«Gaspard Ulliel a une force, un charisme, une présence. Il crève l'écran ! Il dégage aussi une grande fragilité et beaucoup d'émotion. »
Laurent Boutonnat, Le Figaro et vous, 17 janvier 2007.
Quand
on vous a proposé le rôle de Jacquou le Croquant, aviez-vous déjà entendu
parler du personnage ?
J’avais
entendu parler du feuilleton télé très vaguement par ma grand-mère. Et quand
le projet m’a été proposé, mon agent m’a parlé de la série en me disant
qu’elle adorait ! En revanche, autour de moi, les gens de ma génération ne
connaissaient pas beaucoup. Avant le tournage, j’ai quand même acheté les
DVD et j’en ai vu quelques épisodes. Juste pour avoir une idée.
Quelle a été votre
réaction à la lecture du script ?
J’ai
trouvé l’histoire très intéressante mais, surtout, j’ai rencontré
Laurent à plusieurs reprises parce que, pour être franc, j’hésitais.
Qu’est-ce qui vous
faisait hésiter ?
Je
sortais du film de Jean-Pierre Jeunet, Un Long dimanche de fiançailles, et je
n’étais pas sûr de vouloir enchaîner avec un autre «film populaire à
grand spectacle». J’avais fait une fac de cinéma, j’avais commencé avec
des films d’auteur, je me disais que ce serait bien de retourner vers quelque
chose de plus intimiste. Je n’ai d’ailleurs plus du tout le même point de
vue aujourd’hui où, au contraire, je pense qu’il faut multiplier les expériences
et les rencontres, qu’il faut varier les styles, les projets. La deuxième
chose, c’est qu’à la lecture, j’avais un peu de mal à m’imaginer dans
le personnage. C’est un paysan qui a du charme, du charisme et je me demandais
si je saurais le lui donner...
Qu’est-ce qui vous
a convaincu alors ?
Laurent.
Et toutes les discussions qu’on a eues ensemble. Il avait l’air très serein
et semblait vraiment maîtriser son projet. On a beaucoup discuté du
personnage, non seulement il m’a rassuré sur ce que je pouvais apporter à
Jacquou mais surtout, il a réussi à me donner de lui une autre dimension, un
nouvel éclairage qui m’a motivé. Et puis, le reste du casting était
excitant... D’ailleurs, au final, c’était une très belle expérience de
travailler avec tous ces gens.
Qu’est-ce qui vous
a frappé chez Laurent Boutonnat tout au long de ces discussions ?
Lui
! Ce n’est pas quelqu’un de banal. C’est un vrai personnage, même dans sa
façon de s’exprimer, de s’habiller, de fumer sa pipe. C’est un charmeur.
Il s’exprime remarquablement bien. Ce qui est frappant aussi, c’est sa détermination,
sa force de conviction, sa sincérité. Il croit vraiment à ce qu’il fait. Et
puis, tout de suite, il a été très chaleureux, il a installé un rapport très
amical, très facile. Tout ça donnait envie de travailler avec lui.
Une fois qu’il vous
a convaincu, comment vous êtes-vous préparé à interpréter Jacquou ?
Justement
avec beaucoup de préparation.
C’est-à-dire ?
Il
y a eu la préparation physique, sportive presque. Je devais m’étoffer un
peu. Je suis allé courir, j’ai fait de la gym en salle, des entraînements,
des montées à la corde... Deux ou trois heures quatre fois par semaine pendant
deux mois et demi. C’était plus subtil que de la musculation pure parce que
je faisais mon entraînement avec une coach qui est, je crois, trapéziste à la
base. J’ai très vite aimé ça. C’était stimulant, y compris pour la vie
de tous les jours. Ensuite, il y avait la préparation et la répétition des
combats avec Mario Luraschi. C’est avec lui aussi que je devais m’entraîner
à monter à cheval mais pour ça, je n’ai pas eu beaucoup de temps. J’étais
déjà très pris par la préparation physique, l’entraînement des combats au
bâton, et par l’apprentissage de la danse - il y a une scène de bal très
importante - et... on ne peut pas dire que la danse soit mon fort ! J’ai dû
m’entraîner beaucoup pour maîtriser les pas. Alors, du coup, le cheval est
passé un peu après. Mais dès que je suis monté, j’ai eu un vrai coup de
foudre.
Finalement, cet
aspect-là du travail, c’est quelque chose qui vous a plu ?
Oui.
Déjà, c’était nouveau, différent de mes expériences précédentes. Et
puis, j’ai réalisé que ce qui était agréable dans ce métier, c’était
justement d’être amené à faire plein de choses qu’on ne ferait pas forcément
dans la vie. C’est un vrai plus... D’ailleurs, j’ai continué à faire un
peu de sport et j’ai envie de remonter à cheval le plus vite possible.
Comment définiriez-vous
Jacquou ?
