Produisant Alizée en 2000, Laurent Boutonnat s'occupe de
ce " coup " en composant la chanson, les albums, les remixes et
réalise trois de ses clips, dont Moi…Lolita. Clip à la pure ambition
commerciale, la longue scène de la discothèque qui dure la moitié du clip ne
sert qu'à montrer sous toutes coutures la nouvelles égérie du réalisateur
qui danse sous les yeux des personnes présentes, comme une méta
phore de la
quête de popularité de la jeune chanteuse. Les rapports ambigus entre Lolita
et sa mère, ainsi qu'avec le jeune homme sont relayés au second plan. Ici le
héros n'est pas l'histoire, même pas l'héroïne, mais la chanteuse Alizée
elle-même qui ne fait qu'un avec Lolita jusqu'à en parler à la première
personne. Quant au cinéma de Laurent Boutonnat, en tout cas ses signes
distinctifs, il faut les chercher, être attentif pour retrouver les plans
larges en plongée sur
les champs d'orge, le lent travelling avant sur une
pauvre maisonnette, ou enfin la violence que subissent inlassablement ses
héros. On retrouve néanmoins la méthode d'adaptation que Laurent Boutonnat
pratiquait quelques années auparavant à partir des paroles des chansons pour Parler
tout bas, troisième chanson d'Alizée. Toujours en extrapolant légèrement
le texte original de la chanson, ce clip à la narration plutôt abstraite mêle
des images-symboles du passage à l'âge adulte à partir de poupées de
porcelaine à la taille humaine évoquées dans la chanson.
Pourquoi Laurent Boutonnat aurait-il changé sa conception
du clip ? On peut emmètre plusieurs hypothèses : celle qui semble la plus
probable serait de mettre en évidence l'aspect purement alimentaire de ses
productions postérieures à Giorgino qu'il considérait comme
l'aboutissement de son univers. Il serait plus intéressant cependant de situer
ce revirement dans le contexte du vidéo-clip de cette époque.
La moitié des années 90 correspond à une
standardisation de la diffusion des clips. Non seulement leur format court
devient une nécessité (la multiplication des chansons sortant dans le commerce
impliquant la diffusion d'avantage de vidéo-clips) mais l'ouverture par le
câble et le satellite de chaînes musicales (MTV France, MCM, M6 Music, Fun
TV…) encourage un flux toujours plus puissant de productions. Sous
l'affluence de la multiplication des vidéo-clips, une espèce de concours de
créativité couronne désormais les vidéo-clips qui sortiront du lot et les
récompensera par un "matraquage" à l'antenne. Certaines de ces
exigences, notamment celles qui régissent l'inventivité de la forme, sont
celles qui ont poussé Laurent Boutonnat à envisager différemment le
vidéo-clip dès 1984. Cependant des contraintes ont depuis émergé et le
nombre croissant de vidéo-clips destiné à la plus large diffusion ne permet
plus aux chaînes, par exemple, de consacre
r dix minutes "d'antenne"
à une seule chanson. Laurent Boutonnat avait compris cela dès 1991 où il
avait monté deux version de Désenchantée : la plus courte (moins
longue de six minutes que la version intégrale, amputée de la séquence finale
pourtant essentielle, et des génériques) fut bien davantage diffusée. Il
aurait alors pu garder les versions longues de ses prochaines productions pour
les sorties en salles et les ressorties en vidéo-cassettes, ce qui ne
justifiait sans doute plus l'investissement que six minutes supplémentaires de
film auraient coûté. Difficile aussi pour un auteur d'avoir à
"tronçonner" son film pour de pures contraintes commerciales. Car si
Boutonnat considère ses clips avant tout comme des œuvres, on comprend qu'il
n'ai pas souhaité réitérer l'expérience de Désenchantée où la
suppression de la séquence finale donnait à la version courte du clip le sens
inverse que la chanson et la version intégrale du film voulait donner !
Soucieux de rester plus proche du cinéma que de la
télévision, Laurent Boutonnat a fait le choix de continuer de tourner sur
pellicule 35 mm. le plus souvent au format panoramique 2.35. Il a cependant
cessé de remixer les titres afin de s'en servir comme complément de bande
sonore, a quasiment supprimé les bruitages, et ne compose plus de musiques
additionnelles. Alors éloigné du début de son œuvre car ayant
"perdu" son actrice fétiche, le réalisateur a peut-être mis un
terme à la cohérence de sa production avec le dernier clip pour Mylène Farmer
en 1992. Il faut d'ailleurs justement noter que c'est à cette même date que
s'achève l'exploitation de ses clips en salle et par vidéo-cassettes.
Désormais seules la télévision en général et les chaînes musicales en
particulier se feront le médium des clips de Laurent Boutonnat.
Boutonnat version 2.0
Après plusieurs mois, voir plusieurs années de recul sur une oeuvre déjà longue, on peut commencer à voir celle-ci comme un tout, et se demander ce que vaut un auteur, ici Laurent Boutonnat (réalisateur français 1961-1994).
