Le Décorateur

Christian MartiLe 13 novembre 2006 Pathé édite un dossier de presse sur Jacquou le Croquant où de nombreuses interviews sont rassemblées. Acteurs, techniciens, font part de l'expérience qu'a été la longue aventure du tournage. Christian Marti est le décorateur du film, après avoir travaillé sur Jean de Florette et Le Hussard sur le toit. Il parle ici d'esthétique, de la proportion de plan en extérieur, en studio, et ceux tournés où est sensée se dérouler l'histoire : dans le Périgord.

 

 

Comment avez-vous abordé le travail de création des décors sur Jacquou le Croquant ?

    Pour un tel film, il y a au commencement un gros travail de références iconographiques. C’est d’abord et surtout de la peinture de l’époque dont nous nous sommes inspirés, car les représentations graphiques dont nous disposons sur la période sont essentiellement la peinture et la gravure. La première référence, sur la recommandation de Laurent Boutonnat, a été Jean-François Millet, peintre des paysans. Sont venus s’y ajouter d’autres artistes de l’époque, notamment des peintres russes tel Ilia Répine, qui ont eux aussi beaucoup représentés les milieux ruraux et la misère paysanne. Rembrandt, bien qu’appartenant au XVIIème siècle, nous a également beaucoup aidés pour les intérieurs et la qualité des lumières.

  Périgueux au XVIIIe siècle (mattepainting)

N’est-il pas un peu étrange de prendre la peinture russe ou hollandaise en référence pour évoquer des paysans du Périgord ?

    C’est vrai, mais ce qui nous intéressait avant tout était de retrouver des ambiances de lumière, de couleur, et de nous imprégner des situations et des matières... Partant de là, malgré la pauvreté et l’austérité de l’environnement paysan, nous avons essayé de magnifier cet univers. Si nous regardons les toiles de Millet, les paysans sont toujours dignes et beaux. Dans leur dénuement, il y a de la poésie. Cette poésie, cette dignité, nous voulions qu’elles existent dans l’inconscient du spectateur.  

pose d'une teinture dorée sur les blés du générique de début

 

Même si son propos n’est pas l’Histoire avec un grand "H", Jacquou le Croquant est inscrit dans une réalité historique, sociale, esthétique... précise. Peut-on parler, s’agissant des décors, d’un travail de reconstitution historique ?

 
    Nous n’avons pas essayé de reconstituer le décor de l’époque avec une fidélité parfaite. Le film n’est pas un documentaire. Nous nous sommes avant tout attachés à l’aspect cinématographique, aux ambiances de couleurs, à tout ce qui est de l’ordre du visuel et qui peut amener une dynamique à l’image. Mais nous l’avons fait sans jamais perdre de vue le réalisme historique, aidés en cela par nos références picturales. En fait, il s’agissait de nous ancrer dans l’univers de l’époque afin, ensuite, d’être un peu plus libres pour l’interpréter. Ce qui est intéressant dans une démarche telle que celle-ci, c’est que l’on devient en quelque sorte, pour un moment, un artisan de cette époque, en tentant de résoudre les problèmes qui se posaient à eux, en essayant de comprendre pourquoi ils fabriquaient comme ceci ou comme cela, et en cherchant à retrouver les techniques qui étaient les leurs. À cet égard, avoir tourné une partie du film en Roumanie a été un avantage, car le pays est encore très rural. Moins industrialisé que la France, il conserve de très nombreux artisans aux savoir-faire traditionnels.

 

Quelle est la part respective des décors naturels et de la reconstitution en studio ?

    Nous avons construit les décors à hauteur de 80 % ! Cela peut paraître beaucoup quand on sait les nombreuses ressources architectura­les du Périgord. Mais le problème des décors d’époque, notamment en Dordogne, c’est qu’ils ont aujourd’hui tous été restaurés. Tout est presque trop beau.

    Finalement, nous sommes plus fidèles à l’époque en fabriquant nos décors qu’en nous appuyant sur ce qui a survécu ! Et nous pouvons adapter les décors que nous concevons au format du cinémascope dans un rapport plus pertinent avec le cadre.  

 

Quelles ont été les indications de Laurent Boutonnat ?

    Laurent a affirmé une réelle volonté de spectaculaire. Il tenait aussi beaucoup à ce que l’on ressente l’importance du temps, la patine, l’usure des choses, notamment dans les intérieurs. Le «vécu» des objets et de l’architecture est très marqué dans le film. Nous étions aidés par le parti pris du clair-obscur qui apporte de la densité et du contraste.