C’est
quelqu’un qui a beaucoup souffert pendant son enfance parce que, très jeune,
il a perdu ses parents. Il a appris à vivre seul, à se défendre seul. C’est
quelqu’un qui maîtrise très bien la nature et la forêt, qui a réussi à se
créer une place au sein de son village. Tout en étant engagé dans un combat
qu’on pourrait dire « politique », il a aussi une revanche personnelle à
prendre. Son désir de vengeance est un vrai moteur et c’est ça qui va le
pousser à soulever les paysans pour faire fuir le comte de Nansac. C’était
excitant à jouer parce que je ne suis pas vraiment comme ça dans la vie, je
suis même plutôt l’inverse.
Qu’est-ce qui vous
paraissait le plus difficile alors avec ce personnage ?
Je
pense que le plus dur, c’était de le faire exister. Tout est dans la présence,
dans le charisme. Car c’est un film très rythmé et si Jacquou est souvent là,
il n’a pas forcément de longs dialogues, tout ce qui permet habituellement
d’installer un personnage. C’est là où c’était intéressant
d’ailleurs. C’est forcément une autre façon de travailler que sur un film
d’André Téchiné ou de Rodolphe Marconi où tout amène vers le personnage.
Là, au contraire, il faut sauter
Il
y a tout ce côté un peu politique, dont on vient de parler. Il y a les scènes
d’action qui me font toujours un peu peur parce que j’ai besoin qu’elles
soient réalistes, crédibles. Puis, il y a le côté émotion. Même s’il
concerne davantage Léo que moi, il fallait quand même retrouver chez Jacquou
adulte quelque chose de cet ordre-là. Enfin, il y a les relations entre Jacquou
et «ses deux femmes». C’est un aspect qui me plaisait beaucoup parce qu’il
y a un trouble entre ces personnages, et aussi parce que c’est quelque chose
d’assez actuel, cette relation très fusionnelle, très passionnelle avec Lina
qui dure depuis l’enfance, comme une histoire d’amour rêvée, et qui,
d’un coup, est confrontée à l’arrivée de la Galiote, la fille du Comte,
et là, c’est vraiment le feu qui débarque ! Je trouvais belles ces
confrontations. Je trouvais intéressant qu’il y ait ce désir sous-jacent au cœur
de situations pas du tout propices à ce genre de sentiment...
Le fait qu’il y ait
deux acteurs pour jouer le même personnage à des âges différents, est-ce que
ça posait des problèmes de jeu particuliers ?
On
pouvait se dire qu’il était important que le plus jeune voit comment jouait
le plus vieux, ou l’inverse, pour essayer de trouver une cohérence. Mais on
n’avait pas assez de temps pour faire ça. C’est Léo qui a commencé parce
qu’il y a eu un pré-tournage l’hiver. J’ai demandé à Laurent de me
montrer des images mais... il n’aime pas tellement ça ! Et puis, après tout,
c’est lui qui nous dirigeait tous les deux. Donc, c’était à lui de nous
faire aller dans une direction cohérente. En même temps, je me souviens que
lorsque j’ai vu les premières images de Jacquou enfant j’ai été frappé
par l’énergie, et même l’exubérance de Léo. Je craignais de ne pas en
apporter autant et puis, après, je me suis rassuré en me disant que Jacquou
adulte avait forcément dû canaliser son énergie et se concentrer sur sa
mission. En plus, la manière dont était écrit le personnage a imposé
automatiquement certains mimétismes...
Avec le recul, quel
était, d’après vous, votre meilleur atout pour incarner Jacquou ?
Je
ne sais pas ! Les costumes et le maquillage ! Ça a l’air d’être une
plaisanterie, n’empêche que sur ce genre de film, ça aide beaucoup d’être
derrière un lourd maquillage et de vrais costumes. Tout de suite, ça vous
donne une autre dimension, ça vous emmène vers quelque chose de différent.
Pendant les répétitions, par exemple, j’aimais bien avoir les sabots, parce
que ça fait mal aux pieds, ça impose immédiatement une démarche différente...
Et
puis, toutes ces scènes physiques aussi, ça endurcit, ça aide. Il ne faut pas
hésiter à s’appuyer sur toutes ces cannes... D’autant que s’il y a
quelque chose qui participe énormément à la réussite du film, c’est, en
plus des décors de Christian Marti et de l’image d’Olivier Cocaul qui sont
magnifiques, tout le travail de maquillage et des costumes de Didier Lavergne et
Jean-Daniel Vuillermoz. Il faut quand même savoir que Laurent n’est pas
quelqu’un de facile pour l’équipe maquillage - coiffure, ni même
d’ailleurs pour l’équipe technique parce qu’il ne dit jamais vraiment ce
qu’il va faire !
Sur
les grosses scènes, il tournait avec deux ou trois caméras et il utilisait
beaucoup le zoom si bien que personne ne savait vraiment ce qu’il était en
train de filmer. Je voyais les maquilleurs et les habilleurs s’arracher les
cheveux parce qu’il fallait que tout le monde soit parfait tout le temps, même
les figurants, or tout le monde avait des postiches, des rajouts, des barbes,
des moustaches, sans parler des vieillissements...
