paysans s'en parent comme d'un titre.

    Le prénom de " Jacques " n'est pas innocent. C'est le surnom que l'on donna aux paysans révoltés en 1358 au cours de la guerre de Cent Ans, qui se soulevaient contre les pressions fiscales, peut-être parce que l'un d'eux, chef en Beauvaisis, qui se nommait Jacques Bonhomme, prit la tête d'une révolte. Par la suite les paysans furent désignés comme les jacques et toute révolte paysanne prit le nom de " jacquerie ".

Jean-Michel Braud, Fiftiz, Mercredi 17 Janvier 2007.

 

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