Disposant d'une énergie et d'une inspiration sans borne pendant dix ans, les réalisations de Boutonnat se sont non seulement espacées, mais considérablement assagies. "Evolution" j'entends dire à ma droite. Sûrement pas. C'est en se radicalisant qu'un artiste parvient à définir le mieux sa personnalité, car c'est en fouillant ce qui le poursuit depuis sa naissance, en le tournant dans tous les sens, en le produisant et le reproduisant à chaque fois différemment et plus profondément que l'artiste tend vers l'image parfaite, et parvient à ce que Montherlant nommait sa "part essentielle".Laurent Boutonnat est devenu un faiseur mettant au service des albums qu'il compose et des spectacles qu'il met en scène son indéniable professionnalisme. Il sait faire 'efficace', et cette accélération du rythme et cette imédiateté des sensations trouve parfaitement sa place sur scène. En ce sens le dernier spectacle de Mylène Farmer (Point de Suture 2009) recycle brillamment bon nombre de ce qu'il avait créé pour elle. Les grands tubes sont actualisés mais restent conformes visuellement à la fois à leur clip d'origine, mais aussi à leur première mise en scène de 1989. On retrouve plusieurs clins d'oeil, le jeu d'échecs en arrière plan de Libertine renvoie au jeu de carte auquel joue l'héroïne dans le salon, comme les jeux de mains des danseurs de Sans Contrefaçon rappellent ces mêmes gestes exécutés par Zouc sur la plage.
Ainsi, et pour la première fois depuis 1989, la sobre A quoi je sers est reprise, les anciens tubes ne sont pas pris au second degré (les faux postérieurs de Pourvu qu'elles Soient Douces au Mylénium Tour), ne sont pas caricaturés (le fauteuil multicolore de Libertine et les bottes pailletées au Tour 96) ou simplement outrageusement ridiculisés (les drag queens de Sans Contrefaçon en 1996). Fini aussi l'attendu déguisement en haut de forme pour mettre en scène un texte andogyne (Sans Contrefaçon au Avant que l'ombre...à Bercy). Cette fois Laurent Boutonnat (bien que les arrangements très 'Katy Perry' soient signés Yvan Cassar) reste fidèle à l'imagerie d'origine, et renoue avec le premier pont musical scénique de Sans Contrefaçon en 1989, ainsi qu'avec les choeurs de Libertine, toutefois retravaillés pour l'occasion.
Pour ce qui est de l'écran c'est une autre histoire. Puisque visiblement le Boutonnat commercial ne fonctionne pas commercialement (Jacquou le Croquant), il ne tourne plus (aucun projet de long-métrage n'est actuellement connu depuis 2006). Laurent Boutonnat n'alignant même plus les clips, on peut imaginer une remise en question sur ce qui fait vraiment son cinéma. Car si depuis une dizaine d'années le recyclage de symboles romantiques est un fond de commerce, celui de Boutonnat est en solde.
Pourtant il s'en aurait fallu de peu pour faire de Jacquou un film sinon d'auteur, au moins 'auteurisant' : Prendre le temps sur les choses importantes, ne pas chercher l'action et le ralenti de l'action, donner un sujet à son film et ne pas le maquiller en ôde à la nature, éviter de cacher ses morts et sa temporalité (le dernier châpitre du livre donnait tout son sens au roman), jouer avec la relation du curé et du chevalier qu'on devine un peu pédés dans leur logis, ou approfondir à la fois le tiraillement affectif et l'ambition de Jacquou.
Laurent Boutonnat a retenu de ses dernières expériences musicales et scéniques la plus mauvaise chose : la séduction du public à tout prix. Et c'est précisément à cause de ça que Jacquou le Croquant finira par avoir ce qu'il mérite : un passage en seconde partie de soirée un mardi soir sur TF1.Dr. Jodel, le 17 juin 2009.
Cet éditorial a provoqué quelques réponses intéressantes sur le site "La Chouette Blanche", dont nous nous permettons de retranscrire les meilleures ici :
Atlante, le 19 juin 2009 :
Mouais, pas trop d'accord avec le contenu de l'édito. Parce qu'il ne pratique plus le glauque à outrance, L.B. se renierait ? En voilà des conceptions dépassées... Et puis Jacquou, sans être au sommet du Box Office, ça n'a pas du tout été un bide.
