"On est vieux à vingt ans"

Propagande jeuniste d'un concert à venir...

 

    Au petit matin, Alizée qu'on reconnaît à ses cheveux mi-longs et à sa silhouette longiligne regarde le soleil qui se lève à l'horizon, alors que ses premiers rayons n'éclairent encore que les nuages supérieurs... Elle est assise sur un banc public, immobile, bercée par le son de ces oiseaux qui ne chantent qu'à l'aube. Nostalgie (injustifiable à cet âge) du temps qui passe ? Ode lancinante à la vingtaine qui approche ? Calme avant la tempête ? Cette aube devant laquelle Alizée est en admiration est bien sûr celle de la vie qui commence, et ces oiseaux qu'on entendra plus de la journée sont ceux qui résonnent encore à dix huit ans, mais plus à vingt. C'est parce qu'on "est vieux à vingt ans" qu'Alizée les écoute une dernière fois et regarde ce ciel illuminé, avant que le soleil ne l'aveugle et ne la marque trop. Alizée a le temps.

    On reconnaît une fois de plus l'épure vers laquelle semble vouloir tendre Laurent Boutonnat si ce n'est dans son cinéma, mais au moins dans ses clips. Tout est dit une fois de plus en un plan, sans fioriture, sans décors, sans figurants ni costumes ni intrigue. La bas du cadre correspond au sol dont la matière est inconnue, le hors champ est inexistant, Alizée dans ce plan n'est nulle part puisque son propos n'a aucun besoin d'être situé. Mouvement d'appareil lent et fluide, la caméra s'approche lentement du dos d'Alizée jusqu'à ce qu'une demi-douzaine de colombes s'envolent. Ce qu'il faut remarquer ici est la simultanéité de l'envol des oiseaux avec l'apparition de l'introduction de la chanson dans le champ sonore. C'est là, pourtant sans faire de bruit que tout casse, la caméra s'est approchée trop près, les oiseaux ont peur, ne chantent plus, s'envolent, la quiétude est brisée, la jeunesse est finie. Aucun besoin alors de s'attarder sur ce pauvre banc public qui n'intéressera désormais plus personne, au delà de l'enfant qui se meut en adolescente dans Parler tout bas, c'est ici l'adolescente qui devient adulte, propulsée dans la course au vieillissement, délaissée par la paix qui veillait jusqu'à lors sur elle, placée dans la nouvelle position qui la marquera à vie : la scène.

    C'est ici aussi qu'on bascule dans le clip à proprement parler, Alizée trône au milieu d'une immense scène toute à la gloire, entourée de douze danseuses, de quatre musiciens et d'un impressionnant dispositif d'éclairage digne d'un concert au Stade De France. Seul élément commun : le ciel qu'Alizée pouvait voir lorsqu'elle était assise sur son banc est toujours là. Mais le bruit du vent s'est arrêté, les nuages ne bougent plus et resteront figés sans doute pour toute sa vie d'adulte. Vient l'heure du commentaire, si ce n'est du bilan... 

 

    Les projecteurs reproduisent fidèlement les teintes de l'aurore un matin d'été. Le premier rayon de soleil est bien sûr pour Alizée, éclairée de blanc alors que tous ceux qui l'entourent restent dans l'obscurité. On retrouve sur cette scène sans fosse, représentation sans public, ces mêmes douceurs nacrées, symbolisant cette même innocence. Comme une métaphore de la mise en scène "live" d'une chanson (puisque c'est bien de bande-annonce de concert dont il s'agit ici), la cassure produite à l'ouverture par l'envol des oiseaux se matérialise de nouveaux par une explosion artificielle d'éclairages blancs, illuminant partiellement la scène en autant de rayons de soleil que projetterait la nature qui s'éveille. Bien sûr le rythme du montage suit, et on ne doute pas longtemps que la majeure partie de l'intérêt narratif du clip est déjà passée. Alizée entourée de sa douzaine de danseuses ne cessera alors de se déhancher, de se déchaîner au milieu de ce feu d'artifice de lumières orangers et blanches. Heureusement, même dans ses clips les plus communs, les moins surprenants, Laurent Boutonnat glisse une particularité, une trouvaille qui se remarque. Dans Je t'aime Mélancolie Laurent Boutonnat alternait astucieusement les plans de combat avec les ballets et pendant ceux-ci, Mylène Farmer ne regardait jamais la caméra, reprenant peut-être sans le savoir la structure du métaclip. Dans Baïla Si les danseurs et danseuses étaient torses nus sans distinction de sexe, et Nathalie Cardone en regards-caméra était montrée à grands renforts de travellings latéraux ultrarapides (procédé repris ici). Dans J'ai pas vingt ans Alizée est la seule à être éclairée, toutes les danseuses et les musiciens restent dans l'ombre, ou du moins dans un contre-jour qui les aplatit et ne nous fait distinguer que leurs cheveux longs, éléments assez faible pour déterminer si la chanteuse est entourée exclusivement de garçons ou de filles. Détail sans importance lorsqu'on imagine toute une génération (celle d'Alizée) dans ces silhouettes sveltes et anonymes.

