Injustement réhabilitée dans le classicisme Boutonnien pour le clip de Les Mots, Mylène Farmer confirme bien son penchant déjà ancien (7 ans maintenant) pour le léger, la sensation directe, voire l'anecdotique. Comme pour redorer un blason trop rouillé par les couches de maquillage, de paillettes, de mousse et de spray, Mylène Farmer fit appel à Boutonnat le temps d'un clip. Clip qui la replongeait, nous l'expliquions à la page concernée, dans une époque où pour la première fois le clip revêtait les habits du cinéma classique, voire moderne. Seulement chassez le naturel, il revient vite au galop, et si la vraie nature de Laurent Boutonnat réside bel et bien dans le romanesque, dans le discours sur le monde et sur l'homme, Mylène, elle, donne la trop fâcheuse impression d'avoir eu à se retenir une décennie entière sous la direction de Boutonnat (pour rappel de 1984 à 1994) pour pouvoir enfin "se lâcher" et vaguer à présent à des préoccupations narratives et esthétiques bien plus directes. C'est une belle journée est une confirmation. Celle que la nature de Mylène Farmer a pris le dessus, a gagné, que c'est sa nature qui est de notre époque et non celle de Laurent Boutonnat. Si ce dernier s'apparente de toute évidence à la modernité et parfois au classicisme cinématographique, Mylène elle, appartient définitivement à la post-modernité.
Rapidement, précisons que la post-modernité n'est pas un mouvement cinématographique, ni pictural, c'est tout simplement un style. Un style qui fait la part belle à la sensation brute, où il n'y a qu'elle qui compte et qui prend le pas sur la narration ou le symbole. Un style qu'on peut qualifier de superficiel qui peut par exemple s'appliquer aussi bien à l'architecture coloniale de l'hôtel de Disneyland (sans allusion aux colonies) qu'au cinéma du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain (qui recycle les schémas de narration classiques pour une vision idyllique du passé, mais mis en scène sans discours sur le monde). Or, de XXL à C'est une belle journée, en passant par California et l'Ame-stram-gram, les productions de Mylène Farmer de la deuxième partie des années 90 ne discours soit que sur une certaine idée de l'esthétique, soit sur elles-même. C'est une belle journée résume bien ce cinéma là : il ne produit plus du sens, il produit de la sensation. L'emploi du dessin met en scène impeccablement cette idée, il serait hasardeux de chercher une explication à ce vidéo-clip qui ne fait que rassembler (brillamment c'est vrai) dans une histoire (totalement amphigourique il faut l'admettre) la totalité des dessin amateurs que la chanteuse a bien voulu offrir à son public en 6 ans (des premiers dessins représentant la chanteuse elle même, et mettant en scène une araignée irréelle dans le programme de son concert de 1996; à la couverture de Où es-tu de Marc Lévy représentant l'enfant avec son baluchon et son ballon de baudruche rouge). Ici, comme dans les autres clips précédents tels ceux de Marcus Nispel, les mouvements de caméra virevoltants n'ont aucune fonction diététique et ne justifient leur présence que par la volonté de donner tel ou tel style à l'image, de donner telle ou telle vue de l'objet (ou de la personne) représenté(e). Le discours, lui, devient soit descriptif soit méta-discursif, et n'a d'autre vocation que de divertir dans un déluge de feux d'artifices multi-piste son spectateur. On est, avec C'est une belle journée directement dans ce que Laurent Jullier appelle le Film-concert.
Il est certes très difficile de rester fidèle à une seule idée de l'image et du discours en 18 ans de carrière. C'est pourtant à ce seul prix que l'on peut prétendre à une oeuvre au sens plein, voire, plus difficilement; au mythe. La post-modernité de C'est une belle journée semble irréversible pour Mylène Farmer. Sans pour autant coller ici des jugements de valeurs qui seraient probablement mal accueillis par l'individu fanatique de base atteint de cécité mylénienne, comment pourrait-on renouer avec la "modernité classique" des œuvres de Laurent Boutonnat après avoir goûté à cette esthétique très actuelle (pourtant vieille de 25 ans si on considère le premier film post-moderne comme étant La guerre des Étoiles) que répand sur l'écran C'est une belle journée, à coup de travellings avant vertigineux dans le miroir (trace on ne peut plus évidente de style post-moderniste). Seulement Mylène Farmer, nous le savions déjà, n'a peur de rien et n'aura probablement aucun scrupule à retourner dans quelques mois un clip classique sous la direction de Boutonnat, portant à faux à nouveau son oeuvre entre une espèce de "caution Boutonnienne" de sens d'un côté et de "volonté-fashion" actuelle de l'autre. Tout ceci n'est pas très grave à court terme ni pour les admirateurs que nous sommes ni pour le grand public à la faculté d'adaptation foudroyante aux nouvelles modes. Le parcours de Mylène Farmer que nous venons brièvement de retracer sous l'angle du style cinématographique, ne révèle qu'un seul grief : l'incohérence.
Dr. Jodel, le 12 avril 2002.