Le Costumier

Jean-Daniel VuillermozLe 13 novembre 2006 Pathé édite un dossier de presse sur Jacquou le Croquant où de nombreuses interviews sont rassemblées. Acteurs, techniciens, font part de l'expérience qu'a été la longue aventure du tournage. Jean-Daniel Vuillermoz s'est occupé des costumes du film, après avoir confectionné ceux de Chouants et de La Reine Margot. Il évoque ici sa collaboration avec Laurent Boutonnat et les indications que lui avait laissées ce dernier.

 

Comment aborde-t-on un film ancré dans une période historique aussi forte ?

    Au départ, c’est la demande particulière du metteur en scène qui conditionne la direction à prendre. Bien sûr il y a la nécessité de constituer une vraie documentation sur l’époque. Mais la question est de savoir si l’on va tenir une direction historique rigoureuse ou si l’on va s’autoriser une certaine marge d’interprétation.

    C’est ce que nous avons fait, en recréant la mode qui correspond à cette époque mais à partir de plusieurs sources d’inspiration et en intégrant des apports d’autres périodes.

  Croquis de costumes pour le conte de Nansac

Quelles étaient les indications de Laurent Boutonnat ?

    La crédibilité ! C’est notamment pour cela que l’on est allé assez loin dans la patine des costumes, pour montrer qu’ils avaient une histoire. Dès qu’on habillait quelqu’un, on se demandait préalablement d’où il venait, ce qu’il avait vécu. Nous voulions que le spectateur ressente l’usure du temps, l’authenticité.

    Ce n’est évidemment pas réservé au monde paysan. Les costumes de la bourgeoisie et de la noblesse ont connu le même traitement. Dans ce dernier cas, on est parti de très beaux tissus, de soies, de taffetas naturels qu’on a salis, usés, graissés pour leur donner un vécu.  

  Croquis de costumes pour Jacquou et Marti

Quelles ont été les principales sources d’inspiration ?

    A cet égard, le travail avec Laurent et avec Christian Marti a été fondamental. Nous sommes bien évidemment partis de plusieurs sources picturales de l’époque mais pas seulement.

 
    Pour les paysans, on a cherché du côté des peintres du XIXéme qui s’étaient intéressés au monde rural, comme, Jean-François Millet (couverture de l'édition du roman de 1985 - ndjsm), bien sûr, ou Louis-Léopold Boilly, mais également Géricault ou la peinture russe (comme Ilia Répine par exemple), l’une des sources d’inspiration de Laurent Boutonnat pour ce qui est des atmosphères paysannes. Nous nous sommes également inspirés de peintres du XVIIéme, tels Greuze, Le Nain, l’Italien Ceruti... Et même du photographe contemporain espagnol Sébastien Salgado, pour les amis de Jacquou enfant. Il a en effet réalisé des portraits d’enfants des rues dans le monde entier. Puis pour tout ce qui est des costumes de la noblesse et de la bourgeoisie, on s’est inspiré des oeuvres de Jean-Auguste-Dominique Ingres et de toute la peinture du XIXéme siècle, notamment Daumier, Prud’hon, Goya, Delacroix, Constable... Bien-sûr, on a aussi beaucoup travaillé à partir du livre d’Eugène Le Roy, en repérant tout ce qui concernait la description précise des personnages. Mais globalement, nous nous sommes donnés la liberté d’aller chercher des atmosphères et des ambiances d’autres pays et d’autres époques que celles des années 1820 ou 1830.

 Jean-Francois Millet, dont ce tableau a servie de couverture à l'édition de Jacquou le Croquant de 1985    1ere source d'inspiration du costumier et du décorateur : la peintre russe Ilia Répine    Les toiles de Louis-Léopold Boilly ont influencé le costumier pour les vêtements du comte

 

Justement, jusqu’où va cette liberté par rapport à la fidélité historique ?

