des animaux...

Cervidés, oiseaux et rongeurs par dizaines... Que d'animaux dans ce film. Pourquoi ? Simplement pour raconter l'histoire en avance, avec leur langage.

 

    Premières notes, premier frisson. Sur l'apparition de chœurs et d'envolées de violons, un cerf aux grands bois surgit des fourrés et traverse l'écran au galop. Majestueuse entrée en scène pour le véritable rôle principal du film : la faune.

    Le rapport de sens des animaux est dès le début du film prononcé à l'écran par les protagonistes. Lors du piège dans lequel tombera Jacquou lorsqu'il est au marché avec sa mère, le jeune touffu lui posera cette devinette en pointant du doigt un pigeon :

"- Ca c'est un hibou ou un aigle ?"

Réponse du petit Jacquou : 

"- pfff T'y connais rien, c'est un pigeon !"

    Après un "- Tu l'as dit", le touffu embrasse son poing et fait tomber Jacquou à terre, tel un columbidé qui s'est fait prendre au piège. Le pigeon est apparu à l'écran, comme pour inciter le spectateur à décoder la fonction de chaque animal qui apparaît. Celle de replacer le statut de chaque personnage auquel il se rattache dans la seule perspective universelle : la même condition des espèces terrestres.

 

Naïveté et virginté d'un petit paysan inexpérimenté

    La conclusion du premier (et unique) acte d'Amour de Jacquou envers la Galiote obéit à ce dispositif symbolique. Après avoir laissé la petite Galiote caillasser les cochons enfermés dans la fosse, Jacquou en décroche la fermeture discrètement, signant l'arrêt de mort de la fille du comte. Se ravisant in extremis, Jacquou entre dans la fosse et sauve la Galiotte, y laissant ses sabots et un peu de sa vindicte. Cette scène est évidemment un prémice à la scène de l'incendie du château, où Jacquou sauvera de la même façon la jeune femme d'un drame qu'il aura lui même provoqué. Après cette première scène de la fosse à cochons, un plan viendra signer le pacte passionnel auquel vient de souscrire le jeune croquant : deux libellules accouplées sur un brin d'herbe y forment un cœur, et inscrivent dans celui de Jacquou la double maladie du doute et de la passion.

    Après une nuit de souffrance, la mère de Jacquou s'est raidie. Lui, à présent seul au monde, sort comme un robot de sa maison. Silence. Face à lui une biche, couchée dans l'herbe. Bambi évidemment, qui lui aussi a perdu sa mère alors qu'il était dans la naïveté de son jeune âge. Jacquou, maintenant orphelin se fond dans la nature. Après la compassion muette de la biche, il aperçoit un aigle qui se posera pour le fixer longuement. Réincarnation inévitable d'un père mort de son bonapartisme, dans ce rapace ô combien napoléonien.

 

    Lorsque le jeune Jacquou s'abandonne à moitié nu sur une tombe enneigée, c'est pour attendre la mort qui lui permettra, croit-il, de rejoindre ses parents tant aimés. Apparition incongrue d'un hibou. Énième fantaisie d'un Boutonnat à bout de souffle comme l'ont dit certains critiques ? Clé essentielle du système de narration plutôt. Le hibou hulule, sans arrêt, jusqu'à détourner la tête à 180° du garçonnet frigorifié en direction de la bâtisse. C'est précisément le même hululement qui sonnera un temps mort dans la partie d'échec qu'était en train de perdre le curé Bonal face au chevalier. C'est bel et bien ce hibou qui sauvera la vie de Jacquou ; en avertissant volontairement le curé voisin. Plus tard, et avant que Lina s'approche et s'enquerisse de lui, c'est un écureuil qui réapprendra à un Jacquou autiste à manger, en descendant d'un arbre pour venir piocher dans son assiette.

    Chez le curé Bonal, Fantille regarde la lettre de Monseigneur Leveque du coin de l'œil. Elle se doute d'une mauvaise nouvelle, mais pas que Bonal vient d'être révoqué. Annonciateurs d'une perturbation, une araignée choisira de grimper sur la funeste enveloppe, et une mouche perturbera Fantille dans sa couture et sa réflexion. 

    Au bal en revanche chacun essaie de mettre les soucis de côté. Tout le monde danse, y compris les martinets qui volent en Dolby Surround autour de la place du village, et se permettent même de passer dans le champ de la caméra devant le chevalier. Déjà dans son enfance, le chant des grillons accentuait la plénitude des jours heureux où Jacquou se sentait utile, en travaillant pour le curé qui finissait de l'initier à la vie.

    Avant de se faire piéger par le traquenard qui l'emmènera dans les oubliettes du château de Nansac, Jacquou est chez lui, et contemple la nature par la fenêtre, avec dans les bras l'innocence virginale d'un mouton blanc. Mais alors que Jacquou est séquestré dans le puits du château des Nansac, le jésuite de sinistre mémoire qu'on devinait complice revient vers son seul maître, précédé d'un faucon de mauvais aloi. Le jésuite, ce rapace, a capturé aussi sa proie : Bonal, qui n'est plus rien. Mais une fois libéré de son antre par la lavandière, Jacquou est ramené devant chez Lina. Comme pour le faire fuir discrètement de la charrette dans laquelle il s'est caché, la lavandière frappe sur le bois. Le cheval, lui, rue comme pour lui donner un signal supplémentaire. Mieux qu'un témoin, la nature est en empathie avec le combat et la destinée de Jacquou. C'est d'ailleurs en prémice de sa vengeance au comte qu'il observera brièvement une escadrille d'oiseaux dans le ciel, disposés selon la forme triangulaire de l'attaque à venir. Et ce sera par le même tire avec lequel la Galiote atteint une biche durant sa chasse, que Jacquou tombera lui aussi plus tard à terre, atteint à la tête par la brune mortifère.

Les chevaux du comte retrouvent leur liberté, Jacquou aussi

    A la fin du film, encore pour quelques instants dans le boxe des accusés avant de recouvrer sa liberté, Jacquou s'échappe par la fenêtre et retrouve son enfance, tandis que le spectateur revoit le premier personnage du film. Le chien de Jacquou (qui, on s'en souvient, déclencha toute l'intrigue) refait son apparition avec autour du cou une corde coupée, comme s'il avait été libéré de la mort et de ses souffrances. La corde rompue c'est donc bien sûr celle de la culpabilité judiciaire de son maître, mais aussi celle de son deuil qui ne le retient désormais plus, et dans le contexte présent, celle de la haine, enfin guérie.

Jodel Saint-Marc, le 21 janvier 2007.

 

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