Qui
vous a parlé pour la première fois de Jacquou le Croquant ?
Françoise
Ménidrey, la directrice de casting. Elle me connaît depuis que j’ai 12 ans
et m’a fait faire des rôles formidables. Elle m’a appelé pour me dire
qu’elle avait parlé de moi à Laurent Boutonnat qui faisait alors le casting
de Jacquou et que je devrais le rencontrer. C’est ce que j’ai fait. Tout de
suite, je suis séduit par Laurent. Belle gueule, belle allure, c’est
quelqu’un de charismatique et de charmant. Et très simple en même temps.
J’ai un vrai coup de cœur. Il me parle de Jacquou le Croquant et aussi du
personnage auquel il pensait pour moi. Je savais qu’il y avait eu un
feuilleton télé mais je ne l’avais pas vu. Je pars avec le scénario sous le
bras, je le lis et je le trouve formidable ! Pourtant, j’y étais allé à
reculons, parce que le roman misérabiliste XIXème ce n’est pas trop mon truc
!
Qu’est-ce qui vous
plait dans le scénario ?
Son
côté épique et touchant. Je trouve l’histoire très bien racontée. Je
m’identifie complètement au personnage de Jacquou, dont la trajectoire est
magnifique. C’est à la fois hyper classique et hyper moderne. J’aime ce côté
grand film populaire, grand film en costumes, avec ces personnages hauts en
couleurs, de vrais bons et de vrais méchants. Il y a du souffle, il y a de l’énergie,
il y a de l’émotion mais - parce qu’il y a un mais ! - le personnage
qu’il me propose ne m’intéresse pas du tout ! Ce n’est pas que le
personnage ne soit pas intéressant, c’est que je sais qu’il ne me convient
pas. Il est très présent mais il n’a pas beaucoup de choses à défendre. Il
se trouve que je sortais d’une expérience qui avait été très captivante,
très prenante, forte humainement (L’Empire des loups) et je n’étais pas prêt
à enchaîner avec un projet sur
lequel je sentais que j’aurai du mal à
trouver ma place. J’appelle Laurent et je lui dis la vérité. «Je suis désolé
de vous dire ça, j’adorerais faire ce film mais je pense que ce rôle n’est
pas pour moi.» Et je lui explique pourquoi. Il ne dit rien, il m’écoute
pendant cinq minutes et je me dis «il va me raccrocher au nez». Il me dit : «Ecoutez
Jocelyn, j’entends tout ce que vous me dites, mais qu’est-ce que vous pensez
du personnage du comte de Nansac ?" Je lui réponds que je le trouve génial,
sauf que pendant la première partie du film, il a déjà plus de dix ans de
plus que moi, et que dans la deuxième, quinze ans après, ce n’est même pas
la peine d’en parler ! « C’est vrai, mais je peux aussi rajeunir le
personnage. Relisez le scénario dans cette optique-là et dites-moi si ça vous
intéresse. - Je n’ai pas besoin de le relire, Laurent. Le personnage de
Nansac est formidable, si vous me le proposez, c’est oui tout de suite ! » Et
on convient alors de faire des essais maquillage et coiffure. Je n’en reviens
pas. C’est quand même rare de tomber sur quelqu’un prêt à faire de tels
paris ! Puis, on a fait les essais costumes, coiffure
C’est le premier méchant
que vous jouez...
Oui.
C’est ça aussi qui est excitant. Ça sort un peu du côté jeune premier. Je
me suis régalé. C’était un bonheur de chaque jour. Pour un acteur de 25
ans, un rôle comme ça, c’est un cadeau énorme. Aujourd’hui encore, je
remercie Laurent chaque fois que je le vois !
Qu’est-ce qui était
le plus difficile pour vous dans le fait de jouer quelqu’un qui, selon les
jours, avait vingt ans de plus ?
I
l
se passe déjà quelque chose d’étonnant. Le matin, vous arrivez au
maquillage, vous êtes Jocelyn et puis, vous vous endormez un peu parce que
c’est très tôt, que ça dure trois heures, qu’on ne peut pas bouger mais
juste attendre que ça se passe ! Et lorsque, trois heures plus tard, vous
ouvrez les yeux, ce n’est plus vous, c’est Nansac ! C’est bizarre quand même
de se voir vieilli... J’avais des tétines dans les narines pour me gonfler un
peu le nez, j’avais un appareil fixé sur les dents pour m’élargir un peu
les joues, ce qui faisait que, forcément, ma voix changeait...
Qu’est-ce qui était
le plus difficile ?
Ne
pas mettre en doute la légitimité qu’on a à jouer un homme de 45 - 50 ans,
ne pas se poser la question ou en tout cas ne pas se la poser au moment où on
le fait. Juste y aller. Ce qui n’empêche pas le soir, à la fin de la journée,
de voir toutes les interrogations revenir...
Vous étiez-vous préparé
à jouer Nansac comme vos autres rôles ?
Non.
C’était un peu particulier. J’ai demandé à un ami du métier, quelqu’un
que j’admire beaucoup, de me faire travailler. On a bossé, on a répété, on
a d’abord travaillé sur le texte, à la table, jusqu’au moment où je
l’ai su par coeur, puis en espace, en répétant avec des copains comédiens
dans un gymnase que j’avais trouvé. Il n’y a pas de secret, il y a des rôles
qui demandent d’aller au charbon ! On a fait ça sur deux trois mois mais de
manière assez étalée. C’est une idée que je dois à Roger Planchon. Le
premier film que j’ai fait c’était Louis, enfant roi, avec lui, et avant de
commencer le tournage, on avait répété pendant un mois et demi, tous les
jours. Cela avait été très enrichissant...