Et autre chose : Giorgino a été un échec commercial qui a financièrement coûté très cher à Laurent qui y avait investi pas mal de ses propres deniers (c'était une grosse production). Or, si un réalisateur fait un film qui n'est pas rentabilisé, non seulement il lui faut s'en remettre, mais en plus, à l'avenir, il aura de plus en plus de mal à trouver les fonds nécessaires. Or, faire du cinéma, c'est un métier, et le premier but d'un métier, c'est de parvenir à en vivre.Être un réalisateur "maudit", c'est lourd à porter, tout de même, surtout si, au bout du compte, toutes les portes se ferment et qu'on ne parvient plus à l'exercer. Ce n'est tout de même pas ce qu'on souhaite à Laurent ! Giorgino est un très beau film avec, malheureusement, deux très gros défauts : la longueur, qui n'est pas compensée par la densité du scénario, et une certaine complaisance dans la noirceur. J'ai eu vraiment beaucoup de peine pour lui car après les longues années qu'il avait passées à le préparer, le tournage qui avait eu lieu dans des conditions climatiques très difficiles et l'attention très pointue qu'il avait apportée au réalisme historique (jusque dans les prénoms, les photos, les affiches, les moindres détails), il ne méritait vraiment pas ça. Laurent a beaucoup de talent et celui-ci ne s'exprime pas nécessairement qu'à travers des choses funèbres.
Pénéloppe Eddo, le 19 juin 2009 :
En bref (ou presque) j'ai l'impression que Jodel s'est arrêté à Giorgino parfois et ne peut pas envisager que LB ait évolué dans sa façon d'appréhender les histoires qu'il veut raconter et qu'il a pu tirer certaines leçons de Giorgino. A quoi bon faire du cinéma qui certes, tout en étant excellent et avoir une "patte" artistique spécifique va attirer 10 000 spectateurs et être reconnu 20 ans après.
LB, le 21 juin 2009
L'edito est d'une violence inhabituelle et à mon avis bien exagérée (le titre est très très dur). Néanmoins, si cela pouvait avoir le mérite d'ouvrir le débat sur la baisse vertigineuse d'ambition artistique de Mylène et Laurent depuis 95, ce serait bien et fortement interessant.
Réponse de Dr. Jodel le 22 juin 2009 :
Il n'est pas du tout question de « pratiquer le glauque à outrance », Laurent Boutonnat n'a de toute façon jamais été un Sam Raimi. Or, La frontière de l'animé et l'inanimé (Sans Contrefaçon, Maman à tort), du vivant et du mort (Pourvu qu'elles soient Douces), le facile passage de l'un à l'autre (Libertine, Sans Logique), les liens entre eux (Plus Grandir, Regrets), ou les fantômes qu'ils laissent (Giorgino), sont ce qui caractérisaient le fond du cinéma de Laurent Boutonnat, ce qui en a constitué la 'part essentielle'.
Un exemple : En décidant de ne pas suicider Lina (Jacquou le Croquant) comme dans le roman d'origine, qui-plus-est sans la compenser par un élément de fond, non seulement Boutonnat adapte librement le livre -ce qui est tout à fait son droit- mais il le contredit, et, oserais-je dire, se contredit lui-même. Car qu'est ce qu'un Laurent Boutonnat qui a perdu ses obsessions, ses objets de réflexion ? Un faiseur. On peut certes évoluer, mais vers quoi ?
Qui peut définir aujourd'hui ce qu'est le fond du cinéma de Laurent Boutonnat ? Ce qui l'anime, ce qui l'obsède ?Pénéloppe se questionne sur l'intérêt de faire du cinéma qui « ne va attirer que 10 000 spectateurs ». L'intérêt est simple : rester un auteur libre de ses choix. Si chaque artiste, en créant, mettait la question de la masse de l'auditoire avant les autres, il ne resterait du cinéma français que les comédies familiales, du théâtre que le Boulevard, de la littérature que Marc Levy et Guillaume Musso.
Pourquoi, alors, ne pas interdire les films d'auteur ? Cette idée me vient après la lecture d'une autre assertion qui prétendait « compenser la longueur d'un film par la densité du scénario » -Visconti et Tarkovski accrochez-vous à votre tombe-. On me répondra qu'en finançant Giorgino lui-même, Laurent Boutonnat s'est permis un cinéma d'audace qui a considérablement grevé le budget de ses films suivant. Et c'est l'erreur économique de Giorgino : si Boutonnat n'a trouvé que lui pour mettre 1,2 Millions d'Euros sur un film d'auteur de trois heures parlant de la première guerre mondiale, ce n'est pas un hasard, c'est du suicide.
Car en récrivant un minimum les séquences les plus couteuses, sans convoquer des acteurs américains, sans reconstruire un village tout entier, Giorgino aurait pu coûter beaucoup moins cher. Certes, le film n'aurait pas été ce qu'il est aujourd'hui ; et c'est pourquoi Giorgino restera l'outil de suicide le plus classieux qu'ai pu s'offrir un cinéaste.Pénéloppe ajoute pour finir que « faire du cinéma est un métier [dont il faut] parvenir à vivre ». Par cette phrase, elle décrit -sans doute sans le vouloir- ce qui fait la différence entre un artiste et un faiseur :
Ll'artiste considère le cinéma comme un exutoire, le faiseur comme un moyen de subvenir à ses besoins.Jodel Saint-Marc