Qu’est-ce qui,
selon vous, faisait de Jocelyn Quivrin un bon méchant, un bon comte de Nansac ?
Jocelyn
m’a vraiment épaté sur le plateau. C’est quelqu’un de très précis, qui
prépare énormément. Il a vraiment réussi à donner de l’étoffe au comte
de Nansac. Il a installé dès le départ un personnage
Vous disiez au début
de cet entretien que cela avait été une belle expérience de travailler avec
tous ces acteurs...
Oui,
c’était un vrai bonheur de travailler avec tous ces gens. Avec Jocelyn, avec
Gérald (Thomassin), avec Malik (Zidi), qui sont des acteurs passionnants. Malik
et Gérald avaient des rôles un peu moins importants et ils ont réussi à
faire vraiment exister leurs personnages. Jouer avec Olivier (Gourmet) ou avec
Tchéky (Karyo), c’est encore différent . Ils ont une autre expérience, ils
ont une autre énergie, ils ont des caractères tellement forts, des natures
d’acteur tellement différentes... Pareil avec Dora Doll. Selon qu’on joue
avec l’un ou avec l’autre, on ne ressent pas, on ne vit pas les mêmes
choses et ça, c’est étonnant !
Et
puis, il y a tous les acteurs un peu moins connus qui sont formidables, Didier
Becchetti qui joue l’âme damnée du Comte, Sissi Duparc, qui joue La
Bertille, qui, même dans la vie, est un personnage exubérant, toujours à
fond, Renan Carteaux, superbe en aristo un peu coincé. Avec Judith (Davis) et
Bojana (Panis), c’était autre chose encore. Si le choix de Judith pour Lina
était évident et lumineux, celui de Bojana pour la Galiote me faisait un peu
peur, parce que c’est quand même un personnage important, et Bojana n’avait
jamais joué, elle ne parlait pas français avant le tournage...
Mais
elle est tellement le personnage physiquement, et puis, elle a su rendre le côté
à la fois sombre, dur et sensuel de la Galiote. Elle apporte quelque chose d’étonnant...
Franchement, je trouve qu’au niveau du casting, c’est un sans faute !
Comment définiriez-vous
Laurent Boutonnat sur le tournage ?
Il
est incroyablement serein. Je ne sais pas si ce n’est qu’une façade et si
derrière il est angoissé, mais en tout cas on le sent assez sûr de lui. Malgré
l’ampleur du film, il est toujours très disponible pour les comédiens. On a
l’impression qu’on a toute la vie pour faire le film et c’est assez agréable
! En fait, il y avait sur ce tournage un côté très ludique, si bien qu’on
n’avait pas toujours l’impression de travailler, sauf quand on était dans
la boue pendant trois heures d’affilée, qu’il faisait froid, et qu’on était
en heure sup’ ! Enfin, c’est quelqu’un qui a l’œil partout, sur chaque
poste. Il est partout, il valide tout, même pendant la préparation. Là-dessus,
il me fait penser à Jean-Pierre Jeunet. Laurent peut être parfois très précis,
être attentif au moindre détail, et puis à d’autres moments, il ne l’est
pas du tout, il sait se laisser emporter par le mouvement, par l’énergie, par
la vie d’une scène. Au fond, il n’y a pas de règle avec Laurent.
Quelle est sa
principale qualité de metteur en scène ?
Sa
patience et sa détermination. Il est vraiment patient, il ne bâcle pas les
choses et il n’hésite pas à refaire une scène tant qu’il n’a pas ce
qu’il veut. Il ne se laisse pas démonter par la pression. C’est quelqu’un
qui est vraiment stoïque et qui gère le film de A à Z. J’aimais bien le
fait qu’il n’y ait pas beaucoup de répétitions, qu’il soit pressé de
tourner avec l’envie de prendre ce qu’il y a à prendre même dans une scène
pas encore aboutie. En fait, c’est comme s’il filmait les répétitions.
Si vous ne deviez
garder qu’une image, qu’un moment, de toute l’aventure de Jacquou le
Croquant ?
Ce
qui me vient instantanément à l’esprit, c’est plus qu’une image, ce sont
les deux semaines de tournage pendant lesquelles on a fait la scène de la
danse... C’était éprouvant mais c’est une scène-clé du film qui devrait
marquer. Une scène charnière où on va comprendre les rapports des personnages
les uns avec les autres et j’aimais beaucoup l’idée qu’on fasse passer ça
à travers la danse. Ça me fait penser à un de mes films préférés, Les
Portes du paradis, où il y a des scènes de danse magnifiques. L’autre image
que je garderai, c’est celle de la vie d’équipe. Il faut dire que de
tourner à Bucarest, ville plutôt glauque et "plombante", nous a soudés. On était
très près les uns des autres. On avait même des rapports très fusionnels.
C’était aussi une belle expérience humaine.
attaché de presse : Jean-Yves Gloor
paru le 13 novembre 2006