    Par exemple, pour la noblesse, nous avons choisi d’utiliser des costumes à la française de l’Ancien Régime. On a travaillé à partir de coupes des années 1810-1815 mais comme si l’on fabriquait des costumes XVIIIéme. Pour les robes, ce sont des tissus Empire ou antérieurs à la Révolution, mais transformés pour les remettre à la mode du jour. La volonté était d’accentuer le côté parvenu de ces nobles qui sont, il faut le dire, particulièrement arrogants.  

 

Croquis de costumes pour Jacquou, le Bigleux et Touffu enfants

 

Jusqu’à la caricature ?

Touffu    Pour ces personnages effectivement, nous n’avons pas hésité à forcer le trait, en accentuant leur côté « nouveaux riches ».

    Prenons l’exemple du dîner au château, qui se passe en 1830. Les nobles présents sont des proches du comte de Nansac, invités pour l’occasion. À cette époque, les habits à la française et les perruques poudrées ne sont plus à la mode, mais nous avons choisi de les utiliser pour souligner le grotesque de cette scène, montrer combien ces nobles sont des parvenus, qui ont acheté leur titre, et nous utilisons pour cela tous les codes et artifices caractéristiques de la noblesse d’Ancien Régime. Ainsi, si les femmes sont habillées à la mode romantique 1830, avec la coiffure à la „girafe“ de l’époque, nous les avons poudrées comme sous Marie-Antoinette.  

 

Croquis de costumes pour La Galiote

    Tout est exagéré, ils en font trop, comme s’ils ressortaient et exhibaient tous les signes qu’ils avaient dû cacher pendant la Révolution et l’Empire, comme s’ils prenaient leur revanche. De manière anecdotique nous avons par exemple à plusieurs reprises utilisé le vert qui était la couleur du comte d’Artois, le frère de Louis XVI et Louis XVIII, le futur Charles X, alors chef des Ultras. Utiliser sa couleur chez les Nansac est évidemment symbolique. Nous l’avons utilisée lors du dîner en question bien entendu. Mais aussi au début du film : lorsqu’un jésuite brûle les livres des philosophes des Lumières, les nobles présents portent un brassard vert, en signe de ralliement. On peut également évoquer les talons rouges de la noblesse, un autre symbole, signe de haute naissance dont la mode avait été lancée par le Régent au début du XVIIIéme siècle...

 

Parlons du peuple, paysans et citadins...

    Pour les habitants de la campagne, les couleurs des costumes sont celles de la terre, avec différentes nuances de brun, ocre jaune, rouille. Nous avons travaillé avec des coupes et des modèles de régions de France très différentes, le Périgord, bien sûr mais aussi la Bretagne, la Bourgogne ou encore la Franche Comté, pour créer une "mode" adaptée au film, un univers propre.  

    Nous avons conçu les costumes des paysans pour donner une vision différente de ceux-ci : habituellement, le cinéma les habille dans des sortes de haillons. Nous souhaitions les rendre plus gracieux.

    J’ai dessiné des vêtements plus ajustés, plus moulés, pour que l’on sente les corps. C’est la même démarche qui m’a amené à fabriquer des corsets pour les femmes du peuple. Nous voulions qu’il se dégage des paysans de la dignité et même une certaine sensualité. Pour les habitants des villes, comme Périgueux, nous avons utilisé des costumes plus citadins, plus ouvriers, au caractère rural moins marqué, avec des bleus, des gris, des couleurs froides.  

Croquis de costumes pour Lina

 

 

Léo Legrand en retouches-costumeCombien de costumes, au final ?

    Pour assurer le bon déroulement de la préparation et du tournage, j’ai travaillé en collaboration avec une chef costumière, Séverine Demaret. Nous avons fabriqué cinq cents costumes complets pour la figuration et cent pour les rôles, ce qui représente près de quatre milles pièces de vêtements. Ils ont requis l’utilisation d’environ dix milles mètres de tissu, et dix mois de préparation et de réalisation.

 

attaché de presse : Jean-Yves Gloor
paru le 13 novembre 2006.

(lors de la sortie du film, les présentes aquarelles de Jean-Daniel Vuillermoz
étaient entreposées dans le bureau de Laurent Boutonnat)

 

 

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