Comment
avez-vous abordé le travail de création des décors sur Jacquou le Croquant
?
Pour
un tel film, il y a au commencement un gros travail de références
iconographiques. C’est d’abord et surtout de la peinture de l’époque dont
nous nous sommes inspirés, car les représentations graphiques dont nous
disposons sur la période sont essentiellement la peinture et la gravure. La
première référence, sur la recommandation de Laurent Boutonnat, a été
Jean-François Millet, peintre des paysans. Sont venus s’y ajouter d’autres
artistes de l’époque, notamment des peintres russes tel Ilia Répine, qui ont
eux aussi beaucoup représentés les milieux ruraux et la misère paysanne.
Rembrandt, bien qu’appartenant au XVIIème siècle, nous a également beaucoup
aidés pour les intérieurs et la qualité des lumières.
N’est-il pas un peu
étrange de prendre la peinture russe ou hollandaise en référence pour évoquer
des paysans du Périgord ?
C’est
vrai, mais ce qui nous intéressait avant tout était de retrouver des ambiances
de lumière, de couleur, et de nous imprégner des situations et des matières...
Partant de là, malgré la pauvreté et l’austérité de l’environnement
paysan, nous avons essayé de magnifier cet univers. Si nous regardons les
toiles de Millet, les paysans sont toujours dignes et beaux. Dans leur dénuement,
il y a de la poésie. Cette poésie, cette dignité, nous voulions qu’elles
existent dans l’inconscient du spectateur.
Même si son propos
n’est pas l’Histoire avec un grand "H", Jacquou le Croquant est inscrit
dans une réalité historique, sociale, esthétique... précise. Peut-on parler,
s’agissant des décors, d’un travail de reconstitution historique ?
Quelle est la part
respective des décors naturels et de la reconstitution en studio ?
Nous
avons construit les décors à hauteur de 80 % ! Cela peut paraître beaucoup
quand on sait les nombreuses ressources architecturales du Périgord. Mais le
problème des décors d’époque, notamment en Dordogne, c’est qu’ils ont
aujourd’hui tous été restaurés. Tout est presque trop beau.
Finalement,
nous sommes plus fidèles à l’époque en fabriquant nos décors qu’en nous
appuyant sur ce qui a survécu ! Et nous pouvons adapter les décors que nous
concevons au format du cinémascope dans un rapport plus pertinent avec le
cadre.
Quelles ont été les
indications de Laurent Boutonnat ?
Laurent
a affirmé une réelle volonté de spectaculaire. Il tenait aussi beaucoup à ce
que l’on ressente l’importance du temps, la patine, l’usure des choses,
notamment dans les intérieurs. Le «vécu» des objets et de l’architecture
est très marqué dans le film. Nous étions aidés par le parti pris du
clair-obscur qui apporte de la densité et du contraste.
L’action de Jacquou
le Croquant se déroule en pleine période romantique. Le film s’en
ressent-il ?
Dans
la peinture romantique, la nature est souvent magnifiée. Dans le film, elle est
présente dans tous les plans, même dans les scènes de village. Nous avons
beaucoup travaillé sur son aspect, sur la forme des arbres par exemple. Cette
omniprésence de la nature apporte de la poésie aux images. Dans Jacquou le
Croquant, on se trouve ainsi toujours à mi chemin entre la composition
picturale et le réalisme de la photo. Entre deux univers, réel et imaginaire.
Nous n’avions pas vraiment l’obsession du réalisme et de la fidélité
historique, mais plutôt la volonté, je le répète, de faire passer une
atmosphère, une sensation, une émotion à travers tous les plans du film. C’était
la direction de notre travail.
Comment, avec un tel
parti pris, éviter le piège de l’esthétisme ?
Ce
sera jugé esthétisant si ce n’est pas réussi ! Dans le cas contraire, on
ressentira l’émotion, tout simplement. Quand quelque chose ne marche pas dans
une image, ce peut être lié à beaucoup de paramètres, par exemple à la
lumière, qui n’est pas juste. Car avec la lumière on peut rematérialiser
les choses différemment, comme le fait le peintre sur la toile. Il peut aussi
s’agir d’un problème de décor, les facteurs sont multiples. Mais soyons
juste, le décor est un fond. Le film, c’est d’abord les acteurs. Ce sont
eux qui tiennent la plus grande part de l’image. Nous sommes là pour les
servir. Nos décors visent à faire ressortir les visages et leur présence, à
la rendre plus intense. Nous n’avons pas essayé de faire des décors qui se
voyaient, mais des décors qui fonctionnaient.
Y a-t-il des scènes
où le décor tient un rôle particulier, où il est partie prenante de la
narration ?
La
chaumière de Jacquou est typiquement un décor personnage. Il raconte une
partie de l’histoire. Il est très important pour exprimer le
Nous
avons travaillé sur des références communes, notamment la peinture, notre véritable
colonne vertébrale. Nous avons beaucoup parlé ensemble du stylisme de
l’image et travaillé dans la même dynamique, dans les mêmes univers. Nous
avons ainsi conçu des décors assez monochromes et assez denses pour mettre
acteurs et costumes en avant. Notre collaboration est en ce sens, je crois,
assez réussie. Sur certaines scènes précises, nous avons travaillé en très
étroite collaboration. C’est le cas pour la grande scène du dîner au château.
Nous avons véritablement ajusté costumes et décors pour recréer tout un
univers coloré dans les verts, le vert étant la couleur des ultraroyalistes,
les „Ultras“. Cette collaboration a porté sur le choix et la qualité des
tissus, des imprimés, la répartition de ce vert dans l’image, sur les
costumes, les décors, les rideaux...
Au final, en termes
de décors, Jacquou est un film de «grand spectacle»?
Le
film a demandé beaucoup d’énergie pour maintenir le niveau de qualité
souhaité. On peut dessiner les plus beaux décors, il faut les réaliser ! Et là,
on dépend d’autres personnes, celles qui peignent, qui moulent, qui
construisent... l’équipe des meubles et des accessoires, c’est un travail
collectif, mes collaborateurs ont été d’une aide précieuse. Ce film a été
d’autant plus exigeant qu’il y a de nombreux décors, et qu’entre la
conception, la fabrication et le tournage, il s’est passé très peu de temps.
L’essentiel de la difficulté était là : obtenir dans ce temps très court
la qualité et l’harmonie.
Que retiendrez-vous
de ce travail ?
Nous avions tous le sentiment de participer à un projet comportant de grandes exigences. La personnalité de Laurent Boutonnat, la confiance qu’il nous a accordée, la qualité de notre collaboration ont apporté au projet un état de grâce. La décoration d’un film est une guerre d’un genre particulier : les batailles sont les échéances, les livraisons des décors ; l’enjeu c’est d’être prêt quoi qu’il arrive, avec la conviction d’être toujours dans l’univers de l’industrie du rêve.
attaché de presse : Jean-Yves Gloor
paru le 13 novembre 2006