la vengeance. Dans le film de
Laurent Boutonnat le premier acte de résistance de Jacquou n’est pas de tuer
les chiens du comte comme dans le roman et la série, mais de défier le comte
lors de la scène du bal. Tout réside alors dans cette phrase prononcée par un
paysan assistant au concours de danse, déjà prêt à la révolte : « Un
seul mot de toi et on les étripe ! ». Le destin de la vindicte
populaire est alors à partir de cette seconde dans les mains de Jacquou le
Croquant. Il ne restera plus, simple formalité, d’attaquer le château du
comte et d’envoyer au feu le son portrait, comme celui de Napoléon Bonaparte
le fut pendant l’autodafé opéré par le jésuite au début du film.
D’ailleurs, on notera que Laurent Boutonnat a quelque peu forcé le trait sur
le jésuite et les ultras, inventant cet autodafé qui n’existe pas dans le
roman original. Peut-être a t-il aimé l’idée de Stellio Lorenzi qui a
inventé cette scène où on brûle les écrits de Voltaire pour la série de
1969 ?…
Né en 1836 à Hautefort, Eugène Leroy deviendra subversif à la
fin de l’adolescence. Grâce ou à faute de ses études au collège des Frères
de Périgueux. A la veille du second empire et du coup d’état de Louis Napoléon
qu’on en pouvait prévoir, il devient républicain et libre penseur, en 1851
exactement. Alors qu’il s’est engagé chez les Chasseurs à cheval, il est dégradé
pour s’être permis une permission. Erreur de jeunesse probablement car il ne
refera pas parler de lui pendant 30 ans, jusqu’au jour où, percepteur dans
les Bouches du Rhône, il est renvoyé pour ses attitudes politiques. Il adhère
alors à l’Union Démocratique de Propagande Anticléricale auprès de
Louis Blanc et Garibaldi. Il en tirera un livre : Histoire Critique du
Christianisme en 1893, reparu en avril 2007 aux éditions de La Lauze,
à Périgueux.
Comme Pinocchio de Mario
Collodi, Jacquou le Croquant
paraît dans un premier temps
en épisodes dans La Revue de Paris à
partir du 15 mars 1899. C’est quatre ans plus tard qu’un volume les
rassemblant sera édité par Calmann-Lévy avec un tirage de 1500 exemplaires. La
Revue Bleue, Le Temps, et La Revue de Paris (bien évidemment) en
parlent ; Charles Guieysse le recommande même aux enseignants dans le
journal Pages Libres. Mais Ganderax, le premier éditeur de Le Roy,
insistera lourdement pour présenter Jacquou à l’académie Française.
L’écrivain sait que là bas il n’a aucune chance :
« Ce rustre de Jacquou avec ses révoltes et ses colères n’a pas de chance d’être accueilli au bout du pont des Arts. »
Le Roy a doublement raison : non seulement l’académie ne couronna pas l’œuvre faute de voix suffisantes, mais le feuilleton de Lorenzi diffusé en 1969 restera dans les tiroirs de l’ORTF sous la présidence de Giscard D’Estaing et ne sera rediffusée à la télévision française qu’en 1981, juste après la victoire de la gauche et de François Mitterrand. Faute sans aucun doute a ses ajouts renvoyant davantage que le roman à la lutte des classes. Eugène Le Roy en 1905, deux ans seulement avant sa mort, refusera la Légion d’Honneur.
Comme tout livre engagé, Jacquou le Croquant a ses opposants. Ils
n’apparaîtront pas durant les IIe IIe ou IVe République, ni durant l’Empire
de Napoléon III. Il faudra attendre 1975 pour qu’un article de Fausta
Garavini paraisse dans la Revue Romantisme (n°9, p.75) intitulé :
« Un exemple d’utilisation régressive de l’idée du peuple ».
Inutile d’expliquer, tout est dans le titre de l’article. On reproche à feu
Eugène Le Roy de ne point aller vers un progrès mais au contraire, de conclure
la destinée de son personnage dans une nostalgie toute réactionnaire. La polémique
ne durera pas, car des rebonds dans la presse répondront à l’éditorialiste
que les luttes de Jacquou enseignent les moyens d’actions, furent-elles
subversives, et mettent en garde contre les superstitions, encore plus
discutables, des religions.
Car
au delà du parcours publique de son auteur, Jacquou le Croquant peut bel
et bien intrinsèquement être qualifié de roman de gauche. Preuves son ces
envolées lyriques engagées qui, prétextant de viser le comte de Nansac,
s’adressent à tous les nobles, maîtres, ou futurs patrons :
« Alors, plein de rancœur, reliant, par la pensée, les malheurs des miens avecceux des paysans des temps anciens, depuis les Bagaudes jusqu’aux Tard-advisés, dont nous avait parlé Bonnal, j’entrevis, à travers les âges, la triste condition du peuple de France, toujours méprisé, toujours foulé, tyrannisé et trop souvent massacré par ses impitoyables maîtres. Comparant mon sort avec celui de nos ancêtres, pauvres pieds-terreux, misérables casse-mottes, soulevés par la faim et le désespoir, je le trouvais quasi semblable. Etait-il possible, plus de trente ans après la révolution, de subir d’odieuses vexations comme celles de ce comte de Nansac qui renouvelait les méfaits des plus mauvais hobereaux d’autrefois ! »
Eugène LeRoy est donc un écrivain de gauche, qui a écrit Jacquou le
Croquant, un roman de gauche. Franchement de gauche, tendance réactionnaire,
ou au moins
nostalgique. Or, peut on classer Laurent Boutonnat dans les cinéastes
gauchisants ? Assurément non. Même s'il a rêvé d'une révolte d'ouvriers-prisonniers
pour Désenchantée
(1991), ressuscité Lénine et la révolution rouge d'octobre pour Tristana
(1987), fait de même pour le Che dans Hasta
Siempre (1997), on ne peut pas pour autant qualifier son cinéma d'engagé,
et encore moins de militant. Laurent Boutonnat est aussi l'auteur de délocalisations
à l'Est de tournages (Désenchantée, Regrets, Giorgino, Jacquou le Croquant),
de la manipulation habile des sociétés provisoirement défiscalisées qu'on
multiplie, et aussi d'étranges
et périlleux parallèles avec le cinéma allemand des années 40 ; ce qui
rend le positionnement politique du réalisateur pour le moins insituable, à se
demander si l'artiste, contrairement à l'homme que nous ne connaissons pas, a
une conscience politique.
Or
Jacquou le Croquant lui, est un livre où la propagande n'est jamais loin, où
le trait est appuyé, forcé, où la peinture sociale des pauvres et des comtes
est saturée de partis pris. Car la description folklorique n’est pas là pour
la beauté historique, elle est au contraire un constat grave, et accusateur,
qui ne verra d’issue qu’à la fin (provisoire) de la monarchie en France, et
l’avènement de la IIe République. A la fin du livre d’ailleurs, Jacquou
devenu vieux se garde bien de critiques politiques sur le régime en place.
Jodel Saint-Marc, 13 février 2007.
(corrigé le 1er mai 2007)
merci à Richard Bordes