Comment
aborde-t-on un film ancré dans une période historique aussi forte ?
Au
départ, c’est la demande particulière du metteur en scène qui conditionne
la direction à prendre. Bien sûr il y a la nécessité de constituer une vraie
documentation sur l’époque. Mais la question est de savoir si l’on va tenir
une direction historique rigoureuse ou si l’on va s’autoriser une certaine
marge d’interprétation.
C’est
ce que nous avons fait, en recréant la mode qui correspond à cette époque
mais à partir de plusieurs sources d’inspiration et en intégrant des apports
d’autres périodes.
Quelles étaient les
indications de Laurent Boutonnat ?
La
crédibilité ! C’est notamment pour cela que l’on est allé assez loin dans
la patine des costumes, pour montrer qu’ils avaient une histoire. Dès qu’on
habillait quelqu’un, on se demandait préalablement d’où il venait, ce
qu’il avait vécu. Nous voulions que le spectateur ressente l’usure du
temps, l’authenticité.
Ce
n’est évidemment pas réservé au monde paysan. Les costumes de la
bourgeoisie et de la noblesse ont connu le même traitement. Dans ce dernier
cas, on est parti de très beaux tissus, de soies, de taffetas naturels qu’on
a salis, usés, graissés pour leur donner un vécu.
Quelles ont été les
principales sources d’inspiration ?
A
cet égard, le travail avec Laurent et avec Christian Marti a été fondamental.
Nous sommes bien évidemment partis de plusieurs sources picturales de l’époque
mais pas seulement.
Pour
les paysans, on a cherché du côté des peintres du XIXéme qui s’étaient
intéressés au monde rural, comme, Jean-François Millet (couverture de
l'édition du roman de 1985 - ndjsm), bien sûr, ou Louis-Léopold
Boilly, mais également Géricault ou la peinture russe (comme Ilia Répine par
exemple), l’une des sources d’inspiration de Laurent Boutonnat pour ce qui
est des atmosphères paysannes. Nous nous sommes également inspirés de
peintres du XVIIéme, tels Greuze, Le Nain, l’Italien Ceruti... Et même du
photographe contemporain espagnol Sébastien Salgado, pour les amis de Jacquou
enfant. Il a en effet réalisé des portraits d’enfants des rues dans le monde
entier. Puis pour tout ce qui est des costumes de la noblesse et de la
bourgeoisie, on s’est inspiré des oeuvres de Jean-Auguste-Dominique Ingres et
de toute la peinture du XIXéme siècle, notamment Daumier, Prud’hon, Goya,
Delacroix, Constable... Bien-sûr, on a aussi beaucoup travaillé à partir du
livre d’Eugène Le Roy, en repérant tout ce qui concernait la description précise
des personnages. Mais globalement, nous nous sommes donnés la liberté
d’aller chercher des atmosphères et des ambiances d’autres pays et
d’autres époques que celles des années 1820 ou 1830.
Justement, jusqu’où
va cette liberté par rapport à la fidélité historique ?
Par
exemple, pour la noblesse, nous avons choisi d’utiliser des costumes à la
française de l’Ancien Régime. On a travaillé à partir de coupes des années
1810-1815 mais comme si l’on fabriquait des costumes XVIIIéme. Pour les
robes, ce sont des tissus Empire ou antérieurs à la Révolution, mais
transformés pour les remettre à la mode du jour. La volonté était
d’accentuer le côté parvenu de ces nobles qui sont, il faut le dire,
particulièrement arrogants.
Jusqu’à la
caricature ?
Pour
ces personnages effectivement, nous n’avons pas hésité à forcer le trait,
en accentuant leur côté « nouveaux riches ».
Prenons
l’exemple du dîner au château, qui se passe en 1830. Les nobles présents
sont des proches du comte de Nansac, invités pour l’occasion. À cette époque,
les habits à la française et les perruques poudrées ne sont plus à la mode,
mais nous avons choisi de les utiliser pour souligner le grotesque de cette scène,
montrer combien ces nobles sont des parvenus, qui ont acheté leur titre, et
nous utilisons pour cela tous les codes et artifices caractéristiques de la
noblesse d’Ancien Régime. Ainsi, si les femmes sont habillées à la mode
romantique 1830, avec la coiffure à la „girafe“ de l’époque, nous les
avons poudrées comme sous Marie-Antoinette.
Tout
est exagéré, ils en font trop, comme s’ils ressortaient et exhibaient tous
les signes qu’ils avaient dû cacher pendant la Révolution et l’Empire,
comme s’ils prenaient leur revanche. De manière anecdotique nous avons par
exemple à plusieurs reprises utilisé le vert qui était la couleur du comte
d’Artois, le frère de Louis XVI et Louis XVIII, le futur Charles X, alors
chef des Ultras. Utiliser sa couleur chez les Nansac est évidemment symbolique.
Nous l’avons utilisée lors du dîner en question bien entendu. Mais aussi au
début du film : lorsqu’un jésuite brûle les livres des philosophes des Lumières,
les nobles présents portent un brassard vert, en signe de ralliement. On peut
également évoquer les talons rouges de la noblesse, un autre symbole, signe de
haute naissance dont la mode avait été lancée par le Régent au début du
XVIIIéme siècle...
Parlons du peuple,
paysans et citadins...
Pour
les habitants de la campagne, les couleurs des costumes sont celles de la terre,
avec différentes nuances de brun, ocre jaune, rouille. Nous avons travaillé
avec des coupes et des modèles de régions de France très différentes, le Périgord,
bien sûr mais aussi la Bretagne, la Bourgogne ou encore la Franche Comté, pour
créer une "mode" adaptée au film, un univers propre.
Nous
avons conçu les costumes des paysans pour donner une vision différente de
ceux-ci : habituellement, le cinéma les habille dans des sortes de haillons.
Nous souhaitions les rendre plus gracieux.
J’ai
dessiné des vêtements plus ajustés, plus moulés, pour que l’on sente les
corps. C’est la même démarche qui m’a amené à fabriquer des corsets pour
les femmes du peuple. Nous voulions qu’il se dégage des paysans de la dignité
et même une certaine sensualité. Pour les habitants des villes, comme Périgueux,
nous avons utilisé des costumes plus citadins, plus ouvriers, au caractère
rural moins marqué, avec des bleus, des gris, des couleurs froides.
Combien de costumes,
au final ?