 

L’action de Jacquou le Croquant se déroule en pleine pé­riode romantique. Le film s’en ressent-il ?

    Dans la peinture romantique, la nature est souvent magnifiée. Dans le film, elle est présente dans tous les plans, même dans les scènes de village. Nous avons beaucoup travaillé sur son aspect, sur la forme des arbres par exemple. Cette omniprésence de la nature apporte de la poésie aux images. Dans Jacquou le Croquant, on se trouve ainsi toujours à mi chemin entre la composition picturale et le réalisme de la photo. Entre deux univers, réel et imaginaire. Nous n’avions pas vraiment l’obsession du réalisme et de la fidélité historique, mais plutôt la volonté, je le répète, de faire passer une atmosphère, une sensation, une émotion à travers tous les plans du film. C’était la direction de notre travail.  

 

Comment, avec un tel parti pris, éviter le piège de l’es­thétisme ?

    Ce sera jugé esthétisant si ce n’est pas réussi ! Dans le cas contraire, on ressentira l’émotion, tout simplement. Quand quelque chose ne marche pas dans une image, ce peut être lié à beaucoup de para­mètres, par exemple à la lumière, qui n’est pas juste. Car avec la lumière on peut rematérialiser les choses différemment, comme le fait le peintre sur la toile. Il peut aussi s’agir d’un problème de décor, les facteurs sont multiples. Mais soyons juste, le décor est un fond. Le film, c’est d’abord les acteurs. Ce sont eux qui tiennent la plus grande part de l’image. Nous sommes là pour les servir. Nos décors visent à faire ressortir les visages et leur présence, à la ren­dre plus intense. Nous n’avons pas essayé de faire des décors qui se voyaient, mais des décors qui fonctionnaient.

 

Y a-t-il des scènes où le décor tient un rôle particulier, où il est partie prenante de la narration ?

    La chaumière de Jacquou est typiquement un décor personnage. Il raconte une partie de l’histoire. Il est très important pour exprimer le contexte dans lequel vit la famille de Jacquou. Avec ce décor, tout est dit, la précarité, la dureté des temps, la pauvreté.  

  Quel type de collaboration avez-vous eue avec le créateur des costumes, Jean-Daniel Vuillermoz ?

détail du décor du marché    Nous avons travaillé sur des références communes, notamment la peinture, notre véritable colonne vertébrale. Nous avons beaucoup parlé ensemble du stylisme de l’image et travaillé dans la même dynamique, dans les mêmes univers. Nous avons ainsi conçu des décors assez monochromes et assez denses pour mettre acteurs et costumes en avant. Notre collaboration est en ce sens, je crois, assez réussie. Sur certaines scènes précises, nous avons travaillé en très étroite collaboration. C’est le cas pour la grande scène du dîner au château. Nous avons véritablement ajusté costumes et décors pour recréer tout un univers coloré dans les verts, le vert étant la couleur des ultraroyalistes, les „Ultras“. Cette collaboration a porté sur le choix et la qualité des tissus, des imprimés, la répartition de ce vert dans l’image, sur les costumes, les décors, les rideaux...

 

Au final, en termes de décors, Jacquou est un film de «grand spectacle»?

    Le film a demandé beaucoup d’énergie pour maintenir le niveau de qualité souhaité. On peut dessiner les plus beaux décors, il faut les réaliser ! Et là, on dépend d’autres personnes, celles qui peignent, qui moulent, qui construisent... l’équipe des meubles et des accessoires, c’est un travail collectif, mes collaborateurs ont été d’une aide précieuse. Ce film a été d’autant plus exigeant qu’il y a de nombreux décors, et qu’entre la conception, la fabrication et le tournage, il s’est passé très peu de temps. L’essentiel de la difficulté était là : obtenir dans ce temps très court la qualité et l’harmonie.

  Laurent Boutonnat inspecte le décor du marché

Que retiendrez-vous de ce travail ?

    Nous avions tous le sentiment de participer à un projet comportant de grandes exigences. La personnalité de Laurent Boutonnat, la confiance qu’il nous a accordée, la qualité de notre collaboration ont apporté au projet un état de grâce. La décoration d’un film est une guerre d’un genre particulier : les batailles sont les échéances, les livraisons des décors ; l’enjeu c’est d’être prêt quoi qu’il arrive, avec la conviction d’être toujours dans l’univers de l’industrie du rêve.

attaché de presse : Jean-Yves Gloor

paru le 13 novembre 2006

 

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