Oui,
j’ai retrouvé Mario Luraschi avec qui j’avais déjà fait deux films.
J’ai repris l’équitation, je me suis entraîné à me battre à l’épée,
on a répété les combats qu’il avait réglés...
Quel est, pour vous,
le moteur du comte de Nansac ?
La
revanche, le pouvoir. L’histoire se passe au moment de la Restauration. Nansac
est un aristocrate qui a été bafoué, qui a certainement dû fuir, et qui
est revenu sur ses terres. C’est un revanchard, même s’il a récupéré le
pouvoir qu’il avait perdu. Il lui en est resté une sorte de frustration, de
volonté de puissance... Au début, on se dit que c’est assez jouissif de
jouer quelqu’un comme lui. D’autant que c’est un salopard mais qui a du
panache. Et puis, au bout d’un moment, comme si votre nature reprenait le
dessus, vous avez presque envie de le racheter un peu, de le faire un peu plus
sympathique quand même, et en même temps, vous savez que vous ne pouvez pas !
C’est une ordure, une vraie, et on ne peut pas le jouer à côté !
Y avait-il une scène
que vous appréhendiez plus particulièrement ?
La
scène de Noël, quand il descend les marches de l’église, après la messe,
et qu’il est interpellé par la mère de Jacquou, qui implore son pardon pour
son mari, et qu’il la rabroue avec violence... A ce moment-là, c’est dans
la première partie du film, il est encore jeune et bizarrement, je ne sais pas
pourquoi, j’avais peur de manquer d’autorité. Finalement, c’était plus
facile pour les scènes de la deuxième partie, quand j’étais grimé et que,
du coup, tout se transformait naturellement : ma voix, mon attitude...
J’avais un peu plus d’embonpoint, j’étais un peu tassé, plus massif...
Les scènes d’autorité devenaient alors plus évidentes, plus naturelles,
alors que quand le personnage est jeune, il est forcément plus proche de moi,
et donc peut-être plus difficile à assumer. Je n’avais pas la même
distance. C’est curieux...
Quel est, selon vous,
le meilleur atout de Gaspard Ulliel pour être Jacquou ?
Tout
simplement d’être Gaspard ! C’est-à-dire sa cinégénie. Gaspard, quand on
le filme, il y a quelque chose de magique qui passe à l’écran. C’est
impressionnant. Et aussi ce léger voile de mélancolie qu’il a sur le visage
et qui rend le personnage de Jacquou fragile et attachant. Sa fragilité et son
innocence... Mais bizarrement, on n’a que deux vraies confrontations lui et
moi. Les rapports de Nansac et Jacquou sont assez particuliers. Au départ
Nansac ne prête pas attention à Jacquou. Il ne sait même pas que ce dernier
lui en veut. Pour lui, il est inexistant, c’est juste un gueux de son domaine.
En revanche, après une humiliation en public lors du bal, ça devient une
obsession
A
qui ça ne parle pas ? C’est pour ça aussi que le scénario est magnifique,
c’est pour ça qu’on s’identifie à Jacquou, c’est pour ça qu’on
pleure... Ça réveille l’idéaliste qui est en chacun de nous...
Comment définiriez-vous
Laurent Boutonnat sur le tournage ?
Une
sorte de fou optimistique ! (sic) C’est le calme dans la tempête. Il impose un
rythme assez surréaliste de tourner avec 3 caméras en même temps, avec des
ralentis, des zooms, des tas de trucs - techniquement il est quand même très
pointu ! - qui font que tout le monde est un peu paumé. Et pourtant les gens
lui font confiance, tout le monde rentre dans son énergie, va dans le sens du
film... D’autant qu’on se doute bien que lui sait très bien où il va. En
plus, il est très intuitif. Très vite, par exemple, j’ai eu le sentiment
qu’on n’avait pas besoin, lui et moi, de beaucoup se parler. Je voyais assez
bien où il voulait en venir, il voyait assez bien où je voulais en venir...
Il y a dans le film
un casting étonnant, très varié ...
C’est
vrai, mais je n’en ai pas beaucoup profité si je puis dire. Le comte de
Nansac, c’est quelqu’un qui est assez seul. Ce n’est pas un type qui vit
avec les autres, c’est une espèce d’ours mal léché, désagréable,
hautain, imbu de sa personne. Il est seul au milieu des autres. J’ai de
courtes scènes quand même avec Olivier (Gourmet), pour qui j’ai une
admiration totale, et avec Tchéky (Karyo) qui a fait là un travail qui a énormément
de classe. Je vais sans doute enfoncer des portes ouvertes mais pour un jeune
acteur, jouer avec des mecs comme ça, c’est tellement stimulant... Il y a
aussi Didier Becchetti, qui joue mon régisseur et qui est formidable, et Bojana
Panic qui joue ma fille. Avec elle, les rapports étaient différents parce
qu’elle parle très peu le français mais ce qu’elle dégage est
impressionnant ! C’est son premier film, c’est une vraie bosseuse. Elle est
incroyable.
Si vous ne deviez
garder qu’une image, qu’un moment, de toute l’aventure de Jacquou ?
Les
combats, j’ai adoré ça ! Parce que c’est du cinoche pur ! Les scènes de
chasse à courre aussi qui étaient des moments intenses, la scène de danse,
qu’on a tourné sur quatorze jours ! C’est difficile d’extraire un seul
moment...
attaché de presse : Jean-Yves Gloor
paru le 13 novembre 2006