 

    C'est la première fois que Alizée (qui a pourtant une formation de danseuse) est entourée de danseurs. Est-ce la chanson qui mérite ce traitement "exceptionnel" ? Oui et non, on peut déjà être surpris que le duo Farmer-Boutonnat pourtant coutumier des chorégraphies n'ai pas accompagné auparavant la jeune chanteuse de compères de ballets, si ce n'est dans les clips, au moins lors de ses apparitions télévisées. On peut penser qu'ils l'auraient fait s'ils avaient engagé une de ses concurrentes, telles Priscillia ou Lorie... Seulement Alizée est loin d'être une erreur de casting, elle a une vraie présence, et l'absence de danseurs derrière elle pendant deux ans n'aura pas été un manque, elle seule a pu illuminer n'importe quel plateau de télévision sans artifice, notamment pour sa première chanson Moi...Lolita

 

    Alors qu'est ce qui justifie cette mise en scène ? Tout d'abord précisons que le clip de J'ai pas vingt ans arrive trois mois avant les premiers concerts de Alizée et que (détail non négligeable) les billets sont déjà en vente. Si aucun concert ni aucune tournée n'étaient prévues on a peu de mal à imaginer que Laurent Boutonnat aurait envisagé un autre clip. Si on note la présence de tous les éléments renvoyant à un effet "live" (projecteurs visibles, caméra en position de quatrième mur théâtral, danseurs, musiciens, scène surélevée) on s'apercevra que seul un élément manque : le public. En réalisant le clip de J'ai pas vingt ans et en le soumettant aux médias et aux chaînes musicales, Laurent Boutonnat fait réellement acte de propagande pour les concerts de la chanteuse et lui offre (et s'offre à lui par la même) un spot publicitaire de quatre minutes trente deux secondes. (même Mylène Farmer, alors qu'elle était au plus haut de sa carrière, n'a pas eu droit à douze danseuses derrière elle).

 

    Une autre dimension appartient à la chanson, et il serait difficile d'en extraire le clip : J'ai pas Vingt ans sort quelques semaines seulement après la chanson de Lorie (autre jeune chanteuse aux chorégraphies énergiques, aux chansons sucrées, aux paroles pseudo autobiographiques mais assumées guimauve) intitulée A vingt ans. Alors que celle-ci clame qu'à vingt ans "on est invincible", que "rien n'est impossible", Alizée (18 ans) répond de manière définitive qu'on "est vieux à vingt ans", et en gros qu'il faut en profiter avant de devenir vieille aigrie et ridée comme Lorie (20 ans). Bref, vous aurez compris qu'on assiste ici à un grand duel d'auteurs, à l'image de Nietzsche contre Wagner. Alizée change donc de stratégie (même si on se doute que toutes ces idées ne sont pas venues de cette seule tête, âgée de 18 ans rappelons-le) et se lance dans le toujours plus : Plus de lumières, plus de danseuses, plus de guitares électriques, plus large le sourire et plus courte la robe rose. 

 

 

    Mais c'est bien Laurent Boutonnat qui est (encore ?) accroché à sa caméra et ne se sent pas pour rivaliser avec l'imagerie futuriste bleuâtre du clip A vingt ans ! Boutonnat, ce n'est pas dans l'image de synthèse qu'il veut patauger, c'est dans le concert futuriste qu'il se sent davantage à l'aise (il est co-responsable de la tournée 1996 de Mylène Farmer) et se dépêche donc en accélérant le montage de nous exposer son dépliant-test de l'Olympia 2003 de la petite. C'est alléchant certes mais à part les 53 premières secondes du clip, le reste ne revêt guère d'intérêt si ce n'est pour les cinquantenaires amateurs de la plastique des copines de l'âge de leurs filles.

 

 
 

 

    Inutile donc de poursuivre cette analyse tant le reste devient prévisible, la chorégraphie se calme pendant le pont, puis reprend de plus belle, le cadrage devient oblique, Farmer en coulisses appuie sur l'interrupteur du stroboscope, Alizée est décoiffée, et côté musiciens ça devient carrément hard-core, on se croirait pendant une impro de Slipknot. Ensuite il sera difficile pour Laurent Boutonnat de trouver à l'Olympia le pendant de son effet de fin de clip : les projecteurs (trop nombreux et pas assez espacés c'était prévisible) explosent un à un faisant retomber sur la scène des centaines d'étincelles rougeoyantes. C'est finalement là que les barrières se brisent le mieux : lorsque Laurent Boutonnat se décide enfin à casser ses jouets, à se foutre des règles qu'il aurait dû se fixer ; un peu à l'image de ses débuts en 1985 quand il mettait un grand coup de pied dans la fourmilière du vidéo-clip mondial. On retrouve sur la fin du clip quelques faux-raccords mais peu importe, la chanson et la chanteuse ont pris le dessus (ce qui devrait être quand on y pense le principe d'un clip) : On retrouve également Alizée derrière la batterie en train de s'accompagner elle-même ! (à quand Alizée à la basse ? Alizée à la réalisation ? Alizée dans le public ?) Mais la continuité n'est brisée à aucun moment, tout fonctionne a merveille dans un déluge d'images sombres mais flamboyantes, calibrées mais ludiques, grâce auxquelles on ne peut (encore une fois) que se rendre compte de la maîtrise parfaite et intacte du cadrage et du montage par le cinéaste maudit, passé maître dans le cinéma de variétés.

 

    Bientôt les danseurs s'arrêtent, le plateau s'obscurci et seule la tête d'Alizée, immobile et inclinée reste éclairée au centre de la scène. Travelling avant. Comme un souvenir, le banc public réapparaît en surimpression, les oiseaux gazouillent à nouveau : ouf ! ce n'était qu'un cauchemar, Alizée n'a encore que 18 ans.

 

Jodel Saint-Marc.

 

 

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